QUE FAIRE ? • 2/5 • Anasse Kazib et Laura Varlet : « Affronter et déposséder le système »


Dossier « Que faire ? » | Entretien inédit pour le site de Ballast

Anasse Kazib et Laura Varlet sont tous deux che­mi­nots et syn­di­ca­listes SUD-Rail. Ils portent, aux côtés de leurs cama­rades, l’or­ga­ni­sa­tion Révolution Permanente : c’est éga­le­ment le nom de leur média, par­tie inté­grante du Réseau inter­na­tio­nal La Izquierda Diario et de la Fraction trots­kyste – Quatrième Internationale. Depuis sa rup­ture avec le NPA en 2021, Révolution Permanente vogue en soli­taire et s’in­ves­tit, par la voix d’Anasse Kazib, dans la pré­si­den­tielle à venir : la dif­fi­cile col­lecte des 500 par­rai­nages a cours actuel­le­ment. Contre la gauche « réfor­miste », Kazib et Varlet reven­diquent sans détour le cap de la révo­lu­tion ; contre la gauche « spon­ta­néiste », ils défendent la prise du pou­voir d’État par la grève géné­rale puis l’ins­tau­ra­tion d’un gou­ver­ne­ment des tra­vailleurs et des tra­vailleuses. La jeune orga­ni­sa­tion mar­xiste aspire pour ce faire au ras­sem­ble­ment de « la classe ouvrière dans toute sa diver­si­té » : les luttes anti­ra­cistes, fémi­nistes et LGBT sont ain­si au cœur de son enga­ge­ment. Dans le cadre de ce dos­sier entiè­re­ment consa­cré aux dif­fé­rentes stra­té­gies de rup­ture avec l’ordre domi­nant, nous sommes allés à leur rencontre.


[lire le pre­mier volet | Sylvaine Bulle et Alessandro Stella : construire l’autonomie]


Il y a quelques mois, une de vos décla­ra­tions1 a décon­te­nan­cé la gauche anti­ca­pi­ta­liste, Anasse : alors qu’un cer­tain nombre de mili­tants redoutent une période « pré-fas­ciste », vous sem­blez repous­ser l’idée d’un tel danger.

Anasse Kazib : Il faut défi­nir ce qu’on entend par là. Oui, il y a une mon­tée des idées réac­tion­naires dans la sphère média­ti­co-poli­tique et dans une par­tie de la popu­la­tion : on est d’ac­cord ! Ces dis­cours sont repris jus­qu’à la gauche ins­ti­tu­tion­nelle : Montebourg va pio­cher dans le dic­tion­naire de l’ex­trême droite sur le sujet des OQTF2 et des trans­ferts d’argent ; Roussel prône le retour des immi­grés illé­gaux chez eux3 ; Jadot remer­cie l’in­ter­ven­tion du RAID et du GIGN en Guadeloupe4. Mais si les idées poli­tiques de gauche sont mino­ri­taires dans le débat public, elles sont bien vivantes dans la socié­té, dans la jeu­nesse, dans le mou­ve­ment social ! Le mou­ve­ment des gilets jaunes en 2018 a été un véri­table sou­lè­ve­ment popu­laire, le plus sub­ver­sif depuis 1968. La grève contre la réforme des retraites en 2019 a remis la classe ouvrière orga­ni­sée sur le devant de la scène, avec une nou­velle géné­ra­tion issue de l’im­mi­gra­tion (comme les machi­nistes de dépôts de bus à la RATP recru­tés après les révoltes de 2005 en ban­lieue). Sans par­ler des mou­ve­ments Black Lives Matter, du Comité Adama, des mani­fes­ta­tions Nous Toutes, des mou­ve­ments écologistes…

« Je ne crois pas à une droi­ti­sa­tion de la socié­té dans son ensemble : dans les classes popu­laires et pour la majo­ri­té de la popu­la­tion, les pré­oc­cu­pa­tions demeurent sociales. [Laura Varlet] »

C’est d’ailleurs en grande par­tie en réac­tion à ces phé­no­mènes par en bas que se radi­ca­lisent, à droite, une par­tie de la classe domi­nante et le débat poli­tique. De ce point de vue, et sans aucu­ne­ment nier le dan­ger que repré­sentent les idées véhi­cu­lées par des forces réac­tion­naires comme le RN ou Zemmour, ni le fait que cer­tains grou­pus­cules fas­ci­sants se sentent pous­ser des ailes et passent à l’ac­tion — notam­ment dans des villes comme Lyon —, par­ler aujourd’­hui de « pré-fas­cisme » me pose pro­blème. Car on risque de lais­ser croire à une sorte d’i­né­luc­ta­bi­li­té du fas­cisme, comme seul hori­zon, alors que la situa­tion est beau­coup plus pola­ri­sée et ouverte. Et que son évo­lu­tion dépen­dra fon­da­men­ta­le­ment du déve­lop­pe­ment de la lutte de classes.

Laura Varlet : Je ne crois pas à une droi­ti­sa­tion de « la socié­té » dans son ensemble : dans les classes popu­laires et pour la majo­ri­té de la popu­la­tion, les pré­oc­cu­pa­tions demeurent sociales. Mais des sec­teurs de la classe domi­nante radi­ca­lisent leur dis­cours et veulent impo­ser des réponses droi­tières à la colère qui existe en bas. Partons de la pan­dé­mie. Elle a accé­lé­ré une crise éco­no­mique sous-jacente : licen­cie­ments, dégra­da­tion des condi­tions de tra­vail, ten­sions sur les salaires… La ques­tion aujourd’hui est de savoir qui va payer les frais de la crise. Or l’ex­trême droite essaie de faire croire que la condi­tion pour limi­ter les dégâts est de s’en prendre aux étran­gers ou aux musulmans.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Anasse Kazib : Il y a un vieux révo­lu­tion­naire russe, Léon Trotsky, qui disait que dans le cadre de la démo­cra­tie bour­geoise, la classe domi­nante compte sur la domes­ti­ca­tion et la cana­li­sa­tion des classes popu­laires au tra­vers des élec­tions et par l’in­ter­mé­diaire des direc­tions du mou­ve­ment ouvrier. À l’in­verse, le fas­cisme c’est le choix par la bour­geoi­sie de l’af­fron­te­ment mili­taire contre les orga­ni­sa­tions du mou­ve­ment ouvrier : le moment où la bour­geoi­sie consi­dère que la démo­cra­tie bour­geoise devient insuf­fi­sante pour pré­ser­ver ses inté­rêts. Sommes-nous en train de vivre ce moment his­to­rique ? Y a‑t-il une telle insta­bi­li­té poli­tique, une telle situa­tion pré­ré­vo­lu­tion­naire que la bour­geoi­sie soit ten­tée par le fas­cisme ? Y a‑t-il une force capable d’é­cra­ser La France insou­mise, le PC, le NPA, la CGT, Solidaires, Attac et les mou­ve­ments sociaux ? Non. En tout cas pas encore, et ceci est impor­tant car ça nous laisse du temps pour nous pré­pa­rer. Nous ne disons pas que le fas­cisme se limite aux années 1930 et que cette réa­li­té poli­tique ne peut plus adve­nir. Mais ne pas arrê­ter de crier au loup, c’est l’as­su­rance de se faire man­ger le moment venu ! Celles et ceux qui consi­dèrent que « le fas­cisme est à nos portes », que font-ils pour être consé­quents avec cette carac­té­ri­sa­tion ? Un gars comme moi doit-il vivre dans la clan­des­ti­ni­té ou s’exi­ler pour évi­ter la pri­son ou une balle dans la tête des fas­cistes ? Notre géné­ra­tion — les tren­te­naires — a vécu une période d’affrontements rela­ti­ve­ment réglés : dans les années 1990, les seuls flics en manif’ fai­saient la cir­cu­la­tion ! Nous vivons un tour­nant auto­ri­taire depuis 2016 et les mani­fes­ta­tions contre la loi Travail. Mais une situa­tion auto­ri­taire, répres­sive, réac­tion­naire n’est pas équi­va­lente à l’exis­tence d’un État fas­ciste qui écrase le mou­ve­ment ouvrier : le 17 octobre 1961 ou les raton­nades dans les années 1980 n’ont pas été ana­ly­sées comme des évè­ne­ments fas­cistes, alors que le niveau de vio­lence était bien supérieur !

En 2018, Anasse, vous nous aviez dit qu’il allait fal­loir consti­tuer un « par­ti ouvrier ». Trois ans plus tard, on vous retrouve comme can­di­dat à la pré­si­den­tielle au nom de Révolution Permanente. Ça donne quoi, ce parti ?

« On ne se défi­nit pas comme un par­ti. On parle pour l’ins­tant d’or­ga­ni­sa­tion ou de cou­rant poli­tique d’ex­trême gauche. Un par­ti est capable d’in­fluen­cer une frange impor­tante des masses : ce n’est pas notre cas. [Anasse Kazib] »

Anasse Kazib : On ne se défi­nit pas encore comme un par­ti. On parle pour l’ins­tant d’or­ga­ni­sa­tion ou de cou­rant poli­tique d’ex­trême gauche com­po­sé de plu­sieurs cen­taines de cama­rades. Un par­ti est capable d’in­fluen­cer une frange impor­tante des masses : ce n’est pas notre cas. On a lut­té contre l’ex­plo­sion du NPA avec une lec­ture poli­tique : on défen­dait — avec d’autres ten­dances — une ligne d’in­ter­ven­tion dans la lutte des classes, alors que l’an­cienne direc­tion his­to­rique — issue de la LCR — por­tait, en der­nière ins­tance, une stra­té­gie d’al­liance élec­to­ra­liste avec la gauche. Il y a ain­si eu Le Big Bang avec Clémentine Autain, puis les alliances avec La France insou­mise aux muni­ci­pales et aux régio­nales. En tant que com­mu­nistes révo­lu­tion­naires, on déplo­rait que le par­ti ne se défi­nisse que par la néga­tive (anti­ca­pi­ta­liste) et ne porte pas ouver­te­ment le pro­jet éman­ci­pa­teur com­mu­niste. Ma can­di­da­ture a été pro­po­sée en interne au moment où une par­tie impor­tante de la direc­tion de l’organisation, et Philippe Poutou lui-même, ne vou­laient pas de can­di­da­ture : cer­taines éla­bo­ra­tions en interne mais aus­si cer­taines décla­ra­tions publiques lais­saient entendre qu’il n’y aurait pas de « can­di­da­ture de témoi­gnage », et on com­pre­nait que la place allait être lais­sée à Mélenchon ou à une hypo­thé­tique recom­po­si­tion de la gauche anti­ca­pi­ta­liste avec la gauche ins­ti­tu­tion­nelle. Comme réponse à la pro­po­si­tion de ma can­di­da­ture, on a été pous­sés vers la sor­tie en nous excluant des réunions et des assem­blées géné­rales, reniant tous les prin­cipes de la démo­cra­tie ouvrière : des ten­dances débattent et se convainquent de la stra­té­gie à adop­ter ! Malheureusement, après plus d’une décen­nie de crise du NPA et une immense hémor­ra­gie mili­tante (le NPA est pas­sé de 9 000 membres à un peu plus de 1 000, aujourd’­hui), la tra­di­tion démo­cra­tique de l’ex-LCR a été beau­coup abî­mée. La direc­tion actuelle consi­dère que tous les moyens sont bons pour gar­der la main sur l’or­ga­ni­sa­tion, même quand ils sont mino­ri­taires à la base.

Mais Révolution Permanente est avant tout connu comme un média en ligne. Il n’y a pas une confu­sion, du coup ?

Laura Varlet : Révolution Permanente est le jour­nal de notre orga­ni­sa­tion. On a vou­lu inno­ver par rap­port au vieux tract noir et blanc dis­tri­bué à la porte de l’u­sine — ce qu’il faut conti­nuer à faire ! Nos idées sont d’ac­tua­li­té. On réflé­chit à com­ment atteindre le grand nombre par de nou­veaux outils : un trots­kysme 2.0 ! (rires) Pas seule­ment sur l’u­sage des outils numé­riques mais sur le lan­gage, les thèmes abor­dés, les visuels et la manière d’articuler les dif­fé­rents com­bats. Tout ceci en gar­dant notre cap stra­té­gique, c’est-à-dire la lutte pour ren­ver­ser ce sys­tème. On parle des luttes : une par­tie des articles et des conte­nus qui tournent le plus sont ceux qui dénoncent la dic­ta­ture patro­nale à l’in­té­rieur des usines. Alors oui, le nom du jour­nal est le nom de l’or­ga­ni­sa­tion, mais se pose­ra rapi­de­ment — après 2022 — la ques­tion de la fon­da­tion d’une nou­velle orga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire de notre classe en France. Sans un grand pro­jet col­lec­tif et mili­tant, on peut lut­ter, faire des grèves, se révol­ter, faire des pas­sages télé, nos adver­saires gagne­ront encore et encore.

[Stéphane Burlot | Ballast]

« Non, on ne fait pas une can­di­da­ture de témoi­gnage », a récem­ment dit un de vos mili­tants, Gaétan Gracia. Pourtant, vous le répé­tez : vous ne croyez pas à la voie élec­to­rale. Quel est donc le sens stra­té­gique de votre participation ?

Laura Varlet : On n’est pas anti-élec­to­ral ! On ne pense pas que les élec­tions soient des « pièges à cons » et on ne met pas Le Pen, Macron ou Mélenchon dans le même panier. Les élec­tions sont un moment impor­tant de poli­ti­sa­tion pour notre classe. Sur des ques­tions de pro­gramme, les tra­vailleurs, les tra­vailleuses et la jeu­nesse — que ce soit dans les uni­ver­si­tés, les usines ou les quar­tiers — sont plus atten­tifs aux dif­fé­rentes pro­po­si­tions poli­tiques. On vient de sor­tir le pro­gramme de la can­di­da­ture d’Anasse et on constate une avi­di­té de pro­po­si­tions poli­tiques au moment des élections.

« On ne met pas Le Pen, Macron ou Mélenchon dans le même panier. Les élec­tions sont un moment impor­tant de poli­ti­sa­tion pour notre classe. [Laura Varlet] »

Anasse Kazib : C’est sûr que l’é­lec­tion pré­si­den­tielle n’est pas la lutte des classes, mais elle per­met de faire des expé­riences poli­tiques. L’autre jour, un cama­rade au tra­vail me demande si j’ai les 500 par­rai­nages ; je lui donne des cas concrets de maires qui craignent de perdre des sub­ven­tions. Dans un can­ton en Normandie, un maire m’a dit cash : « Ici, tout le monde déteste Macron mais on veut tous le par­rai­ner parce qu’à côté, c’est Le Havre, et Édouard Philippe peut nous faire des ral­longes pour finan­cer des pro­jets. » Tu vois des Mélenchon galé­rer pour les par­rai­nages alors qu’ils repré­sentent quelque chose poli­ti­que­ment et des Hidalgo avec 700 par­rai­nages, alors qu’elle est nul­lis­sime. Le gars de base, pas poli­ti­sé, il com­prend tout de suite que c’est un sys­tème de magouilles ! Et ce cama­rade finit par me dire : « J’espère que t’au­ras tes 500 par­rai­nages sinon je vote pas ! » 90 % des gens avec qui on parle sont des abs­ten­tion­nistes qui ne parlent que poli­tique. Mais ils nous parlent de Zemmour, de Le Pen, de Macron et de leur rejet de tout ce qu’ils incarnent. Quand on parle de can­di­da­ture de « témoi­gnage », on veut sur­tout dire qu’on n’est pas là juste pour se repré­sen­ter nous-mêmes, mais pour por­ter la voix et regrou­per une avant-garde qui a lut­té inten­sé­ment pen­dant cinq ans. C’est pour ça que c’est essen­tiel d’avoir à la tri­bune de nos mee­tings des gens comme Assa Traoré, Youcef Brakni, les gré­vistes de Transdev ou Sasha Yaropolskaya de XY Media, un média transféministe.

Laura Varlet : Pour nous, l’enjeu de cette cam­pagne c’est aus­si de convaincre de la néces­si­té de s’organiser poli­ti­que­ment, au-delà même d’un sou­tien ponc­tuel, et très pré­cieux, à la can­di­da­ture d’Anasse. C’est-à-dire qu’on appelle toutes celles et tous ceux qui trouvent que Anasse doit pou­voir être sur la ligne de départ à nous don­ner de la force, nous sou­te­nir finan­ciè­re­ment — nous n’avons pas le finan­ce­ment de Bolloré ou de Bernard Arnault ! À nous aider à faire les tour­nées pour obte­nir les par­rai­nages, venir aux mee­tings, col­ler des affiches, etc. Mais on vou­drait aus­si les convaincre qu’il est néces­saire d’aller au-delà, que le pro­jet poli­tique révo­lu­tion­naire et d’émancipation qu’on porte a besoin de l’engagement poli­tique du plus grand nombre. « Une can­di­da­ture révo­lu­tion­naire des tra­vailleurs, des tra­vailleuses, de la jeu­nesse et des quar­tiers popu­laires », c’est le sens qu’on veut don­ner à cette can­di­da­ture. Et c’est éga­le­ment pour ça qu’il ne s’agit pas d’une can­di­da­ture de témoignage.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Vous êtes tous les deux syn­di­ca­listes et vous cri­ti­quez régu­liè­re­ment les direc­tions syn­di­cales. Mais en quoi celles-ci ne seraient-elles pas le reflet de leurs bases ?

Laura Varlet : Il y a tout d’a­bord un pro­blème maté­riel : en tant que per­ma­nents depuis des décen­nies, à 100 % par­fois, et béné­fi­ciant d’une rému­né­ra­tion bien supé­rieure à celle du tra­vailleur moyen, les grands res­pon­sables syn­di­caux ne vivent pas la même vie que les tra­vailleurs du rang, et ça a son impor­tance. Il y a ensuite le pro­blème de savoir si leur poli­tique reflète ou non la volon­té de la base. Ils disent sou­vent « Il n’y a pas de bou­ton pour déclen­cher la grève géné­rale » et, dans un sens, ils ont rai­son ! Mais la ques­tion doit être posée dif­fé­rem­ment : com­ment on per­met à la créa­ti­vi­té des masses de se déployer le plus lar­ge­ment ? Quand notre classe se met en mou­ve­ment, quand elle relève la tête, ça fout en l’air tous les plans des capi­ta­listes… Or on constate que les direc­tions syn­di­cales et poli­tiques réfor­mistes ne cherchent pas à orga­ni­ser la colère à la base, à trou­ver les voies de la géné­ra­li­sa­tion et de l’extension des conflits, à construire des stra­té­gies offen­sives dans les mobi­li­sa­tions natio­nales. Ces der­nières années, en 2010, en 2016, les stra­té­gies qui ont été mises en place ont été des stra­té­gies de la défaite, à base de jour­nées d’action iso­lées. En 2018, contre la réforme fer­ro­viaire, c’était la grève per­lée : deux jours de grève, trois jours de négo­cia­tion, deux jours de grève, trois jours de négo­cia­tion, etc. Bref, vous don­nez à l’en­tre­prise le calen­drier pour qu’elle s’or­ga­nise et casse la grève ! À l’inverse, quand le 5 décembre 2019 on a un début de grève recon­duc­tible contre la réforme des retraites, celui-ci a été impo­sé par en bas, sous la pres­sion des agents de la RATP. Dans ce cas-là, com­ment ne pas voir que très peu a été fait du côté des direc­tions syn­di­cales pour mettre tous les sec­teurs stra­té­giques en ordre de bataille à leurs côtés ?

« Énormément de syn­di­ca­listes de la base étaient avec les gilets jaunes et vou­laient en découdre, mais les direc­tions des syn­di­cats cosi­gnaient un com­mu­ni­qué condam­nant les vio­lences… des mani­fes­tants ! [Anasse Kazib] »

Anasse Kazib : Regardez aujourd’hui : il y a des grèves pour les salaires : Leroy Merlin, Décathlon, Sephora, SNCF. Les direc­tions syn­di­cales ne montrent même pas leur tête ! Le rôle d’un syn­di­cat ce n’est pas d’être le ther­mo­mètre de l’agitation sociale ! Les tra­vailleurs peuvent démar­rer la grève seuls ; la grève appar­tient aux gré­vistes et les assem­blées géné­rales doivent être sou­ve­raines. Mais en tant que syn­di­cat, tu es cen­sé appuyer la mobi­li­sa­tion, lui don­ner les moyens de gagner. Pas obser­ver ce qui se passe et deman­der ensuite d’être l’interlocuteur des patrons ou du gou­ver­ne­ment pour enclen­cher des négo­cia­tions, mais géné­ra­li­ser la grève. On voit à quel point c’est l’inverse qui est fait. Le mou­ve­ment des gilets jaunes a été exem­plaire à cet égard. L’explosion de colère qu’il a repré­sen­té mon­trait la rage d’une par­tie de notre classe, de sec­teurs pré­caires, sous-trai­tants, ruraux et plu­tôt aban­don­nés par les orga­ni­sa­tions syn­di­cales. Au début du mou­ve­ment, énor­mé­ment de syn­di­ca­listes de la base étaient avec les gilets jaunes et vou­laient en découdre, mais, pen­dant ce temps, non seule­ment les direc­tions des syn­di­cats ne ten­taient pas de géné­ra­li­ser le mou­ve­ment aux entre­prises où elles pèsent, mais elles cosi­gnaient même un com­mu­ni­qué condam­nant les vio­lences… des manifestants !

Laura Varlet : Nous ne sommes pas anti­syn­di­caux. On milite dans des syn­di­cats, on les construit et on par­ti­cipe à des fronts sur des mobi­li­sa­tions avec des mots d’ordre pré­cis. Mais notre cou­rant poli­tique porte la néces­si­té de com­battre et de dénon­cer sys­té­ma­ti­que­ment les tra­hi­sons des bureau­cra­ties syn­di­cales — tout en s’y pré­pa­rant, en déve­lop­pant au maxi­mum l’auto-organisation. C’est nous qui per­dons de l’argent en fai­sant grève, qui pre­nons des risques, donc c’est à nous de déci­der de quand et com­ment faire grève, de la stra­té­gie pour gagner et des mots d’ordre qu’on veut défendre. C’est la condi­tion pour que chaque lutte de notre classe per­mette aux tra­vailleurs de prendre réel­le­ment conscience de leur force et d’apprendre à s’organiser contre toute « passivisation ».

Anasse Kazib : Une expé­rience inté­res­sante est la coor­di­na­tion RATP-SNCF pen­dant la grève contre la réforme des retraites : croyez-le ou non, ça n’a­vait jamais exis­té ! Pourtant, la CGT Cheminots doit bien avoir le mail de la CGT RATP ! Au début du mou­ve­ment, quand on par­lait de « bureau­cra­tie syn­di­cale » et de « caisse de grève », tout le monde nous regar­dait comme des extra­ter­restres. Les cama­rades, notam­ment les plus jeunes qui n’avaient pas l’expérience d’autres grèves, étaient per­sua­dés que c’é­tait plié en une semaine : « Comment le pou­voir va résis­ter une semaine sans métro ni RER ! » La force des révo­lu­tion­naires dans le mou­ve­ment syn­di­cal réside dans l’ex­pé­rience des luttes pas­sées et dans l’a­na­lyse dia­lec­tique. On n’est ni des génies ni des devins : l’a­na­lyse poli­tique de ce qu’est le macro­nisme nous amène à la conclu­sion que c’est la mère des réformes ! Lorsque le 17 décembre, après deux semaines de grèves recon­duc­tibles, Philippe Martinez sort sur le per­ron de l’Élysée et appelle à une jour­née de mobi­li­sa­tion le 9 jan­vier, t’in­quiète pas que les gens connectent avec ce qu’on leur a dit sur la tra­hi­son de la bureau­cra­tie syndicale !

[Stéphane Burlot | Ballast]

Laura, vous avez récem­ment appor­té votre sou­tien au Front de gauche des tra­vailleurs (FIT‑U), en Argentine. C’est une alliance entre quatre par­tis trots­kystes. Pourquoi un tel ras­sem­ble­ment est-il impos­sible en France ? Sans même par­ler de LFI — dont vous reje­tez le « réfor­misme » —, entre le NPA, LO et vous.

Laura Varlet : En Argentine, il s’a­gis­sait au départ d’un front élec­to­ral défen­sif en rai­son d’une hausse du seuil pour accé­der aux élec­tions géné­rales. Mais ça n’en­lève rien à sa per­ti­nence : c’est une démons­tra­tion de ce que l’ex­trême gauche devrait faire en France. Chacun reste indé­pen­dant et nous pou­vons avoir des diver­gences sur les pra­tiques poli­tiques, et même sur des mots d’ordre lors des mobi­li­sa­tions, mais on for­mule des pers­pec­tives com­munes sur le scé­na­rio poli­tique. Avec les cama­rades de Révolution Permanente, nous fai­sons par­tie de la même orga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale que le Parti des tra­vailleurs socia­listes d’Argentine (la prin­ci­pale com­po­sante du FIT‑U) et nous pen­sons que l’extrême gauche en France devrait s’inspirer de cette expé­rience poli­tique — contrai­re­ment à ceux qui prônent comme exemple les expé­riences telles que Syriza en Grèce, Podemos dans l’État espa­gnol ou même, plus récem­ment, Boric au Chili (qui, le soir même, après avoir rem­por­té les élec­tions, a déjà dit qu’il fal­lait limi­ter les aspi­ra­tions des masses, res­pec­ter le cadre ins­ti­tu­tion­nel et a même refu­sé de répondre à cette reven­di­ca­tion élé­men­taire qu’est la libé­ra­tion de tous les pri­son­niers poli­tiques de la révolte d’octobre).

« Nous avons tou­jours por­té au sein du NPA l’i­dée d’une alliance avec Lutte Ouvrière : envi­sa­ger une can­di­da­ture com­mune ou ne serait-ce même que débattre publi­que­ment ! [Laura Varlet] »

En Argentine, ce front mène une bataille contre l’ac­cord néo­co­lo­nial avec le FMI — por­té par un gou­ver­ne­ment dit de « gauche », de la tra­di­tion kirch­ne­riste —, qui appau­vrit les tra­vailleurs. Ils ont réus­si à orga­ni­ser une grande mobi­li­sa­tion de rue le 11 décembre 2021 pour contes­ter la poli­tique du gou­ver­ne­ment, dans un front unique inédit entre des dizaines d’organisations syn­di­cales, poli­tiques, asso­cia­tives, de droits de l’Homme. Pendant la cam­pagne élec­to­rale, ils ont éga­le­ment mar­te­lé la néces­si­té de la réduc­tion du temps de tra­vail sans perte de salaire, pour mon­trer l’irrationalité du sys­tème capi­ta­liste : ça a per­mis de s’adresser à tout un sec­teur des classes popu­laires. C’est la troi­sième force poli­tique natio­nale et ils ont réus­si à faire élire le pre­mier dépu­té éboueur, issu des peuples indi­gènes, dans une des pro­vinces les plus pauvres du pays ! En France, nous avons tou­jours por­té au sein du NPA l’i­dée d’une alliance avec Lutte Ouvrière : envi­sa­ger une can­di­da­ture com­mune ou ne serait-ce même que débattre publiquement !

Anasse Kazib : Il faut un débat de l’ex­trême gauche sur la situa­tion poli­tique et les défis des révo­lu­tion­naires aujourd’hui. On ne tire pas le bilan de nos échecs : pour­quoi pen­dant et après le mou­ve­ment des gilets jaunes, les gens n’ont pas rejoint nos orga­ni­sa­tions ? C’est l’heure de ques­tion­ner la fameuse stra­té­gie poli­tique du « par­ti large » à gauche du Parti socia­liste : au moment où le NPA se fon­dait, en 2009, le Front de Gauche émer­geait depuis quelques mois. Les gens ont donc fait leur choix ! À Révolution Permanente, nous sommes convain­cus qu’il faut construire une orga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire clai­re­ment déli­mi­tée des stra­té­gies réfor­mistes, les­quelles pensent qu’il serait pos­sible de « chan­ger le sys­tème de l’intérieur des ins­ti­tu­tions ». Ceci posé, ça ne nous empêche pas de mener éga­le­ment une poli­tique de front unique dans les mobi­li­sa­tions : nous avons été à l’initiative, avec le Comité Adama, d’une inter­ven­tion com­mune dans le mou­ve­ment des gilets jaunes ; nous nous retrou­vons dans cer­tains com­bats avec des mili­tants de La France Insoumise ; nous invi­tons le dépu­té LFI Éric Coquerel à sou­te­nir nos grèves ; nous par­ti­ci­pons à la mani­fes­ta­tion contre l’islamophobie en 2019. C’est une poli­tique d’al­liances par en bas, dans le cadre des luttes, qui est essen­tielle contre le camp d’en face ! Prenons l’exemple de la grève à la raf­fi­ne­rie de Grandpuits. Comment faire face poli­ti­que­ment à un géant comme Total ? Avec les cama­rades, on a pen­sé en amont à une alliance avec les éco­los. En contac­tant Youth for Climate, Extinction Rebellion, les Amis de la Terre et Greenpeace, on fait une alliance de tra­vailleurs de la pétro­chi­mie avec des orga­ni­sa­tions éco­lo­gistes contre un plan social : « Fin du monde, fin du mois, même com­bat » ! Comme dit Adrien Cornet, mili­tant CGT à Grandpuits et mili­tant à Révolution Permanente, « c’est aux ouvriers de faire la tran­si­tion éco­lo­gique parce que c’est nous qui vivons autour des usines ». On vit à côté de l’usine et on n’a pas envie qu’elle explose la nuit comme Lubrizol. On se balade avec nos enfants et nos familles dans les forêts et près des rivières, on n’a pas inté­rêt à tout pol­luer. Il faut s’armer le plus pos­sible, ne pas se conten­ter de dire « Pas touche à nos emplois, 700 familles à la rue ». Il faut se don­ner de l’épaisseur et de la consis­tance, avec le meilleur du sec­teur éco­lo­giste. Sinon, tu laisses l’écologie à Jadot, son capi­ta­lisme vert applau­di par le MEDEF et ses pistes cyclables !

[Stéphane Burlot | Ballast]

Vous vous récla­mez ouver­te­ment du trots­kysme5. Vous avez même pré­fa­cé, Anasse, la réédi­tion du Programme de tran­si­tion de Trotsky aux Éditions communard·e·s. En quoi le trots­kysme est-il encore, comme vous le dites, une « bous­sole poli­tique » pour les années à venir ?

Anasse Kazib : Le trots­kysme est pour nous le nom du mar­xisme révo­lu­tion­naire après le sta­li­nisme. Et il est plus vivant que jamais. Car nous sommes dans une période d’instabilité, de crise orga­nique du bipar­tisme et de la social-démo­cra­tie. Je le dis sou­vent : je suis pas­sé de Picsou Magazine à Marx et Trotsky. À la base, j’é­tais très syn­di­ca­liste : le syn­di­cat, les grèves et les luttes sont l’al­pha et l’o­mé­ga ; la poli­tique, c’est de la merde. Quand des cama­rades me par­laient de Trotsky, je leur répon­dais : « Vos trucs de Goulag, ça ne m’intéresse pas ! » Trotsky était un para­graphe dans un manuel sco­laire de 3e. Je suis l’exemple vivant de ce que peut être le trots­kysme aujourd’­hui : la fusion entre un tra­vailleur syn­di­qué, issu de l’immigration et des quar­tiers popu­laires, et le mar­xisme révo­lu­tion­naire. Ce qui me frappe, c’est la capa­ci­té des ana­lyses de Trotsky à éclai­rer les pro­ces­sus poli­tiques d’aujourd’hui. Comment des textes écrits dans les années 1920 et 30 sont-ils capables, avec autant de pré­ci­sion, de m’ex­pli­quer ce que j’ai sous les yeux en 2021 ? J’ai lu ses textes sur les grèves de 1936 pour la pre­mière fois au moment de la loi El Khomri, en 2016. À l’é­poque, je me disais que les direc­tions syn­di­cales dans le pas­sé c’était du sérieux, des révo­lu­tion­naires. Trotsky dit, à pro­pos de février 1934 : « Les masses vou­laient com­battre. […] Mais cette limi­ta­tion ne fut pas appor­tée par les masses : elle fut dic­tée d’en haut. Le seul ins­tru­ment qu’aient uti­li­sé les centres diri­geants pour la pré­pa­ra­tion fut la lance de pom­piers. Le seul mot d’ordre que les masses enten­dirent fut : Chut ! Chut ! […] La base veut lut­ter, les som­mets freinent. C’est là le prin­ci­pal dan­ger et il peut abou­tir à une véri­table catas­trophe. » Il a mis des mots sur ce que je res­sen­tais : « bureau­cra­tie syn­di­cale ». J’étais à un mois de grève recon­duc­tible à la SNCF et les direc­tions syn­di­cales nous pro­po­saient des jour­nées saute-mou­tons : Martinez à Nuit Debout pro­nonce le fameux « Je n’ai pas le bou­ton pour la grève géné­rale ». Je me dis : « C’est dingue, Trotsky avait déjà tout com­pris, les direc­tions ne veulent pas qu’on gagne, ils veulent leur rond de ser­viette au Ministère. » Le 6 décembre 2018, je vous en par­lais tout à l’heure, des syn­di­cats de tra­vailleurs — sauf SUD-Solidaires, heu­reu­se­ment — publient une lettre qui dénonce les « vio­lences », dont les actes des gilets jaunes du 1er décembre, en deman­dant à être les inter­lo­cu­teurs pri­vi­lé­giés du gou­ver­ne­ment ! Trotsky, encore : en temps de « guerre », c’est-à-dire en temps de lutte des classes aiguë, la bureau­cra­tie syn­di­cale joue un rôle cen­tral pour la bour­geoi­sie parce qu’elle est coop­tée et trouve son inté­rêt dans le main­tien de l’ordre.

« Le trots­kysme est plus vivant que jamais. Car nous sommes dans une période d’instabilité, de crise orga­nique du bipar­tisme et de la social-démo­cra­tie. [Anasse Kazib] »

Notre classe ne connaît pas Trotsky, ni même le mar­xisme. Mais pour faire beau­coup de pas­sages télé, je vous assure que la bour­geoi­sie, elle, elle connaît. Son regard ne trompe pas. Aux Grandes Gueules, avec deux mil­lions d’au­di­teurs, par­ler de révo­lu­tion et de la pers­pec­tive d’un pou­voir des tra­vailleurs, c’est la pire des choses pour la bour­geoi­sie. Je n’ai jamais été autant haï que quand je par­lais de la poli­tique mar­xiste — bien plus que durant toutes les actions de grève que j’ai pu faire. Nos mots reviennent dans le débat public, la nou­velle géné­ra­tion ne te prend plus pour un fou ou un illu­mi­né quand tu parles de « lutte des classes », de « capi­ta­lisme » ou de « bour­geoi­sie ». On est le tur-fu ! (rires) Peut-être que ça ne chan­ge­ra rien à court terme. Mais si, dans cette pré­si­den­tielle, on arrive à convaincre de plus en plus de gens qu’il y a un sys­tème contre nos inté­rêts, qu’il faut l’affronter et le dépos­sé­der de ce qui fait son pou­voir et sa richesse et que, pour ça, il faut s’or­ga­ni­ser poli­ti­que­ment, on conti­nue­ra à avancer.

Vous avez par­lé d’« avant-garde ». Cette idée est pour­tant très décriée, aujourd’hui.

Laura Varlet : L’idée d’une avant-garde, loin des sté­réo­types, rend compte du fait que la conscience des masses n’est pas uni­forme, qu’il y a tou­jours des indi­vi­dus qui ont accu­mu­lé plus d’ex­pé­rience, de connais­sances des com­bats du pas­sé. Et c’est pré­cieux car ça per­met de ne pas repar­tir à zéro à chaque fois. L’avant-garde, en ce sens, et encore plus le par­ti, c’est la mémoire col­lec­tive de notre classe : apprendre des grèves, des défaites, des pièges qu’on nous a ten­dus, des tra­hi­sons, de la répres­sion de l’État pour for­mu­ler une stra­té­gie gagnante. Pour nous, ce n’est pas « auto-orga­ni­sa­tion ou par­ti », c’est par­ti et auto-orga­ni­sa­tion. Par exemple, dans la grève des tra­vailleuses du net­toyage d’Onet dans les gares SNCF, il y avait tant de créa­ti­vi­té ! Personne ne leur a « expli­qué » com­ment faire des piquets de grève toutes les nuits. Ils et elles ont vu que la direc­tion et la police venaient cas­ser la grève la nuit. Les tra­vailleurs sont suf­fi­sam­ment intel­li­gents pour trou­ver des réponses aux pro­blèmes qui se posent ! Mais il faut évi­ter d’avoir à refaire l’expérience de A à Z à chaque fois. Quand la répres­sion s’est abat­tue contre elles, on avait l’expérience des luttes pas­sées : il faut se tour­ner vers l’ex­té­rieur, vers la popu­la­tion pour obte­nir un sou­tien mas­sif, ce qu’elles ont réus­si ! On ne défend pas l’idée d’une avant-garde dans le sens de gens plus intel­li­gents que les autres qui vont déter­mi­ner et impo­ser la stra­té­gie. Mais les révo­lu­tion­naires jouent un rôle pré­cieux : pro­po­ser une orien­ta­tion, des pistes de réflexion tirées des défaites et des vic­toires du pas­sé. Malheureusement, le sys­tème capi­ta­liste ne donne pas le temps et les moyens à chaque tra­vailleur d’ap­prendre de sa propre his­toire en amont des grands sou­lè­ve­ments, et la grande masse apprend dans le feu de l’ac­tion. L’objectif est une fusion entre l’ex­pé­rience de notre classe et les élé­ments les plus sub­ver­sifs et com­ba­tifs dans les luttes aujourd’hui, pour ne pas avoir à s’arrêter à des conquêtes par­tielles, y com­pris lorsqu’on gagne des acquis, mais de déve­lop­per la mobi­li­sa­tion pour se battre pour tout changer.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Vous dites « notre classe », « les tra­vailleurs », « les ouvriers », « les pro­lé­taires » ou « les masses labo­rieuses ». Deux points : pour­quoi « le peuple » n’est-il pas votre sujet révo­lu­tion­naire et com­ment faites-vous face à la perte d’at­trait du champ lexi­cal ouvriériste ?

Anasse Kazib : Si cer­tains termes ne sont plus uti­li­sés, c’est aus­si une volon­té poli­tique. La bour­geoi­sie n’a pas besoin que de nos bras pour nous exploi­ter, elle a aus­si besoin de nous domi­ner par la pen­sée. Comme disait Marx, la pen­sée domi­nante est celle de la classe domi­nante. On sait bien que beau­coup de pro­lé­taires s’identifient à la classe moyenne et ne se recon­naissent pas eux-mêmes comme fai­sant par­tie d’une classe sociale qu’est la classe ouvrière. Une cama­rade, l’autre jour, m’a dit : « Je suis une petite-bour­geoise, je gagne 1 200 euros par mois. » Et alors ? On lâche la bataille et on arrête de par­ler de « classe ouvrière » ? C’est le tra­vail poli­tique qu’on a fait avec les gilets jaunes. Au départ, beau­coup nous disaient « Ici c’est le peuple, les citoyens, les Français », et puis, en mul­ti­pliant les ques­tions (« Ceux qui ne sont pas Français ne peuvent pas venir ? Macron il est citoyen, non ? »), on arri­vait à la conclu­sion qu’ils par­laient des exploi­tés, des oppri­més, d’une caté­go­rie sociale qui vit la domi­na­tion de classe. Notre plus grande fier­té et vic­toire dans ce mou­ve­ment, c’est le chant des gilets jaunes, qu’on a modes­te­ment chan­té pour la pre­mière fois le 24 novembre avec un cor­tège des che­mi­nots, ave­nue des Champs-Élysées : « On est là pour l’hon­neur des tra­vailleurs et pour un monde meilleur ». Dans un mou­ve­ment que les gens accu­saient d’être des « bruns », des petits patrons, des fachos !

« C’est en agré­geant toute la diver­si­té de cette classe ouvrière très hété­ro­gène, mais qui a, si elle est unie en tant que classe, une force de frappe indé­niable, qu’on va pou­voir y arri­ver. [Laura Varlet] »

Laura Varlet : Cette dif­fi­cul­té de notre classe à se recon­naître comme telle, c’est une vic­toire idéo­lo­gique du néo­li­bé­ra­lisme des années 1980 et 90 : la classe ouvrière ne se recon­naît plus comme classe. Mais j’ai l’im­pres­sion que cette iden­ti­té de classe a un regain de force aujourd’­hui. Avec la pan­dé­mie, tout le monde a pu le consta­ter : les patrons étaient plan­qués dans leur mai­son secon­daire et, nous, on était en train de tirer des trains, de vendre des billets, de conduire les bus, de tenir les hôpi­taux. On n’est pas dans une logique « ouvrié­riste », on parle de la classe ouvrière dans toute sa diver­si­té. Pas que des Blancs en bleu de tra­vail à la chaîne de mon­tage de PSA. C’est aus­si la classe ouvrière raci­sée et fémi­ni­sée, les tra­vailleurs des super­mar­chés, de la logis­tique, les femmes de ménage, les conduc­teurs de bus, etc. On arti­cule aus­si les ques­tions LGBTQI+ : une porte-parole de notre cam­pagne est une mili­tante trans­fé­mi­niste immi­grée. C’est en agré­geant toute la diver­si­té de cette classe ouvrière très hété­ro­gène, mais qui a, si elle est unie en tant que classe, une force de frappe indé­niable contre ceux et celles qui veulent nous asser­vir, qu’on va pou­voir y arriver.

Il y a tout un pan du sala­riat qui ne se retrouve pas dans ces réfé­rences de classe : ce sont les cadres. Ils repré­sentent 20,4 % de la popu­la­tion active — c’est-à-dire un tout petit peu plus que les ouvriers6. Comment appré­hen­der ces sala­riés qui, s’ils sont bien sûr pri­vi­lé­giés, peuvent éga­le­ment vivre sous la pres­sion capi­ta­liste ? Ils sont per­dus pour nous ou on doit cher­cher à les rallier ?

Laura Varlet : C’est une ques­tion com­plexe. Les situa­tions peuvent être très dif­fé­rentes. Par exemple, à la SNCF, cer­tains cadres le sont deve­nus par ancien­ne­té et grâce à la recon­nais­sance de leur qua­li­fi­ca­tion. Ils conti­nuent de subir la pres­sion constante de la hié­rar­chie. D’autres sont dans l’équipe de direc­tion et, s’ils sont for­mel­le­ment des sala­riés, leur posi­tion dans la chaîne de com­man­de­ment et leur niveau de salaire leur per­mettent d’ac­cu­mu­ler du capi­tal. Le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, gagne 450 000 euros par an : il applique toutes les réformes vou­lues par le gou­ver­ne­ment et n’a rien à voir avec les inté­rêts des che­mi­nots ni des usa­gers du ser­vice public fer­ro­viaire. On n’a donc rien en com­mun avec lui : au contraire, tout nous oppose.

Anasse Kazib : Et il y a des rap­ports dif­fé­rents aux équipes. Un cadre peut mettre son enga­ge­ment au ser­vice de la classe ouvrière. En 2019, au Technicentre du Landy, tous les chefs d’équipe ont débrayé avec les machi­nistes pour reven­di­quer des moyens. C’est autre chose que le cadre qui espère deve­nir le diri­geant du sec­teur, qui sanc­tionne les gré­vistes, demande des licen­cie­ments, etc.

[Stéphane Burlot | Ballast]

La ques­tion poli­cière et mili­taire était très pré­sente dans les textes his­to­riques du mou­ve­ment socia­liste et révo­lu­tion­naire. Aujourd’hui, presque plus per­sonne ne réflé­chit à ça. Pourtant, en France, on compte plus de 200 000 mili­taires enga­gés dans la Défense7 et envi­ron 150 000 poli­ciers. Comment on pense concrè­te­ment la prise du pou­voir d’État face à cette puis­sance de feu — d’autant qu’on sait qu’une bonne par­tie d’entre elle est d’ores et déjà sym­pa­thi­sante de l’extrême droite ?

Anasse Kazib : Souvent, la ques­tion des forces mili­taires néglige l’importance de la ques­tion poli­tique. L’utilisation de l’armée peut tou­jours se retour­ner contre le pou­voir, même dans une police et une armée pro­fes­sion­nelle. Les défec­tions peuvent exis­ter dans les moments de crise révo­lu­tion­naire. Beaucoup, à gauche, par­tagent l’analyse qu’en face, on aura des gars armés jusqu’aux dents, des satel­lites, des drones et que ça sera plié en deux secondes. Il y a tout un ima­gi­naire télé­vi­suel d’écrasement qui n’est pas ano­din — pen­sez à l’intelligence arti­fi­cielle qui contrô­le­rait tout. L’objectif est de domi­ner les esprits, de créer une forme de fata­li­té. Mais n’oublions pas la place pri­mor­diale de la classe ouvrière dans tous les organes liés à l’armement et au ren­sei­gne­ment. Malheureusement, nous entre­te­nons la machine dans des usines de fabri­ca­tion d’armement, dans l’entretien tech­nique, dans les fichages des télé­com­mu­ni­ca­tions. Imaginons un pro­ces­sus révo­lu­tion­naire où les ingé­nieurs et les ouvriers d’Orange, SFR et Bouygues se mettent en grève en désac­ti­vant toutes les infra­struc­tures de télé­com­mu­ni­ca­tion. Dans une période révo­lu­tion­naire où la petite bour­geoi­sie rejoint le pro­lé­ta­riat, la force mili­taire de l’adversaire peut s’effondrer. Ce n’est pas qu’une his­toire d’affrontement mili­taire mais d’affrontements poli­tiques, idéo­lo­giques, de contrôle des moyens de pro­duc­tion. Dans notre stra­té­gie de la grève géné­rale révo­lu­tion­naire, les moyens de pro­duc­tion sont arrê­tés : com­ment tu mets de l’essence ima­gi­naire dans tes chars, tes blin­dés, tes canons à eau ?

Vous dénon­cez régu­liè­re­ment « l’État bour­geois ». Quel est votre hori­zon : le rem­pla­cer par un État ouvrier ou abo­lir l’État au pro­fit d’une autre forme de coor­di­na­tion collective ?

« Dans notre stra­té­gie de la grève géné­rale révo­lu­tion­naire, les moyens de pro­duc­tion sont arrê­tés : com­ment tu mets de l’essence ima­gi­naire dans tes chars, tes blin­dés, tes canons à eaux ? [Anasse Kazib] »

Laura Varlet : La pre­mière chose, c’est qu’il n’y aura jamais de révo­lu­tion chi­mi­que­ment pure. C’est une dis­cus­sion qu’on avait sou­le­vée au moment des gilets jaunes, en débat avec d’autres cou­rants qui se reven­diquent de la révo­lu­tion : si on doit attendre que tout se passe comme on vou­drait, que tous les pro­lé­taires prennent conscience pour faire la révo­lu­tion et ren­ver­ser l’État, ça ne va jamais arri­ver ! La ques­tion per­ti­nente porte sur notre inter­ven­tion : à par­tir de notre lec­ture et notre stra­té­gie révo­lu­tion­naire. Nous avons vu des scènes insur­rec­tion­nelles sur les Champs-Élysées, des gilets jaunes disaient « On va ren­trer dans l’Élysée ! » mais n’avaient pas réflé­chi à la suite. Nous, les trots­kystes, disons sou­vent que la grève géné­rale pose la ques­tion du pou­voir mais ne la résout pas : la grève géné­rale per­met de tout arrê­ter et de poser la ques­tion de qui dirige la socié­té, et qui a le pou­voir sur les moyens de pro­duc­tion. On para­lyse la pro­duc­tion et ça montre que ce sont les ouvriers qui font tour­ner la socié­té, mais ça ne pré­fi­gure pas en soi ce qu’il faut construire en lieu et place du sys­tème capi­ta­liste de domi­na­tion. Pour nous, la grève géné­rale est l’occasion de dire que c’est aux tra­vailleurs eux-mêmes de déci­der, de s’emparer des moyens de pro­duc­tion et de déci­der ce qu’il faut pro­duire, com­ment il faut pro­duire, en res­pec­tant l’être humain et la pla­nète. L’État tran­si­toire, c’est quelque part l’au­to-orga­ni­sa­tion à la base avec des formes de coor­di­na­tion de l’ensemble des sec­teurs exploi­tés de la socié­té : les Soviets en Russie, les cor­dons indus­triels au Chili, qui étaient des embryons de cette nou­velle forme d’État. Aucune n’est allée jusqu’à son terme, dans l’aboutissement d’une nou­velle socié­té débar­ras­sée de toute forme d’oppression et d’exploitation, mais elles ont toutes pré­fi­gu­ré la forme d’État ouvrier que nous défen­dons. L’Histoire nous apprend que face à la révo­lu­tion, face aux classes popu­laires qui relèvent la tête et qui sont prêtes à tout pour défendre leurs inté­rêts et un monde meilleur, la classe domi­nante s’organise et réplique. Carlos Ghosn, Bolloré ou Arnault ne s’avoueront jamais vain­cus ! Dans cette situa­tion, on ne peut pas juste décré­ter la fin de toute forme d’État, en tant qu’outil de domi­na­tion d’une classe sur une autre, comme le pro­posent les anar­chistes. L’État tran­si­toire répond à cette situa­tion d’affrontement, à la néces­si­té d’organiser la résis­tance face aux anciens exploi­teurs qui ne se lais­se­ront pas faire aus­si faci­le­ment — même si, au bout du compte, cet État tran­si­toire est voué à disparaître.

Quand ça ?

Laura Varlet : Quand il n’y aura plus de classes sociales du tout.

Anasse Kazib : Beaucoup de gilets jaunes ont tiré la conclu­sion que la spon­ta­néi­té et la déter­mi­na­tion sans orga­ni­sa­tion ne suf­fisent pas. Trotsky disait que l’échec de la révo­lu­tion espa­gnole dans les années 1930 s’expliquait presque exclu­si­ve­ment par l’absence d’un par­ti révo­lu­tion­naire. Dans une situa­tion révo­lu­tion­naire, le par­ti joue le rôle d’un état-major, d’organe de réflexion poli­tique et stra­té­gique. En face, la bour­geoi­sie est aus­si divi­sée, mais lorsqu’elle est atta­quée, elle répond en bloc : la répres­sion poli­cière, patro­nale, média­tique, judi­ciaire a été d’une par­faite coor­di­na­tion. Luc Ferry n’est pas fou lors­qu’il demande publi­que­ment qu’on tire à balles réelles sur les gilets jaunes : c’est sim­ple­ment un bour­geois qui a conscience de ce qu’est une situa­tion insur­rec­tion­nelle. De même, le numé­ro 2 du MEDEF, Thibault Langsade, a écrit une lettre aux patrons en leur deman­dant de jouer le jeu et d’aug­men­ter les salaires, parce qu’ils ris­quaient de perdre bien plus que ce qu’ils pour­raient don­ner aujourd’­hui si la classe ouvrière entrait en scène avec toute sa force de frappe. Jusqu’à la mi-décembre 2018, les gilets jaunes occu­paient des ronds-points, blo­quaient les zones indus­trielles ou com­mer­ciales et les pompes à essence. Ce n’était pas la grève chi­mi­que­ment pure mais il y avait cette volon­té de s’attaquer à la pro­duc­tion sans qu’aucun mili­tant mar­xiste ne leur explique ! Si demain renaît un mou­ve­ment gilet jaune XXL, comme nous le sou­hai­tons, tous les meilleurs élé­ments des gilets jaunes vont venir avec leur expé­rience, en essayant d’in­fluen­cer, de don­ner un cap pour ne pas renou­ve­ler les mêmes erreurs. J’adore cette phrase de Rosa Luxemburg : « [L]a vic­toire finale ne sau­rait être obte­nue que par une série de défaites. […] La route du socia­lisme — à consi­dé­rer les luttes révo­lu­tion­naires — est pavée de défaites. » Ma can­di­da­ture aujourd’hui — et tout le tra­vail que nous fai­sons avec les mili­tants et mili­tantes de Révolution Permanente dans la lutte des classes, au-delà même du moment des élec­tions — essaie modes­te­ment de poser des jalons pour construire une force mili­tante et poli­tique qui se pré­pare à ces affron­te­ments de classe déci­sifs qui vont sans dou­ter arri­ver. Tôt ou tard. Et pour ça, nous vous invi­tons à nous rejoindre dans cette aventure !


[lire le troi­sième volet | Jean-Luc Mélenchon : « Il y a bas­cule : c’est main­te­nant que ça se joue »]


Photographies de ban­nière et de vignette : Stéphane Burlot | Ballast


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  1. Tweet du 27 juin 2021, à l’is­sue du second tour des élec­tions régio­nales : « Quelle claque pour le RN, le fas­cisme à nos portes en 2022 fina­le­ment n’est plus aus­si proche que ça. Y a des intel­los qui vont devoir cor­ri­ger leur théo­ri­sa­tion de l’arrivée du fas­cisme en 2022 avec l’élection de Le Pen. »
  2. Obligation de quit­ter le ter­ri­toire fran­çais : ordre d’ex­pul­sion pour les per­sonnes pré­sentes sur le ter­ri­toire fran­çais sans titre de séjour.
  3. Interrogé par CNews sur les deman­deurs d’asile qui n’ont pas obte­nu le sta­tut de réfu­gié, Fabien Roussel a décla­ré le 10 juin 2021 : « S’ils n’ont pas voca­tion à res­ter sur le sol fran­çais, ils ont voca­tion à repar­tir et être rac­com­pa­gnés chez eux. »
  4. Interrogé sur LCI le 21 novembre 2021 sur les révoltes popu­laires en Guadeloupe et la réponse répres­sive de l’Etat fran­çais (Gérald Darmanin annon­çant la veille l’envoi d’agents du RAID et du GIGN), Yannick Jadot a indi­qué : « Il est nor­mal que l’État engage des forces pour ten­ter de réta­blir la paix. »
  5. Pour répondre aux accu­sa­tions, le plus sou­vent liber­taires, por­tées à l’en­contre de Trotsky depuis la répres­sion des marins de Kronstadt et de la Makhnovtchina, Révolution Permanente a publié un article en jan­vier 2021. Notre entre­tien se bor­nant à la stra­té­gie contem­po­raine, nous ne pou­vions reve­nir sur ces — pour­tant cru­ciaux — débats his­to­riques. On lira donc leur texte pour connaître leur posi­tion, et pour­suivre la dis­cus­sion.
  6. « Pour la pre­mière fois, la part des cadres dans l’emploi total dépasse celle des ouvriers : elle atteint 20,4 %, contre 19,2 % pour les ouvriers. Au début des année 1980, les ouvriers étaient près de 4 fois plus nom­breux que les cadres. » [source : Insee | 18 mars 2021]
  7. « Les chiffres clés de la Défense », Ministère des Armées, édi­tion 2020.

REBONDS

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☰ Lire notre article « L’hypothèse com­mu­niste liber­taire », Victor Cartan, mai 2021
☰ Lire notre tra­duc­tion « Sauver Rosa Luxemburg de son icône », Daniel Finn, avril 2021
☰ Lire les bonnes feuilles « Des égales dans la lutte des classes — par Clara Zetkin », février 2021
☰ Lire notre entre­tien avec Saïd Bouamama : « Des Noirs, des Arabes et des musul­mans sont par­tie pre­nante de la classe ouvrière », mai 2018
☰ Lire notre entre­tien avec Olivier Besancenot : « Le récit natio­nal est une impos­ture », octobre 2016


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