Texte inédit pour le site de Ballast
À la question de savoir ce qu’est « la dictature du prolétariat » telle que théorisée par Marx, son fidèle compagnon Engels répond en 1891 : « Regardez la Commune de Paris. » Marx avait d’ailleurs tenu cette dernière pour « la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du Travail ». Près de trois décennies plus tard, on raconte que Lénine esquisse quelques pas de danse sur la neige au 73e jour de la Révolution russe — c’est-à-dire un de plus que la durée de la Commune, massacrée par la troupe versaillaise : environ 20 000 morts en l’espace d’une semaine. Que cette histoire relève ou non de la légende ne change rien à l’affaire : la Commune imprègne les traditions communiste et marxiste. Mais elle irrigue avec semblable force le courant libertaire. Édouard Jourdain, auteur de Théologie du capital, revient sur la structure même de cette expérience révolutionnaire avortée : la commune, sans majuscule. Un long sillon s’avance alors, des écrits anarchistes de Proudhon aux cantons autonomes du Rojava.
[lire le premier volet de notre semaine « La Commune a 150 ans »]
« Ce qui va marquer l’imaginaire est un mouvement, un esprit inédit : celui du peuple qui proclame son
droit à la ville. »
Au nombre des plus significatives d’entre ces réalisations, nous pouvons souligner l’abolition de l’armée permanente, la libération des prisonniers politiques, la suspension des mesures répressives concernant les loyers, la liberté d’association (qui ne sera institutionnalisée que par la loi de 1901), le droit par les travailleurs de s’unir dans des syndicats (loi de 1884), l’enseignement gratuit et laïque (rendu possible entre 1881 et 1885) ou encore la séparation de l’Église et de l’État (1905). Néanmoins, plus que ces mesures, ce qui va marquer l’imaginaire est un mouvement, un esprit inédit : celui du peuple qui proclame son « droit à la ville » — pour reprendre une expression du philosophe et sociologue marxiste Henri Lefebvre — et appelle à la fédération des communes en vue d’une révolution à la fois politique et sociale. Et ce, afin de se réapproprier la chose publique et la chose économique. Cet esprit, les anarchistes n’ont eu de cesse de le perpétuer, à la fois dans la pensée et dans les actes. La Commune de Paris est un événement dans la mesure où elle cristallise des théories et des pratiques qui la précèdent, pour ensuite nourrir celles qui vont suivre. La notion de commune fait ainsi l’objet d’un usage anarchiste ou anarchisant qui demeure d’actualité.
Les anarchistes et la Commune de Paris
Avant la Commune de Paris, l’anarchiste russe Mikhaïl Bakounine avait déjà imaginé comment les communes devaient s’insurger pour organiser leur autonomie au sein d’un fédéralisme s’élargissant progressivement : « Pour l’organisation de la Commune, la fédération des barricades en permanence et la fonction d’un Conseil de la Commune révolutionnaire par la délégation d’un ou deux députés par chaque barricade, un par rue, ou par quartier, députés investis de mandats impératifs, toujours responsables et toujours révocables. Le Conseil communal ainsi organisé pourra choisir dans son sein des comités exécutifs, séparés pour chaque branche de l’administration révolutionnaire de la Commune2. »
[Lorser Feitelson]
L’homme a participé à la tentative infructueuse de l’insurrection de la Commune de Lyon, et a salué, dans celle de Paris, le premier soulèvement du prolétariat contre l’État. Si les Jacobins étaient toujours présents et menaçaient la révolution, si le programme social était encore bien timide au vu de ses visées anarchistes, il n’en restait pas moins que la Commune de Paris avait posé une idée émancipatrice qu’il était possible de prolonger à l’avenir. Dans le même état d’esprit, on retrouve Gustave Lefrançais, élu par le 4e arrondissement de Paris à l’assemblée communale. Fouriériste et proudhonien durant la Commune, il combat sur les barricades lors de la Semaine sanglante : il rejoindra les anarchistes de la Fédération jurassienne. Lefrançais offre dans son Étude sur le mouvement communaliste un point de vue critique sur cet événement, tout en présentant ce que devrait être la révolution communaliste à venir. Bien que fervent partisan de la Commune, il met en garde contre une certaine propension autoritaire qu’il a pu constater : elle conduit à saboter toute perspective réellement révolutionnaire — suppression de titres de presse, non publicité des séances publiques, enrégimentement militaire, excès policiers et violences contre le clergé. Il approuve toutefois l’abolition de la conscription, le salaire réduit au minimum pour les membres de la Commune ou encore la réorganisation des services municipaux par la désignation de commissions.
« Bien que fervent partisan de la Commune, il met en garde contre une certaine propension autoritaire qu’il a pu constater. »
D’une manière générale, la Commune de Paris initiait un mouvement révolutionnaire critique vis-à-vis de l’ensemble des partis prétendant incarner la révolution. « La révolution du 18 mars, en effet, n’apportait pas avec elle de simples modifications dans le rouage administratif et politique du pays. Elle n’avait pas seulement pour but de décentraliser le pouvoir. Sous peine de mentir à ses premières affirmations, elle avait pour mission de faire disparaître le Pouvoir lui-même ; de restituer à chaque membre du corps social sa souveraineté effective, en substituant le droit d’initiative directe des intéressés, ou gouvernés, à l’action délétère, corruptrice et désormais impuissante du gouvernement, qu’elle devait réduire au rôle de simple agence administrative3. »
Si l’enthousiasme anarchiste pour la Commune de Paris est certain au moment de l’événement, nous retrouvons néanmoins la formulation de certaines critiques une dizaine d’années après. C’est le cas, par exemple, du géographe anarchiste Élisée Reclus. Il a lui-même participé à l’insurrection et affirme que « jusqu’à maintenant, les communes n’ont été que de petits États, et même la Commune de Paris, insurrectionnelle par en bas, était gouvernementale par en haut, maintenait toute la hiérarchie des fonctionnaires et des employés. Nous ne sommes pas plus communalistes qu’étatistes, nous sommes anarchistes4… » L’historien anarchiste Max Nettlau rappelle pour sa part que c’est après avoir pris acte des inclinations autoritaires de certains dirigeants de la Commune que Louise Michel devint anarchiste5.
[Lorser Feitelson]
Le congrès anarchiste annuel de la Fédération jurassienne précise les choses en octobre 1880 : « Les idées émises sur la commune peuvent laisser supposer qu’il s’agit de substituer à la forme actuelle de l’État une forme plus restreinte, qui serait la commune. Nous voulons la disparition de toute forme étatiste, générale ou restreinte, et la commune n’est pour nous que l’expression synthétique de la forme organique des libres groupements humains6. » Si les appréciations anarchistes de la Commune peuvent différer, elles se retrouvent sur deux critiques conjointes : d’une part, elle n’est pas allée assez loin dans la critique du pouvoir ; d’autre part, elle n’est pas allée assez loin dans sa critique de la propriété. Il n’en demeure pas moins qu’elle apparaît comme un exemple qu’il est nécessaire de radicaliser.
« Bien avant la Commune de Paris, nous retrouvons dans les écrits anarchistes un éloge de l’autonomie des communes entendues comme unités de base politiques. »
Le théoricien anarchiste russe Kropotkine synthétise de la sorte les points de vue anarchistes : « Sous le nom de Commune de Paris, naquit une idée nouvelle, appelée à devenir le point de départ des révolutions futures7. » Certes, la Commune n’est pas allée jusqu’au bout dans sa critique du capitalisme ni dans son rejet de l’État, mais elle est le fruit d’un mouvement populaire et demeure pleine de promesses. Dans cette perspective, elle a continué à inspirer les grandes expériences révolutionnaires anarchistes du XXe siècle : que ce soit lors de la Révolution russe, de 1917 à 1921, avec les premiers soviets et les communes libres de l’Ukraine de Makhno, comme celles de Catalogne lors de la Révolution espagnole de 1936. Les aspirations qu’ont suscitées la Commune ne s’arrêtent toutefois pas là : elles continuent à creuser un sillon, souvent de manière souterraine, tant au niveau de la théorie que de la pratique anarchiste ou anarchisante.
La commune avant et après la Commune de Paris
Bien avant la Commune de Paris, nous retrouvons dans les écrits anarchistes un éloge de l’autonomie des communes entendues comme unités de base politiques, à partir desquelles pourra se concevoir un fédéralisme intégral — politique et économique. Elle constitue cette unité politique à hauteur humaine, laquelle a montré, historiquement, qu’elle remplissait les meilleures conditions pour une démocratie réelle. Pierre-Joseph Proudhon, dans son ouvrage posthume De la capacité des classes ouvrières, la définit comme suit : « La commune est par essence, comme l’homme, comme la famille, comme toute individualité ou collectivité intelligente et morale, un être souverain. En cette qualité, la commune a le droit de se gouverner elle-même, de s’administrer, de s’imposer des taxes, de disposer de ses propriétés et de ses revenus, de créer pour sa jeunesse des écoles, d’y nommer des professeurs, de faire sa police, d’avoir sa gendarmerie et sa garde civique ; de nommer ses juges ; d’avoir ses journaux, ses réunions, ses sociétés particulières, ses entrepôts, sa mercuriale, sa banque, etc. La commune prend des arrêtés, rend des ordonnances : qui empêche qu’elle n’aille jusqu’à se donner des lois ? […] Voilà ce qu’est une commune ; car voilà ce qu’est la vie collective, la vie politique8. »
[Lorser Feitelson]
Il s’agit moins de revenir à un âge d’or antique où les cités étaient à l’honneur que de puiser dans le passé ce qui est susceptible d’inspirer les modalités de l’émancipation, toujours à la condition de s’attaquer aux problèmes contemporains : en premier lieu, le problème social et économique. Du temps de Kropotkine, déjà, on lui assène l’argument suivant : « La commune, mais c’est le retour au Moyen Âge ! C’est faire fi de toute l’histoire qui a permis l’avènement de l’État et de l’unité nationale9 ! » Or il se trouve que la situation n’est évidemment plus la même : au Moyen Âge, la commune permet à ses habitants de s’émanciper du servage et en partie de l’arbitraire fiscal du seigneur. « C’est donc bien réellement contre le seigneur que se soulève la commune du Moyen Âge. C’est de l’État que la commune d’aujourd’hui cherchera à s’affranchir10. »
« La commune s’enferme alors dans ses remparts et reste sourde aux appels de détresse des populations extérieures. »
Autre élément qui différencie la commune du Moyen Âge d’une commune émancipée, libertaire et égalitaire : la division en classes sociales. Au Moyen Âge, la bourgeoisie naissante s’empare peu à peu du pouvoir, et son développement conduit à creuser les inégalités au sein de la population, conduisant à des guerres civiles ou à l’exode des plus démunis. La commune s’enferme alors dans ses remparts et reste sourde aux appels de détresse des populations extérieures. Au contraire, la commune anarchiste cherche à se dupliquer pour former une chaîne universelle de solidarité. L’isolement est d’autant plus difficile à concevoir aujourd’hui qu’une commune pourrait difficilement survivre en autarcie sans le secours d’apports extérieurs. C’est ici, souligne Kropotkine, la face positive du développement des échanges.
Il peut bien subsister des querelles de clocher mais, en réalité, les communes auront toujours intérêt à réaliser des alliances — y compris de manière indirecte, par l’intermédiaire de grands centres indispensables à la satisfaction de leurs besoins communs : « Les fédérations de communes, si elles suivaient leur libre développement, viendraient bientôt s’enchevêtrer, se croiser, se superposer et former ainsi un réseau bien autrement compact, un et indivisible
, que ces groupements étatistes qui ne sont que juxtaposés, comme les verges en faisceau autour de la hache du licteur6. » La territorialité ne se réduit alors plus à quelques frontières qui seraient autant de murailles séparant les communes les unes des autres ; elle se fond dans une vaste fédération et un réseau étendu où « tel individu ne trouvera la satisfaction de ses besoins qu’en se groupant avec d’autres individus ayant les mêmes goûts et habitant cent autres communes6 ».
[Lorser Feitelson]
La commune aujourd’hui : perspectives libertaires
Cette aspiration libertaire continue de vivre, de nos jours, sous le nom de « municipalisme » : celui-ci regroupe un ensemble d’expériences récentes (constituées de mouvements sociaux, de partis ou de simples citoyens) qui envisagent de transformer les politiques publiques à une échelle locale dans la perspective d’un approfondissement de la démocratie. Tout en prenant en compte la nécessaire transition écologique, il se saisit, au sens large, de la possibilité de mettre en avant les communs et le commun.
« Les empires et les États se sont vite trouvés confrontés à la prétention des Cités à demeurer autonomes. »
À Madrid, la coalition municipale, appuyée par l’élue communiste Manuela Carmena, prolonge le mouvement d’occupation des espaces publics par les Indignés. En Catalogne, la plateforme Barcelona en Comun (Barcelone en commun) rassemble, depuis 2014, des militants du droit au logement et du droit à la ville, à l’instar de la maire Ada Colau. Au Kurdistan syrien (Rojava), se met en place, depuis la proclamation officielle de son autonomie en 2013, un confédéralisme démocratique où les principes du municipalisme — pour partie inspirés du théoricien communaliste Murray Bookchin — sont promus. En 2017, le réseau Fearless cities s’est constitué, initié par Barcelone et inaugurant des sommets annuels pour un mouvement municipaliste global. Ce vaste mouvement s’inscrit dans une histoire aussi vieille que la fondation des premières cités, lieux par excellence d’une démocratie entendue comme processus politique de délibérations et de décisions prises par les citoyens. C’est que la commune constitue le lieu d’élection de la liberté politique, et ce au moins depuis la cité grecque. Nous observons en effet, tout au long de l’Histoire, des cités qui ont constitué de nombreuses formes politiques conjurant l’idée d’imperium, c’est-à-dire l’idée d’une forme politique (empire, État…) qui viendrait monopoliser le pouvoir aux mains de quelques-uns et non de tous.
Que ce soit durant l’Antiquité ou au Moyen Âge, les cités se sont considérablement développées comme autant de formes préservant des modes de vie et un esprit démocratique qui se traduisait par le vote, le tirage au sort et la tenue fréquente d’assemblées. Les empires et les États se sont vite trouvés confrontés à la prétention des cités à demeurer autonomes. D’où une histoire parfois violente, désir d’unification du territoire oblige — laquelle passait notamment par l’imposition du prélèvement fiscal. Cette dynamique de l’État ou de l’empire contre les villes a eu des effets ambivalents : certes, le processus historique révèle un recul de la démocratie et de l’autonomie qui va de pair avec la perte du pouvoir des communes ; néanmoins, le processus d’intégration territorial des communes par les États et les empires est solidaire d’un processus d’introduction des notions d’universalisme (concernant par exemple la citoyenneté, ou tout simplement le système des poids et mesures) et d’égalité (par exemple l’égalité des droits et la péréquation des subventions aux communes par l’impôt centralisé).
[Lorser Feitelson]
Aussi est-ce en prenant compte et en intégrant les progrès historiques réalisés en ce sens qu’il devient possible de réenvisager les potentialités du municipalisme — et non en transposant certains modèles du passé, désormais obsolètes. Le grand mérite du municipalisme est de remettre à jour des possibles que l’Histoire peut nous inspirer, et qui ont été souvent oubliés ou occultés (comme les formes de démocratie délibératives dans les communes au Moyen Âge, alliant tirage au sort et vote). Dans cette perspective, le municipalisme peut nous permettre de repenser la notion de démocratie (qui ne se limite pas à la démocratie représentative) et celle de commun (qui induit la réappropriation par les citoyens de la chose publique entendue au sens large). Cela suppose par exemple la préservation de l’environnement, qui passe notamment par une démocratisation de l’économie et une élaboration commune des règles. Cela suppose de réelles capacités politiques — et ce, contrairement aux simulacres de certains processus de démocraties dites « participatives » qui se réduisent à des consultations.
« La commune est propice à la formation de soi — ce que les Grecs appelaient la paideia : celle-ci constitue l’une des fonctions les plus pédagogiques de la politique. »
Ainsi, pour Murray Bookchin, « le seul moyen de reconstruire la politique est de commencer par ses formes les plus élémentaires : les villages, les villes, les quartiers et les cités où les gens vivent au niveau le plus intime de l’interdépendance politique au-delà de la vie privée. C’est à ce niveau qu’ils peuvent commencer à se familiariser avec le processus politique, un processus qui va bien au-delà du vote et de l’information11 ». Les grandes métropoles comme New York, Londres ou Paris n’ont évidemment plus grand-chose à voir avec les cités de l’Antiquité telles Athènes, qui permettaient l’exercice de la démocratie directe. Cependant, quelle que soit la taille des villes, chacune est divisée en un certain nombre de quartiers qui permettent de concevoir des territoires à taille humaine capables d’un tel exercice. La grandeur d’une ville n’est en rien déterminante de la forme politique qui doit la régir — à moins que l’on concède que, si la démocratie directe ne peut avoir lieu que dans des cités de 20 000 habitants, il ne peut régner qu’une bureaucratie dictatoriale dans celles de 2 millions. Bookchin prend l’exemple de Paris en 1793, alors peuplée de 500 à 600 000 habitants. Grâce à sa fédération en sections, la ville a très bien pu organiser l’approvisionnement et la sécurité, faire respecter le maximum des prix ou encore assurer des tâches administratives complexes.
La commune est propice à la formation de soi — ce que les Grecs appelaient la paideia : celle-ci constitue l’une des fonctions les plus pédagogiques de la politique. Elle permet l’existence de la philia, c’est-à-dire de la solidarité et de la responsabilité. C’est en ce sens que le municipalisme envisage une nouvelle conception de l’usager : il n’est plus client ni sujet, mais citoyen — entendre qu’il qui prend activement part à l’élaboration des politiques publiques. C’est dans cette perspective participative qu’a pu par exemple être réalisée la municipalisation des eaux de Naples. Les villes permettent, en ce sens, de jouer un rôle actif dans la démocratisation de l’économie, que ce soit par le financement de projets économiques alternatifs ou d’utilité publique, le partage d’espaces et d’immeubles vacants (l’expérience des Grands Voisins à Paris), la création d’une réserve foncière pour le logement abordable et coopératif, le financement massif du logement social (l’expérience de Vienne la rouge en Autriche, de 1918 à 1934), l’ajout de clauses pour des entreprises locales et responsables de l’octroi des contrats publics, la remunicipalisation des services publics (eau, transports, électricité), voire la création d’entreprises municipales de développement immobilier et de télécommunications, comme pour certaines villes aux États-Unis. Il existe ainsi des synergies qui peuvent se développer entre les mairies et la démocratie économique.
[Lorser Feitelson]
Le mouvement municipaliste demeure cependant confronté à des problèmes de taille, peu traités dans la littérature sur le sujet : dans un contexte de mondialisation, comment le local, même ouvert, peut-il contribuer à envisager un changement social global ? Ne fait-il pas face à des institutions, un droit international et des entreprises qui le dépassent ? Pour répondre à ces apories, il est nécessaire de concevoir et d’intégrer le municipalisme dans un type de forme politique de type fédéral ou confédéral — que l’on retrouve de Proudhon à Bookchin : elle demeure à inventer à l’aune des enjeux globaux contemporains. L’autonomie des communes reste vaine utopie, sauf à atteindre un seuil suffisamment critique en termes quantitatif et qualitatif (coopération) afin de réguler les problèmes qui les dépassent (climat, droit du travail, normes comptables, etc.), selon le principe de subsidiarité12.
Une des autres questions auxquelles le municipalisme est confronté est celle de l’expertise : comment envisager une réappropriation citoyenne à l’échelle locale de la chose publique alors que celle-ci se complexifie et demande un recours accru à des experts ? C’est ici tout l’enjeu — qui a déjà fait l’objet d’études et d’expériences — de l’association de scientifiques et de citoyens, à même de prendre les décisions les plus démocratiques et les plus éclairées qui soient. C’est sans doute à l’aune de ces questions — parmi d’autres — qu’il devient possible d’envisager l’avenir du municipalisme ou du communalisme de manière à la fois radicale et pragmatique, c’est-à-dire libertaire. Les promesses héritées de la Commune de Paris trouveraient alors leur réalisation, à continuellement parfaire.
Illustrations de vignette et de bannière : Lorser Feitelson
- Voir notamment Quentin Deluermoz, Commune(s) — Une traversée des mondes au XIXe siècle, Seuil, 2021.↑
- « Programme de l’organisation secrète des Frères internationaux » (1868), in Daniel Guérin, Ni Dieu ni Maître, t.1 , Maspero, 1974, pp. 224–225.↑
- Gustave Lefrançais, Étude sur le mouvement communaliste suivi de « La Commune et la Révolution », Klincksieck, 2018, p. 266.↑
- Le Révolté, 17 octobre 1880, cité par Jean Maitron in Le Mouvement anarchiste en France des origines à 1914, Gallimard, 1992, t. 1, p. 84.↑
- Max Nettlau, Histoire de l’anarchie, Artefact, 1986, p. 127.↑
- Ibid.↑↑↑
- Pierre Kropotkine, La Commune suivie de La Commune de Paris, L’Altiplano, 2008, p. 34.↑
- Pierre-Joseph Proudhon, De la capacité politique des classes ouvrières, Éditions du monde libertaire, 1977, t. 2, p. 279.↑
- Pierre Kropotkine, op. cit., p. 12.↑
- Ibid., p. 13.↑
- Murray Bookchin, Une société à refaire, Écosociété, 1995, p. 28.↑
- Le principe de subsidiarité est une maxime politique et sociale selon laquelle la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action.↑
REBONDS
☰ Lire notre témoignage « La Commune des communes : le municipalisme à l’épreuve », mars 2020
☰ Lire notre article « La part anarchiste des communs », janvier 2020
☰ Lire notre article « Proudhon en gilet jaune »,
☰ Lire notre article « Le municipalisme libertaire : qu’est-ce donc ? », Elias Boisjean, septembre 2018