La Commune des communes : le municipalisme à l’épreuve


Entretien inédit pour le site de Ballast

Deux mois après le sou­lè­ve­ment des gilets jaunes, une Assemblée des assem­blées voyait le jour à Commercy, petite com­mune de la Meuse : près de 75 délé­ga­tions, venues des quatre coins du pays, s’y retrou­vèrent pour dis­cu­ter d’une pos­sible construc­tion du mou­ve­ment. En jan­vier 2020, Commercy relan­çait la machine, avec cette fois la Commune des com­munes : au pro­gramme ? la mise en place d’un contre-pou­voir com­mu­nal. C’est que les élec­tions muni­ci­pales arrivent à grands pas : les 15 et 22 mars pro­chains, les citoyens fran­çais seront conviés à se rendre aux urnes. Participer à un scru­tin ne fait, bien sûr, pas l’u­na­ni­mi­té ; l’u­ti­li­ser comme outil à des fins muni­ci­pa­listes ou com­mu­na­listes, lar­ge­ment ins­pi­rées par le théo­ri­cien éco­lo­giste Murray Bookchin, voi­là qui peut son­ner tout autre­ment. Nous en dis­cu­tons, concrè­te­ment, avec plu­sieurs des membres de la liste « Vivons et déci­dons ensemble » : sur des bases plus larges que les seuls gilets jaunes, elle entend ain­si don­ner tout le pou­voir de déci­sion aux habi­tants de Commercy — et, qui sait, faire tâche d’huile à échelle natio­nale et internationale.


Aux pre­miers temps des gilets jaunes, à Commercy, les assem­blées étaient quo­ti­diennes. Nous en avons fait plus d’une cen­taine ! Nous orga­ni­ser ensemble pen­dant des mois autour de notre cabane, sur les ronds-points ou dans les mai­sons du peuple, mettre en place des assem­blées locales fon­dées sur l’ho­ri­zon­ta­li­té, tout ça nous a don­né le goût de la dis­cus­sion et de la déci­sion col­lec­tive. Certains et cer­taines, à Commercy, connais­saient bien la notion de muni­ci­pa­lisme : la pro­po­si­tion était déjà ins­crite dans nos pre­miers tracts mais elle avait été noyée dans la masse des autres reven­di­ca­tions. Un des élé­ments déclen­cheur a été la confron­ta­tion avec la mai­rie, autour de notre « cabane de la soli­da­ri­té ». Nous avions alors expé­ri­men­té le pre­mier RIC [Référendum d’i­ni­tia­tive citoyenne] local, avec près de 600 par­ti­ci­pants (pour envi­ron 3 500 élec­teurs), pour déci­der de sa sau­ve­garde ou non. Le maire, en face, nous a sim­ple­ment rétor­qué que ce n’é­tait « pas aux Commerciens de déci­der ». Cette his­toire nous a don­né du grain à moudre ; elle a contri­bué à entrer dans cette démarche municipaliste.

« Dans le mou­ve­ment des gilets jaunes, quan­ti­té d’éner­gie a été déployée : hélas, sans obte­nir de résul­tats véri­ta­ble­ment durables — du moins pour le moment. Petit à petit, les gens se sont fatigués. »

Il ne faut pas non plus oublier l’organisation de l’Assemblée des assem­blées, qui a été une expé­ri­men­ta­tion de démo­cra­tie directe — cette fois-ci à plus grande échelle. Une culture com­mune s’est for­gée. Si nous n’a­vions pas fait tout ça, pas sûr que nous serions aujourd’­hui dans cette démarche visant à reprendre le pou­voir poli­tique local. L’idée du muni­ci­pa­lisme est tout sim­ple­ment deve­nue sérieuse, voire la seule alter­na­tive envi­sa­geable. Dans le mou­ve­ment des gilets jaunes, quan­ti­té d’éner­gie a été déployée : hélas, sans obte­nir de résul­tats véri­ta­ble­ment durables — du moins pour le moment. Nous avons été très mobi­li­sés, nous avons orga­ni­sé de nom­breuses assem­blées, des mani­fes­ta­tions, mais, petit à petit, les gens se sont fati­gués. La répres­sion gran­dis­sante des forces de l’ordre, les cam­pagnes de dia­bo­li­sa­tion menées par le gou­ver­ne­ment et par cer­tains médias, les dif­fi­cul­tés réelles à lier vie quo­ti­dienne et mili­tante : autant de pres­sions sociales, fami­liales et pro­fes­sion­nelles qui expliquent cet épui­se­ment. Et puis, à un moment don­né, il faut bien prendre le temps de se poser. Car si nous per­dons cette bataille — ce qui est en par­tie arri­vé —, que nous reste-t-il ? Quels débou­chés à toutes ces énergies ?

Les gilets jaunes, et au-delà

Mettre en place la Commune des com­munes pour prendre ce temps, être dans la construc­tion de pro­po­si­tions et non plus se posi­tion­ner en réponse aux attaques. La dif­fé­rence entre l’Assemblée des assem­blées et la Commune des com­mues ? Pour résu­mer, disons que l’Assemblée est un outil au ser­vice du mou­ve­ment des gilets jaunes : il per­met de coopé­rer entre les dif­fé­rents groupes ; la Commune, elle, est une sor­tie « poli­tique » pos­sible, au sens noble du terme, ini­tia­le­ment construite autour du muni­ci­pa­lisme. Elle est un pro­lon­ge­ment de l’expérience de l’Assemblée et du mou­ve­ment des gilets jaunes… tout en étant autre chose ! Le 18 jan­vier 2020, au ren­dez-vous de la Commune des com­munes, il y avait, en plus des com­mu­na­listes de Commercy, quatre ou cinq autres groupes de gilets jaunes. Malgré l’ap­pel lan­cé sur le réseau de com­mu­ni­ca­tion de l’Assemblée, ils ne sont pas arri­vés en masse car la mani­fes­ta­tion natio­nale contre la réforme des retraites à Paris est tom­bée le même jour.

[En route vers Commercy | Stéphane Burlot | Ballast]

Durant ce week-end, tous les types de col­lec­tifs ont été invi­tés : les assem­blées citoyennes locales ins­crites dans une démarche muni­ci­pa­liste, les éco­lo­gistes, les gilets jaunes, les ZADBure ou Notre-Dames-des-Landes. Il y avait éga­le­ment La belle démo­cra­tie, Désobéissance Écolo Paris et Émancipation col­lec­tive, qui œuvre acti­ve­ment à l’é­du­ca­tion popu­laire. Des « citoyen­nistes », aus­si, qui prônent la démo­cra­tie « directe », et d’autres la « par­ti­ci­pa­tive ». Enfin, ceux qui font alliance avec des par­tis poli­tiques. Tous ces gens ont pu appor­ter leurs propres expé­riences. Alors, évi­dem­ment, c’est plus com­pli­qué pour se mettre d’ac­cord quand d’un coté il y a des « citoyen­nistes » et de l’autre des per­sonnes qui tendent plu­tôt vers l’a­nar­chisme ! Ces ren­contres ont cham­bou­lé ce que nous pou­vions pen­ser et pro­je­ter en amont. Notre vision s’est lar­ge­ment élargie.

Des lignes, un cap : la démocratie directe

« L’assemblée des habi­tants sera déli­bé­ra­tive et déci­sion­nelle ; la mai­rie, qu’exé­cu­tive. Voilà la dif­fé­rence fondamentale ! »

Il y a eu deux écoles, deux visions qui se sont « oppo­sées » : ceux qui sou­haitent pas­ser par les élec­tions et ceux qui dési­rent créer une sorte de dou­blure des ins­ti­tu­tions par le biais d’es­paces d’au­to­ges­tion. L’école muni­ci­pa­liste pour les uns, l’é­cole com­mu­na­liste pour les autres — un dis­tin­guo qui s’est affir­mé au fur et à mesure des dis­cus­sions, de manière empi­rique. Murray Bookchin, lui, pro­pose ces deux tac­tiques de façon indif­fé­rente1. L’enjeu, pour nous, est de réus­sir à ne pas oppo­ser « deux mondes » mais de réus­sir à com­prendre com­ment ils peuvent se nour­rir. La Commune veut ten­ter de fédé­rer et de mutua­li­ser ces ini­tia­tives, ces savoirs, ces connais­sances et ces outils en fai­sant office de pla­te­forme. Il faut que nous réus­sis­sions à les vul­ga­ri­ser pour aider les dif­fé­rents groupes qui sou­haitent se mobi­li­ser et n’ont pas tou­jours les res­sources ni les savoirs pour. Nous ne vou­lons pas réin­ven­ter la poudre : c’est un tra­vail qui a déjà été ini­tié par des col­lec­tifs comme Nos com­munes ou La belle démo­cra­tie. On aurait aimé que Tristan Réchid, qui a beau­coup tra­vaillé avec Saillans [depuis 2014, ce bourg de la Drôme expé­ri­mente un sys­tème de démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive et éco­lo­gique, ndlr], puisse ani­mer des ate­liers sur les outils démo­cra­tiques — des com­pé­tences qui nous manque à Commercy. Nous avons essayé d’in­vi­ter ces dif­fé­rents col­lec­tifs pour tra­vailler en col­la­bo­ra­tion avec eux, mais nous n’a­vons pas vrai­ment réus­si : il est vrai que, débar­quant avec nos gros sabots comme si rien n’exis­tait au préa­lable, le mal avait peut-être déjà été fait… C’est un reproche que nous nous fai­sons à nous-mêmes. Réussir à tra­vailler direc­te­ment avec eux sera donc un des enjeux au centre de notre pro­chaine ren­contre, après les muni­ci­pales. Alors oui, il y a l’é­chéance élec­to­rale de mars qui se pré­sente entre­temps, mais l’i­dée de la Commune est éga­le­ment de sor­tir de ce calen­drier et des élec­tions. Car cer­tains vont réus­sir à rem­por­ter leur mai­rie, mais beau­coup vont échouer…

Par contre, atten­tion ! Ici, nous ne pro­po­sons pas la démo­cra­tie « par­ti­ci­pa­tive » ; nous ban­nis­sons ce mot ! Le par­ti­ci­pa­tif, qui existe déjà, prend forme au tra­vers de conseils de quar­tiers qui donnent leur avis. Mais au final, c’est bien le conseil muni­ci­pal qui décide. L’avis de la popu­la­tion n’y est que consul­ta­tif, c’est-à-dire, le plus sou­vent, un ver­nis de démo­cra­tie refai­sant la vitrine… Nous vou­lons mettre en place la démo­cra­tie directe, c’est-à-dire choi­sir, déci­der, voter, échan­ger. L’assemblée des habi­tants sera déli­bé­ra­tive et déci­sion­nelle ; la mai­rie, qu’exé­cu­tive. Voilà la dif­fé­rence fon­da­men­tale ! Nous ne sommes pas si nom­breux en France à vou­loir aller aus­si loin. En consé­quence, nous n’a­vons pas de pro­gramme pré­dé­fi­ni : il devra être éla­bo­ré avec et par les habi­tants. Ils choi­si­ront les sujets qu’ils consi­dé­re­ront comme importants.

[Assemblée des assemblées, Sorcy Saint-Martin, janvier 2019 | Stéphane Burlot | Ballast]

Le pouvoir à l’assemblée

Nous sou­hai­tons mettre en place un sys­tème de garde-fou au sein de nos assem­blées pour qu’au­cun sujet ne passe à la trappe. Imaginons que quel­qu’un ou qu’un groupe ait fait une pro­po­si­tion refu­sée par l’as­sem­blée. Il aura la pos­si­bi­li­té de deman­der un recours et, si 10 % du corps élec­to­ral de la com­mune se ras­semble, l’as­sem­blée sera tenue de réexa­mi­ner cette pro­po­si­tion. Mais il faut dans le même temps qu’il y ait un filtre à même d’écrémer l’en­semble des pro­po­si­tions faites : l’as­sem­blée ne pour­ra pas tout trai­ter ; il ne peut pas y avoir des réunions toutes les semaines. Ça ne fonc­tion­ne­ra pas, les habi­tants s’é­pui­se­raient trop vite. Et si jamais l’as­sem­blée ne se consi­dère pas repré­sen­ta­tive sur un sujet de grande impor­tance, elle pour­ra dili­gen­ter un réfé­ren­dum local pour impli­quer davan­tage les habi­tants. Ou bien sou­mettre chaque vote à l’en­semble de ceux-ci grâce à une appli­ca­tion qui vien­drait com­plé­ter le vote en assem­blée — car nous com­men­çons à étu­dier ce qu’offrent les outils numé­riques. Il y plé­thore d’ap­pli­ca­tions et de pla­te­formes, mais elles ne sont pas for­cé­ment adap­tées à la pra­tique de la démo­cra­tie directe dans une col­lec­ti­vi­té. On reste sou­vent dans l’ordre du consul­ta­tif. On peut donc ima­gi­ner déve­lop­per notre propre appli­ca­tion. En atten­dant, pour que l’as­sem­blée soit repré­sen­ta­tive, et donc valide, nous avons ima­gi­né ins­tau­rer un cer­tain seuil de par­ti­ci­pa­tion, qui serait au moins égal au nombre de per­sonnes du conseil muni­ci­pal, soit 29 per­sonnes dans le cas de Commercy.

« Il existe encore l’i­dée que ça va être insur­mon­table, que les habi­tants ne sont pas légi­times car ils ne sont pas des pro­fes­sion­nels poli­tiques ni des experts. »

Mais ne nous trom­pons pas : le muni­ci­pa­lisme n’est pas une obli­ga­tion de par­ti­ci­pa­tion. Il donne les moyens aux habi­tants de s’im­pli­quer, sui­vant la période, le contexte, les envies, les sujets… S’il y a par­fois peu de per­sonnes mobi­li­sées, ça ne remet pas en cause le pro­ces­sus, pas plus que la rai­son d’être du muni­ci­pa­lisme. Dans ce contexte, la notion même d’op­po­si­tion peut se poser : sous démo­cra­tie directe, peut-on encore par­ler d’op­po­sants ? L’assemblée est cette arène, ce quo­rum où s’a­mé­nage la mise en oppo­si­tion d’i­dées : c’est son prin­cipe même. Dans les faits, nous avons déjà pra­ti­qué cette ges­tion de la parole au cours des diverses assem­blées géné­rales réa­li­sées durant le mou­ve­ment des gilets jaunes. Nous avons appris en mar­chant. Au début, il y avait par­fois de l’agressivité ; petit à petit, nous avons réus­si à lis­ser les choses et les par­ti­ci­pants eux-mêmes étaient deman­deurs de règles pour pou­voir s’entendre.

Ceci dit, l’as­sem­blée post-élec­to­rale ne sera pas de même nature que celle des gilets jaunes : ce sera une assem­blée de ges­tion de la com­mune et non une assem­blée de lutte. Il va fal­loir s’oc­cu­per de pro­jets concrets. Les habi­tants devront dis­cu­ter de leur vision de la com­mune, de leur cadre de vie, de l’a­ve­nir de leur ter­ri­toire en ayant véri­ta­ble­ment prise des­sus. Notre seule crainte, c’est que ce ne soit que plus pas­sion­nant ! Certains des listes dites d’op­po­si­tion nous ont déjà fait savoir qu’ils vien­draient par­ti­ci­per à l’as­sem­blée, si nous gagnons les muni­ci­pales. Il est vrai que ce sys­tème n’est pas évident à com­prendre, au départ, car il cham­boule notre repré­sen­ta­tion du poli­tique — mais une fois com­pris, une bonne par­tie de la popu­la­tion se le réap­pro­prie­ra. À Ménil-La-Horgne, à 10 kilo­mètres d’i­ci, il y a une assem­blée citoyenne : nous sommes sûrs de gagner car il n’y a qu’une liste. Les habi­tants sont enthou­siastes, il y a un véri­table engoue­ment. « Est-ce que la forêt sera gérée par l’as­sem­blée ou lais­se­ra-t-on ceci au conseil muni­ci­pal ? » Ils se posent de nom­breuses ques­tions, ils ont com­pris les enjeux. Dans le cadre d’un vil­lage, c’est vrai­ment facile : il n’y a que 200 habi­tants. À Commercy, il existe encore l’i­dée que ça va être insur­mon­table, que les habi­tants ne sont pas légi­times car ils ne sont pas des « pro­fes­sion­nels poli­tiques » ni des « experts ». La ques­tion des ser­vices tech­niques revient sou­vent. Il faut expli­quer, ras­su­rer. D’ailleurs, les pro­fils ins­crits sur la liste sont équi­li­brés : autant de jeunes que de chô­meurs, de tra­vailleurs que des retraités.

[Assemblée des assemblées, Sorcy Saint-Martin, janvier 2019 | Cyrille Choupas | Ballast]

Fédérer les communes

Pour tout ce qui est « ges­tion cou­rante », le conseil muni­ci­pal fonc­tion­ne­ra comme n’im­porte quelle autre mai­rie. Les habi­tants ne se mobi­li­se­ront prin­ci­pa­le­ment que sur les grands sujets : l’au­to­no­mie éner­gé­tique et ali­men­taire, la créa­tion de lieux com­muns… Il y aura bien sûr des sujets qui s’im­po­se­ront de manière des­cen­dantes, par l’in­ter­com­mu­na­li­té. De nom­breuses com­pé­tences lui sont délé­guées, ce qui limite par­fois le pou­voir de la mai­rie. À Commercy, nous ne sommes que 6 500, soit un peu moins d’un quart de l’in­ter­com­mu­na­li­té, soit 14 élu·es sur 80. Nous serons en mino­ri­té. Pour autant, il y a tou­jours pos­si­bi­li­té de faire pres­sion. Il y a envi­ron 50 com­munes qui en font par­tie ; deux ou trois, dont nous-mêmes, sont ins­crites dans une démarche municipaliste.

« Les conseils de quar­tiers existent déjà, mais il fau­drait leur redon­ner un pou­voir et une auto­no­mie, comme au Kurdistan syrien. »

Localement, nous essayons d’entraîner d’autre vil­lages alen­tour, comme Ménil-la-Horgne. On aime­rait for­mer un véri­table contre-pou­voir. On espère pou­voir peser sur l’in­ter­com­mu­na­li­té par cette fédé­ra­tion de com­munes. Si nous sommes élus, nous ferons du « lob­bying » au sein de l’in­ter­com­mu­na­li­té de com­munes : un lob­bying citoyen en faveur de la démo­cra­tie directe. Mais pour faire vivre cet espace démo­cra­tique, il y a une véri­table néces­si­té de for­mer et d’in­for­mer les gens, de faire de l’é­du­ca­tion popu­laire. Beaucoup de per­sonnes ne sont peu ou pas au fait des poli­tiques locales. La ques­tion qui se pose est : quelle culture poli­tique com­mune nous nous for­geons ? Pour réus­sir à mobi­li­ser, nous avons pen­sé à orga­ni­ser plu­sieurs réunions sur le même sujet à dif­fé­rents jours et horaires afin de favo­ri­ser la par­ti­ci­pa­tion du plus grand nombre.

La ques­tion du temps dis­po­nible, notam­ment pour les tra­vailleurs, se pose : dans notre socié­té, c’est de plus en plus com­pli­qué. Les Grecs, pour leur ago­ra, avaient droit à des jours de congés men­suels pour par­ti­ci­per aux assem­blées. Il va nous fal­loir amé­na­ger les choses. La ques­tion de l’é­chelle des com­munes est, elle aus­si, épi­neuse. Il faut relire Bookchin sur ce point. Le contour admi­nis­tra­tif, le décou­page ter­ri­to­riale impo­sé actuel­le­ment peut être revu. Prenons un exemple : la ville de Nancy. Il y a Nancy-centre, qui cor­res­pond à une com­mune de 100 000 habi­tants, et autour il y a des villes comme Laxou, Saint-Max, de plus petites com­munes de 15 ou 20 000 habi­tants. Vue du ciel, c’est une même ville — pour autant, elle est admi­nis­tra­ti­ve­ment décou­pée en six ou sept com­munes. Il est pos­sible de redé­cou­per le ter­ri­toire en de plus petites cir­cons­crip­tions, par exemple à l’é­chelle d’un quar­tier. Ce quar­tier pour­ra fonc­tion­ner comme une com­mune, avec son assem­blée, et des délé­gués seront envoyés à l’é­chelle ter­ri­to­riale supé­rieure. Les conseils de quar­tiers existent déjà, mais il fau­drait leur redon­ner un pou­voir et une auto­no­mie, comme au Kurdistan syrien. Chaque quar­tier, chaque groupe d’ha­bi­tants asso­ciés autour d’intérêts com­muns ou d’un ter­ri­toire com­mun devien­dra une sorte de com­mune. La démo­cra­tie directe est ingé­rable avec un trop grand nombre d’ha­bi­tants ; les réponses à cette ques­tion d’échelle res­tent donc en deve­nir. Tout est à bâtir, à penser.

[Manifestation de gilets jaunes, Paris, 2019 | Cyrille Choupas | Ballast]

Esquisses futures

Il nous faut éga­le­ment réflé­chir à une échelle plus large, autre­ment dit à une confé­dé­ra­tion de com­munes auto­nomes. Nous ado­re­rions que Commercy soit jume­lée à une com­mune du Rojava : réus­sir à jeter les bases d’une confé­dé­ra­tion inter­na­tio­nale en tis­sant ce lien sym­bo­lique, ce serait un bel hom­mage ! Si le muni­ci­pa­lisme et la démo­cra­tie directe arrivent à réa­li­ser une confé­dé­ra­tion, ça veut dire qu’une bonne par­tie de la popu­la­tion adhé­re­ra à cette forme. Ça don­ne­ra une légi­ti­mi­té, du poids. Ça ne sera pas juste une bande d’illu­mi­nés ! Dans une vision encore plus loin­taine — un peu folle d’ailleurs, il faut bien l’a­vouer —, nous pour­rions même ima­gi­ner faire séces­sion de l’État.

« Si jamais la Commune des com­munes échoue, l’a­ven­ture ne s’arrêtera pas pour autant. »

La répres­sion éta­tique ? La réponse que pro­pose Bookchin en matière d’au­to­dé­fense popu­laire ? Il est vrai que, si deux grands sys­tèmes viennent un jour à se faire face, ça se joue­ra dans un rap­port de force qui pour­rait deve­nir mili­taire. Pensons à Notre-Dames-des-Landes… Dans ce bras de fer, l’État pos­sède les forces publiques, les forces de l’ordre. Mais, pour le moment, il nous est dif­fi­cile de réflé­chir au rap­port de force mili­taire et à la construc­tion d’une armée popu­laire. Arriver à la pen­sée muni­ci­pa­liste nous a pris un cer­tain temps, déjà, et, prag­ma­ti­que­ment, les tra­vaux sont innom­brables aujourd’­hui. Ce conflit se pose­ra, ou pas, en temps et en heure…

Et si jamais la Commune des com­munes échoue, l’a­ven­ture ne s’arrêtera pas pour autant. Nous conti­nue­rons à orga­ni­ser des assem­blées et nous tâche­rons de mon­ter des pro­jets, à Commercy. L’idée est sem­blable aux ZAD : réus­sir à recréer du com­mun, s’au­to­gé­rer. C’est dans l’air du temps ! L’exemple de Là Qu’on Vive — une asso­cia­tion d’i­ci — a vrai­ment ins­pi­ré une par­tie des gilets jaunes. Il y a là un exemple concret, un déjà-là qui démontre que c’est pos­sible. L’association a rache­té une mai­son : elle est deve­nue un lieu auto­gé­ré qui pro­pose toutes sortes d’ac­ti­vi­tés, de la biblio­thèque par­ta­gée à l’é­pi­ce­rie soli­daire. Il y a l’i­dée d’é­tendre ces ini­tia­tives, par exemple par la créa­tion d’un mai­son inter­gé­né­ra­tion­nelle. Donc créer d’autres lieux col­lec­tifs, retis­ser du lien social, s’ins­crire et réin­ves­tir le ter­ri­toire, acqué­rir des ter­rains et des bâti­ments pour les gérer col­lec­ti­ve­ment par des coopé­ra­tives d’ha­bi­tants, comme le pro­pose le col­lec­tif La Suite du Monde, pré­sent à la Commune des com­munes. Autant de pro­jets qui peuvent se pas­ser du pou­voir muni­ci­pal. Évidemment, ce sera moins facile sans avoir la mai­rie ! Car en la récu­pé­rant, elle et les moyens qui vont avec, ça nous per­met­trait de démul­ti­plier l’im­pact et l’ef­fi­ca­ci­té des actions que nous menons actuel­le­ment, et ouvri­rait bien des possibles…


Photographies de ban­nière et de vignette : Stéphane Burlot | Ballast


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  1. Pour plus d’in­for­ma­tions à ce sujet, se repor­ter aux articles « Le muni­ci­pa­lisme liber­taire : qu’est-ce donc ? » et « Le moment com­mu­na­liste ».[]

REBONDS

☰ Lire notre article « Le moment com­mu­na­liste ? », Elias Boisjean, décembre 2019
☰Lire notre article « Proudhon en gilet jaune », Édouard Jourdain, novembre 2019
☰ Lire notre repor­tage « Contre le mal-vivre : quand la Meuse se rebiffe » Djibril Maïga et Elias Boisjean, février 2019
☰ Voir notre port­fo­lio « Commercy : le pou­voir au peuple », Stéphane Burlot , jan­vier 2019
☰ Lire notre abé­cé­daire de Murray Bookchin, sep­tembre 2018
☰ Lire notre article « Le muni­ci­pa­lisme liber­taire : qu’est-ce donc ? », Elias Boisjean, sep­tembre 2018


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