Une ferme collective, la civilisation technocratique, les corps flingués au travail, un éloge de la marche, une combattante en Espagne, une analyse du Moyen-Orient, les soi-disant « pédagogies alternatives », un « communisme absolu », un village mexicain et une nouvelle histoire de l’humanité : nos chroniques du mois de mai.
☰ Edward Carpenter et l’autre nature, de Cy Lecerf Maulpoix
Au cours de sa vie, Edward Carpenter a tenté d’unir deux propositions politiques alternatives : « une vie communale et socialiste d’une part, une quête romantique de vie plus primitive d’autre part ». La première lui est inspirée par le socialisme anglais de la fin du XIXe siècle, courant animé par nombre de ligues et d’associations autour desquels Carpenter gravite sans jamais en choisir aucune. Le marxisme le marque, assurément, mais moins, toutefois, que les écrits de Henry David Thoreau, qu’il contribue à populariser au Royaume-Uni. Son « larger socialism » s’inspire autant de l’anarchisme d’Élisée Reclus et de Piotr Kropotkine que de la poésie de Walt Whitman ou des essais de William Morris. Cet idéal de vie simple et collective se concrétise par l’acquisition de la ferme de Millthorpe qui, selon les mots de Carpenter, fut « un rendez-vous pour toutes les classes et conditions de la société ». Avec quelques compagnons mais non sans difficultés, Carpenter travaille la terre, s’essaie à l’artisanat, vend une partie de la production vivrière sur les marchés, médite, écrit, contribue au socialisme en formation. Autour de lui on débat alors du destin de « terres gérées collectivement et nationalisées », on se demande s’il vaut mieux appuyer une « centralisation autour de fermes gérées par l’État » ou tabler sur une « décentralisation autour de petits espaces de production industriels et agricoles » — des discussions qui rappellent celles du mouvement écologiste contemporain. En choisissant de mobiliser Carpenter, Cy Lecerf Maulpoix ajoute une figure à l’histoire de ces « écologies déviantes » qu’il s’est attaché à dépeindre dans un précédent ouvrage. Naturisme, amour libre et homosexualité sont en effet au cœur du quotidien et des écrits du socialiste anglais. Et l’ascèse n’a rien à voir avec l’austérité : c’est à vivre mieux et simplement, ici et maintenant, ici et ailleurs, qu’aspirait Carpenter, pour lui comme pour les autres. [E.M.]
Le Passager clandestin, 2022
☰ Nature, de Baptiste Lanaspeze
« Quelque chose qu’on avait pris pour un artefact s’est révélé vivant » : cette chose, c’est une clôture en osier faite avec des rameaux de saules. Plantés dans le sol, ils paraissent morts ; les voici qui, pourtant, renaissent, produisent feuilles et bourgeons. En usant du récit, Baptiste Lanaspeze, fondateur des éditions Wildproject, rappelle que la nature a pour sens premier « ce qui naît, ce qui pousse, ce qui engendre ». À rebours de la nature morte et instrumentale de la modernité, de l’idée de nature disséquée par l’anthropologie contemporaine, l’auteur s’attache à redonner vie à un concept et aux potentialités qu’il recèle. Avec les armes de l’éthique environnementale, de l’écoféminisme et de l’écologie scientifique, Baptiste Lanaspeze revient sur le sens d’un mot dévalué afin de le rendre de nouveau appropriable et opérant politiquement. S’appuyant notamment sur le primatologue japonais Imanishi Kinji, pour qui « la nature est une vaste société de sociétés », l’auteur propose d’envisager la nature comme une « alliance des choses, des gens et des lieux » — ou une symbiose, pour reprendre les termes de la microbiologiste Lynn Margulis. Mais une symbiose particulière. « Si la nature est une question politique, c’est aussi parce qu’elle est une réalité structurellement sociale. » Toutefois, « on ne fait pas société de la même façon dans un cosmos vivant et dans un cosmos mort ». Suivant les positions de l’historien camerounais Achille Mbembe, Lanaspeze décrit « la civilisation moderne
comme une administration de la mort », technocratique, bureaucratique et coloniale. Pour déjouer ce terreau mortifère, il conviendrait à la fois de rénover l’idée de nature, et de la défaire de son ancrage occidental — en somme, bâtir une écologie proprement vivante et décoloniale. Et l’auteur de conclure : « [L]utter contre le désastre écologique, ce serait donc être à la fois un combattant et un soignant. » [R.B.]
Anamosa, 2022
☰ On n’est pas des robots !, sous la direction de Cécile Cuny
Alors qu’il est parfois difficile d’appréhender aujourd’hui ce que recouvre la notion de classe ouvrière, une enquête sociologique menée sous la direction de Cécile Cuny vient apporter de précieux éléments de réponse. Trois photographes-sociologues et quatre sociologues ont participé à cette recherche menée pendant trois ans auprès d’ouvrièr·es de la logistique. Les résultats ont été présentés sous forme d’exposition puis publiés dans ce livre, qui regroupe articles d’analyse et séries photographiques. La principale d’entre elles a été construite en utilisant la méthodologie de l’itinéraire. Les auteur·es ont rencontré une centaine d’ouvrièr·es sur quatre sites, deux en Allemagne et deux en France. Parmi les personnes interrogées, certaines ont accepté de se plier à l’exercice consistant à emmener les chercheur·ses sur un parcours qu’elles ont choisi, réalisé parfois à pied, parfois en véhicule. Les images, accompagnées des paroles des personnes, permettent ainsi de donner des exemples des lieux et des conditions de vie de travailleurs et travailleuses souvent invisibles d’un secteur qui a explosé sur les dernières décennies. Ses dirigeant·es aiment insister sur son automatisation. Mais celle-ci « ne supprime pas les emplois ouvriers, elle supprime les postes intermédiaires », affirment les sociologues. Les récits donnent à voir la précarisation du travail par le recours important à l’intérim, et l’impact sur les vies. Le logement est par exemple un souci récurrent. Les entrepôts logistiques sont situés dans zones périphériques loin des zones où les loyers sont accessibles aux employé·es, mal desservies par les transports en commun, ce qui oblige à utiliser la voiture. Les corps sont durement touchés, usés par la répétition de gestes qui mettent muscles et articulations à rude épreuve : « Moi quand je suis rentré j’étais en pleine forme, explique Olivier, et au bout de trois ans je me suis flingué les deux bras ». [L.]
Creaphis éditions, 2020
☰ Le Droit du sol, de Étienne Davodeau
« C’est l’histoire d’un voyage ». Étienne Davodeau nous invite à l’accompagner lors d’une marche d’un mois et 800 kilomètres, effectuée à l’été 2019. À travers des chemins de traverse qui le mènent de la grotte de Pech Merle dans le Lot, connue pour ses peintures rupestres, au village de Bure dans la Meuse où l’Agence nationale pour la gestions des déchets radioactifs prévoit d’enfouir des déchets nucléaires dont la durée de nocivité est estimée à plus de 100 000 ans, qui menacent de contaminer les sols et celles et ceux qui y vivent. Deux héritages de l’activité humaine, entre lesquels l’auteur tire une ligne. D’abord sur les cartes IGN avec lesquelles il prépare son itinéraire, puis au fil de cases où il développe le récit de sa marche. Il convoque pour l’accompagner spécialistes de la question, et militants de Bure qui racontent la folie du projet de l’Andra, et les moyens mis en œuvre par l’État pour réduire au silence les opposant·es : militarisation des terres du village, criminalisation des militant.es, injection de capitaux dans une région économiquement sinistrée dans le but d’acheter le soutien de la population… À Bure, le droit s’est effacé devant la raison d’État. Outre ce fil directeur qui guide les pas de l’auteur, la bande dessinée est aussi un éloge de la marche, une manière pour l’auteur « de se reconnecter au sol et donc à la planète ». Le rythme de la narration, la part belle laissée aux paysages, entraîne dans l’introspection propre à la marche à pieds. On croise d’autres marcheurs et marcheuses, étonné·es de l’itinéraire choisi, des animaux, des habitant·es qui donnent de l’eau, des fruits. On se perd sur des sentiers dont la trace a disparu. On devine la faim, la chaleur, le corps fatigué. On entend la pluie tomber sur la toile de la tente un soir d’orage. On traverse des plateaux nus et des forêts. On mange des abricots les pieds dans une rivière. Autant de raisons de prendre soin d’une nature menacée par les projets de l’Andra. [L.]
Futuropolis, 2021
☰ Ma guerre d’Espagne à moi — Une femme à la tête d’une colonne de combat, de Mika Etchebéhère
Au début du XXe siècle, Mika Etchebéhère et son compagnon Hippolyte auraient pu choisir les vastes terres de la Patagonie. Mais ils sont partis. Ils auraient pu aussi rester en France, où la propagande anarchiste des années 1930 appelle leur énergie. Mais des grèves allemandes les conduisent ailleurs. La déception devant l’échec de ces dernières aurait pu les faire tout abandonner. Mais c’est à la révolution que les deux amis ont dévoué leur vie et c’est en Espagne que celle-ci ce déroule. Entre 1936 et 1939, Mika Etchebéhère participe à la guerre civile au sein d’une colonne du POUM antistalinien dont elle finira par prendre la tête. Durant les premiers jours de combat contre les régiments fascistes, Hippolyte est tué. Si Mika Etchebéhère perd alors un compagnon de vie, un camarade de lutte, en toutes choses un ami, son désir de continuer la révolution n’est pas atteint. Cette guerre, la militante s’est décidée à l’écrire des années après. Mika Etchebéhère raconte, témoigne, commente les événements auxquels elle a pris part. Elle dit les premiers jours où « tout Madrid se précipite dans la rue à la recherche d’un fusil », où le bleu de travail fait office d’uniforme et où, aux points de passage, « la carte du syndicat ou d’un parti de gauche tient lieu de carte d’identité. » Elle décrit « ce métier de femme au milieu des combattants, cette corvée de mère de famille veillant sur la propreté des dortoirs et la santé des miliciens » et cet état de « ménagère-soldat » qu’elle refuse. Elle relate la défense de Sigüenza, sur le front nord, une défense qui deviendra « légende » dans de nombreux bataillons : pendant quelques semaines, alors, « le monde est devenu bois, pierres, arbres, pieds lourds enfoncés dans trois paires de chaussettes trempées, dos fléchi sous le gros paquet de la cape et du fusil, main gauche traversée de mille poignards glacés. » En somme, voici le compte-rendu intime de « cet enfer qu’aucune littérature n’a su encore inventer ». [R.B.]
Libertalia, 2021
☰ Le Temps des monstres, de Hamit Bozarslan
Dix ans après le début de ce qui a été appelé « les printemps arabes », tirer le bilan des soulèvements populaires et des guerres, souvent civiles, qui ont secoué le Moyen-Orient, « espace indéterminé et complexe s’il en est », n’est pas un exercice simple tant cette période s’est placée « sous le signe de l’imprévisibilité absolue ». Plutôt que d’en proposer une synthèse, Hamit Bozarslan, directeur d’études s’intéressant notamment à l’histoire et la sociologie de la violence au Moyen-Orient, a réuni un ensemble de chroniques et d’interviews publiées entre 2011 et 2021 afin de « penser cette région désormais élargie vers l’Asie et l’Afrique subsaharienne à partir des éléments que nous apportait le temps immédiat ». Avec pour fil conducteur la volonté d’interroger la manière dont le « Léviathan autoritaire » des régimes au pouvoir a cédé la place « à un Béhémoth dont l’ultime dessein consistait à détruire la société ». L’auteur assume la mise à l’épreuve du temps de ses articles, y compris là où l’Histoire aurait pu lui donner tort. Bien qu’ancrées dans la décennie 2010, les analyses embrassent un cadre spatial et temporel plus vaste, insistant notamment sur les quatre grandes ruptures de 1979. Cette approche permet de proposer des clés d’interprétation des dynamiques imprévisibles du temps présent et de penser la violence et le rôle de l’islam politique dans le temps long. Introduction et conclusion fournissent à l’auteur l’occasion de déployer dans cet essai une pensée plus globale, proposant à qui s’intéresse à la région une analyse originale de la difficulté d’y construire « une société politique », où « reconnaissance, arbitrage, ou institutionnalisation des conflits par des luttes pacifiées » pourraient s’exprimer. Finalement, plutôt que de tenter quelque vain exercice de divination en proposant un « regard prospectif vers l’avenir », Bozarslan invite « à suivre attentivement sept dossiers », depuis les stratégies américaines et russes dans la région jusqu’à la question kurde. [L.]
La Découverte, 2022
☰ Sociologie des pédagogies alternatives, de Ghislain Leroy
Le quinquennat macroniste aura marqué une accélération brutale de la casse de l’éducation publique au profit des entreprises dites de l’« EdTech ». Ce travail de sape a été mené par un ministre dont la scolarité s’est effectuée dans l’enseignement privé, et qui s’est illustré par un discours dénonçant de manière obsessionnelle le « pédagogisme ». Mais l’étiquette « pédagogie alternative » ne signifie pas forcément qu’elles soient subversives. Soulignant le conflit qui peut exister entre l’analyse pédagogique et l’analyse sociologique de ces dernières, Ghislain Leroy tente d’établir un dialogue entre les deux approches. Il se demande « en quoi telle ou telle pédagogie est-elle, ou fut-elle, au service de tel ou tel groupe social », et quels usages relèvent véritablement d’une « pédagogie subversive » qui remet en cause les systèmes de domination. L’approche historique permet de rendre compte de l’évolution des perceptions face à ce qui s’appelait « éducation nouvelle » jusqu’aux années 1970, et dont les pratiques pouvaient être défendues jusqu’au sein du ministère. Les années 1980, sous l’autorité du ministre Chevènement, marqueront un virage réactionnaire dont l’école n’est pas encore sortie. Alors que le néolibéralisme s’impose mondialement, on voit comment celui-ci se réapproprie certaines pratiques « alternatives », les vidant de leur contenu subversif, pour en faire des outils permettant de créer des travailleurs « autonomes », « créatifs ». Un tour d’horizon actuel des pédagogies « alternatives » permet de clarifier bon nombre d’idées, et notamment de remettre à leur place d’agents utiles du néolibéralisme les écoles privées Montessori et Steiner — dont le nombre a explosé en dix ans. La réflexion se termine sur la pédagogie critique, encore trop méconnue en France, et sur ce que pourrait être une hybridation de différentes approches afin de penser un enseignement à destination des élèves des quartiers populaires, là où se concentrent les difficultés scolaires. [L.]
La Découverte, 2022
☰ La Commune des lumières — Portugal, 1918, une utopie libertaire, de Jean Lemaître
Que sait-on du Portugal révolutionnaire ? Un soulèvement qui prit le nom d’une fleur rouge, un œillet, porté en boutonnière et à la gueule des fusils. C’était en 1974 et la dictature qui survivait depuis quatre ans à la mort de son instigateur, Salazar, était enfin défaite. Mais avant ? Alors que partout en Europe, depuis le XIXe siècle, le mouvement ouvrier s’organise, qu’en a-t-il été à son point le plus à l’Ouest ? Jean Lemaître consigne dans ce livre une page oubliée de l’histoire populaire du Portugal en même temps qu’un portrait enthousiaste de l’un de ses protagonistes, António Gonçalves Correia. Ce dernier, « prolétaire de commerce » selon ses mots, a marqué l’Alentejo, cette région rurale du sud du pays. Son métier lui a fait parcourir chacune des routes du territoire, connaître bon nombre de ses habitants et habitantes. Quelques rencontres urbaines, aussi, ont alimenté un anarchisme en germe depuis son adolescence. Si l’année 1910 a vu la république proclamée, celle-ci s’est vite trouvé dévoyée. Le courant républicain, modéré, gorgé de notables, s’avère être aussi celui de l’ordre. Dans les feuilles libertaires qui fleurissent comme dans les réunions syndicales, António Gonçalves prend sa part dans la contestation. Mais c’est une autre expérience que retient surtout Jean Lemaître. En 1916, un appel paraît dans la presse alternative : la « Commune des Lumières » est sur le point de voir le jour. Une ancienne ferme accueille ainsi deux années durant une trentaine d’associé·es, acquis·es à la nécessité d’une révolution sociale dans le but de mettre en œuvre un « communisme absolu » en Alentejo. La première colonie libertaire du pays est créée. Son succès ne sera interrompu que par les fusils de la troupe républicaine et des milices patronales. Pour autant, António Gonçalves n’arrêtera jamais sa propagande, même si celle-ci le conduit à l’enfermement. Des décennies plus tard, le souvenir du libertaire à longue barbe est encore vivace en Alentejo, et ce livre est plus que bienvenu pour l’insérer dans l’histoire sociale européenne. [E.M.]
Éditions Otium, 2019
☰ Noche de fuego — de Tatiana Huezo
Un trou creusé de la taille d’un enfant, à même la terre. C’est une cachette derrière la maison d’Ana, huit ans, et celle-ci apprend à s’y glisser afin de se protéger des voleurs de filles. Elle regarde sa mère et la caméra : ainsi s’ouvre Noche de fuego de la réalisatrice Tatiana Huezo, née au Salvador. Nous sommes dans un village de montagne, au Mexique. La beauté de l’image est saisissante. Dès les premières minutes du film, la force du lieu nous enveloppe : la forêt bleue à la chute de la nuit, ses bruits comme naissant de l’intérieur d’un corps, la lumière des foyers disséminés dans la montagne où grandissent des jeunes sans pères — tous à la ville. Une tranchée de mères et d’enfants coupés du monde, encadrés par la loi des cartels et de la police corrompue, dont la protection ne dépend que de leur coopération dans les récoltes. Un sujet social exploré, ici, de l’intérieur : par les perceptions partielles d’un trio de petites filles aux cheveux courts — les aînées pensent les protéger en leur donnant l’air de garçons. La caméra fait de leurs visages le monde entier. La réalisatrice de Tempestad a forgé son regard par la pratique documentaire — la glaise du réel, micro tendu vers les voix inaudibles, les yeux cherchant à capter la mémoire silencieuse des lieux, la quête des disparus, la reprise de la vie après la guerre civile. Dans sa bascule vers la fiction, nous assistons à une mue d’une grande délicatesse, un entre-deux particulier. La distance s’assume à tâtons par rapport aux sujets qu’elle brassait jusqu’alors — la place des femmes dans des espaces de violences radicales, la survie en état de guerre sociale permanente, la vie forte même au milieu des pires réalités —, grâce aux outils magiques du cinéma : le son, les couleurs, les textures, les plans soignés, pensés comme des tableaux. Et des personnages incarnés par des actrices non professionnelles, sans fausse note. La candeur. L’entrée dans l’adolescence et dans le monde écrit par les adultes. Nuit de feu est la traduction du titre mexicain. Le titre anglophone, lui, perd en force une fois dans notre langue. Laissons-le tel quel : Prayers for the stolen. [M.M.]
Pimienta Films, 2021
☰ Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, de David Graeber et David Wengrow
L’anthropologue David Graeber et l’archéologue David Wengrow ne se sont pas attelés à une mince affaire. Dans leur ouvrage, fruit de dix ans de réflexion, ils tentent d’examiner d’un œil neuf l’évolution des sociétés humaines au cours des 30 000 dernières années, rejetant les visions de Hobbes et de Rousseau qui, selon eux, ont eu, « de terribles conséquences politiques ». L’objectif « n’est pas seulement de présenter une version revisitée de l’histoire de notre espèce. Nous voulons introduire le lecteur à une nouvelle science historique qui restituerait à nos ancêtres leur pleine humanité. [E]t si, au lieu de raconter comment notre espèce aurait chuté du haut d’un prétendu paradis égalitaire, nous nous demandions plutôt comment nous nous sommes retrouvés prisonniers d’un carcan conceptuel si étroit que nous ne parvenons plus à concevoir la possibilité même de nous réinventer ? » Les inégalités prennent-elles leurs sources dans la naissance de l’agriculture ? Les sociétés de chasseurs-cueilleurs étaient-elles plus égalitaires ? L’hégémonie des États était-elle inéluctable ? En réalité, les deux auteurs suggèrent que les premières sociétés humaines ont eu des modes d’organisation extrêmement variés. Que des systèmes de gouvernance égalitaires, démocratiques, ont pu exister pendant des siècles, et qu’ils ne sont pas à regarder comme des anomalies. Leur argumentation s’appuie sur une somme d’exemples tirés des dernières découvertes archéologiques. Ils rejettent la vision linéaire de l’évolution basée sur un classement « en fonction de stades de développement définis par des technologies et des modes d’organisation spécifiques », issue des réactions conservatrices face aux critiques des sociétés occidentales du XVIIe siècle. Et notamment celles que formule Kandiaronk, le chef politique wendat, ce peuple autochtone d’Amérique du Nord. Elles servent de fil directeur à l’ouvrage. On découvre ainsi combien ce dernier pu influencer les philosophes « des Lumières ». [L.]
Les Liens qui libèrent, 2021
Photographie de bannière : George A. Tice, États-Unis, 1938
REBONDS
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