D’autres futurs possibles, la France de ceux qui « ne sont rien », un marin dans un cabinet de curiosité, les frontières du genre, le passé mis au présent, Jeanne d’Arc revisitée, des oiseaux au seuil de l’extinction, le feu qui se propage, la résistance féministe et une revue à contretemps : nos chroniques du mois de janvier.
☰ Archéologies du futur, de Fredric Jameson
Le capitalisme a triomphé mondialement et la « démocratie » libérale, si elle n’a pas imposé son hégémonie totale, n’en est pas moins devenue, tacitement et aux yeux de tous, un idéal régulateur incontestable. On se souvient des homélies tristement prémonitoires du père Furet : « Nous voici condamnés à vivre dans le monde où nous vivons ». En effet, tout désir d’un monde autre, toute ébauche d’un horizon social-historique qui ne coïnciderait pas avec notre présent soi-disant immuable porterait déjà les germes du totalitarisme. Le futur s’écroule et, avec lui, l’utopie — à jamais associée aux noms de Mao et Staline. C’est toute cette inertie non seulement politique mais aussi existentielle que Fredric Jameson vient analyser, et surtout pulvériser, dans ces Archéologies du futur : une véritable somme mêlant à la fois analyse littéraire et élaboration théorique, utopies « traditionnelles » et science-fiction. À travers ce dédale parfois inextricable d’œuvres, de penseurs et de prémonitions plus ou moins fantasques, Jameson cherche à sonder les bords de l’imagination utopique, en prêtant attention non pas tant au contenu positif et programmatique des utopies qu’à l’infigurable dont elles portent la trace. Car que véhicule donc la forme même de l’utopie ? Quel rapport le futur de l’utopie et de la science-fiction entretient-il avec le présent vivant ? L’illusion serait de croire que ce futur doit se réaliser, ici et maintenant. Les images d’« enclave » ou de « totalité » employées par Jameson pour caractériser l’utopie en rendent bien compte. Il s’agit avant tout de « défamiliariser », d’opérer un écart significatif qui, négativement, fait apparaître notre propre « emprisonnement mental ». Cette œuvre considérable, remarquablement rendue en français par Nicolas Vieillescazes, mériterait sans doute d’être confrontée aux travaux de Miguel Abensour, autre grand penseur de l’utopie, dont l’ancrage libertaire et phénoménologique le situe tantôt à proximité, tantôt aux antipodes de Jameson. [A.C.]
Les prairies ordinaires | éditions Amsterdam, 2021
☰ Ceux qui ne sont rien, de Taha Bouhafs
L e journaliste Taha Bouhafs fait ici une traversée de la France. Ou, plutôt, d’une France. Celle que le président de la République a désigné du doigt dans un discours désormais fameux, en juillet 2017. « Lorsque j’ai entendu cette déclaration d’Emmanuel Macron, j’ai tout de suite su qu’elle ciblait les gens comme moi. Cette déclaration, la première d’une longue série, marque incontestablement le début des années Macron, les années-mépris. » Durant cinq ans, l’auteur a parcouru le pays. Il nous embarque ainsi d’Échirolles à Marseille, en passant par Grenoble, Nantes, Marseille, l’Île-Saint-Denis, Paris. Et le lecteur de faire la rencontre des soixante-dix-sept salariés qui occupent le McDonald’s de Saint-Barthélemy ou d’enfiler un gilet jaune devant la gare Saint-Lazare et de « se serre[r] un peu pour se réchauffer, pour être ensemble ». Le journaliste, âgé seulement de 24 ans, aspire à « faire entendre le courage et la dignité de ceux qui se sont opposés à ce pouvoir, dans l’espoir qu’enfin, viennent les jours heureux« . Quartiers populaires, manifestations, violences policières et discriminations : c’est là le récit incarné des démunis, des dominés, des exploités et des insoumis. Il tend sa plume à Manu, à Rachel, à Assa ; il nous présente Amine et Alain, les camarades qui ont cru en lui depuis le début. Car c’est aussi la lutte qui a permis à Taha Bouhafs de s’émanciper, de trouver sa voie. « Moi ce que j’ai envie de dire, c’est pas le truc de la réussite individuelle. La réussite individuelle, ça n’existe pas : ce n’est pas une réussite. […] On peut réussir que collectivement. Le truc qui est super important, c’est qu’on recrée une conscience de classe« , confiait-il récemment au micro de Daniel Mermet. Car c’est un même système qui écrase. Reste donc à s’organiser et, à l’image du 24 mai 2021, lorsque les femmes de ménage de l’hôtel Ibis Batignolles ont remporté la bataille au terme de vingt-deux mois d’un combat acharné, à faire plier ceux qui prétendent être tout. On entend alors résonner un chant, celui qui, justement, résonne en l’auteur : « Foule esclave, debout, debout / Le monde va changer de base / Nous ne sommes rien, soyons tout ». [M.S.-F.]
La Découverte, 2022
☰ Joseph Kabris ou les possibilités d’une vie, de Christophe Granger
Né en 1780 à Bordeaux, Joseph Kabris a eu une vie des moins ordinaires : tour à tour matelot sur un navire corsaire, engagé à 15 ans sur un baleinier anglais dont il s’enfuit pour s’établir six années sur l’île de Nuku Hiva dans le Pacifique et y devenir un guerrier redouté, professeur de natation à l’école des cadets de marine de Cronstadt après avoir appris à raconter sa vie et exhibé son corps tatoué à la curiosité des salons de la noblesse russe. Rentré en France en 1817, il connaît un succès éphémère dans l’univers des spectacles de curiosités parisiens, avant de souffrir d’un déclassement dont témoigne son intégration, difficile, au monde plus populaire des foires. Il meurt à Valenciennes en 1842. Comment faire le récit de cette vie sans verser dans l’édification d’un destin exceptionnel ? C’est tout l’enjeu de ce livre. Christophe Granger répond à cette question en proposant d’entrer « dans les logiques sociales suivant lesquelles s’opère la construction d’une vie d’individu ». Cela suppose d’analyser la manière dont il lui a fallu chaque fois négocier avec des attentes nouvelles, recycler certaines habiletés acquises dans des socialisations antérieures pour s’assurer une place dans des univers déjà institués. Cela demande de comprendre aussi que « la permanence de manières d’être dont il a acquis l’habitude et l’évidence » a pu freiner son intégration ou le reléguer dans une position marginale. Expliquer de quelle manière, par exemple, il devient un Nukuhivien nécessite de « recomposer d’abord l’espace social des existences possibles » : décrire l’organisation sociale de l’île ; établir l’état des relations entre les insulaires et les Blancs ; mesurer l’état des rapports de forces à Nuku Hiva. Ainsi, dans un monde où la guerre joue un rôle structurant, les aptitudes guerrières héritées de ses expériences passées sont décisives pour son intégration. C’est en adoptant la même méthode que Granger retrace « cet incessant travail de recommencement » qu’est l’existence de Kabris et livre une biographie sociologique magistrale qui permet d’« entrer dans le cheminement propre d’une vie en train de se faire ». [B.G.]
Anamosa, 2020
☰ Transfuges de sexe — Passer les frontières du genre, d’Emmanuel Beaubatie
Les trans’1 ont indéniablement gagné en visibilité ces dernières années. Mais que sait-on vraiment de leurs parcours et de leurs positions dans les rapports sociaux ? Dans ce livre, fruit d’une enquête sociologique, l’auteur apporte des éléments de réponse en analysant tout ce qui entoure les changements de sexe — à comprendre ici comme « une catégorie sociale et non pas une donnée biologique, ni comme une identité ». La construction de la catégorie trans’ a historiquement été façonnée par deux pôles : la médecine et les études queer. Si la première a posé différents diagnostics sur les personnes — non sans controverses —, les secondes ont questionné « les normes sexuelles et de genre à partir de leurs marges ». Mais contrairement à une représentation courante, les trans’ ne constituent pas un groupe homogène. L’auteur se penche sur la durée de leur transition, les conditions socio-économiques dans laquelle elle se fait, le lien (ou l’éventuelle rupture) avec la famille, le circuit médical emprunté, le parcours judiciaire : autant d’indicateurs qui révèlent les inégalités de ce processus. Un chapitre est spécialement dédié à la question de la sexualité, et permet de cerner la façon dont celle-ci s’entremêle au genre, évolue et se recompose. Enfin, le sociologue s’attache à « considérer le genre comme un espace multidimensionnel » : en ayant recours à l’analyse de correspondances multiples, il exploite d’une façon particulièrement pertinente les données sociales sur les trans’, révélant l’organisation de l’espace social du genre. « Le changement de sexe est rarement considéré comme une expérience de transfuge alors qu’il s’agit bel et bien d’un passage de frontière sociale ». Et si ces frontières ne sont pas figées mais bien mouvantes, elles sont encore fortement définies par la domination masculine. [M.B.]
La Découverte, 2021
☰ La Cavalière, de Nathalie Quintane
Dans son dernier livre, Nathalie Quintane revient sur le destin de Nelly Cavallero, qui, en son temps, marqua l’établissement où enseigne l’autrice — avant de tomber dans l’oubli. Professeure de philosophie dans les années 1970 au lycée de D., Nelly est inculpée et radiée en 1976 pour « incitation de mineurs à la débauche » : prétexte commode pour la justice locale afin de se débarrasser d’une enseignante à la parole libre et émancipatrice. Évoquer une des nombreuses « radiées » de cette époque est l’occasion de se souvenir d’une génération : celle qui, dans le sillage de Mai 68, invente, en Haute-Provence et ailleurs, de nouvelles manières d’enseigner, de militer et d’aimer. Quintane fait ainsi revivre tout un paysage intellectuel : les revues d’avant-garde, les films avec Bulle Ogier ou les romans de Christiane Rochefort. Ni biographie, ni chronique exhaustive, La Cavalière se présente avant tout comme un ensemble de témoignages à plusieurs voix, celle de l’autrice, de ses ami·es, d’anciens camarades de Nelly… Plutôt que l’enquête fouillée, c’est le décentrement qui est visé : parler de la contre-culture depuis une région historiquement peu militante, évoquer des femmes courageuses et oubliées, et par là « mettre le passé au présent ». Les portraits de l’enseignante insoumise et de « ceux qui en avaient fini avec la peur » tranchent avec ce que l’autrice met en avant de notre temps dont, dit-elle, « décourager » est le mot-clé. La Cavalière, certes moins drôle que les précédents textes de Quintane, marque par un mélange épatant de densité et de modestie, de résonances et d’hésitations. Comme si l’autrice mettait son mordant habituel en sourdine pour mieux éclairer la flamboyante figure disparue ; comme si le livre n’était que l’écrin des mots de défense de Nelly : « [S]i de tels faits ont eu lieu, je n’ai pas à les approuver ou les désapprouver. Je n’étais pas là. Je ne suis pas une surveillante d’internat. Je ne ferme pas ma porte à clé. Ce doit être pour cela que l’on m’inculpe. » [L.M.]
P.O.L., 2021
☰ Johanne, de Marc Graciano
C’est dans un pays moribond, occupé par les armées d’Angleterre et leurs alliés de Bourgogne, que débute l’aventure. La guerre, qu’on appellera plus tard « de Cent ans », arrive à l’un de ses tournants ; peu, pourtant, sont ceux qui se le figurent. Épisode peu connu de la vie de Jeanne d’Arc — Johanne —, cette traversée de la France laisse place à l’imagination généreuse de l’auteur, Marc Graciano. Loin de sacrifier son écriture charnue au lustre qu’intiment les personnages sacrés par l’Histoire, il redonne un corps à Johanne — non pas celui, sorcier, qu’aimeraient plus tard lui faire porter ses ennemis, mais celui, commun, de la jeune femme du XVe siècle qu’elle a dû être elle aussi. Elle est en effet à la fois « la pastourette, comme on se l’imagine, avec des sabots en bois de peuplier jaunis par le temps et maculés de fange » et « la divine pucelle, ou proprement dit la divine servante, la servante de Dieu ». Nous sommes en 1429, elle a autour de 17 ans. Il ne lui reste que deux années à vivre avant qu’on ne la mène « se faire juger à Rouen, puis arder vive en sa robe jaune soufrée, avec le tas de fagots savamment élevé par le bourreau sur la place du marché ». Cela, c’est une autre histoire, que Graciano sait aborder succinctement pour que l’on n’oublie pas le destin tragique de son héroïne. Pour l’heure, cependant, la table n’est pas celle de l’inquisition, mais se trouve chargée de grasses nourritures — la chevauchée est aux portes de Chinon, la mission est remplie. On s’enivre d’hypocras ou de vin blanc, les langues et les muscles s’en trouvent délassés et les corps, « de guerre lasse », sont enfin dénoués, aurait peut-être commenté le philosophe trotskyste Daniel Bensaïd. Avant qu’il n’écrive sur Jeanne d’Arc, ce dernier notait dans un carnet : « C’est l’occasion d’un livre de vie, engagé dans les tumultes du présent, et plein d’une bonne humeur qui est la politesse des mélancoliques. […] J’essaierai de soigner Jeanne. » Soin et bonne humeur ne sont pas étrangers à Marc Graciano et traversent ce livre « dans un grand souffle d’air et une grande rumeur d’ailes mouvantes ». [E.M.]
Le Tripode, 2022
☰ En plein vol — Vivre et mourir au seuil de l’extinction, de Thom Van Dooren
Guidés par « un groupe hétéroclite d’oiseaux », voici que l’on chemine en compagnie du philosophe australien Thom Van Dooren. Cinq cas successifs confrontent une espèce et ses individus à leur extinction probable, avérée ou évitée. L’auteur a choisi de bâtir des récits à la mesure des animaux qu’il étudie, en usant de la biologie comme de l’ethnographie, de l’écologie comme des concepts de sa discipline d’origine. Extinction : si le terme est bien présent dans le champ médiatique, il détient un sens qui dépasse la simple idée de fin. Ainsi, En plein vol s’attache à redéfinir ce terme, au-delà d’un nécessaire point de vue comptable et fonctionnel. Pour cela, l’auteur explore des modes de vie qui s’effritent : comment les albatros élèvent leurs petits au sein d’un océan Pacifique empli de plastique ? Comment les vautours indiens vivent-ils l’accumulation de produits toxiques dans leur environnement ? Pourquoi les manchots pygmées persistent-ils à pondre en des lieux qui leur sont fatals ? Que nous disent les grues blanches des efforts fournis pour leur conservation ? Quelles leçons tirer du deuil des corneilles hawaïennes ? Autant de pistes pour analyser les mécanismes de ce qui s’annonce comme une défaunation sans commune mesure à échelle humaine. Reprendre la notion d’extinction implique également, selon l’auteur, de s’attaquer à celle d’espèce — une affaire qui a de quoi alimenter d’interminables débats de spécialistes. Van Dooren s’en sort à l’aide d’une adroite analogie aviaire : les espèces seraient, selon lui, des « trajectoires de vol », expression qui lui permet d’intégrer leur histoire évolutive passée comme celle à venir. À cinq reprises, donc, Van Dooren déplie des enchevêtrements faits d’artefacts humains, d’oiseaux migrateurs et d’habitats secoués par les changements environnementaux. Si les conclusions parfois déçoivent — la simple conscientisation d’une catastrophe ne suffit pas à l’affronter, encore moins à l’éviter — les développements, eux, sont brillamment menés. Leur cheminement indique un sillon, une voie, qu’il convient de poursuivre. [R.B.]
Wildproject, 2021
☰ Partout le feu, de Hélène Laurain
Partout serait le feu et il n’est pas certain, cette fois, que l’éteindre soit une solution. Peut-être faut-il faire naître de nouveaux foyers — encore que tous les incendies ne se valent pas. Dans ce livre, le feu est avant tout une soirée préparée de longue date, dont les conséquences seront sévères pour celles et ceux qui y prennent part. La scène rappelle des images bien connues : une banderole salutaire tendue non loin des réacteurs d’une centrale nucléaire et l’arrestation de militant·es pour toute récompense. Lutte et répression : « compliqué de se sentir plus vivant que ça », conclut Laetitia, jeune femme que l’on suit. Mais la soirée n’est plus ; les premiers mots préviennent : « souvent encore j’en rêve ». Laetitia songe désormais à cette nuit depuis la cave familiale où elle se morfond, piétinée intérieurement par la catastrophe écologique en cours et le peu d’écho que son engagement trouve autour d’elle. Son collectif a changé de nom : le voilà « association de malfaiteurs », association qu’on a cru bon, dès lors, de défaire. Laetitia ne voit personne d’autre que de rares skieurs égarés sous le dôme où elle travaille. Mais ça ne l’empêche pas de se souvenir. Alors avec elle on se remémore : il y a « la répétition infinie des mêmes mouvements qui constituent / une fête ». Et il y a l’amour que l’on fait ou qui manque, il y a la vie bruyante d’un groupe auquel on appartient, groupe issu d’une « génération Tchernobyl » qui craint les nuages radioactifs autant que le salariat. À la centrale des premières pages répond un site d’enfouissement prévu sur la commune de Boudin, nom boucher qui dissimule à peine celui de Bure. Le lieu a été choisi à dessein pour enterrer ces déchets qu’on ne sait comment traiter : « C’est bien la Meuse tous acquiesceront / du vrai Grand Est porn / comme on l’aime ». Laetitia est terne, oui, car rien ne peut lui faire dévier le regard de ce qui se délite sous ses yeux. « [A]rythmique absolument », elle se sent à contre-temps. Alors, pour trouver une pulsation elle frappe, et des vitres de SUV explosent dans les rues d’une ville moyenne. Puis, quand frapper ne suffit plus, le feu prend la relève. [E.M.]
Verdier, 2022
☰ La Terreur féministe, de Irene
« Le fascisme ne négocie pas ses règles. Le patriarcat n’organise pas de sit-in. Le capitalisme ne crée pas de pétition sur change.org. » La diplomatie n’est pas à l’ordre du jour pour ces trois systèmes. Fascisme, capitalisme et patriarcat usent d’un même levier — parmi d’autres — pour imposer leur volonté : la violence, qu’elle soit sociale, psychologique ou verbale. En une série de portraits de femmes, Irene illustre cet accaparement et retourne un fait devenu mot d’ordre dans le féminisme contemporain : « Le féminisme n’a jamais tué personne. Le machisme tue tous les jours. » Si opposer mépris et dédain à l’oppression est admirable, cela n’empêche pas les féminicides d’être perpétrés, les coups d’être portés. Aussi l’autrice propose-t-elle, dans la lignée des travaux d’Elsa Dorlin, de requalifier la violence à l’aune des luttes féministes d’aujourd’hui. Le féminisme, en tant que « mouvement politique révolutionnaire », n’est en effet pas épargné par les débats internes sur l’usage de la violence à des fins politiques. Seulement, remarque Irene, un élément supplémentaire est souvent oublié : la riposte, aussi désorganisée soit-elle, est déjà là et certaines femmes ont fait montre, à leur tour, d’une violence subversive et défensive. D’actes de survie. Pour soutenir ses propos, l’autrice a cherché au sein même des mouvements dits d’émancipation les organisations ou les figures auxquelles se raccrocher. Ainsi, plutôt parler du groupe autonome Rote Zora, de ses bombes sans décès, de ses attaques ciblées, que de la mieux connue Rote Armee Fraktion (RAF), en activité au même moment ; plutôt rappeler l’action des suffragettes britanniques groupée autour de la Women’s Social and Political Union (WSPU), que celle de leurs homologues suffragistes, plus modérées. Selon l’autrice, « exiger des femmes qu’elles mènent une lutte féministe pacifiste est plus qu’indécent ». Bréviaire ou manifeste, pansement ou bien pense-bête, La Terreur féministe est l’occasion de rappeler que la riposte est légitime — et nombreuses sont celles qui l’ont d’ores et déjà expérimentée. [R.B.]
Divergences, 2021
☰ Brasero — Revue de contre-histoire, dirigée par Cédric Biagini et Patrick Marcolini
Voilà paru le premier numéro, graphiquement flamboyant, de la revue de contre-histoire des éditions L’échappée. Le préambule nous avertit : on entre ici dans une exploration des marges, contestations et autres événements obscurs. Mais, attention : celle-ci sera conduite en historien·ne, c’est-à-dire dans la rigueur des faits et l’amour du récit. On passera sur la charge polémique envoyée par Brasero dès son ouverture ; l’essentiel vient après, dans la succession d’articles regroupés dans différents « cahiers », augmentés d’un entretien avec l’écrivaine Annie Le Brun et composés d’articles traitant, avec une pareille rigueur, de faits ou personnages plus ou moins méconnus. On restitue ainsi les usages de cette expression bien en vogue aujourd’hui, selon laquelle « on n’arrête pas le progrès » ; on revient sur l’événement de la Commune de Kronstadt de 1921 ; sur la révolte des esclaves noirs Zandj au IXe siècle ; ou encore sur l’expérience communautaire de Monte Verità au début du XXe siècle. On documente également les bizarreries ou pratiques de la vie parisienne de cette époque, avec ses « piqueurs » et sa cocaïne montmartroise. Sans oublier d’explorer les liens qui ont pu unir mystique et révolution, trotskysme et extraterrestres ou bien socialisme et typographie. Au fil des pages richement illustrées, on croise des noms plus ou moins familiers, comme ceux d’Anna Mahé, de Léon Tolstoï ou de Gribouille, mais on découvre surtout combien le passé « est un réservoir de possibles », poétiques, musicaux, étonnants, loufoques, inspirants ou tragiques, mais jamais épuisés. Assez vite, on saisit la force et la portée d’une revue qui vient « tisonner les braises de l’histoire pour faire jaillir les étincelles de l’utopie », et on ne peut qu’attendre avec hâte le prochain numéro — dans un an. [L.M.]
L’échappée, 2021
Photographie de bannière : Tony Ray-Jones
- L’auteur explique en début d’ouvrage son choix pour cette expression. D’origine médicale, le terme transsexuel désigne les personnes ayant modifié leur corps (opération, prise d’hormones). Le terme transgenre est apparu dans le champ militant pour désigner les personnes dont l’identité de genre ne correspondait pas à celui assigné à la naissance, sans modification anatomique — puis il s’est ensuite élargi. Les débats sur la terminologie n’étant pas clos, l’auteur opte donc pour « trans’ ».[↩]
REBONDS
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