Une barque sur la Loire, la voie écosocialiste, la langue des écrivains, des robots et des lois, la démocratie comme dissolution, un vol d’oiseaux, un paysage statistique, une monnaie hélicoptère, les carnets d’une Italienne et les armes non létales : nos chroniques du mois de juin.
☰ Intervalles de Loire, de Michel Jullien
Une barque et ses trois bancs pour y poser les fesses abrite, le temps du récit, trois compères presque cinquantenaires ; ils ont en ligne de mire non moins que la fin d’un fleuve : Saint-Nazaire, là où vient se noyer la Loire et qu’il faudra rallier à la rame sur près de 850 kilomètres. Tenu par une promesse avinée, le trio s’élancera dans la descente du fleuve. Il faut d’abord dégoter la barque, discuter préparatifs et anticiper les contraintes. Rapidement, et dans la conscience que « descendre le fleuve n’est pas prouesse, de nos jours, en barque », Nénette — la barque — est parée et les amis s’engagent sur les eaux ligériennes. Le récit est structuré par une sorte de lexique sans alphabet : l’entrée constituée par un ou plusieurs mots, ici « Herbacée », ici « Renifler », ici « Objets trouvés », n’est jamais positionnée comme l’amont ou l’aval d’une autre, dans la hiérarchie propre aux ordres alphabétiques. Au contraire, les segments successifs de texte se jouent les uns des autres, jouant de redondances, de retours en arrière, de longs arrêts sur images ou d’itérations perceptives (le rameur tout du long avance à reculons). D’un bout à l’autre du récit, pas vraiment d’événement qui fasse surface. Toute la place est laissée au développement d’impressions sensibles, d’observations attentives des eaux, des pêcheurs qui les balisent, des centrales nucléaires qu’on croise, du froufroutement du fond de cale, des ponts qui ponctuent l’avancée, du Leclerc où il faut aller faire des courses, de la durée qui s’échappe. Le texte dit aussi pleinement la bizarrerie du rapport à trois sur la barque : on est dessus en rotation permanente. Banc A, banc B, banc C. Tantôt de face, tantôt de dos, les bras à l’effort ou au repos, l’écriture évacue les dialogues et l’épanchement subjectif, pour révéler le ténu niché dans l’évidence des distances parcourues. Au final, dans l’art de la barque comme dans l’art du récit chez Michel Jullien, « le sens de lecture de cette virée nautique oblige au contre-pied ». [L.M.]
Verdier, 2020
☰ Trop tard pour être pessimistes !, de Daniel Tanuro
Daniel Tanuro, auteur de L’Impossible capitalisme vert, prévient d’emblée : le dérèglement climatique est intimement lié aux inégalités et les approfondit. « Nous sommes toustes sur le même océan, oui, mais pas sur le même bateau. » Dans ce dernier ouvrage, l’ancien ingénieur agronome rappelle l’état des connaissances scientifiques et les rapports produits par les différentes instances internationales comme le GIEC, l’IPBES ou l’IGPB. Si ces travaux sont absolument nécessaires, ils ne sont pas exempts de biais politiques et sociaux. En effet, dans trois scénarios sur quatre du GIEC, pour rester en dessous du +1,5 °C de réchauffement, des technologies à émissions négatives sont envisagées ! Or il est nécessaire de prendre en compte — et de changer — le « contexte social, politique et idéologique », car « il faut rompre avec l’accumulation du capital, produire moins, transporter moins, partager plus ». Tanuro (ré)affirme ainsi les impasses du capitalisme vert comme celle du keynésianisme, foncièrement productivistes. Et de pointer ce qu’il appelle « la faute de l’écologie politique », à savoir la question à laquelle elle a longtemps évité de répondre : « Qu’est-ce qui s’accumule quand le capital s’accumule ? » L’auteur prend soin de se positionner par rapport à différents courants écologiques, dont celui de la collapsologie, très en vogue ; si la catastrophe est bien possible, elle n’a rien de certaine. Pour Tanuro, c’est l’écosocialisme, la jonction entre le socialisme et l’écologie, accompagné d’une planification démocratique, qui constitue la voie de sortie la plus juste et la plus viable pour les humains comme les non humains. Si le lecteur averti apprécierait que certains points du débat soient davantage approfondis (notamment sur les théories et les stratégies écologico-politiques), le livre n’en demeure pas moins une synthèse réussie, et on le referme avec une certitude : « Il faut se battre. » [M.B.]
Textuel, 2020
☰ Il faut un frère cruel au langage, de David Bosc
Jeu dangereux, pour un auteur ou une autrice, que de s’exprimer sur la création littéraire, création reprise au quotidien mais qu’on peine à décrire aisément. Au risque de la chute, s’ajoutent d’illustres précédents — des lettres de Rimbaud au Journal de Kafka, des Variétés de Valéry aux essais d’Octavio Paz. C’est ainsi sous la férule de pairs éblouissants, souvent, par leur style, que David Bosc répond de l’inspiration poétique. La liste est longue pour un propos si bref : Breton, Quignard, Michon, Büchner, Simon et tant d’autres ! Dans cette nébuleuse renversante, l’auteur n’oublie pas d’inventer, et d’inviter à l’invention. Comme ses récits (La Claire fontaine, Mourir et puis sauter sur son cheval, Relever les déluges), ce texte est court, précis, souligné d’une franche ironie devant les marques du pouvoir. Pour Bosc, le langage est donné à chacun pétri de sources hétérogènes, toutes voilées par un usage dominant. L’auteur annonce : « C’est ainsi l’ordre du discours que l’on tâche de défaire ». Et de poursuivre, plus intime : « Provoquer le désarroi du langage, c’est à la fois renoncer à l’intention et se détourner de l’idée que l’écriture aurait essentiellement à voir avec l’expression de soi. » Il s’agit donc de désarçonner la langue, et, avec, celui ou celle la maniant, afin de laisser surgir ce qui porte à écrire, soit « un motif, c’est-à-dire à la fois une image et une poussée ». L’écriture se donne tour à tour comme « émeute, émotion », « jaillissement », « lutte » et « ravissement ». Une inspiration au travail. Surtout, Bosc insiste sur cette nécessité que l’écrivain doit ménager : une partie de la création est étrangère à son auteur, l’image évoquée n’est que partiellement intentionnelle ; c’est « un ailleurs qui est à la fois pays et peuple et temps ». Un monde depuis lequel écrire pour écrire à nouveaux frais ce monde-ci que l’on habite. Reprenant le poète russe Mandelstam, l’écrivain signe cette âpre opposition : « Je crois qu’il faut un frère cruel au langage, qui lui mène la vie dure, et presque la vie impossible. » [R.B.]
Héros-Limite, 2020
☰ Le Cycle des robots, d’Isaac Asimov
C’est au début des années 1950 que l’écrivain russo-étasunien Isaac Asimov commence à écrire le Cycle des robots, constitué d’un ensemble de nouvelles et de romans. Le cadre narratif est relativement « proche » : il débute au tournant du XXIe siècle — une cinquantaine d’années après son écriture —, bien avant le célèbre cycle Fondation qui se déploie une vingtaine de milliers d’années plus tard. Avec le Cycle des robots, Asimov pose un jalon de la science-fiction et décortique un sujet désormais classique du genre : les relations entre robots et humains. Ce sont ainsi trois lois fondamentales qui régissent le fonctionnement des humanoïdes de métal : « Un robot ne peut pas porter atteinte à un être humain, ni permettre par son inaction que du mal soit fait à un être humain » ; « Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la Première Loi » ; « Un robot doit protéger son existence, tant que cette protection n’entre pas en contradiction avec la Première et/ou la Deuxième Loi ». À partir de ces règles — d’apparences simples —, Asimov imagine non sans habilité un ensemble de situations où ces lois entrent en tension, se contredisent ou contreviennent à la volonté initiale des humains. Si la thématique du retournement des machines contre leurs créateurs n’a cessé d’être un terrain fertile pour les écrivains (et cinéastes) de science-fiction, ce n’est pas exactement la voie, plus subtile, empruntée par l’auteur. Dans une langue dépouillée, Asimov explore la complexité des relations entre humains et robots dotés d’une intelligence certaine et se plaît à tourner et retourner les questions complexes que ces interactions soulèvent. On lit ou relit le Cycle des robots ainsi qu’elle s’avance désormais : une œuvre incontournable. [M.B.]
J’ai lu, 2009
☰ Introduction à Claude Lefort, de Nicolas Poirier
Penseur de la conflictualité, de la division originaire du social et de l’indétermination du champ politique, Claude Lefort a légué une œuvre qui se laisse difficilement synthétiser en concept-clés, et ce en raison de la tâche qu’il s’est donnée comme philosophe : non pas projeter sur l’Histoire une théorie fermée, qui livrerait des réponses définitives aux questions de notre temps, mais décrire ce qui fait la vie même de la société, à savoir le rapport des humains au pouvoir et leur désir insatiable de liberté. Pour nous introduire à cette pensée, Nicolas Poirier a choisi de procéder chronologiquement, exposant chemin faisant l’importante filiation avec Merleau-Ponty, ainsi que les principaux points de divergence avec Castoriadis, dont l’idée d’auto-institution explicite de la démocratie paraissait pour Lefort reproduire le fantasme d’une maîtrise de l’Histoire par ses acteurs. Or, selon l’auteur, s’il fallait retenir une idée de Lefort, c’est celle de la démocratie comme « dissolution des repères de la certitude », procès inépuisable et insituable au cœur d’une société où le pouvoir n’est occupé par personne, demeure un « lieu vide », vide qui précisément permet une non-adhérence de la société à elle-même, et donc une vie politique comme aventure du sens sans fin ni destination. Et la force de cette pensée réside dans son rejet tant de la critique conservatrice, qui fait de la démocratie le lieu de la dissolution de l’harmonie sociale où chacun ne défendrait que son intérêt propre, que de la vision d’une démocratie purement formelle, comme régime politique achevé et définitif. C’est précisément parce que le sujet, tout comme la société, sont clivés, originairement divisés, que le lien social est possible : autrement dit, l’indétermination radicale et le conflit sont ce qui fait « tenir » la société dans son ensemble. L’introduction à ces thèmes essentiels, telle qu’offerte par Nicolas Poirier, fournit à n’en pas douter d’importants repères au lecteur qui voudra s’aventurer dans l’œuvre de Lefort. [A.C.]
La Découverte, 2020
☰ Verte et les oiseaux, de Pınar Selek
Une nouvelle, terrible à tous, s’est répandue dans le ciel : « Les humains ont appris la langue des oiseaux. » Et ces derniers de se taire, tant ils croient leur liberté menacée. À raison, concède un Corbeau Boiteux, le narrateur de ce doux conte : « Les humains ont des armes […] plus puissantes que les griffes de l’aigle. » Pourtant l’affirmation est tronquée. Seules deux femmes piaillent, craquettent et jacassent. Il s’agit de Mamie Terre — « Parce qu’elle sentait la terre » — et de sa petite fille, que les oiseaux nomment Verte, pour la couleur de ses yeux. Les voir ensemble, « c’était comme la rencontre de la terre et de l’eau ». Les oiseaux s’en méfient d’abord, mais, bien vite, leur accordent toute confiance. C’est que les deux femmes n’usent de leur langue qu’afin de dire leur amour à ces êtres qu’elles admirent. Tout s’ombrage cependant lorsque Verte est vendue par son père pour servir dans une riche famille. Mamie Terre s’effondre : elle ne chante plus. Les oiseaux, eux, n’entendent pas laisser disparaître leur plus sincère amie. Une nuée d’ailes s’assemble pour délivrer Verte de la servitude qu’elle ne sait fuir. C’est dans les serres de l’Aigle Queue Pointue qu’elle prend son premier envol, loin de sa geôle. Elle touchera terre, de nouveau, en maints endroits, les yeux emplis de nuages, de larmes ou de joie, auprès des oiseaux, mais aussi d’humains qui comme elles ont été ou sont opprimés pour leur pauvreté. Traduit du turc pour les éditions des Lisières, Verte et les oiseaux est de ces contes que l’on aurait aimé entendre enfant. Les femmes y sont omniprésentes et affirmées, les animaux défaits de toute naïveté. Pınar Selek, sociologue turque vivant en exil depuis près de 10 ans en France, se distingue ici par un franc onirisme que soulignent de poétiques linogravures. Une histoire qui traverse celui ou celle qui la lit, comme un vol de martinets ouvre le ciel du début d’été. [R.B.]
Éditions des Lisières, 2017
☰ L’Archipel français — Naissance d’une nation multiple et divisée, de Jérôme Fourquet
Comment analyser la société française du XXIe siècle ? Par les grandes transformations qu’elle a connues depuis les années 1960, répond Jérôme Fourquet, spécialiste des sondages d’opinion à l’IFOP. La richesse des statistiques, des cartes et des études d’opinion pose des chiffres sur un ensemble de processus : la déchristianisation (les messalisants ne représentent plus que 6 % des Français, contre 35 % en 1961), la libéralisation des mœurs (les trois-quarts des Français soutiennent l’IVG alors que la majorité n’était pas acquise lors de son adoption en 1975), la sécession des élites par la financiarisation et la mondialisation de l’économie (le nombre de Français immatriculés au Luxembourg a été multiplié par 3,5 depuis 1985), la diversification de la population par l’immigration (18 % des nouveaux-nés de sexe masculin portent un prénom arabo-musulman) — sans parler de la percée de l’antispécisme dans la jeunesse, de la nouvelle stratification éducative, de l’individualisation des pratiques culturelles ou du discrédit des médias traditionnels. Ces transformations ont eu des effets politiques : déclin du Parti communiste français, implantation du Front national, effondrement récent des partis traditionnels, nouveau clivage politique peuple contre élites, forte volatilité électorale. Fourquet en tire un constat : l’archipellisation de la société française, des « îles s’ignorant les unes des autres » ; pour en tirer un enjeu politique : il ne se dégage plus de bloc social majoritaire stable. Un livre utile pour rappeler des grandes tendances à l’œuvre : à lire ne serait-ce que pour les intéressantes analyses anthroponomiques et la géographie sociale et électorale d’Aulnay-sous-Bois, de l’ancien Midi rouge ou du Calvados. [A.G.]
Seuil, 2019
☰ Tout sur l’économie (ou presque), de Gilles Mitteau
Jusqu’en 2015, Gilles Mitteau était sale (vendeur) sur le desk d’un produit financier en salle de marché d’une grande banque d’investissement à Wall Street. Vous n’avez rien compris ? Ce constat d’un « monde obscur de la finance » l’incite à fonder sa chaîne Youtube, Heu?reka, de vulgarisation en finance et en économie. Un franc succès — cinq ans plus tard, il compte une centaine de vidéos et 200 000 abonnés — doublé d’un déplacement intellectuel réjouissant : s’il se limitait, à ses débuts, à défricher le jargon de la finance et revendiquait une neutralité politique, il assume désormais de s’inscrire dans un courant hétérodoxe (les post-keynésiens), met à nu les hypothèses irréalistes de l’économie dominante, s’inspire des travaux de Bernard Friot pour déconstruire le projet de réforme des retraites du gouvernement et défend les solutions monétaires les plus radicales (comme l’idée de « monnaie hélicoptère » : un virement de monnaie, par la Banque centrale européenne, directement sur le compte bancaire des citoyens européens). Comme il est désormais de coutume pour les youtubeurs, il s’est essayé au format papier. Ce livre s’adresse au grand public qui cherche une porte d’entrée pour comprendre les mécanismes économiques et financiers. Il se divise en quatre chapitres où se mêlent théories, schémas, humour et exemples d’actualité : la monnaie, la croissance, les crises et les marchés financiers. Une bonne synthèse à la frontière du manuel, de l’essai et de l’infographie ; les plus aguerris trouveront également leur compte lorsque les affaires se corsent en théories monétaires ou dans le fonctionnement technique de certains marchés financiers. « Pour ne plus se faire enfumer […], il faut tous devenirs économistes », pose-t-il en introduction : pari réussi. [A.G.]
Payot & Rivages, 2020
☰ Carnets, de Goliarda Sapienza
Si l’on connaît aujourd’hui Goliarda Sapienza pour son grand roman L’Art de la joie, le travail éditorial mené en France par les éditions du Tripode nous permet de découvrir ici une autre dimension de sa prose souple, agile et aérée. Se gardant de toute rigidité stylistique ou idéologique, Sapienza a tenu durant près de 20 ans le journal de sa vie, de l’année 1976 à l’aube de sa mort en 1996. Ce journal répond d’une double exigence, vitale : écrire, se souvenir. On entre ainsi dans un univers intime, quotidien, tissé de près à l’Italie de la fin du XXe siècle, où le Parti communiste italien s’essouffle et où disparaissent peu à peu les dernières figures d’un « certain antifascisme athée » qui caractérisa entre autres la famille de l’auteure (et que vient raviver le souvenir de sa mère, l’éternelle militante anarcho-socialiste et antifasciste, Maria Giudice !). Dans un va-et-vient constant entre Rome et la petite ville de Gaeta — les deux demeures de Sapienza —, on côtoie une ribambelle de noms, de visages. Voilà ici Francesco Maselli, l’ex-compagnon de l’auteure (avec qui les désaccords théoriques furent souvent violents), ici son frère Carlo, ici encore la comédienne Nastassja Kinski avec qui elle travaille à un film, ici son amie Isa, là son ami Gigi, ici encore, régulièrement, son dernier compagnon de vie et d’écriture Angelo Pellegrino. Ce sont des dizaines de voix qui passent et repassent dans sa vie, imprégnant l’écriture comme autant d’influx nerveux qui donnent au texte sa vivacité. Des voix, des noms et aussi des espaces : les ruelles romaines battues de pluie, les étendues russes et chinoises parcourues en transsibérien en 1978, la prison de Rebibbia en 1980, les longues plages désolées du deuil qui envasent la pensée, les bains de lumière propres à certains matins, les plateaux harassants de cinéma… Tout un monde, beau et douloureux (« douleur de grandir et de devenir autre »), dans lequel Sapienza a vécu et que l’on touche ici du doigt. [L.M.]
Le Tripode, 2019
☰ Gazer, mutiler, soumettre — Politique de l’arme non létale, de Paul Rocher
À l’heure où les manifestations de soutien à la famille d’Adama Traoré et en hommage à George Floyd se multiplient, et que, plus largement, les pratiques policières se voient de plus en plus contestées, ce livre arrive à point nommé. Paul Rocher y propose une réflexion sur les armes non létales : LBD 40, gaz lacrymogène, grenade de désencerclement, Flash-Ball, Taser. Mises en lumière lors du mouvement des gilets jaunes, elles enrichissent le lourd arsenal des policiers depuis les années 1990, au grand bonheur des fabricants d’armes, et cela en dépit du fait que leur non-létalité n’ait jamais été démontrée. L’auteur ne dresse pas uniquement un état des lieux des violences policières mais cherche également à dégager les mécanismes qui enserrent le recours massif à ces armes. Le développement de celles-ci s’inscrit non seulement dans un changement de philosophie des forces de l’ordre, qui de plus en plus armées ont le tir facile, mais aussi dans un projet politique qui « reflète l’ambition de la classe dominante d’assurer son hégémonie à un moment particulièrement décisif ». C’est que plus la mise en place du néo-libéralisme devient prégnante, plus les soutiens suffisants se font rares et les résistances visibles — d’où le recours croissant à la force. En réponse à la brutalité policière, l’« autodéfense populaire » (port de matériels de protection, street medics) s’organise, se transmet de manifestations en manifestations et est adoptée par des publics qui en étaient peu habitués. Rocher offre ici, fort d’une démarche scientifique rigoureuse, une réflexion critique et politique puissante sur ces armes — alors que les statistiques demeurent particulièrement opaques. [M.T.]
La Fabrique, 2020
Photographie de bannière : Joop van Bilsen, 9 novembre 1948
Nous sommes un collectif entièrement militant et bénévole, qui refuse la publicité. Vous pouvez nous soutenir (frais, matériel, reportages, etc.) par un don ponctuel ou régulier.