Pierre Madelin : « Il existe des possibilités réelles de désertion »


Entretien inédit pour le site de Ballast

Son pre­mier livre retra­çait son expé­rience d’aide-ber­ger dans les Alpes et d’ob­ser­va­teur dans le Chiapas mexi­cain, quar­tier géné­ral de la rébel­lion zapa­tiste. Son deuxième ima­gi­nait l’a­près-capi­ta­lisme, par la voie décrois­sante et liber­taire. Son der­nier, paru cette année aux édi­tions Écosociété, pro­pose une cri­tique des cou­rants et des sen­si­bi­li­tés « pri­mi­ti­vistes » et hos­tiles à l’i­dée de « civi­li­sa­tion » — que l’on retrouve au sein de franges éco­lo­gistes, anar­chistes et fémi­nistes. Pierre Madelin, phi­lo­sophe et tra­duc­teur, entre autres livres, de Zoopolis, s’at­tache donc à démê­ler ce qui relève à ses yeux des poten­tia­li­tés éman­ci­pa­trices et des mys­ti­fi­ca­tions dom­ma­geables. Car, assure-t-il, si les socié­tés pré-agri­coles des chas­seurs-cueilleurs ne connais­saient pas l’État ni le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste, donc les méfaits que nous leur savons asso­ciés, elles n’ont pas été les socié­tés de l’har­mo­nie, de la pari­té, de l’é­ga­li­té et de la non-vio­lence que l’on dit par­fois. Nous en discutons.


Vous pro­po­sez dans Faut-il en finir avec la civi­li­sa­tion ? une approche cri­tique du pri­mi­ti­visme. Est-ce après avoir été séduit par ce dernier ?

D’une cer­taine façon, oui. Quand j’ai lu Paul Shepard, l’un des prin­ci­paux théo­ri­ciens du pri­mi­ti­visme, je me suis dit que la vie et l’organisation sociale des chas­seurs-cueilleurs avaient du bon. Il y avait éga­le­ment des clas­siques comme Âge de pierre, âge d’a­bon­dance, de l’an­thro­po­logue Marshall Sahlins, qui sem­blaient cor­ro­bo­rer cette vision quelque peu idyl­lique. Sans avoir jamais été pri­mi­ti­viste au sens strict, puisque je n’ai jamais cru qu’il soit pos­sible de reve­nir à ce type de sub­sis­tance, je me suis dit que c’é­tait peut-être avec la domes­ti­ca­tion que les choses avaient mal tour­né. Je trou­vais ça sédui­sant, sans vrai­ment connaître l’im­mense masse des tra­vaux sur les chas­seurs-cueilleurs — en anthro­po­lo­gie notam­ment. La curio­si­té sus­ci­tée par la lec­ture de Shepard m’a pous­sé à appro­fon­dir ; je suis alors tom­bé sur les livres de l’anthropologue Alain Testart, qui a consa­cré une grande par­tie de ses recherches à ces socié­tés. Quand j’ai décou­vert cet auteur éblouis­sant d’in­tel­li­gence et d’é­ru­di­tion, pro­po­sant une vision bien plus dure et bien moins idéo­lo­gique des chas­seurs-cueilleurs, j’ai com­men­cé à remettre en cause les idées des pen­seurs pri­mi­ti­vistes. Alors que ces der­niers dépeignent les socié­tés du paléo­li­thique telles qu’ils vou­draient qu’elles soient, la démarche d’un auteur comme Testart est infi­ni­ment plus hon­nête intel­lec­tuel­le­ment : elle nous invite à tirer des conclu­sions bien plus nuan­cées sur la réa­li­té des rap­ports sociaux chez les chasseurs-cueilleurs.

Le but des anthro­po­logues, des poli­tistes et des phi­lo­sophes que vous citez au début de votre livre — Shepard, Sahlins, James C. Scott — serait-il de vali­der par le pas­sé des théo­ries poli­tiques actuelles ?

« Ce n’est pas un hasard si ces théo­ries pri­mi­ti­vistes s’af­firment véri­ta­ble­ment dans les années 1960–1970, au moment où l’on com­mence à assis­ter à un reflux his­to­rique des pers­pec­tives émancipatrices. »

Il fau­drait voir au cas par cas. Ce qui est en revanche cer­tain, c’est qu’il existe aujourd’hui encore des débats pas­sion­nés au sein des milieux scien­ti­fiques sur la nature réelle des rap­ports sociaux au paléo­li­thique et dans les groupes de chas­seurs-cueilleurs en géné­ral. Pour ne prendre que l’exemple de la guerre, cer­tains cher­cheurs (les « colombes ») pensent que ces groupes n’é­taient pas bel­li­queux alors que d’autres (les « fau­cons ») pensent qu’ils l’é­taient. Ces incer­ti­tudes sont autant de brèches dans les­quelles des auteurs comme Shepard, ou des groupes mili­tants pri­mi­ti­vistes ou anti-civi­li­sa­tion, peuvent s’engouffrer pour étayer leurs posi­tions sans grande rigueur intel­lec­tuelle. Comment inter­pré­ter cette volon­té de mythi­fi­ca­tion ? Peut-être parce qu’à gauche, on a ten­dance à pen­ser que si une chose a tou­jours exis­té, ou tout au moins si elle est déjà attes­tée dans un pas­sé très loin­tain, elle ne pour­ra pas être abo­lie. Il devient alors vital de trou­ver chez nos ancêtres des exemples de socié­tés non vio­lentes, non hié­rar­chiques, non patriar­cales, comme pour se prou­ver à soi-même que ces rap­ports de domi­na­tion sont des construc­tions cultu­relles plus ou moins récentes — qui peuvent dès lors être déconstruites.

Je conclus ce livre avec une hypo­thèse : il me semble que ce n’est pas un hasard si ces théo­ries pri­mi­ti­vistes s’af­firment véri­ta­ble­ment dans les années 1960–1970 (Shepard, Sahlins, etc.), au moment où l’on com­mence à assis­ter à un reflux his­to­rique des pers­pec­tives éman­ci­pa­trices. Les régimes socia­listes et com­mu­nistes ont prou­vé leur défaillance, ont engen­dré des crimes de masse, des dés­illu­sions. On a l’im­pres­sion que l’im­mense espé­rance d’une socié­té libre et éman­ci­pée, venue du XIXe siècle, s’ef­fondre. À par­tir de là, il y a une sorte de rétro­pro­jec­tion de toutes les valeurs (abon­dance, temps libre, non-vio­lence, liber­té, éga­li­té, démo­cra­tie directe, etc.) de la moder­ni­té socia­liste, liber­taire et auto­nome vers le pas­sé. Comme si, leur réa­li­sa­tion dans un futur proche deve­nant impro­bable, on les ren­voyait dans un pas­sé loin­tain qui est, en quelque sorte, le reflet de leur inac­ces­si­bi­li­té dans le pré­sent. C’est ce que sug­gère le socio­logue Zygmunt Bauman quand il parle de « rétro­to­pies » : les uto­pies cessent de se pro­je­ter dans le futur, mais deviennent des exal­ta­tions rétro­to­piques de cer­tains moments du passé.

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Quels seraient, alors, les poten­tiels futurs de théo­ries telles que celles du primitivisme ?

Les pri­mi­ti­vistes comme Shepard recon­naissent qu’on ne pour­ra pas recréer une socié­té de chas­seurs-cueilleurs, (d’autres le pensent, mar­gi­na­le­ment, comme l’a­nar­cho-pri­mi­ti­viste John Zerzan). Certains disent qu’en cas d’ef­fon­dre­ment mas­sif de la socié­té indus­trielle, sui­vi d’un effon­dre­ment démo­gra­phique, il y a une pos­si­bi­li­té qu’on en vienne à vivre comme des chas­seurs-cueilleurs. Mais même ce scé­na­rio ne va pas sans poser pro­blème. Outre le fait qu’un tel effon­dre­ment entraî­ne­rait des souf­frances inouïes — épi­dé­mies, famines, crimes de masse — que l’on peut dif­fi­ci­le­ment pré­sen­ter comme dési­rables, il coïn­ci­de­rait sans doute avec une dété­rio­ra­tion consi­dé­rable des condi­tions de la vie sur Terre. Par consé­quent, les sur­vi­vants du nau­frage annon­cé de la civi­li­sa­tion indus­trielle devraient s’adapter à une pla­nète consi­dé­ra­ble­ment appau­vrie dans sa diver­si­té bio­lo­gique, à un cli­mat pro­ba­ble­ment sur­chauf­fé et à des sols, des rivières et des océans gra­ve­ment pol­lués. Même en nombre réduit, la sub­sis­tance n’y serait sans doute pas une par­tie de plai­sir. Enfin, il est peu pro­bable que ces sur­vi­vants, héri­tiers de socié­tés pro­fon­dé­ment stra­ti­fiées — tra­ver­sées par des inéga­li­tés de classe, de genre, de « race » — redé­couvrent ou découvrent du jour au len­de­main les ver­tus d’un éga­li­ta­risme radical…

Vous dites, comme pour votre pré­cé­dent ouvrage Après le capi­ta­lisme, faire là un essai d’é­co­lo­gie poli­tique. La ques­tion de l’é­co­lo­gie ne se posait pas comme telle dans les socié­tés de chas­seurs-cueilleurs : quelle est la per­ti­nence de cette catégorie ?

« Ce serait ana­chro­nique de dire que les chas­seurs-cueilleurs étaient éco­lo­gistes — c’est une ques­tion vrai­ment moderne qui émane de la des­truc­tion de la nature. »

Ce serait ana­chro­nique de dire que les chas­seurs-cueilleurs étaient éco­lo­gistes — c’est une ques­tion vrai­ment moderne qui émane de la des­truc­tion de la nature et de la réflexi­vi­té qui va avec, au XIXe siècle. Je ne pense pas qu’il y ait chez les chas­seurs-cueilleurs une volon­té consciente de trai­ter la nature ou les non-humains comme un ensemble d’entités à res­pec­ter, mais il y a de fac­to un soin appor­té au milieu, notam­ment par une bonne ges­tion des res­sources (pour uti­li­ser un voca­bu­laire moderne) sur le plan cyné­gé­tique [rela­tif à la chasse, ndlr]… Et quoi de plus natu­rel, puisque ces socié­tés dépendent de leur milieu pour vivre, man­ger, se vêtir ? Elles ont donc inté­rêt à se pré­mu­nir de ponc­tions trop importantes.

Mais j’ai­me­rais qu’un anthro­po­logue se lance un jour dans un tra­vail de com­pa­ra­tisme, par exemple sur le trai­te­ment des ani­maux dans les socié­tés de chas­seurs-cueilleurs, ou plus lar­ge­ment dans les socié­tés que l’on appe­lait hier encore « pri­mi­tives ». À la suite des tra­vaux de Philippe Descola, on a l’im­pres­sion qu’à par­tir du moment où une socié­té attri­bue une inté­rio­ri­té à un non-humain, cette attri­bu­tion d’un sta­tut de per­sonne sur le plan onto­lo­gique induit for­cé­ment l’at­tri­bu­tion d’un sta­tut de per­sonne sur le plan moral ou éthique. Je ne crois pas que ça se passe comme ça. La plu­part des socié­tés qui avaient des esclaves ne les consi­dé­raient pas comme des choses d’un point de vue onto­lo­gique et ne niaient pas qu’ils soient dotés d’une inté­rio­ri­té. Pourtant, il y avait bel et bien un rap­port de domi­na­tion et d’ins­tru­men­ta­li­sa­tion. J’ai lu que chez les Iroquois, le terme pour « chien » et « esclave » était le même. On peut s’in­ter­ro­ger : por­taient-ils vrai­ment en estime ces ani­maux, s’ils uti­li­saient pour les dési­gner le même terme que pour les êtres pla­cés en bas de la hié­rar­chie sociale ? Il fau­drait faire le tra­vail de lire toutes les anciennes eth­no­gra­phies et com­prendre com­ment étaient trai­tés réel­le­ment les ani­maux, et non seule­ment com­ment ils étaient appré­hen­dés à un niveau ontologique.

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Mais, pour en reve­nir au pri­mi­ti­visme, si je m’y suis inté­res­sé, en dépit des désac­cords majeurs qui m’y opposent, c’est notam­ment parce qu’il sou­lève deux ques­tions très intéressantes.

Lesquelles ?

D’une part, celle des ori­gines de la crise éco­lo­gique. C’est une démarche généa­lo­gique impor­tante dans toute pen­sée cri­tique : s’in­té­res­ser aux causes, aux ori­gines, aux points de rup­ture. Le pri­mi­ti­visme apporte la réponse de la domes­ti­ca­tion, qui me semble erro­née, mais qui inter­roge à un niveau de pro­fon­deur his­to­rique et archéo­lo­gique inédit. D’autre part, le pri­mi­ti­visme, à l’image de l’é­co­lo­gie sociale de Murray Bookchin, de l’éco­fé­mi­nisme ou de l’é­co­lo­gie déco­lo­niale, s’interroge sur l’imbrication entre la domi­na­tion du monde vivant et les hié­rar­chies internes à la socié­té (de classe, de genre, de « race »). Il me semble impor­tant que cette inter­ro­ga­tion sur les liens entre l’anthropocentrisme et les autres formes de domi­na­tion soit au cœur de l’écologie politique.

L’anthropologue Heide Goettner-Abendorth, dans sa somme Les Sociétés matriar­cales — Recherches sur les cultures autoch­tones à tra­vers le monde, remet en cause ce « pré­sup­po­sé anthro­po­lo­gique » que serait la vio­lence et le patriar­cat. Elle fait montre d’un inté­rêt métho­do­lo­gique pour le pri­mi­ti­visme, comme exer­cice de pen­sée, et remet dès lors en ques­tion l’o­ri­gine de ces formes de domination…

« Cette natu­ra­li­sa­tion du social sus­cite des craintes bien com­pré­hen­sibles puisque, his­to­ri­que­ment, les rap­ports de domi­na­tion ont sou­vent été légi­ti­més par leur naturalisation. »

Je n’ai pas lu l’ouvrage de Goettner-Abendroth. Mais j’ai des a prio­ri assez néga­tifs : après avoir lu de nom­breux docu­ments eth­no­gra­phiques, les tra­vaux de Testart ou encore la somme magis­trale de l’an­thro­po­logue et éco­no­miste mar­xiste Christophe Darmangeat sur les ori­gines de la domi­na­tion mas­cu­line — Le Communisme pri­mi­tif n’est plus ce qu’il était —, je n’ar­rive pas à com­prendre que l’on puisse encore défendre l’i­dée d’un matriar­cat ori­gi­nel. La domi­na­tion mas­cu­line n’a certes pas été par­tout égale, et il y a pu avoir des socié­tés plus éga­li­taires que d’autres dans ce domaine, mais il me semble qu’on déforme la réa­li­té en ten­tant à tout prix de démon­trer l’existence de socié­tés matriar­cales dans un loin­tain pas­sé. Qu’on lise par exemple Aux confins de la terre, le récit de Lucas Bridges sur sa vie par­mi les autoch­tones fué­giens, ou encore le témoi­gnage extra­or­di­naire d’Helena Valero, jeune femme cap­tu­rée par les Yanomami dans les années 1940, avec les­quels elle a ensuite vécu 20 ans. Dans ces socié­tés, et ce ne sont pas des cas excep­tion­nels, les femmes ne jouissent pas d’une posi­tion enviable : elles se font tabas­ser ou cas­ser les jambes par leurs maris ; elles sont au cœur des enjeux de pou­voir et de la vio­lence entre les groupes et les indi­vi­dus. En bref, elles sont bien sou­vent réduites au sta­tut typi­que­ment patriar­cal de « corps pour autrui », pour reprendre l’expression heu­reuse de la socio­logue Colette Guillaumin.

Mais repar­tons une nou­velle fois de notre inter­ro­ga­tion : pour­quoi cette ques­tion des ori­gines est-elle à ce point char­gée émo­tion­nel­le­ment et poli­ti­que­ment ? Parce que l’on se dit que si un phé­no­mène — le patriar­cat ou la vio­lence entre groupes — est là depuis tou­jours, ou en tout cas depuis fort long­temps, c’est qu’il est ancré dans une forme de nature, qu’il ne résulte donc pas exclu­si­ve­ment d’une construc­tion sociale et his­to­rique. Or cette natu­ra­li­sa­tion du social sus­cite des craintes bien com­pré­hen­sibles puisque, his­to­ri­que­ment, les rap­ports de domi­na­tion ont sou­vent été légi­ti­més par leur natu­ra­li­sa­tion. Dans cer­tains milieux éco­lo­gistes radi­caux, on se retrouve ain­si dans une situa­tion à la limite de la schi­zo­phré­nie épis­té­mo­lo­gique. D’un côté, on ne cesse de sou­li­gner qu’il faut aller au-delà du « Grand Partage » entre Nature et Culture, de ce dua­lisme consti­tu­tif, mais, d’un autre côté, on refuse toute natu­ra­li­sa­tion, même minime, pru­dente, fine, des rap­ports sociaux — sur­tout lorsqu’ils impliquent des formes de vio­lence ou de domi­na­tion. Et ce, donc, par crainte de voir res­sur­gir le spectre de leur légitimation.

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Le « Grand Partage » dua­liste chas­sé par la porte revient ain­si par la fenêtre, puisque l’on part du prin­cipe que l’on peut expli­quer l’organisation des socié­tés en pas­sant sous silence des mil­lions d’an­nées d’é­vo­lu­tion dans les socié­tés de pri­mates, d’hominoïdes, d’hominidés et enfin dans les dif­fé­rentes espèces du genre homo. Or com­ment peut-on rai­son­na­ble­ment affir­mer que les contraintes phy­lo­gé­né­tiques ou éco­lo­giques qui se sont exer­cées au cours de cette longue his­toire n’ont eu aucune influence sur l’émergence de cer­tains com­por­te­ments, qu’ils soient coopé­ra­tifs ou hié­rar­chiques ? Le plus dérou­tant dans tout ça, c’est sans doute que ces approches qui refusent d’in­vo­quer la moindre expli­ca­tion natu­ra­liste des phé­no­mènes sociaux reposent fina­le­ment sur une concep­tion déter­mi­niste de la nature et de l’évolution typique du « Grand Partage », entre Nature (sphère de la néces­si­té) et Culture (sphère de la liber­té). On se dit que si c’est là depuis tou­jours, on ne peut y échap­per : pour un mili­tant, c’est dépri­mant. Or ce n’est pas le cas. Ce n’est pas parce qu’un phé­no­mène est ancien et ancré dans une forme de natu­ra­li­té qu’il est impos­sible de s’en affran­chir. Si l’on adop­tait une vision plus souple, moins fixiste, moins déter­mi­niste de la nature, on ne serait pas confron­té à ce type d’aberrations intellectuelles.

On retombe sur ce que dit Shepard dans Retour aux sources du Pléistocène. Il évoque cette dif­fi­cul­té à pen­ser la pers­pec­tive évo­lu­tive pour les socié­tés humaines et l’é­cueil que repré­sente le déterminisme.

« Ce n’est pas parce qu’un phé­no­mène est ancien et ancré dans une forme de natu­ra­li­té qu’il est impos­sible de s’en affranchir. »

Shepard recon­naît l’an­crage évo­lu­tif des rap­ports sociaux, et sur ce point je suis d’accord avec lui, mais il tend à se foca­li­ser sur les aspects les plus posi­tifs de cet ancrage, ceux qui cor­res­pondent le mieux à sa concep­tion liber­taire et éga­li­ta­riste de la nature et de la socié­té, et à en mini­mi­ser sys­té­ma­ti­que­ment les moins agréables : la vio­lence, la hié­rar­chie, etc. S’il est évident que la coopé­ra­tion et la bien­veillance ren­voient à un héri­tage évo­lu­tif, comme le disait déjà Kropotkine, qui est très lu dans les milieux anar­chistes aujourd’hui, pour­quoi nier sys­té­ma­ti­que­ment l’ancrage évo­lu­tif des aspects moins relui­sants de l’es­pèce humaine ? Pourquoi refu­ser d’ad­mettre que la vio­lence et la hié­rar­chie puissent aus­si s’ins­crire dans une his­toire « naturelle » ?

Vous posez que les théo­ri­ciens du pri­mi­ti­visme féti­chisent la nature sau­vage, comme la rai­son capi­ta­liste la mar­chan­dise. Est-ce cet aspect qui vous a ame­né à dis­cu­ter, dans un second temps, la notion de wil­der­ness [« nature sau­vage »], ou bien y êtes-vous venu par ailleurs ?

Au niveau per­son­nel, ce serait plu­tôt l’in­verse. J’ai été très mar­qué par la tra­di­tion éco­lo­giste anglo-saxonne, et notam­ment par la ques­tion de la nature sau­vage, d’abord parce que j’étais moi-même un ama­teur de ce genre d’espaces. Puis j’ai décou­vert petit à petit les cri­tiques qui ont été adres­sées au culte de la nature sau­vage : le racisme envi­ron­ne­men­tal, le colo­nia­lisme vert, etc. C’est à tra­vers cet inté­rêt pour les ques­tions rela­tives à la wil­der­ness que j’ai décou­vert les écrits pri­mi­ti­vistes, et notam­ment ceux de Shepard, il y a une dizaine d’an­nées. Ceux-ci m’ont ensuite inci­té à m’intéresser aux recherches anthro­po­lo­giques por­tant sur les socié­tés de chas­seurs-cueilleurs, les ori­gines des inéga­li­tés, les hié­rar­chies sociales, etc. Si mon livre com­mence par abor­der les aspects anthro­po­lo­giques du pri­mi­ti­visme avant de se pen­cher sur la ques­tion de la nature sau­vage, dans mon iti­né­raire per­son­nel, c’est plu­tôt l’inverse qui a eu lieu.

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Dans les tra­vaux de Descola, la déva­lua­tion du terme « nature » est omni­pré­sente. Baptiste Morizot ne veut plus l’employer, tan­dis que la phi­lo­sophe Virginie Maris sou­haite, par pro­vo­ca­tion ou par convic­tion, le remettre en avant. Vous, qu’en faites-vous ?

Il y a effec­ti­ve­ment aujourd’hui des débats lexi­caux sur ce concept. Certains vou­draient s’en débar­ras­ser parce qu’ils l’as­so­cient au « Grand Partage », où la nature serait une sphère onto­lo­gique radi­ca­le­ment dis­tincte de la sphère humaine. Je ne sais pas si ces débats lexi­caux sont les plus impor­tants à avoir à l’heure actuelle. La nature est un terme poly­sé­mique, qui n’est pas intrin­sè­que­ment lié à des pers­pec­tives dua­listes ou réduc­tion­nistes. Je trouve que s’en pri­ver relève un peu de la coquet­te­rie intel­lec­tuelle. La plu­part des gens vont conti­nuer à aller se « pro­me­ner dans la nature », à « aimer la nature », sans mettre en branle une onto­lo­gie par­ti­cu­lière, ni des anta­go­nismes par­ti­cu­liers. L’usage naïf du terme va désor­mais plu­tôt dans le sens d’une recon­nais­sance des liens et des conti­nui­tés. Ce débat lexi­cal et concep­tuel pré­sente un inté­rêt phi­lo­so­phique. Mais il faut selon moi évi­ter de l’im­por­ter en éco­lo­gie poli­tique, déjà suf­fi­sam­ment cli­vée sur de nom­breux sujets. Pour ceux qui n’ont pas de for­ma­tion phi­lo­so­phique, ça brouille les pistes, ça res­semble à une que­relle sur le sexe des anges.

Vous posez la ques­tion de la conser­va­tion de ces milieux pré­ser­vés mais non vierges, et dites que « de même que l’i­dée de nature sau­vage n’est pas intrin­sè­que­ment dua­liste, les logiques de pro­tec­tion de cette nature sau­vage ne s’ins­crivent pas for­cé­ment dans des pra­tiques néo­co­lo­niales ». On a ten­dance à avan­cer le contraire. À quelles ini­tia­tives ou des pra­tiques de conser­va­tion pensez-vous ?

« Comment conser­ver sans pas­ser par l’État, la patri­mo­nia­li­sa­tion ou le mar­ke­ting ter­ri­to­rial, qui est l’une des fonc­tions des zones de protection ? »

Je n’ai pas trop d’i­dées là-des­sus. Il y aurait des exemples, notam­ment dans les pra­tiques de conser­va­tion bien réelles faites main dans la main avec des popu­la­tions indi­gènes, même si, dans de nom­breux pays, les pra­tiques de colo­nia­lisme vert conti­nuent de faire-valoir la mise en réserve et la mise en parc qui mar­gi­na­lise les popu­la­tions rurales ou indi­gènes. Il y a aus­si des popu­la­tions indi­gènes qui pra­tiquent de fac­to des formes de conser­va­tion auto­gé­rées, où il y a une volon­té claire, réflé­chie, consciente et expli­cite de pro­té­ger, de conser­ver la richesse bio­lo­gique et éco­lo­gique de leurs ter­ri­toires. Il y a plé­thore de tra­vaux en géo­gra­phie et en anthro­po­lo­gie sur ces sujets. Dans son der­nier livre, Raviver les braises du vivant, Baptiste Morizot donne l’exemple des « réserves de vie sau­vage » telles que sont en train de les conce­voir l’Association pour la pro­tec­tion des ani­maux sau­vages (ASPAS), notam­ment dans le Vercors, et qui sont assez inté­res­santes en matière d’une conser­va­tion allant dans ce sens — même si un détrac­teur disait récem­ment dans un repor­tage du Monde que l’ASPAS fai­sait dans la Drôme ce que les colo­ni­sa­teurs avaient fait en Australie. Je ne suis pas sur place, mais ça me paraît exa­gé­ré. Ce qui est cer­tain, c’est que d’un point de vue théo­rique, la pro­po­si­tion de Morizot est très riche : il essaie d’al­ler au-delà de la dicho­to­mie conservation/exploitation, ter­ri­toires surprotégés/territoires sacri­fiés, pour pen­ser une forme de rayon­ne­ment — des zones de libre évo­lu­tion irri­gue­raient de leur vita­li­té bio­lo­gique une péri­phé­rie d’u­sage dans laquelle le lien à la terre ces­se­rait de s’inscrire dans une logique indus­trielle ou pro­duc­ti­viste, et qui pour­rait de ce fait s’har­mo­ni­ser avec les zones de libre évo­lu­tion. Voilà qui ouvre la porte à des formes de conser­va­tion non-dua­listes et non-coloniales.

Qui se feraient aus­si hors du sys­tème éta­tique ? Vous vous deman­dez dans Faut-il en finir avec la civi­li­sa­tion ?, sans y répondre, ce que pour­raient être des réserves natu­relles autogérées…

Il existe en anglais un livre très ori­gi­nal inti­tu­lé The Conservation Revolution, qui essaie de pen­ser une forme convi­viale de la conser­va­tion, en s’ins­pi­rant notam­ment des tra­vaux d’Ivan Illich. C’est une vraie ques­tion parce que la conser­va­tion, jus­qu’à pré­sent, dès lors qu’elle ne s’inscrit pas dans les pra­tiques pay­sannes ou indi­gènes, est une ins­ti­tu­tion bureau­cra­tique et éta­tique. Comment conser­ver sans pas­ser par l’État, la patri­mo­nia­li­sa­tion ou le mar­ke­ting ter­ri­to­rial, qui est l’une des fonc­tions des zones de pro­tec­tion ? La pro­li­fé­ra­tion des Parcs natu­rels régio­naux, non contrai­gnants en termes de conser­va­tion, sont des labels pour vendre du ter­roir, des pay­sages : voi­ci un exemple de ce mar­ke­ting. La tra­duc­tion en fran­çais de ce livre, si elle a lieu, per­met­tra peut-être d’ou­vrir la question.

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Vous met­tez en avant des figures indi­vi­duelles telles que les ermites et les ana­cho­rètes de diverses socié­tés, qui feraient séces­sion ou déser­te­raient un monde trop indus­tria­li­sé. Pourquoi pro­mou­voir ces figures, par défi­ni­tion enga­gées dans une entre­prise individuelle ?

Ils consti­tuent davan­tage des modèles éthiques que poli­tiques. J’ai tou­jours été atti­ré par des posi­tions plus indi­vi­dua­listes, qui sont peut-être des impasses, mais qui offrent des formes de réflexion. J’aime beau­coup la tra­di­tion de l’a­nar­chisme indi­vi­dua­liste, l’idée qu’au­cune socié­té ne peut offrir à l’in­di­vi­du le plein épa­nouis­se­ment de ses poten­tia­li­tés, qu’il y aura tou­jours des « en-dehors », des « en-marge », des « à‑côté », pour reprendre les belles for­mules d’Émile Armand. Même dans une socié­té libre et éga­li­taire autant qu’une socié­té puisse l’être — et dont on est loin ! —, il y aura tou­jours une forme d’an­ta­go­nisme entre la per­sonne et la socié­té, une nor­ma­ti­vi­té contrai­gnante de cette der­nière. Il y aura donc tou­jours des indi­vi­dus en rup­ture de ban, des séces­sion­nistes. C’est impor­tant à mes yeux de rendre hom­mage à cette pos­si­bi­li­té, à ce type d’in­di­vi­dus, qui s’est incar­né dans des figures dif­fé­rentes selon les époques et le type de socié­té. Ce furent par exemple, autre­fois, au Japon et en Chine, les moines ou les ermites taoïstes et zen. À l’é­poque moderne, ce seraient des vaga­bonds, des beat­niks, des gens qui partent, sim­ple­ment. C’est évident que ce n’est pas un modèle poli­tique de socié­té, mais ce genre de rup­ture m’at­tire. C’est impor­tant de main­te­nir des pos­si­bi­li­tés de liber­tés qui ne soient pas sociales, qui ne s’ins­crivent pas néces­sai­re­ment dans un cadre col­lec­tif, ne serait-ce que tem­po­rai­re­ment, afin que l’in­di­vi­du puisse sor­tir du groupe, échap­per à sa pres­sion liber­ti­cide. Je rap­porte ça à la ques­tion de la nature sau­vage parce qu’­his­to­ri­que­ment, à chaque fois que la ques­tion de la fuite ou de la sor­tie a exis­té, elle s’est tour­née vers les déserts, les forêts, les mon­tagnes. C’est une liber­té per­son­nelle, inté­rieure, mais qui n’existe que par des espaces qui peuvent l’accueillir, même si, bien sou­vent, c’est un pri­vi­lège de classe de pou­voir faire ça.

Dans un pays comme la France, où il y a peu d’es­paces qu’on pour­rait qua­li­fier de « sau­vages », à part peut-être dans les zones cœur des Parcs natio­naux, peu ou pas habi­tées et limi­tées dans leurs usages, ces pos­si­bi­li­tés-là sont qua­si­ment absentes, non ?

« À chaque fois que la ques­tion de la fuite ou de la sor­tie a exis­té, elle s’est tour­née vers les déserts, les forêts, les montagnes. »

Il n’y a pas en France de grands espaces sau­vages comme il peut en exis­ter sur d’autres conti­nents, il est vrai. Mais sous des formes plus réduites, ces espaces existent néan­moins dans les régions de haute mon­tagne, à condi­tion de se sou­ve­nir que sau­vage ne veut pas néces­sai­re­ment dire vierge, et qu’un espace peut être qua­li­fié comme tel même en pré­sence de pas­to­ra­lisme ou de tou­risme. Dans de nom­breuses val­lées alpines ou pyré­néennes, on voit bien que ce ne sont pas les humains et leurs acti­vi­tés qui dominent la mor­pho­lo­gie et les rythmes du pay­sages. Il existe donc, même dans notre pays, des pos­si­bi­li­tés réelles de « déser­tion », au moins tem­po­raires — ce dont j’ai témoi­gné dans mon pre­mier livre, Carnets d’es­tive, où j’ai rela­té mes étés pas­sés en alpage en qua­li­té d’aide-berger. La pre­mière fois que je suis par­ti en alpage, à 19 ans, la moti­va­tion était d’al­ler dans des lieux comme ceux-là. Je lisais à l’époque beau­coup de choses sur le taoïsme, la poé­sie chi­noise, les ermites japo­nais… J’avais envie d’al­ler vivre dans une cabane en mon­tagne, dans une quête poé­tique de l’espace et du silence, loin de tout, dans des lieux sans élec­tri­ci­té ni bruits de moteur, acces­sibles uni­que­ment à pied. Nombre de ber­gers et d’aide-ber­gers sont atti­rés par ces métiers non seule­ment parce qu’ils leur per­mettent de gagner de l’argent et de tra­vailler avec des ani­maux, mais aus­si en rai­son de la beau­té et de l’intensité poé­tique qu’ils rendent pos­sible. Ça véhi­cule des res­sen­tis qu’on n’a pas tou­jours la pos­si­bi­li­té de jus­ti­fier théo­ri­que­ment de façon rigou­reuse. Tout comme le fait que, devant un pay­sage de cam­pagne, même lorsqu’il est beau et agréable, on peut avoir l’im­pres­sion d’é­touf­fer s’il y a beau­coup de marques d’an­thro­pi­sa­tion. Comme s’il y avait une tris­tesse des espaces qua­drillés et sur­dé­ter­mi­nés par les acti­vi­tés humaines, même lorsque celles-ci sont rela­ti­ve­ment har­mo­nieuses. Cette atti­rance pour les espaces sau­vages, pour des lieux qui jouissent encore d’une forme d’autonomie, est sans doute éga­le­ment le miroir d’un goût pour l’a­ven­ture, pour l’étonnement, pour le mys­tère et la surprise.

Vous par­liez d’a­nar­chisme indi­vi­dua­liste. Quelle place faites-vous aux Naturiens, ces mili­tants et mili­tantes liber­taires qui en sont issus et aux­quels se réfère, par exemple, le fon­da­teur du blog Le Partage, Nicolas Casaux ?

Les Naturiens sont un peu les ancêtres des pri­mi­ti­vistes. Leurs pré­sup­po­sés anthro­po­lo­giques sont contes­tables, mais il y a des choses inté­res­santes dans ce cou­rant. Ce qui m’at­tire chez eux et ce en quoi je me recon­nais, c’est une forme de ten­sion entre un désir de retraite, une volon­té de se sous­traire au monde — un pri­vi­lège et une impasse, puis­qu’on est tou­jours rat­tra­pé par le monde — et la néces­si­té de s’en­ga­ger. C’est un va et vient constant, que je res­sens per­son­nel­le­ment. Les Naturiens ont cher­ché à obte­nir ce qu’ils ne pou­vaient obte­nir à large échelle et à échéance brève par une sous­trac­tion indi­vi­duelle et micro-com­mu­nau­taire. Mais ils n’ont pas été les seuls dans cette démarche ! Que l’on pense par exemple à un mer­veilleux auteur comme Georges Navel, que je viens de décou­vrir. Issu d’un milieu pro­lé­taire, confron­té très dure­ment au tra­vail en usine et à la tris­tesse du monde indus­triel, il a trou­vé un exu­toire au sen­ti­ment d’oppression qu’il éprou­vait en deve­nant tri­mard puis pay­san : il nous a légué cer­taines des plus belles pages de la lit­té­ra­ture fran­çaise sur le rap­port à la nature.

[Sarah Wickings | sarahwickings.com

Sans être moi-même ouvrier ni avoir jamais été confron­té au monde indus­triel et urbain dans ce qu’il a de plus violent et dur, j’ai pu éprou­ver des sen­ti­ments simi­laires dans mon ado­les­cence. Ils m’ont conduit à vou­loir « déser­ter », au moins tem­po­rai­re­ment : les mon­tagnes m’ont alors ten­du les bras et ont accueilli ce désir. Enfin, je dirais que ce n’est pas tou­jours à l’aune de son ampleur ou de son effi­ca­ci­té poli­tique immé­diate qu’il faut juger un cou­rant de pen­sée ou un groupe mili­tant. Extrêmement mar­gi­naux en leur temps, les Naturiens n’en ont pas moins consti­tué une mino­ri­té active qui a contri­bué à dif­fu­ser des ques­tions qui sont deve­nues impor­tantes avec le temps. Pensons au végé­ta­risme et au rap­port aux ani­maux. Aujourd’hui, c’est un grand débat de socié­té, juri­dique, média­tique, aca­dé­mique, alors qu’il était à l’origine can­ton­née à des milieux mar­gi­naux et sou­vent moqués.

Les ten­sions et diver­gences entre éco­lo­gistes et anti­spé­cistes sont réelles. Dans l’ouvrage Zoopolis, que vous avez tra­duit en fran­çais, les auteurs estiment que des alliances sont non seule­ment sou­hai­tables, mais pos­sibles. Sous quelles condi­tions pour­raient-elles se réaliser ?

Il fau­drait déjà que les dif­fé­rents milieux qui portent la ques­tion ani­male sur le devant de la scène poli­tique et média­tique arrêtent de se mépri­ser et de s’invectiver les uns les autres. Que les anti­spé­cistes arrêtent de trai­ter les petits éle­veurs qui ins­crivent leur métier dans une pers­pec­tive d’écologie poli­tique comme des « assas­sins ». Que les envi­ron­ne­men­ta­listes cessent de consi­dé­rer les indi­vi­dus ani­maux comme de simples variables d’ajustement dans la ges­tion des espèces et des éco­sys­tèmes, qu’ils recon­naissent qu’il s’agit d’êtres sin­gu­liers dont la vie a une valeur en elle-même. Différents auteurs comme Pierre Rigaux ou Jean-Marc Gancille, que vous avez d’ailleurs inter­viewés, essaient de réflé­chir et de tra­vailler en ce sens. Bref, il fau­drait que tous les acteurs de la ques­tion ani­male — indus­triels mis à part, bien sûr, avec les­quelles il n’y a à mon sens aucun dia­logue sou­hai­table ni pos­sible — admettent que cha­cune des forces en pré­sence — éle­veurs pay­sans, natu­ra­listes et anti­spé­cistes — apportent des éclai­rages inté­res­sants qui gagne­raient à être per­çus comme com­plé­men­taires, et non seule­ment anta­go­nistes. Au niveau mili­tant, la lutte contre l’élevage indus­triel, ou contre l’élevage exten­sif lati­fun­diaire dans les régions tro­pi­cales, devrait cris­tal­li­ser des alliances. Objectivement, les petits éle­veurs, les éco­lo­gistes, les anti­spé­cistes — et bien d’autres acteurs dans la san­té publique, par exemple — ont tous inté­rêt à mettre un terme à cette mons­truo­si­té abso­lue qu’est l’élevage indus­triel. Une fois celui-ci abo­li, on se deman­de­ra s’il faut aller plus loin et quels types de rela­tions nous pour­rions éta­blir avec les animaux.


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