Tancrède Ramonet : « Faire entendre des voix inaudibles »


Entretien inédit pour le site de Ballast

« Temps noir », 18 heures, à proxi­mi­té du Bassin de la Villette, Paris. C’est dans sa mai­son de pro­duc­tion située au fond d’une cour dans une ancienne écu­rie que le pro­duc­teur et réa­li­sa­teur Tancrède Ramonet nous donne ren­dez-vous — autant dire à domi­cile. Très vite hors entre­tien, une dis­cus­sion à bâtons rom­pus s’amorce sur le mili­tan­tisme et l’engagement. Il a for­gé ses armes par l’écoute de Radio Libertaire et la lec­ture du men­suel du Monde liber­taire, avant de rejoindre Lutte ouvrière — « un sou­ve­nir ému », « une école de la rigueur théo­rique » — qu’il quitte en rai­son de leur mino­ra­tion des luttes des pays du Sud, notam­ment anti-colo­niales. Aujourd’hui, Tancrède Ramonet s’engage à tra­vers ses films, les sujets por­tés par Temps noir et son groupe de rock, Achab. Ses docu­men­taires donnent à voir ce que les récits offi­ciels laissent dans l’ombre : l’école de ciné­ma la Fémis, le bagne pour les com­mu­nards, la ques­tion des abat­toirs avec une décen­nie d’avance sur l’association L214, le racisme bio­lo­gique nazi usant de la science comme jus­ti­fi­ca­tion, et enfin l’histoire de l’anarchisme qui fut le déclen­cheur de cette ren­contre.


On nous dit dans l’oreillette que Dieu et le Medef ont ado­ré votre film. Une réaction ?

Ils com­prennent tout de tra­vers, ça ne m’étonne guère. Plus sérieu­se­ment, j’ai sur­tout pré­sen­té le film en avant-pre­mière dans des fes­ti­vals popu­laires comme celui d’Alès ou dans des média­thèques et des MJC. Je n’y ai pas vu Dieu, ni le Medef, mais un public divers : des jeunes, des vieux, des ruraux, des urbains, des gens de toutes les cou­leurs, qui ont appré­cié le film. En revanche, quand j’ai pré­sen­té le film au Festival d’histoire de Pessac, il y avait dans la salle des « his­to­riens de garde » — pour reprendre l’expression d’Aurore Chéry, William Blanc et Christophe Naudin. Or, à la fin du pre­mier épi­sode [deux sont mon­tés et le troi­sième est en cours, ndlr], cer­tains de ces his­to­riens ont quit­té la salle. Ils repro­chaient au docu­men­taire d’être un film trop mili­tant et une apo­lo­gie du ter­ro­risme. Au cours du débat qui a sui­vi la pro­jec­tion, Jean-Noël Jeanneney, qui était res­té, a affir­mé que le film ren­voyait une image cari­ca­tu­rale de la bour­geoi­sie. En citant Jaurès, il a par­lé du « pou­voir invi­sible et dif­fus de la bour­geoi­sie ». Nous étions alors en pleine oppo­si­tion à la loi Travail. Je me suis auto­ri­sé à lui rap­pe­ler qu’en ce moment, les tra­vailleurs voyaient bien ce qu’étaient la bour­geoi­sie et les contraintes qu’elle fait peser sur leurs corps à tra­vers les coups de matraque et les tirs de Flash-Ball que dis­tri­buent sa police. Les ado­les­cents ébor­gnés, les mani­fes­tants bles­sés : ce sont des preuves plu­tôt tan­gibles et concrètes.

En regar­dant votre fil­mo­gra­phie comme réa­li­sa­teur et pro­duc­teur — le der­nier docu­men­taire ayant fait le plus de bruit étant Patrick Buisson, le mau­vais génie, sur France 3 —, on pense à une démarche de « pro­pa­gande par le fait ». Qu’est-ce qui guide votre manière de travailler ?

« Nous vou­lons don­ner des points de vue invi­sibles ou faire entendre des voix inau­dibles car mises sous le bois­seau. » 

Ce serait moins de la pro­pa­gande par le fait que de la pro­pa­gande par la plume ou par la camé­ra. En tant que pro­duc­teur et réa­li­sa­teur chez Temps noir, mon objec­tif est plus humble. J’essaie de faire entendre des voix que l’on n’a pas l’habitude d’entendre. Vous connais­sez le pro­verbe : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres his­to­riens, les his­toires de chasse conti­nue­ront de glo­ri­fier le chas­seur. » Nous vou­lons racon­ter l’histoire du point de vue des lions. C’est le cas de la série « Afrique(s), une autre his­toire du XXe siècle » écrite par Elikia M’Bokolo, direc­teur à l’EHESS du dépar­te­ment de l’histoire de l’Afrique. Il y raconte l’histoire de ce conti­nent du point de vue des Africains, de ceux qui l’ont faite, vécue et pen­sée. Le film Le Ventre des femmes — qui donne la parole aux 330 000 femmes sté­ri­li­sées de force au Pérou entre 1995 et 2000 — est un autre exemple de cette ligne édi­to­riale. Dans Ni Dieu ni Maître, qui est une his­toire de l’anarchie par des pen­seurs et des acteurs de l’histoire liber­taire, la démarche est la même. Ma démarche mili­tante — si elle existe — consiste à faire entendre ces autres voix.

Vous avez évo­qué votre boîte de pro­duc­tion, Temps noir. Comment est né le projet ?

Avec Martin Laurent et Axel Ramonet, nous avons dépo­sé les sta­tuts de notre socié­té de pro­duc­tion juste après le 21 avril 2002, dans l’entre-deux-tours de l’élection pré­si­den­tielle, quand Jean-Marie Le Pen accé­dait au second. Plutôt que d’aller voter, c’était notre réponse à nous. Nous vou­lions déve­lop­per des thé­ma­tiques his­to­riques, cultu­relles et socié­tales avec une visée réso­lu­ment inter­na­tio­nale. Nous vou­lions don­ner la parole aux réa­li­sa­teurs issus des pays ou des mou­ve­ments qui sont le sujet de nos films, en racon­tant les his­toires de l’intérieur. Presque tous nos films se font l’écho de ce sou­ci : l’histoire de l’Afrique écrite par Elikia M’Bokolo, Cuba, une odys­sée afri­caine, réa­li­sé par la réa­li­sa­trice égyp­tienne Jihan El-Tahri, ou Colonia Dignidad, par l’ancien com­bat­tant chi­lien José Maldavsky, qui raconte l’existence d’une secte nazie en Amérique latine. Nous vou­lons don­ner des points de vue invi­sibles ou faire entendre des voix inau­dibles, car mises sous le bois­seau. Ceci est d’autant plus impor­tant que cette tra­di­tion docu­men­taire s’éteint à mesure que se réduit le nombre de por­teurs d’une autre vision du monde et que se nor­ma­lisent les dis­cours et les his­toires. L’industrie audio­vi­suelle a une res­pon­sa­bi­li­té énorme : de manière para­doxale, alors qu’il n’y a jamais eu autant de chaînes de télé­vi­sion et que le nombre de docu­men­taires croît de manière expo­nen­tielle, il n’y a jamais eu aus­si peu de diver­si­té de points de vue. L’uniformisation et la stan­dar­di­sa­tion touchent autant l’agroalimentaire que le dis­cours poli­tique ou le sec­teur culturel.

Photographie : Stéphane Burlot

On voit bien qu’exister dans les salles est com­pli­qué. De mémoire, à part Comme des lions, La bataille de Florange ou Merci patron !, il y a plu­tôt de très bons docu­men­taires étran­gers (Afectados ou Food corp). Temps noir ou vous-même avez-vous déjà été dis­tri­bués en salle, ou visez-vous uni­que­ment la télévision ?

Les docu­men­taires dont vous par­lez sont réa­li­sés à la fois en solo et en totale indé­pen­dance, selon des éco­no­mies très res­treintes. Et ils prouvent, par leur suc­cès, que les gens ont envie d’un ciné­ma mili­tant qui parle de la vie, des com­bats pré­sents et pas­sés, qui ouvre des pistes de réflexion pour chan­ger le monde. Ruffin a réus­si une pro­pa­gande par le fait avec son Merci patron ! ; il a eu une forte audience en salles. La Bataille de Florange a même reçu le FIPA d’or, l’un des prix les plus pres­ti­gieux pour un docu­men­taire en France. Et pour­tant, il est tou­jours aus­si dif­fi­cile de faire ces films-là. À Temps noir, nous optons pour un che­mi­ne­ment plus ins­ti­tu­tion­nel. D’abord parce qu’il nous semble essen­tiel de reven­di­quer expli­ci­te­ment — haut et fort, au nom de la diver­si­té du champ docu­men­taire — des finan­ce­ments publics aux­quels nos sujets, nos thé­ma­tiques et nos films ont droit. L’argent public ne doit pas ser­vir seule­ment à finan­cer des docu­men­taires d’enter­tain­ment.

« L’uniformisation et la stan­dar­di­sa­tion touchent autant l’agroalimentaire que le dis­cours poli­tique ou le sec­teur culturel. »

Ensuite, parce que nous fai­sons beau­coup de films d’histoire qui coûtent très chers, notam­ment à cause des archives. Enfin, il y a une ques­tion éthique : nous ne pou­vons décem­ment pas faire des films mili­tants qui dénoncent la misère et l’exploitation en sous-payant et en exploi­tant nos sala­riés. Un film comme Ni Dieu ni Maître coûte autour de 500 000 euros. Mon mon­teur, Basile Carré, a tra­vaillé deux ans avec moi, presque tous les jours. Julien Deguines a fait près de cent vingt minutes de musique. Il y a des ingé­nieurs du son, des cadreurs, des mixeurs, des éta­lon­neurs. Les tra­vailleurs de Temps noir tra­vaillent sur ce docu­men­taire depuis quatre ans. Tous ces gens doivent être payés. Et ce n’est pas parce qu’ils sont convain­cus et mobi­li­sés que l’on peut leur deman­der de rogner encore sur leur salaire. Sinon, on se com­porte comme Uber. Pour ce qui est du médium, nous déve­lop­pons en ce moment plu­sieurs pro­jets pour le ciné­ma. Mais c’est vrai que nous sommes très atta­chés à la télé­vi­sion car nous pou­vons tou­cher direc­te­ment un très grand nombre de per­sonnes. Et comme nos pro­duc­tions sont sou­vent dif­fu­sées à l’international, l’audience de nos films se compte en dizaines, voire en cen­taines de mil­lions de spec­ta­teurs. Cuba, une Odyssée afri­caine a par exemple été dif­fu­sé dans plus de cin­quante pays. Nous nous étions amu­sés avec notre dis­tri­bu­teur à comp­ter le nombre de spec­ta­teurs : cent mil­lions, à la louche. Ni Dieu ni Maître semble prendre une direc­tion iden­tique. Il a déjà été dif­fu­sé en Suède, en Colombie, au Canada, en Suisse, et pro­chai­ne­ment sur Arte. En résu­mé, quels que soient les sec­teurs ou le médium, il faut faire sau­ter les verrous !

En voyant vos thèmes de réa­li­sa­tion, on sent en effet une appé­tence pour la poli­tique, l’invisible, les subal­ternes et les per­dants de l’Histoire…

Il y a un texte magni­fique de Michel Foucault qui s’appelle « La vie des hommes infâmes », qui raconte ça très bien. En pous­sant cette logique à l’extrême — c’est le cas de le dire —, j’ai eu envie de faire un docu­men­taire sur la divi­sion SS fran­çaise Charlemagne. Loin de moi l’idée d’en faire l’éloge ou l’apologie. Mais à la manière de Louis Malle dans Lacombe Lucien, je vou­lais com­prendre com­ment et pour­quoi plus de 40 000 Français s’étaient enga­gés mili­tai­re­ment aux côtés des nazis au plus dur de la Seconde Guerre mon­diale. Ils étaient aus­si nom­breux que les hommes enga­gés dans la France libre. L’épuration, avec son lot de fusillés sans pro­cès — dont la figure la plus symp­to­ma­tique est Jacques Doriot — a per­mis de faire l’économie d’une ana­lyse glo­bale en endos­sant les habits confor­tables de la « France résis­tante » chère à de Gaulle. Mais il faut rap­pe­ler que Vichy a lar­ge­ment sou­te­nu par une pro­pa­gande inten­sive la créa­tion de ces légions de com­bat­tants. On a oublié cette injonc­tion mas­sive faite à la jeu­nesse en faveur de l’engagement, le Vel d’Hiv’ bour­ré à cra­quer, les bureaux de recru­te­ment par­tout, les salaires impor­tants et les exemp­tions de STO [Service du tra­vail obli­ga­toire, ndlr]. Je vou­lais mon­trer les sou­tiens de toute une socié­té, des intel­lec­tuels de l’époque, le folk­lore, les chan­sons. Il ne s’agissait pas de faire de ces sol­dats des vic­times, mais de mon­trer com­ment un État peut être res­pon­sable et laver ensuite sa culpa­bi­li­té dans le sang de ceux qu’il a pous­sés au meurtre. C’est, toutes choses égales par ailleurs, ce qu’ont fait les États-Unis d’Amérique au Viêt Nam ou la France en Algérie.

Photographie : Stéphane Burlot

Parlez-nous de votre groupe de rock Achab, dont l’un des mor­ceaux sert de géné­rique de fin du documentaire.

Au départ, il y a le même constat que pour le docu­men­taire. Il n’y a jamais eu autant de vec­teurs de dif­fu­sion de musique pour une pro­duc­tion tou­jours plus stan­dar­di­sée. Depuis la fin de Noir Désir, le rock fran­çais a pra­ti­que­ment dis­pa­ru. Et les quelques groupes qui res­tent chantent en anglais ou affichent des paroles sans saveur, qui n’ont rien à voir avec la vie et une autre manière d’être au monde. On a donc déci­dé de for­mer un groupe réso­lu­ment rock, élec­tro-rock et rebelle, qui chante en fran­çais. On essaie de mêler la colère fes­tive des Béruriers noirs, la poé­sie désen­chan­tée de Bashung et l’humour noir des Rita Mitsouko. On a pris Achab comme nom, en réfé­rence au capi­taine qui traque Moby Dick dans le roman d’Herman Melville. C’est une figure de la révolte. Il est embar­qué sur son bateau-monde qui navigue vers l’engloutissement. Mais c’est vrai que ce n’est pas un hasard si ce nom, pho­né­ti­que­ment, se pro­nonce « acab » [All Cops Are Bastards, ndlr]. C’est un mème de la culture alter­na­tive. C’est un cri de ral­lie­ment et le sym­bole d’une résis­tance à toutes les formes de domination.

Et comme on en avait marre que les mar­chands de musique nous disent ce qui marche ou ne marche pas, que nous ne sup­por­tions plus que des ges­tion­naires nous imposent la durée d’un mor­ceau, que nous ne vou­lions plus entendre des publi­ci­taires nous dire le bon goût et vendre des syn­chros à la BNP ou à Bouygues Télécom, nous avons enre­gis­tré notre disque en toute indé­pen­dance. On a tout de même obte­nu une aide excep­tion­nelle du Fonds pour la créa­tion musi­cale et le sou­tien d’Arte, grâce aux­quels notre disque sor­ti­ra en même temps que le film. En ce moment, nous réa­li­sons des clips docu­men­taires pour accom­pa­gner cette sor­tie. C’est un nou­veau genre qu’on pré­tend avoir inven­té. Ce sont des petits films faits à par­tir d’images d’archives ou de docu­ments détour­nés, à la manière des films de Guy Debord, qui se veulent une cri­tique de la socié­té du spec­tacle, une plon­gée dans la mémoire (« Malkinia »), une réflexion sur l’urbanisme (« Ça, c’est Paris ») ou encore une mise en images de la colère et de la révolte. C’est d’ailleurs cette chan­son qui vient sur les géné­riques de fin des documentaires.

Votre der­nière réa­li­sa­tion, Ni Dieu ni Maître, est un docu­men­taire sur l’histoire de l’anarchisme.

« Les grandes heures de l’histoire liber­taire ont été sys­té­ma­ti­que­ment enfouies dans un oubli for­cé ou volontaire. »

J’avais envie de faire ce film depuis très long­temps. Mais pour pou­voir com­men­cer à m’y mettre, il a fal­lu, d’une part, que je fasse mes pre­mières armes en tant que pro­duc­teur et réa­li­sa­teur et, d’autre part, que je syn­thé­tise tout un cor­pus de lec­tures, de films et de connais­sances. Ce qui m’a tou­jours inté­res­sé dans l’histoire de l’anarchisme, c’est que par-delà les images d’Épinal (le désordre, le chaos ou les bombes), je voyais une cohé­rence et des conti­nui­tés. Je crois que si cette his­toire a si long­temps été occul­tée, ce n’est pas parce qu’elle n’était pas digne d’intérêt ni parce qu’elle était trop confuse, mais parce qu’elle a été rigou­reu­se­ment com­bat­tue. Sa défaite répé­tée tient lar­ge­ment à l’entente d’un ensemble de pou­voirs que sont le com­mu­nisme d’État, les démo­cra­ties bour­geoises et les fas­cismes, pour l’enterrer au plus vite. La guerre au sein de l’Internationale, le mas­sacre de Haymarket, l’insurrection ukrai­nienne, la bataille pour la Maison des syn­di­cats en France, les luttes pour faire inno­cen­ter Sacco et Vanzetti ou même la révo­lu­tion liber­taire en Catalogne, les grandes heures de l’histoire liber­taire, c’est-à-dire toute une part de l’histoire sociale, ont été sys­té­ma­ti­que­ment enfouies dans un oubli for­cé ou volon­taire. Et dans cette entre­prise, la cen­sure douce des démo­cra­ties bour­geoises n’a rien eu à envier au contrôle de l’information des grandes dictatures.

Rendez-vous compte : jusqu’à il y a peu encore, l’anarchisme n’avait droit de cité ni dans les dépar­te­ments d’histoire, ni dans ceux de sciences poli­tiques, pas plus dans les UFR [Unité de for­ma­tion et de recherche, ndlr] de phi­lo­so­phie. Quand j’étais à la Sorbonne, je n’ai pas trou­vé de direc­teur de recherche pour m’encadrer sur un tra­vail autour de Bakounine. Les figures de l’anarchisme étaient exclues des manuels sco­laires, des ensei­gne­ments et des écrans de télé­vi­sion. Seules quelques rues témoignent encore de l’importance que des révo­lu­tion­naires comme Ferrer, Proudhon ou Louise Michel. Je ne suis pas un spé­cia­liste de cette his­toire, mais j’avais envie de mieux la connaître. Et c’est ain­si qu’on a pu faire tout à la fois un livre écrit par Gaetano Manfredonia, une série docu­men­taire, des émis­sions radio, un site inter­net écrit par Édouard Jourdain de chez Réfractions, un disque que nous fai­sons avec Achab — autant de sup­ports dif­fé­rents per­met­tant de retra­cer de manière assez exhaus­tive l’histoire, l’influence et les pré­sences de l’anarchisme dans le monde, de ses ori­gines à nos jours. Et c’est aujourd’hui plus que jamais nécessaire.

Photographie : Stéphane Burlot

Ce titre montre l’intransigeance du cou­rant anar­chiste contre la foi. Est-ce que l’athéisme et l’anticléricalisme mili­tants du mou­ve­ment anar­chiste n’expliquent pas en par­tie son iso­le­ment dans les milieux popu­laires, par­fois, sinon sou­vent, croyants ?

Ni Dieu ni Maître est tout d’abord le titre du jour­nal de Blanqui qui a popu­la­ri­sé ce slo­gan avant qu’il ne soit repris par le mou­ve­ment anar­chiste. Mais quand les anar­chistes disent « Ni Dieu ni Maître », ce n’est ni une injonc­tion, ni un mot d’ordre, ni un pro­gramme qu’il s’agirait de mettre en place sans le consen­te­ment des gens. Non, c’est une sorte de pro­fes­sion de foi, à l’inverse de l’usage que vou­draient en faire cer­tains pour le retour­ner contre les exploi­tés, notam­ment celles et ceux qui sont de confes­sion musul­mane. Il existe deux anar­chistes qui montrent cela très bien par leurs pra­tiques. Tout d’abord, la mili­tante ita­lienne Leda Rafanelli qui, en s’installant en Égypte, a choi­si de se conver­tir à l’islam pour être au plus près de la vie des tra­vailleurs égyp­tiens et com­battre à leurs côtés. Elle pra­ti­que­ra toute sa vie cette reli­gion tout en étant d’un fémi­nisme total. L’autre exemple est celui du grand théo­ri­cien anar­chiste Rudolf Rocker. En s’installant à Londres, il constate que les tra­vailleurs les plus exploi­tés sont alors les membres de la com­mu­nau­té juive et que les autres révo­lu­tion­naires se dés­in­té­ressent de cette popu­la­tion, trop pieuse, trop refer­mée sur elle-même. Pour pou­voir les tou­cher, com­prendre leur vie et lut­ter avec eux, il va apprendre le yid­dish et vivre au rythme du ghet­to. Il finit par diri­ger le jour­nal liber­taire de la com­mu­nau­té et obte­nir le sur­nom de « rab­bin goy ». Si l’objectif pour les anar­chistes doit donc bien être l’émancipation col­lec­tive et indi­vi­duelle, celle-ci ne peut en aucun cas pas­ser par plus de domi­na­tion, d’exclusion et de stig­ma­ti­sa­tion. Enfin, quand on parle d’ « iso­le­ment popu­laire » de l’anarchisme, c’est un point de vue très contem­po­rain et très orien­té. N’oublions jamais que l’anarchisme a été lar­ge­ment majo­ri­taire en France à la fin du XIXe siècle, qu’il ras­sem­blait plus de 2 000 000 de tra­vailleurs au sein de la CNT en Espagne dans les années 1930 et qu’il ins­pire aujourd’hui, sans tou­jours dire son nom, des mil­lions de per­sonnes qui luttent de New York à Tel-Aviv et de Buenos Aires à Tokyo.

Vous inter­ro­gez de nom­breux his­to­riens et experts de l’anarchisme de divers pays. Quel est le pays dans lequel l’histoire de l’anarchie est la plus étudiée ?

« L’insurrection au Rojava montre que l’anarchisme trace ses che­mins dans toutes les direc­tions et sur tous les continents. »

Il y a des pré­sences de l’anarchisme un peu par­tout. En octobre der­nier, il y a eu un congrès mon­dial sur l’anarchisme à Buenos Aires, ras­sem­blant des cher­cheurs et des spé­cia­listes de l’histoire sociale et ouvrière venus du monde entier. C’est un mou­ve­ment bien plus inter­na­tio­nal qu’on ne le dit ou qu’on ne le croit. Mais mon impres­sion est que la pen­sée anar­chiste se renou­velle et se popu­la­rise sur­tout en ce moment aux États-Unis, à la suite des émeutes de Seattle et d’Occupy Wall Street. Ceci s’explique par les spé­ci­fi­ci­tés de l’anarchisme amé­ri­cain qui était très indi­vi­dua­liste. La greffe com­mu­niste n’a jamais vrai­ment pris là-bas. Puis il s’est nour­ri de variantes plus sociales avec les vagues d’immigration. L’arrière-garde est com­po­sée de Noam Chomsky et d’Howard Zinn. Elle a beau ne pas se rendre, une nou­velle vague prend la relève en gros­sis­sant les rangs, aux États-Unis : David Graeber, Kenyon Zimmer ; au Canada : David Graham, Normand Baillargeon ; au Québec : Francis Dupuis-Déri.

J’en oublie, bien sûr. En Europe aus­si, l’anarchisme connaît un véri­table regain. La France a des groupes de réflexion très actifs, comme Réfractions à Lyon. Et, sans entrer dans un débat inter­mi­nable, le Comité invi­sible par­ti­cipe évi­dem­ment au renou­veau de la pen­sée liber­taire. La Suisse a ses foyers : le Centre International de Recherches sur l’Anarchisme de Marianne Enckell ou Espace NoirÀ l’occasion de la dif­fu­sion du film en Suède, j’ai décou­vert la très grande viva­ci­té de la SAC [syn­di­cat sué­dois anar­chiste, ndlr]. Sans par­ler bien sûr de l’Espagne ou de l’Italie. En Afrique aus­si, l’anarchisme inté­resse les jeunes géné­ra­tions. Il faut d’ailleurs saluer le tra­vail qu’a fait Michael Schmidt en Afrique du Sud, ou celui de Sam Mbah qui vient de mou­rir au Nigéria et dont j’ai tenu à publier un texte dans la petite antho­lo­gie liber­taire qui accom­pagne le DVDLast but not least, l’insurrection qui a lieu en ce moment même au Rojava — ins­pi­rée en par­tie par le confé­dé­ra­lisme démo­cra­tique d’Abdullah Öcalan — montre à quel point l’anarchisme trace ses che­mins dans toutes les direc­tions et sur tous les continents.

On voit un vrai sou­ci d’esthétisme, ain­si qu’un soin par­ti­cu­lier accor­dé à l’iconographie. Pourriez-vous nous décrire les dif­fé­rentes étapes néces­saires à la réa­li­sa­tion d’un tel film documentaire ?

D’habitude, quand on fait un film docu­men­taire, il y a un enchaî­ne­ment d’étapes, un rail de che­min de fer qui passe par l’écriture, par la vali­da­tion du pro­jet, par les entre­tiens, par les recherches d’archives, par le mon­tage, par le mixage, par les habillages, etc. Pour ce docu­men­taire, le fonc­tion­ne­ment et le dérou­lé ont été bien plus désor­don­nés : on a mené de concert la nar­ra­tion, la docu­men­ta­tion, les entre­tiens, avec donc des revi­re­ments, des retours en arrière, des avan­cées. On a com­po­sé en che­mi­nant. C’est aus­si cette manière qui a per­mis les mul­tiples expres­sions du pro­jet : la musique, la radio, le livre, l’exposition… Dès l’origine, je vou­lais don­ner une forme très clas­sique au docu­men­taire pour que le public ne soit pas per­tur­bé. Il va déjà être sou­mis à de nou­velles idées, de nou­veaux per­son­nages, des moments de l’Histoire qu’il ne connaît pas, il ne faut pas en plus que la forme le débous­sole. Je ne vou­lais pas faire un film « anar­chiste » dans les choix gra­phiques, typo­gra­phiques, musi­caux ou de mon­tage. Je vou­lais que le film res­semble à un film clas­sique sur la Seconde Guerre mon­diale : archives, entre­tiens sur fond noir, musique orches­trale. En cela, je m’inspire un peu de ce que disait Jean Genet dans un entre­tien à Bertrand Poirot-Delpech en 1982. Il expli­quait en sub­stance qu’il vou­lait que sa langue soit la plus pure et la plus clas­sique pos­sible, de manière à faire entrer imper­cep­ti­ble­ment dans la tête du lec­teur des idées défendues.

Photographie : Stéphane Burlot

Il y a plu­sieurs mou­ve­ments de fond dans l’anarchie : celui de l’Internationale et de la lutte contre les mar­xistes, les indi­vi­dua­listes, celui de la pro­pa­gande par le fait, l’épopée de Makhno en Ukraine, l’anarchosyndicalisme, le bref été de l’anarchie en Espagne… Lequel vous touche le plus ?

Un peu comme votre ques­tion, un film a sou­vent le tra­vers de pré­sen­ter les choses de manière linéaire. Dans un docu­men­taire d’histoire, c’est très dif­fi­cile de faire du mon­tage alter­né. Si le film montre bien ce que Michael Schmidt appelle « les grandes vagues de l’anarchisme », la réa­li­té est plus com­plexe, avec des conco­mi­tances ou des diver­gences entre les formes et les types d’actions anar­chistes, dans le temps comme dans l’espace. Par exemple, alors qu’elles paraissent sépa­rées dans le film, la période des atten­tats en France est contem­po­raine de celle de l’émergence du syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire et des bourses du tra­vail. L’avantage de la construc­tion chro­no­thé­ma­tique per­met de sou­li­gner les spé­ci­fi­ci­tés de chaque forme mais élude les frot­te­ments entre ces mou­ve­ments. Dans le même ordre d’idées, quand s’étend la révo­lu­tion liber­taire en Ukraine, les États-Unis d’Amérique connaissent une pous­sée de « la pro­pa­gande par le fait » menée par l’immigration ita­lienne. C’est pour cela qu’il faut rai­son­ner en terme de pro­jet glo­bal : le film montre les conti­nui­tés et une cohé­rence de l’histoire de l’anarchisme, alors que le livre de Gaetano Manfredonia met en valeur son carac­tère kaléi­do­sco­pique, avec ses dis­con­ti­nui­tés et ses contra­dic­tions. Mais pour répondre à votre ques­tion, par­mi les périodes qui me touchent le plus dans ces deux pre­miers épi­sodes, il y a d’abord la révo­lu­tion liber­taire en Espagne.

« La révo­lu­tion liber­taire en Espagne : ces hommes et ces femmes qui se sont libé­rés de la triple tutelle du lati­fun­disme, de la Guardia Civil et du curé. »

Peut-être est-ce aus­si parce que je suis à moi­tié espa­gnol et que quand je vais par exemple dans l’arrière-pays anda­lou, je res­sens le sou­ve­nir de ces pre­mières insur­rec­tions matées dans le sang, de ces grandes orga­ni­sa­tions anar­chistes et ouvrières, de ces hommes et de ces femmes qui se sont libé­rés d’un coup de la triple tutelle du lati­fun­disme, de la Guardia Civil [équi­valent espa­gnol de la gen­dar­me­rie, ndlr] et du curé, de ces expé­ri­men­ta­tions — un bref été de l’anarchie au milieu de la Seconde Guerre mon­diale. Mais je dois confes­ser que j’ai aus­si une immense ten­dresse pour le geste de ceux que l’on a appe­lé « les pro­pa­gan­distes par le fait », comme Ravachol, Henry, Vaillant ou Caserio. Ce n’est pas tant parce que cer­tains d’entre eux ont osé pas­ser à l’action vio­lente. Mais bien plu­tôt parce qu’ils ont eu le des­tin des « hommes infâmes » dont parle Michel Foucault. Les jour­na­listes et les gref­fiers les ont salis. On les a décrits comme des sau­vages, des abru­tis ou des per­vers. Alors que, quand on s’intéresse vrai­ment à leurs vies, ces hommes — qui avaient connu toutes les peines et toutes les humi­lia­tions — étaient lucides et for­més. Ils savaient lire et écrire (ce qui n’étaient pas cou­rant pour des ouvriers à cette époque). Ils jouaient de la musique. Ils avaient ani­mé des grèves. Complètement ouverts sur le monde, ils avaient voya­gé en étant tou­jours soli­daires de tous, notam­ment lors des luttes anti­co­lo­niales. Et dans une période de rela­tif reflux révo­lu­tion­naire, ils ont cru qu’ils pour­raient à eux seuls faire le bon­heur de l’Humanité. Enfin, comme je tra­vaille en ce moment sur le der­nier épi­sode de cette his­toire, je m’intéresse tout par­ti­cu­liè­re­ment au mou­ve­ment autonome.

Laquelle de ces périodes serait selon vous la plus sus­cep­tible d’attirer des per­sonnes qui sont de plus en plus retran­chées sur leur vie per­son­nelle, sans idéal d’émancipation col­lec­tive ?

J’observe en ce moment un regain d’intérêt pour l’anarchisme. Et c’est nor­mal, la fin du com­mu­nisme d’État à l’Est a per­mis la redé­cou­verte d’anciennes tra­di­tions cri­tiques et ouvert de nou­velles pers­pec­tives. Et l’offensive géné­rale du capi­ta­lisme nous oblige à dépas­ser cer­taines oppo­si­tions dog­ma­tiques pour trou­ver dans l’action, de manière ponc­tuelle ou à plus long terme, une uni­té. C’est anec­do­tique mais incroyable d’entendre un lea­der poli­tique comme Mélenchon appe­ler les anar­chistes à le rejoindre. C’était impen­sable il y a dix ans. C’est bien la preuve qu’il y a de pro­fonds mou­ve­ments dans les jeunes géné­ra­tions. Mais il ne fau­drait pas que cet inté­rêt se limite à une forme d’anarchisme indi­vi­dua­liste mal com­pris, avec son cor­tège de pro­po­si­tions sédui­santes et mar­ke­tées : « Mon corps c’est mon corps », « Je suis ce que je suis », « Ce qui est à moi est à moi », « Je fais ce que je veux ». Sous cou­vert d’anarchisme, il ne s’agit là en réa­li­té que de pro­po­si­tions com­pa­tibles, favo­rables ou même pro­mues par le capi­ta­lisme : une sorte de libé­ra­lisme liber­taire tota­le­ment libé­ral et pas du tout liber­taire. Or l’anarchisme, c’est d’abord et avant tout une rup­ture radi­cale avec le capitalisme.

Photographie : Stéphane Burlot

Et si l’anarchisme est très divers, son approche est tou­jours holis­tique. Il doit être pris comme un tout. Être liber­taire, ce n’est pas seule­ment être favo­rable à une liber­té totale des indi­vi­dus. La pen­sée anar­chiste montre que la liber­té abso­lue n’est pas pos­sible sans l’égalité totale. Dans le même ordre d’idées, com­battre les rap­ports de domi­na­tion entre les êtres humains doit nous ame­ner logi­que­ment à remettre en cause les rap­ports de domi­na­tion et d’exploitation à l’égard de tout le monde ani­mal et du monde natu­rel. C’est ce que pro­pose Murray Bookchin en arti­cu­lant anar­chisme et éco­lo­gie. Et fina­le­ment, ce n’est pas autre chose que ce que disait Nuit Debout quand on y par­lait de conver­gence des luttes. Comprendre que les pro­blèmes sont liés et que les com­bats doivent donc être arti­cu­lés ensemble. Aucune de ces luttes ne doit être mino­rée mais toutes devraient être remises dans une pers­pec­tive plus géné­rale. C’est la rai­son pour laquelle je me sens plus proche de l’exigence orga­ni­sa­tion­nelle telle qu’elle a été déve­lop­pée par les makh­no­vistes en 1926 dans la Plate-forme orga­ni­sa­tion­nelle de l’union géné­rale des anar­chistes. Les liber­taires ukrai­niens avaient alors bien com­pris que la défaite de leur insur­rec­tion était due à un pro­blème d’organisation. On les avait accu­sés de se bol­ché­vi­ser. C’est peut-être un de mes restes de Lutte ouvrière.

Parmi les por­traits que vous dres­sez, pou­vez-vous nous don­ner un homme et une femme qui vous ont marqué ?

« À par­tir de main­te­nant, c’est nous qui fai­sons, écri­vons et racon­tons notre histoire. »

J’ai vrai­ment du mal à hié­rar­chi­ser. Pendant la fabri­ca­tion du film, chaque anar­chiste sur lequel je tra­vaillais me pas­sion­nait. Je me suis immer­gé dans la vie et la pen­sée de femmes liber­taires comme Emma Goldman ou Voltairine de Cleyre que j’ai trou­vées abso­lu­ment fas­ci­nantes et ins­pi­rantes. J’ai sui­vi pas à pas la geste de Nestor Makhno ou de Buenaventura Durruti, qui ont emprun­té toutes les voies de l’anarchisme : de l’engagement syn­di­cal à la pro­pa­gande par le fait, de la lutte armée à l’organisation révo­lu­tion­naire. Mais ma grande ren­contre pour le film, c’est Jean-Marc Rouillan. Je lui avais écrit il y a cinq ans, au moment où j’écrivais le film. J’avais besoin d’informations sur le MIL, les GARI, Action directe et le mou­ve­ment auto­nome. Très vite, je reçois une réponse : il me dit qu’on peut se ren­con­trer, mais chez lui car il a un bra­ce­let élec­tro­nique. Je suis allé le retrou­ver à Marseille où il vivait à sa sor­tie de pri­son. On a pas­sé quatre jours entiers ensemble. J’ai décou­vert un homme d’une très grande gen­tillesse, d’une capa­ci­té d’écoute incroyable et d’un savoir impres­sion­nant. C’est d’ailleurs ce qui m’a le plus mar­qué : alors qu’il avait pas­sé quinze ans à l’isolement, il connais­sait l’histoire du mou­ve­ment ouvrier mieux que beau­coup de spé­cia­listes. Il savait des détails sur la Commune, les pro­pa­gan­distes par le fait, sur la révo­lu­tion espa­gnole, sur le mou­ve­ment auto­nome, que bien peu de gens connaissent. Par ailleurs, bien qu’il ne m’ait pas tout racon­té de sa vie, bien sûr, ce qu’il m’a dit a for­te­ment éclai­ré ma recherche. En effet, Jean-Marc Rouillan a eu une vie sem­blable à celle des anar­chistes dont parle le film : les ten­ta­tives insur­rec­tion­nelles, le ban­di­tisme révo­lu­tion­naire, la clan­des­ti­ni­té, les pro­blèmes orga­ni­sa­tion­nels, la lutte armée et la pri­son. Il faut se sou­ve­nir qu’en 1937, sur la tombe de Durruti, Juan Garcia Oliver, qui est alors anar­chiste et ministre de la Justice, pro­nonce un éloge funèbre dans lequel il pro­clame avec fier­té : « Nous étions les plus grands ter­ro­ristes d’Espagne. »

Un film sur les ZAD ou le Rojava à venir ?

Édouard Jourdain est en train de tra­vailler sur le Rojava. Il va y aller, et sûre­ment faire un film sur ce qui se passe. En ce qui concerne la ZAD, je ne crois pas qu’il faille faire un film à leur place. C’est à eux de fil­mer leur expé­rience. Ils devraient faire leur Tous au Larzac [docu­men­taire sor­ti en 2011, ndlr] afin de par­ta­ger leur expé­rience concrète au-delà de la pho­to, du texte et de la radio. Auparavant, ils doivent se mettre d’accord et trou­ver leur manière de fil­mer. Moi, je suis à leur dis­po­si­tion pour les accom­pa­gner dans un cir­cuit de dif­fu­sion clas­sique s’ils le dési­rent. J’en ai par­lé avec cer­tains. Ceux qui s’y opposent dénoncent la socié­té du spec­tacle et veulent conser­ver l’anonymat. Le pro­blème, c’est que leur ano­ny­mat est rela­tif. Je pense que tous les fonc­tion­naires du minis­tère de l’Intérieur ont leurs noms et leurs por­traits. Les flics connaissent cha­cun des zadistes, ils doivent savoir qui s’y rend et tout ce qui s’y passe. Les seuls qui ne le savent pas sont ceux à qui cela pour­rait être utile et qui vou­draient s’inspirer d’eux, en France ou dans le reste du monde. Les zadistes ont leur propre radio. Mais au lieu de lais­ser à l’occasion BFM TV les fil­mer, ils devraient pro­duire et contrô­ler aus­si leurs images. N’oublions pas que le pre­mier acte des anar­chistes à Barcelone a été la prise en main de l’industrie du ciné­ma et de la radio pour tout fil­mer. Ils disaient, en gros : « À par­tir de main­te­nant, c’est nous qui fai­sons, écri­vons et racon­tons notre histoire. »


Toutes les pho­to­gra­phies de l’article sont de Stéphane Burlot, pour Ballast.


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