Nucléaire, féminisme, littérature : une discussion avec Xavière Gauthier et Hélène Laurain


Entretien inédit | Ballast

À l’o­ri­gine se trouvent deux textes qui, à qua­rante ans d’é­cart, se répondent : La Hague, ma terre vio­len­tée, écrit par Xavière Gauthier au début des années 1980 et récem­ment réédi­té aux édi­tions Cambourakis ; Partout le feu, d’Hélène Laurain, paru l’an der­nier aux édi­tions Verdier. Et deux écri­vaines. Xavière Gauthier est phi­lo­sophe, poète, mili­tante fémi­niste. Elle s’est entre­te­nue avec Marguerite Duras, a publié une bio­gra­phie de Louise Michel et des por­traits de com­mu­nardes, a docu­men­té la lutte pour une contra­cep­tion libre et l’a­vor­te­ment choi­si. Dans les années 1970, elle a fon­dé la revue Sorcières, jetant des ponts entre fémi­nisme, éco­lo­gie et anti­ca­pi­ta­lisme d’une façon inédite. Hélène Laurain, elle, est sa cadette de plus de quatre décen­nies. Partout le feu, son pre­mier livre, aborde en vers libres le par­cours d’une mili­tante anti­nu­cléaire por­tée par l’ac­tion col­lec­tive puis secouée par la répres­sion autant que l’an­goisse cli­ma­tique. On devine ce que doit ce récit au com­bat mené à Bure, dans la Meuse, contre un centre d’en­fouis­se­ment de déchets radio­ac­tifs. Poésie, témoi­gnage, nucléaire, mater­ni­té, fémi­nisme : autant de thèmes qui, d’un texte et d’une autrice à l’autre, ont trou­vé ici l’es­pace d’un dia­logue épis­to­laire construit autour d’ex­traits de leurs écrits.


« le 26 avril 1986 / à minuit 44 / je nais­sais à la mater­ni­té des Orangers / 3 minutes avant La Sœur / 39 minutes avant la libé­ra­tion / à 2 108 kilo­mètres de là / des 200 bombes d’Hiroshima / mil­liards de mil­liards de bec­que­rel / C’est chouette / de fêter chaque année l’a­vè­ne­ment / de la géné­ra­tion Tchernobyl ».

[Hélène Laurain, Partout le feu]

Xavière Gauthier : Le 14 avril 2023, ce jour où j’é­cris, je mou­rais, en même temps que 4 mil­liards 800 mil­lions d’hu­mains. Dès 1976, le Groupement de scien­ti­fiques pour l’in­for­ma­tion sur l’éner­gie nucléaire (GSIEN) m’a­vait aver­tie : « Une usine de retrai­te­ment contient des dizaines de mil­liers de fois plus de radio­ac­ti­vi­té que n’en a déga­gé la bombe d’Hiroshima. » Quelques jours avant, fai­sant trem­pette avec mon arrière-petite-fille au Pied Sablon, dans le Val de Saire, je lui mur­mu­rais : « Il faut que tu saches que cette odeur de mer qui te ramène à la vie est empoi­son­née. Il faut que tu saches que, dans cette eau nor­mande qui berce et baigne ta peau, qui l’ir­rigue et la repose depuis tou­jours, il faut que tu saches que dans cette eau, ils ont déver­sé des dizaines et des dizaines de mil­liers de tonnes de déchets radio­ac­tifs. Et je n’ose plus trem­per le gras­souillet de ton corps, le pote­lé de tes fesses, dans les criques lui­santes de varech. Il faut que tu saches que sous cette terre coten­tine où tu poses depuis tou­jours tes petits pas hasar­deux — ton audace ! — ils ont enter­ré des cen­taines et des cen­taines de mil­liers de fûts emplis de déchets radio­ac­tifs. Et ces fûts sont déjà éven­trés. Et je ne sais plus com­ment conten­ter ton intense soif de lait frais1. » Je suis morte, je vogue dans le ciel et, assise sur un nuage (radio­ac­tif), je contemple ma terre vio­len­tée. Il ne reste rien. Rien. Sauf du plu­to­nium 239, qui agi­ra encore pen­dant 482 000 années…

Hélène Laurain : Ce qui me frappe dans Retour à La Hague, ce qui me touche, c’est ce que tu montres de notre inquié­tude pour l’a­ve­nir et la colère qui en découle, nous les « éco­ter­ro­ristes », les « oiseaux de mal­heur » et autres « pes­si­mistes patho­lo­giques ». Toujours, cette colère part de l’a­mour pour le vivant et du soin qu’on se bat pour lui appor­ter, même quand on croit qu’il est trop tard. Tu écris : « Ah, je les entends, les modernes, les vain­queurs : elle pleure sur son pas­sé, tour­nons-nous réso­lu­ment vers le Progrès. Ce sont ceux qui veulent le détruire, le faire dis­pa­raître, qui l’ap­pellent pas­sé. Moi, je l’ap­pelle vie et je l’ap­pelle ave­nir. » Ta nar­ra­trice tombe enceinte au clair de lune, et tu décris dans ta belle langue sen­suelle, gour­mande, végé­tale, la coexis­tence de l’in­quié­tude si intense pour ceux qui viennent après nous, et la confiance abso­lue dans la vie qui se recon­fi­gure toujours. 

« Je t’é­cris cette lettre pour que tu saches qu’à La Hague est pro­gram­mée la fin du monde, la fin de notre monde. Je t’é­cris cette lettre comme un appel au secours. Ta voix, ta jeune voix per­sua­sive et pres­sante, peut le por­ter haut et fort à la face des puissants. »

[Xavière Gauthier, « Lettre à Greta Thunberg »]

Hélène Laurain : Cette lettre que j’ai lue avec avi­di­té, ma fille de six ans col­lée à ma hanche, m’a arra­ché quelques larmes. Xavière, tu y tisses des liens entre géné­ra­tions, entre luttes et entre femmes en lutte de tous pays, tout en accu­mu­lant les argu­ments acca­blants contre le nucléaire. Je suis moi aus­si très admi­ra­tive de Greta Thunberg, de son cou­rage et sa colère trem­blante, si facile à moquer, à hys­té­ri­ser, ce qui a évi­dem­ment été le cas, abon­dam­ment : une jeune femme, qui plus est por­teuse d’un han­di­cap, qui ose prendre la parole afin de dire notam­ment leurs quatre véri­tés aux diri­geants, c’est car­ré­ment insup­por­table pour beau­coup. Dans la des­crip­tion de la vidéo du fameux « How dare you » que j’ai vision­née, il est écrit qu’elle « gronde » ces diri­geants : une manière évi­dem­ment de dépo­li­ti­ser son dis­cours, de l’in­fan­ti­li­ser par l’u­sage de ce champ lexi­cal. Par ailleurs, m’étant pro­me­née sur le pro­fil Instagram de Greta Thunberg à cette occa­sion, je vois qu’une grande par­tie des com­men­taires pro­viennent d’hommes qui lui disent des choses comme : « Je ne t’entends pas Greta, je démarre ma Bugatti sur­puis­sante. » Il y a clai­re­ment une super­po­si­tion entre déni, inac­tion cli­ma­tique et mas­cu­li­ni­té toxique. Comme Xavière, qui écrit que « le nucléaire, c’est le comble de la socié­té capi­ta­lo-patriar­cale », j’ai le sen­ti­ment que cette fas­ci­na­tion mor­ti­fère pour le nucléaire, le déni de ses catas­trophes pas­sées et à venir, relèvent de cette superposition.

Cette vidéo me fait par ailleurs réflé­chir (les fémi­nistes l’évoquent depuis long­temps) à la façon qu’on a d’opposer la rai­son et l’émotion incar­née ici par Greta Thunberg, qui serait le contraire d’une manière valable de faire de la poli­tique. Aujourd’hui encore plus que jamais, la rai­son ôte ses habits de supé­rio­ri­té pour ne mon­trer que le déni, l’incapacité patho­lo­gique à écou­ter, à dévier de ses cer­ti­tudes qui garan­tissent ses propres pri­vi­lèges. Les rai­son­nables d’aujourd’hui, devant les catas­trophes (notam­ment cli­ma­tiques) sont comme l’homme qui sauve une vic­time d’AVC en lui tapo­tant la joue et lui conseillant dis­trai­te­ment de rai­son gar­der. Cette rage de Greta me fait pen­ser : nous qui pleu­rons, qui aver­tis­sons, qui tan­çons, qui trem­blons, nous, traversé·es par toutes ses émo­tions intenses, nous sommes les rai­son­nables. Sa rage, je la com­prends et l’éprouve, et je ne suis pas la seule ; mer­ci à elle et mer­ci à toi, Xavière, de remettre à nou­veau en valeur sa parole.

[Extrait d'une affiche en soutien aux sept militants et militantes antinucléaires inculpés pour association de malfaiteurs à Bure, 2021]

« Nous nous ins­cri­rons dans une démarche / de reva­lo­ri­sa­tion des ter­ri­toires ruraux ils écrivent / On n’a plus de colo­nie alors on va four­rer la merde / dans le trou du cul de la métro­pole ils disent / ils se demandent / s’ils devaient choi­sir une région bien pour­rie / pour y déver­ser un tor­rent de déchet / laquelle ils choi­si­raient / après un top 3 rapide / Nord – Picardie – Lorraine / ils remar­que­ront / qu’ils ont un faible pour la Lorraine / une région / triste comme une salle de ciné­ma vide / en pleine pro­jec­tion / […] / C’est bien la Meuse tous acquiescent / du vrai Grand Est porn / comme on l’aime ».

[Hélène Laurain, Partout le feu]

Xavière Gauthier : « Une région bien pour­rie », écris-tu, Hélène, dans ton lan­gage hale­tant, boxeur, réjouis­sant. La Hague, par exemple ? Région bout du monde où un jour ont débar­qué « Des gens qui s’creient / Counseillis, dépu­taés / Y‑en eut, y‑en eut, ver/ Aveu lüs hardes de Paris/ Bah, no les tran­niait en qué­rette / Dé pouo d’va­traer lûs bell’s caô­chettes2. » Oui, tu es une hor­saine [en dia­lecte nor­mand, une étran­gère à la Normandie, ndlr], tu ne parles pas le bas-nor­mand. Mais tu com­prends que ces dépu­tés et conseillers pari­siens, il fal­lait les traî­ner en char­rette tel­le­ment ils avaient peur de salir leurs belles chaus­settes. Jamais mis les pieds dans nos lan­dages ! Et les savants : pas mieux. Ils écrasent sans même les voir les herbes du sable, les bou­tons d’or, les pâque­rettes. « Et i pilaient sus l’mil­greus blleu / Sus nos jaô­nets, sus nous pâque­rettes, / I n’ount pae veu, dreit à lus pyids / La mé qui v’nait jus­qu’à les l’qui… / Ount‑i aprins l’rot ès écoles ? » Même pas capables de voir la mer à leurs pieds ! Pas capable d’é­cou­ter « le rot de la mé », ce bruit si par­ti­cu­lier que fait la mer le long du rivage, ce gron­de­ment sourd et conti­nu. Partout la mer.

Grotesques, ridi­cules, ces crâ­neurs. Oui, jus­qu’au jour où « on sut que c’é­tait un grand mal­heur : ils veulent dres­ser leurs méca­niques, à même la roche, à même la mer » et les « haôt’s falais’s, no les machacre ». Révolte géné­rale contre ce mas­sacre : les fous de Bassan et les maôves (les mouettes) vont leur sau­ter à la figure, la mer noire va mener grand sab­bat « qui va touos vouos ébl­lâ­qui coume des bibets en sé riaunt de vouos gri­maches » qui va tous vous écra­ser comme des mou­che­rons en se riant de vos gri­maces. « Marchiz. R’tchul’-ouos. Al’-ouos-en. » Mais, ils n’ont pas recu­lé. Aujourd’hui, ce sont les chèvres — les chèvres sau­vages à poils longs de la pres­qu’île — qui prennent le relais : « Piscine-Nucléaire-Stop ! », bêlent-elles au sein de leur Zone À Déchets ; elles défendent leur droit ances­tral de PAÎTRE EN PAIX.

Hélène Laurain : C’est à la fois une joie et une tris­tesse de lire nos textes se faire tant écho, à qua­rante ans d’in­ter­valle. Tu nous rap­pelles que Georges Marchais par­lait des mili­tants anti­nu­cléaire comme des « nos­tal­giques de la lampe à huile », for­mule direc­te­ment reprise par Emmanuel Macron et pro­ba­ble­ment bien d’autres avant et après lui, qui taxait les oppo­sants à la 5G d’ad­mi­ra­teurs du « modèle amish », prô­nant le retour de la fameuse « lampe à huile ». On la voit à l’œuvre, cette langue morte qui porte en elle la des­truc­tion, celle qui répète le creux et le vide depuis des géné­ra­tions, qui moque celles et ceux qui veulent prendre soin, aler­ter, ralen­tir, ceux qui sont du côté de la vie… Ils pré­fèrent le gisant au sou­lè­ve­ment, ils pré­fèrent quand ça se tait, ça péri­clite sans pro­tes­ta­tion, sage­ment, doci­le­ment. Ces deux géné­ra­tions n’y ont peut-être rien chan­gé, mais les voix qui crient la colère et la pro­tes­ta­tion sont tou­jours là, et elles n’ont pas honte.

« On a appe­lé le Nord-Cotentin le désert vert, c’était le lieu rêvé (comme on le dit pour un crime) pour y implan­ter l’usine ato­mique la plus pol­luante, la plus dan­ge­reuse du monde. Avec un cynisme par­fait, un mépris total de la vie humaine, les diri­geants du nucléaire osent le dire ouver­te­ment : la région a été choi­sie parce que peu peu­plée. C’est bien sûr, du même coup, recon­naître que le nucléaire est dan­ge­reux : peu d’habitants, cela veut dire peu de vic­times potentielles… » 

[Xavière Gauthier, La Hague, ma terre vio­len­tée]

Hélène Laurain : Oui, on a du mal à s’imaginer une usine de retrai­te­ment ou un centre de sto­ckage aux portes de Paris, là où vivent ceux qui prennent ces déci­sions, là où ils partent « à la cam­pagne » le week-end, là où leur famille pos­sède une mai­son depuis des géné­ra­tions. Ce sont des lieux qui, je le crois, n’évoquent rien à ces déci­sion­naires, si ce n’est un vague mépris plus ou moins conscient. Dans mon roman, j’ai chan­gé le nom de Bure pour Boudin. Je vou­lais incar­ner ce regard condes­cen­dant envers « la pro­vince », sur­tout quand elle est vide, pauvre, et a prio­ri peu spec­ta­cu­laire3car dans notre civi­li­sa­tion où on oppose nature et culture, la « nature » n’a de valeur que si elle consti­tue un décor de qua­li­té à nos diver­tis­se­ments. Des lieux qui n’ont aucune chance de se trou­ver sur leur carte intime, qu’on peut rayer de la carte sans cil­ler, entre la poire et le fro­mage. Quand on s’arrête quelques ins­tants sur les for­mules « désert vert » ou « dia­go­nale du vide », ces lieux de pré­di­lec­tion pour y implan­ter le nucléaire, cette éner­gie « propre » aux déchets immor­tels, on se rend compte à quel point elles sont vio­lentes et anthro­po­cen­trées, et comme elles contiennent déjà la pos­sible des­truc­tion. Mais qu’y a‑t-il de vide, de déser­tique, dans les champs, les prai­ries, les bocages ? Ce sont des lieux qui regorgent de vie, qui incarnent le vivant.

[Extrait d'une affiche contre l'installation d'une centrale nucléaire à Plogoff, dans le Finistère]

Et peu d’habitants, comme tu le décris éga­le­ment dans le cas de La Hague, cela veut dire aus­si moins de résis­tance. À la fin des années 1980, l’Andra [Agence natio­nale pour la ges­tion des déchets radio­ac­tifs, ndlr] cher­chait déses­pé­ré­ment un endroit où s’implanter. Partout, elle s’est fait déga­ger : à Neuvy-Bouin, dans les Deux-Sèvres, des dizaines de trac­teurs, dont les vitres avaient été préa­la­ble­ment grilla­gées pour empê­cher le pas­sage des gre­nades, avaient défen­du leurs champs. En face, 250 gardes mobiles… À côté, à La Chapelle-Saint-Laurent, des blocs de gra­nite sont dépo­sés devant les locaux de l’Andra. À Angers, 15 000 per­sonnes défilent dans les rues, du jamais vu depuis 1968. Alors, pour les tenants du pro­jet, il ne s’agissait plus de trou­ver un sol cor­res­pon­dant à leurs cri­tères tech­niques et géo­lo­giques, mais d’éviter la contes­ta­tion mas­sive. On se rabat sur la Meuse et la Haute-Marne, par­mi les dépar­te­ments les plus pauvres de France et sur­tout, qui se vident de leur popu­la­tion4… Il suf­fi­ra d’arroser de sub­ven­tions ces ter­ri­toires, on tue­ra la résis­tance rési­duelle dans l’œuf. Pour rebon­dir sur le terme que tu uti­lises Xavière, le crime parfait.

« Pour se pro­té­ger / ils feront des sau­cis­sons cof­frés de déchets nucléaires / entou­rés / de verre cris­tal­li­sé / ou d’acier inoxy­dable / 120 ans après / ils fer­me­ront bou­tique / le centre d’accueil des déchets / la boîte / sera fer­mée / […] / mais au fond ils sau­ront bien / qu’ils condam­ne­ront Boudin / à être rayé de la carte / Nous défi­ni­rons chaque étape / en concer­ta­tion étroite avec la popu­la­tion ils écri­ront / d’abord ils s’approprieront ce nom / ils le ren­dront encore plus misé­rable / et ensuite / ils s’approprieront le ter­ri­toire / hameaux / vil­lages / mai­sons / forêts / champs / englou­ti Boudin / avec un nom pareil de toute façon. » 

[Hélène Laurain, Partout le feu]

Xavière Gauthier : Boudin rayé de la carte ? La Hague, déta­chée de la carte de France. « Le centre de retrai­te­ment et de sto­ckage de déchets radio­ac­tifs de La Hague a explo­sé. Le cou­vercle de la cocotte-minute a sau­té. La plu­part des habi­tants de La Hague, de la région de Cherbourg et de toute la pointe nord du Cotentin, celle qui se découpe et s’avance le plus loin dans la mer, ont été tués. Les sur­vi­vants, très irra­diés, ne pour­ront jamais fuir : on a bar­ré la base de la presqu’île pour empê­cher leur éva­cua­tion. Tout le Nord-Cotentin, zone hau­te­ment radio­ac­tive pour des mil­liers d’années, peut alors être iso­lé tota­le­ment, deve­nir une île, une île aban­don­née à la conta­mi­na­tion. » Science-fic­tion ? Où suis-je allée pêcher l’image d’un Nord-Cotentin entou­ré d’eau de toutes parts ? La terre ferme ne nous relie-t-elle pas à la grande France ?

« Au début de l’ère chré­tienne, voi­là des mil­lé­naires, le Cotentin et la Bretagne étaient une seule et même terre, le Massif armo­ri­cain. Une magni­fique forêt, sombre, pro­fonde, s’étendait jusqu’aux monts gra­ni­tiques qui sont aujourd’hui deve­nus les îles anglo-nor­mandes. La forêt de Scissy était si dense, si épaisse, qu’elle ser­vait de repaire aux bri­gands et aux bêtes sau­vages, mais aus­si de refuge aux évêques mys­tiques en béate contem­pla­tion de la nature à l’état pur… Dans sa beau­té brute, la sylve impres­sion­nait, on la disait lieu d’enchantements. Or, un jour d’automne de l’an 709, cette immense forêt s’est effon­drée ! D’un coup, dit la légende. La tem­pête de grande marée l’a englou­tie, la tor­nade l’a noyée à jamais. Raz de marée. On a pu voir, par marée de vives-eaux, les arbres cou­chés dans le sable, à trois mètres de pro­fon­deur ; ils avaient gar­dé leurs glands, leurs faines, leurs noi­settes ! Et les bateaux naviguent, et les pois­sons nagent, au-des­sus d’une forêt de chênes… 

Et c’est ain­si que le Cotentin, ce mor­ceau de Massif armo­ri­cain, iso­lé par la mer et les dis­lo­ca­tions, est deve­nu une presqu’île… Et c’est ain­si que Jersey et Guernesey sont deve­nues des îles… (À y pen­ser, le sol vous manque, la terre n’est pas ferme.) Et le Nord-Cotentin pour­rait deve­nir une île. Mais, alors, ce ne serait pas par la force de la nature. Des dic­ta­teurs, déjà, en avaient conçu le pro­jet ; Napoléon, puis Hitler, vou­laient en faire une zone for­ti­fiée, fer­mée, facile à défendre contre l’ennemi. Isoler la pointe du Cotentin (le Clos de Cotentin), la cou­per du reste du monde, la géo­gra­phie du pays semble s’y prê­ter : la terre est déjà enta­mée à l’ouest par l’embouchure de l’Ay, entaillée à l’est par l’estuaire du Merderet ; au centre, la zone de dépres­sion des marais de Carentan n’est pro­té­gée de l’inondation totale que par des écluses. Alors… Ce serait bien étrange que les pro­mo­teurs du nucléaire n’y aient pas pen­sé. C’est si pra­tique une presqu’île – tant qu’ils ont besoin de trans­por­ter leurs cochon­ne­ries, les faire aller et venir à leur aise – qui peut à volon­té deve­nir une île, leur for­fait accom­pli5. » La Hague déta­chée de la carte de France, c’est ce que montre une carte ima­gi­naire d’Anne-Sophie Girault. Cette image me fait un choc, j’ai l’im­pres­sion qu’on m’ar­rache la tête. Elle a illus­tré l’é­mis­sion L’Expérience, sur France Culture, dif­fu­sée le 16 octobre 2022, un docu­men­taire de Bastien Lambert, qui ajoute : « Le Cotentin devien­drait une île à part entière, lais­sée en libre-ser­vice pour les vaches, les pom­miers et les embruns conta­mi­nés. »

[Extrait d'une affiche pour le camp antinucléaires des Rayonnantes, à Bure, 2021]

Hélène Laurain : Comme le montrent La Hague et Bure, le nucléaire incarne par excel­lence l’impasse spa­tiale et le retour­ne­ment tem­po­rel : on n’y échappe pas dans l’espace (étran­ge­ment, les radia­tions ne s’arrêtent pas aux fron­tières), et les ruines des catas­trophes conti­nuent de repré­sen­ter un dan­ger consi­dé­rable. En 2021, on remar­quait un regain de radio­ac­ti­vi­té à Tchernobyl ; des réac­tions de fis­sion avaient lieu dans une salle inac­ces­sible. À Fukushima, il faut arro­ser la cen­trale en conti­nu pour refroi­dir le mag­ma résul­tant de la fusion d’éléments du cœur nucléaire, ce qui génère 150 mètres cubes d’eau conta­mi­née par jour. Pour ne rien gâcher, les déchets, de plus en plus nom­breux, condamnent défi­ni­ti­ve­ment les ter­ri­toires où il sont enfouis : à Bure, on attend de la roche qu’elle retienne la radio­ac­ti­vi­té pour les 100 000 ans à venir. Je cite Xavière évo­quant l’usine de retrai­te­ment à La Hague, plus tôt dans le livre :

« Il fau­dra 482 000 ans avant que le plu­to­nium 239 ait per­du la presque tota­li­té de sa radio­ac­ti­vi­té ! Alors com­ment ima­gi­ner, dans 482 000 années, un être — quelle sorte d’humain ? de quel lan­gage ? — qui serait pro­té­gé de la conta­mi­na­tion par un fil de fer et une pan­carte : Défense d’entrer. Danger ato­mique ? […] Là, même la pen­sée fait défaut. Comment pen­ser que des hommes — des hommes de notre géné­ra­tion, des hommes qui habitent non loin de nous —, des hommes qui existent donc aient pu déci­der de l’avenir d’une par­tie de l’humanité pour près de 500 millénaires ? » 

[Xavière Gauthier, Retour à La Hague]

Chaque catas­trophe nucléaire nous démontre que la science-fic­tion n’est pas un jeu futile de l’imagination mais bien une réa­li­té paral­lèle qui pirate notre concep­tion linéaire de la tem­po­ra­li­té. Elle nous rap­pelle que la catas­trophe nucléaire n’est pas un acci­dent mal­heu­reux, mais qu’elle est consti­tu­tive de cette inven­tion même, qui dépasse notre capa­ci­té à la contrô­ler. Cela me fait pen­ser à ce que Svetlana Alexievitch dit dans un entre­tien pour Le Monde, en 2006 : « Vingt ans se sont écou­lés depuis la catas­trophe et, pour­tant, la ques­tion essen­tielle reste pour moi : suis-je en train de témoi­gner du pas­sé ou de l’a­ve­nir ? » La radio­ac­ti­vi­té, après une catas­trophe, a une action si longue et dif­fuse qu’elle en devient insai­sis­sable pour notre enten­de­ment humain. C’est un dan­ger sans corps, elle a un début mais pas de fin. C’est pour cette rai­son qu’Alexievitch évoque ce brouillage de la tem­po­ra­li­té : cet évè­ne­ment du pas­sé méta­mor­phose notre ave­nir pour une durée indé­ter­mi­née. Et avec l’absence de fin, l’impossibilité de gué­ri­son, de l’ou­bli, du deuil. Le nucléaire et les innom­brables catas­trophes poten­tielles qu’il contient, ain­si que leur ampleur spa­tiale et tem­po­relle, défient notre rap­port à l’avenir. Le nucléaire encap­sule cette absence d’issue, qui le rend si irres­pi­rable, si inac­cep­table. Parallèlement, la catas­trophe cli­ma­tique met jus­te­ment en jeu notre capa­ci­té à s’inscrire dans l’avenir : quand le rythme des sai­sons est bri­sé, quand les séche­resses et les évé­ne­ments extrêmes se mul­ti­plient, notre vie fra­gile est en pre­mière ligne. Le monde du dérè­gle­ment cli­ma­tique, s’il s’obstine à res­ter nucléaire, est un monde où la vision d’un futur pos­sible est aus­si large que le chas d’une aiguille.

Cet argu­ment de la science-fic­tion, sou­vent uti­li­sé par les afi­cio­na­dos du nucléaire, rejoint par ailleurs ce que j’écrivais plus haut sur l’argument de la rai­son : tout est « conçu par des scien­ti­fiques », tout est « véri­fié », tout est « garan­ti », tout est « sécu­ri­sé » : l’imprévu est impen­sable. Pourtant, le monde du dérè­gle­ment n’est, jus­te­ment, qu’imprévu. Avec quelle eau seront refroi­dis les réac­teurs en été, quand la plu­part de si nom­breux cours d’eau seront à sec ? La croyance folle en un pré­sent éter­nel, la foi en un contrôle humain qui défie tout élé­ment non-humain, la voi­là, la science-fic­tion dans laquelle on vit. La pro­jec­tion dans le pos­sible, comme le fait Xavière ici, ou l’advenu, comme le fait Alexievitch, ce dia­logue entre anti­ci­pa­tion et mémoire, c’est ce qui vient défier cette croyance si dan­ge­reuse, la faire vaciller, et c’est bien pour ça qu’elle est si impor­tante. Alexievitch ajoute : « Ce qui m’a le plus frap­pée à Tchernobyl, c’est la vie après : les choses, les pay­sages sans pré­sence humaine. Les routes, les fils élec­triques qui ne mènent à rien. Une pom­me­raie enva­hie par de jeunes bou­leaux. Un cerf cou­rant dans une herbe aus­si haute que lui. Rien qui rap­pelle l’homme, sinon des lits métal­liques posés sur les fon­da­tions de mai­sons pay­sannes en ruines, des poêles noir­cis, res­sem­blant plus à de mons­trueux nids d’oi­seaux qu’à des foyers humains. Alors, on se demande mal­gré soi : c’est quoi ? Le pas­sé ou l’a­ve­nir de l’hu­ma­ni­té ? »

Xavière Gauthier : « Brouillage de la tem­po­ra­li­té », écris-tu Hélène. « Enchevêtrement des temps », écrit l’an­thro­po­logue Akido Ida6. Protégés (?) par des imper­méables et des para­pluies, confi­nés pour des récréa­tions à l’intérieur, tout ce que ces petits Japonais mangent, tout ce qu’ils res­pirent, pro­voque une « rup­ture de l’ordinaire des choses » et cet enche­vê­tre­ment des temps entre un pas­sé, Hiroshima, et un futur, « sujet au doute et syno­nyme de danger ».

[Extrait d'une affiche contre l'installation d'une centrale nucléaire à Plogoff, dans le Finistère]

« Science-fic­tion, catas­trophes poten­tielles », écris-tu Hélène. Ce jour où je te réponds, 5 juillet 2023, ce n’est pas moi, mal­heu­reuse pythie, qui l’annonce, ce sont tous les médias : pour la pre­mière fois dans l’Histoire une cen­trale nucléaire est deve­nue un enjeu de guerre. À Zaporijia, la plus grande cen­trale d’Europe, les Russes auraient pla­cé des engins explo­sifs sur le toit exté­rieur des réac­teurs 3 et 4. C’est Kiev qui l’affirme, mais selon Moscou, ce sont les Ukrainiens qui se pré­parent à atta­quer la cen­trale. Dans un cas comme dans l’autre, mon mes­sage n’aura peut-être le temps de vous par­ve­nir. Déjà, le mois der­nier, le bar­rage hydro­élec­trique de Kakhovka a explo­sé, l’alimentation en eau de refroi­dis­se­ment est pro­blé­ma­tique. Or, si une cen­trale n’est pas refroi­die en per­ma­nence, elle se trans­forme en bombe ato­mique. En France, chaque année, trois mil­liards de mètres cubes d’eau sont pré­le­vées pour les besoins de l’agriculture. Une baga­telle !, au regard des seize mil­liards néces­saires pour refroi­dir les centrales.

Dans la cen­trale de Zaporijia, je vois qu’existent : un lieu de sto­ckage à sec des com­bus­tibles irra­diés, un lieu de sto­ckage des radio­ac­tifs solides, un lieu de trai­te­ment des déchets radio­ac­tifs. À Orano-La Hague, sont actuel­le­ment entre­po­sées près de 10 000 tonnes de com­bus­tibles usés. Les énormes pis­cines débordent. Vite ! en construire deux autres, pour ajou­ter 13 000 tonnes, soit l’équivalent de 130 cœurs de réac­teurs. Quand on est dans la « croyance folle », pour­quoi se pri­ver ? Lorsque, ce 14 juin, Sandrine Rousseau vient à La Hague dénon­cer « le délire pro­mé­théen autour du nucléaire », les grandes voix locales lui jettent du « nucléaire sûr » et de « l’énergie décar­bo­née ». Un sum­mum de : « tout est véri­fié, tout est garan­ti, tout est sécu­ri­sé : l’imprévu est impen­sable ».

« L’argument de la rai­son », écris-tu Hélène. Le 8 novembre 2022, des chèvres sau­vages, des cen­tau­rium por­tense [petites cen­tau­rées de Porto, ndlr], des mili­tantes et des mili­tants de Piscine-nucléaire-stop — toutes espèces mena­cées d’extinction — sont venus à Paris, capi­tale déci­deuse, et ont clai­re­ment arti­cu­lé : « Une presqu’île, une lande, une pou­belle, appe­lez-la comme vous vou­lez, mais c’est là que nous habi­tons. La Hague n’est pas un trou sans fond. Soyons rai­son­nables, ne lais­sons pas l’avenir du pays aux mains de ces dan­ge­reux incom­pé­tents. Ne les lais­sons pas nous entraî­ner dans leur chute. La Hague ne se lais­se­ra pas enter­rer vivante. » La cen­tau­rium por­tense est une petite fleur, mais plus on la coupe, plus elle repousse. Ma voix est faible, elle est étouf­fée par le puis­sant lob­by du men­songe, mais je crie­rai jusqu’à ma mort.

Hélène Laurain : Quand, dans ton livre, la nar­ra­trice met au monde son enfant, elle lui dit : « Je te ser­rais de toutes mes forces en san­glo­tant et je te sup­pliais de n’a­voir jamais exis­té. […] Je me suis sou­ve­nue : dans la mai­son de cam­pagne, le lilas, cou­pé, repous­sait tou­jours ; il sou­le­vait même les pierres du toit ; aucun désher­bant n’en venait à bout ; chaque fois que nous reve­nions, nous trou­vions des feuilles vertes qui dépas­saient du toit de lave grise. Je me suis sou­ve­nue de la force des végé­taux7. » Je veux croire, comme toi et comme elle, en la coexis­tence du déses­poir et du sou­lè­ve­ment jamais découragé.


Illustration de ban­nière : extrait d’une affiche pour le camp anti­nu­cléaires des Rayonnantes, à Bure, 2021
Illustration de vignette : extrait d’une affiche du film de Nicole Le Garrec, Plogoff, des pierres contre des fusils, 1980


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  1. Retour à la Hague, Cambourakis, 2022, p. 151–152.[]
  2. Toutes les cita­tions sui­vantes sont d’un poème de Côtis-Capel, Retour à la Hague, p. 132–133.[]
  3. Note de Xavière Gauthier : « Peu spec­ta­cu­laire, la Hague ?! Je bon­dis et j’appelle à la res­cousse, dans le désordre le plus com­plet, une flo­pée d’écrivains, de cinéastes, de peintres. Tous le clament, s’en émer­veillent : impres­sion­nant ! grand spec­tacle ! « la presqu’île de beau­té » ! à cou­per le souffle ! J’ai en mémoire mon affo­le­ment lorsque, enfant, j’avais lu dans La Presse de la Manche que Maria Shell avait été pré­ci­pi­tée du haut des falaises d’Herqueville (Hague) jusque dans la mer ! Mon père m’avait ras­su­rée : c’était un man­ne­quin, dans la char­rette, et non l’actrice en vrai, qui était pré­ci­pi­tée dans le gouffre par le mari jaloux. Ouf ! Tout de même, le roman de Maupassant, Une vie, fil­mé par Astruc, était bien pris dans la vio­lence inouïe des sen­ti­ments et des gouffres de la Hague. Et La course à l’échalote, de Zidi, avec Birkin, à Eculleville (Hague) et la baie de Quervière (Hague). Et Les deux Anglaises et le conti­nent, de Truffaut, à Auderville (Hague) et au phare de Goury (Hague). Et Fedora, de Wilder, à Vauville (Hague) et au Rozel (limite de la Hague). Et Les Caïds d’Enrico, à Auderville (Hague) et Saint-Germain-des-Veaux (Hague). Pourrais-je oublier Le Camion, de ma chère Duras, avec Depardieu, sur la baie d’Escalgrain (Hague) ? Et Boris Vian dans sa mai­son de Landemer (Hague) qui nous arrache le cœur avec la mère dans sa furie d’accouchement de tri­plés et la mer dans sa furie de tem­pête. Bon, évi­dem­ment, Jean-François Millet, en son hameau de Gruchy, com­mune de Gréville-Hague, dont L’Angélus sonne près du Rocher de Castel-Vendon (Hague). Diva, de Beineix, c’est plu­tôt vers Gatteville (nord-Cotentin, tout de même). Mon film pré­fé­ré sans doute, Tess, de Polanski, où Omonville-la-Rogue (Hague) et le manoir du Tourp sont dans toute leur splen­deur. La mai­son d’Alexandre Trauner a ser­vi de décor pour Les Routes du sud, de Losey, avec Montand, du côté de Vauville (Hague) et Jobourg (Hague). Décorateur pour Carné et com­pa­gnie, Trauner décide son ami Jean-Jacques Prévert à s’acheter une mai­son près de la sienne et à venir y vivre jusqu’à sa mort. C’était à Omonville-la-Petite (Hague). Prévert affec­tion­nait ce bord de mer : Au loin, déjà la mer s’est reti­rée / Mais dans tes yeux entrou­verts / Deux petites vagues sont res­tées / Démons et mer­veilles / Vents et marées / Deux petites vagues pour m’y noyer. »[]
  4. Voir Pierre Bonneau, Gaspard d’Allens, Cécile Guillard, Cent mille ans, Bure ou le scan­dale enfoui des déchets nucléaires, Seuil, 2020.[]
  5. Retour à la Hague, p. 119–123.[]
  6. Dans « Le vécu de l’accident de Fukushima : les paroles des enfants », Bulletin Amades, n° 84.[]
  7. Retour à La Hague, p. 157.[]

REBONDS

☰ Lire notre entre­tien avec Cara New Dagett : « Pour une lec­ture fémi­niste du déni cli­ma­tique », juillet 2023
☰ Lire notre article « Déchets nucléaires : impasse et résis­tance », Laure Barthélemy et Djibril Maïga, juin 2018
☰ Lire notre article « Un liqui­da­teur à Fukushima », Djibril Maïga, juin 2018
☰ Lire notre entre­tien avec Kolin Kobayashi : « Nucléaire : on vit vrai­ment dans la folie », juin 2018
☰ Lire notre entre­tien avec Michaël Ferrier : « Fukushima, c’est une situa­tion de guerre », octobre 2017
☰ Lire notre article « Sahara algé­rien — des essais nucléaires aux camps de sûre­té », Awel Haouati, juin 2017

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