La Voz de la Mujer : ni dieu ni patron ni mari


En cette fin du XIXe siècle, l’Argentine cherche à se consti­tuer en nation. On lui cherche une capi­tale, ce sera Buenos Aires ; l’é­co­no­mie se doit d’être « moder­ni­sée », on charge les diri­geants de s’en occu­per ; on aspire à ce que le ter­ri­toire soit éten­du et dûment maî­tri­sé — pour ce faire, on réduit à rien le peuple mapuche, qui habi­tait jus­qu’a­lors la Patagonie. Au même moment, plu­sieurs mil­lions d’Européens — Italiens et Espagnols en majo­ri­té — s’ins­tallent dans les villes du pays. Avec eux, le socia­lisme se dif­fuse — et avec eux seule­ment. Car dans les milieux anar­chistes, les femmes n’ont alors que peu de place pour s’ex­pri­mer. Pendant plus d’un an, cer­taines vont le faire dans les pages de La Voz de la Mujer, pério­dique com­mu­niste liber­taire qui entend lut­ter contre « le double escla­vage du capi­tal et des hommes ». Sous le titre de Ni dieu, ni patron, ni mari, paru aux édi­tions Nada, la cher­cheuse Hélène Finet pré­sente une antho­lo­gie regrou­pant pour la pre­mière fois en fran­çais des articles de ce jour­nal : nous publions son introduction.


« Ah, canailles ! Notre ven­geance sera ter­rible. »
La Voz de la Mujer

À l’instar des États-Unis, dans l’hémisphère nord, l’Argentine, à l’extrémité sud du conti­nent amé­ri­cain, devient, à la fin du XIXe siècle, une terre d’immigration euro­péenne mas­sive. Fuyant la misère et la répres­sion poli­tique, plu­sieurs mil­lions d’immigrants, en pro­ve­nance d’Italie, d’Espagne, de France, de Russie, mais aus­si d’Allemagne et de Pologne, débarquent dans le port de Buenos Aires au cours de cette période, en quête d’une vie meilleure. Leurs espoirs sont cepen­dant vite déçus : les inéga­li­tés sociales n’y sont pas moins fortes, les condi­tions de tra­vail, dans les ate­liers ou les usines, sont effroyables et les condi­tions de vie, dans les conven­tillos — ces mai­sons colo­niales dans les­quelles des familles entières s’entassent dans des chambres insa­lubres pour un loyer exor­bi­tant —, épou­van­tables. Face à l’indifférence des pou­voirs publics, les classes popu­laires, qui comptent par­mi elles leur lot de réfu­giés poli­tiques — com­mu­nards fran­çais, antit­sa­ristes russes, etc. — et de mili­tants actifs — par­mi les­quels les anar­chistes ita­liens Errico Malatesta et Pietro Gori —, com­mencent à s’organiser et à lut­ter pour amé­lio­rer leur sort. En 1887, la pre­mière socié­té de résis­tance ouvrière, ancêtre des syn­di­cats modernes, celle des ouvriers bou­lan­gers, est consti­tuée par les anar­chistes. Au cours des années sui­vantes, ces ini­tia­tives vont se mul­ti­plier et favo­ri­ser un pro­ces­sus de struc­tu­ra­tion qui abou­ti­ra, en mai 1901, à la créa­tion de la Fédération ouvrière régio­nale argen­tine (FORA), orga­ni­sa­tion d’obédience liber­taire, pion­nière du syn­di­ca­lisme argen­tin. Parallèlement, les jour­naux d’expression anar­chiste pro­li­fèrent. Ainsi, dans les années 1880–1890, il existe presque simul­ta­né­ment une ving­taine de pério­diques publiés en fran­çais, espa­gnol ou ita­lien. Pour autant, ce mili­tan­tisme ne concerne essen­tiel­le­ment que des hommes. Or les femmes, dont la par­ti­ci­pa­tion au monde du tra­vail s’intensifie en rai­son de l’évolution des struc­tures capi­ta­listes, subissent, quant à elles, un sort bien pire encore que leurs com­pa­gnons, étant à la fois vic­times de l’exploitation au tra­vail, mais éga­le­ment au sein de leur foyer.

« La Voz de la Mujer est le pre­mier et, jusqu’alors, le seul pério­dique révo­lu­tion­naire, issu de la classe ouvrière, écrit par des femmes et pour des femmes. »

C’est dans ce contexte qu’un groupe de mili­tantes anar­chistes fonde, à Buenos Aires, le jour­nal La Voz de la Mujer. Periódico Comunista-Anárquico (La Voix de la femme. Journal com­mu­niste-anar­chiste), qui, entre jan­vier 1896 et jan­vier 1897, publie­ra neuf numé­ros. S’il n’est pas le pre­mier jour­nal fémi­nin d’Amérique latine, il est en tout cas le pre­mier et, jusqu’alors, le seul pério­dique révo­lu­tion­naire, issu de la classe ouvrière, écrit par des femmes et pour des femmes. Comme ses rédac­trices le reven­diquent dans l’éditorial du pre­mier numé­ro, toutes sont déter­mi­nées à « faire entendre [leur] voix dans le concert social et exi­ger [leur] part de plai­sirs au ban­quet de la vie1 ». Son équipe de rédac­tion, qui évo­lue au cours de l’année, est com­po­sée de tra­vailleuses, toutes inves­ties sur le ter­rain des luttes sociales. Parmi celles qui vont contri­buer à l’élaboration du jour­nal, on peut citer : Pepita Gherra2, Virginia Bolten3, Teresa Marchisio4, María Collazo, María Martínez, María Calvia, Irma Ciminaghi, Rosario de Acuña, Carmen Lareva et Milha Nohemi5. Les rédac­trices sol­li­citent éga­le­ment des contri­bu­tions auprès de figures fémi­nines de l’anarchisme inter­na­tio­nal telles que Emma Goldman aux États-Unis ou Louise Michel en France, mais il semble que les rela­tions ne se soient pas concré­ti­sées — peut-être en rai­son de la dis­tance ou de la durée de vie éphé­mère du jour­nal. Quoi qu’il en soit, sa paru­tion est saluée par la presse liber­taire outre-Atlantique.

Financé grâce aux dons et au sou­tien de nom­breux sous­crip­teurs, hommes ou femmes6, La Voz de la Mujer est dif­fu­sé semi-clan­des­ti­ne­ment, par envoi pos­tal ou de la main à la main, dans les ate­liers, les athé­nées liber­taires, les biblio­thèques et les centres ouvriers ain­si que lors de mee­tings, de mou­ve­ments de grèves et de mani­fes­ta­tions. Avec un tirage oscil­lant entre 1 000 et 2 000 exem­plaires, sa fré­quence de paru­tion est irré­gu­lière, en fonc­tion du temps dont dis­posent ses rédac­trices et de leurs maigres moyens finan­ciers. Ainsi, comme l’indiquent les édi­trices en cou­ver­ture, le jour­nal « paraît quand il peut ».

[Sonia Delaunay]

Chaque numé­ro, com­po­sé de quatre pages, réunit des textes jour­na­lis­tiques, lit­té­raires et mili­tants, en espa­gnol et en ita­lien, reflé­tant tant la com­po­si­tion de l’équipe de rédac­tion que le public auquel elle s’adresse en prio­ri­té : les tra­vailleuses et membres de la classe ouvrière issues de l’immigration — cou­tu­rières, blan­chis­seuses, repas­seuses, ouvrières à domi­cile, en ate­liers ou en usines. Éditoriaux et articles por­tant sur la ques­tion sociale et le rôle des femmes dans la socié­té, poèmes et fables morales met­tant en scène les vic­times de la socié­té bour­geoise — les pauvres, les tra­vailleurs et les tra­vailleuses, les pros­ti­tuées — ou leurs adver­saires — les bour­geois, les curés, les juges, les poli­ciers —, repro­duc­tions ou tra­duc­tions d’articles publiés dans la presse euro­péenne — notam­ment des anar­chistes bar­ce­lo­naises Soledad Gustavo et Teresa Claramunt et de la socia­liste ita­lienne Anna María Mozzoni —, rythment la publi­ca­tion. Vecteur de conscien­ti­sa­tion, mais aus­si d’éducation – que l’instruction publique leur dénie, alors que « nous aus­si, nous pen­sons7 ! » clament-elles —, le jour­nal se pro­pose de four­nir aux femmes pro­lé­taires les outils, théo­riques et pra­tiques, néces­saires à leur propre émancipation.

« Le pério­dique affiche la volon­té de ses rédac­trices d’en finir avec toute forme d’oppression, qu’elle soit reli­gieuse, capi­ta­liste ou patriar­cale, les unes étant liées aux autres. »

Si La Voz de la Mujer dénonce l’exploitation sala­riale, accrue pour les femmes car elles touchent des salaires plus faibles que ceux de leurs com­pa­gnons, le jour­nal va plus loin encore en s’attaquant au pro­blème, jusqu’alors igno­ré, de l’exploitation domes­tique. La signa­ture uti­li­sée par l’une de ses adhé­rentes, « Ni dieu ni patron ni mari », illustre par­fai­te­ment le par­ti pris du jour­nal. Le pério­dique affiche ain­si la volon­té de ses rédac­trices d’en finir avec toute forme d’oppression, qu’elle soit reli­gieuse, capi­ta­liste ou patriar­cale, les unes étant liées aux autres, en inves­tis­sant la sphère contes­ta­taire. Sur un ton com­ba­tif, et une viru­lence assu­mée, ses rédac­trices, « déter­mi­nées et sur la brèche8 », y cri­tiquent ouver­te­ment l’inégalité entre les hommes et les femmes et ques­tionnent sans détour la domi­na­tion mas­cu­line, sous tous ses aspects, en exi­geant la fin des dis­cri­mi­na­tions. Partisanes de l’amour libre — qui n’est pas la sexua­li­té débri­dée, pour laquelle elles mani­festent d’ailleurs une forte aver­sion, mais l’union libre entre deux êtres consen­tants sans recon­nais­sance légale ou reli­gieuse —, elles cri­tiquent abon­dam­ment le fait que les hommes, sous cou­vert de l’institution du mariage, veuillent les main­te­nir dans un état d’asservissement et de dépen­dance, qu’il soit éco­no­mique, moral ou sexuel.

La condi­tion des femmes a déjà été abor­dée dans la presse anar­chiste argen­tine des années 1890, notam­ment dans la sec­tion « Féminisme » du jour­nal Germinal, mais aus­si dans une série de bro­chures inti­tu­lées « Propagande anar­chiste entre femmes » publiées, entre 1895 et 1897, par La Questione Sociale, jour­nal en ita­lien fon­dé par Malatesta. En effet, dans sa volon­té de créer une contre-culture pro­lé­taire, l’anarchisme a, dès ses ori­gines, ten­té de rompre avec la morale et les mœurs bour­geoises et prô­né l’émancipation des femmes. Pour autant, l’essentiel des mili­tants res­taient des hommes qui subor­don­naient la ques­tion spé­ci­fique de genre à la trans­for­ma­tion révo­lu­tion­naire des rap­ports sociaux. Selon eux, la révo­lu­tion sociale résou­drait, de fait, tous les rap­ports de domi­na­tion, y com­pris entre hommes et femmes. Mais dans l’attente du grand soir, la situa­tion au sein des foyers évo­luait peu…

[Sonia Delaunay]

Acte de résis­tance et d’affirmation, La Voz de la Mujer, per­çue, dès son pre­mier numé­ro, comme trans­gres­sive, fait ain­si une irrup­tion remar­quée sur la scène mili­tante, y com­pris dans les milieux anar­chistes où les hommes, qui voient d’un mau­vais œil cette publi­ca­tion authen­ti­que­ment fémi­nine, réagissent soit avec indif­fé­rence, soit avec hos­ti­li­té. Car, si les femmes étaient accep­tées en tant que cama­rades et sou­tiens des luttes, leur auto­no­mi­sa­tion et leur com­bat pour la défense de leurs droits l’était bien moins. En consé­quence, elles ne reçurent pra­ti­que­ment aucun appui, et leur prise de posi­tion sou­le­va un véri­table tol­lé dans cer­tains milieux. Les édi­to­riaux des trois pre­miers numé­ros en font lar­ge­ment état9. Qu’importe, elles assument fiè­re­ment leurs idées et s’attaquent fron­ta­le­ment à leurs détrac­teurs qu’elles qua­li­fient de « faux anar­chistes », inca­pables d’appliquer dans la sphère pri­vée les prin­cipes qu’ils défendent publi­que­ment. Réglant leur compte dans leur propre camp, elles dénoncent l’hypocrisie des mili­tants qui parlent à tout bout de champ de liber­tés sociales, mais qui se conduisent comme des « tsars » dans leurs foyers. Elles prennent part, notam­ment, à la contro­verse qui secoue le milieu liber­taire argen­tin en ren­dant publique l’agression d’Anita Lagouardette par son com­pa­gnon, Francisco Denanbride, défen­du par cer­tains de ses cama­rades anar­chistes masculins.

« Elles dénoncent l’hypocrisie des mili­tants qui parlent à tout bout de champ de liber­tés sociales, mais qui se conduisent comme des tsars dans leurs foyers. »

L’exploitation sexuelle dont sont vic­times les femmes est un des thèmes récur­rents. Le jour­nal dénonce ain­si la dépra­va­tion du cler­gé catho­lique qui, régu­liè­re­ment, est au cœur de scan­dales d’abus sexuels sur des enfants, filles comme gar­çons, sous sa « pro­tec­tion ». Les pros­ti­tuées, dont il est sou­vent ques­tion, sont vues comme des mar­tyrs, pro­duits de la cor­rup­tion sociale : ce sont la misère, la luxure des hommes, les ins­ti­tu­tions comme le mariage et l’absence de pers­pec­tives pour s’en sor­tir qui, selon les rédac­trices, les ont conduites à faire com­merce de leur corps. Comme le sou­ligne Joël Delhom : « La ques­tion sexuelle et la ques­tion sociale sont donc réunies et pla­cées au centre du dis­cours por­té par ce jour­nal. L’exploitation sexuelle est pré­sen­tée comme le corol­laire de l’exploitation éco­no­mique dans la socié­té capi­ta­liste, défi­nie par une asy­mé­trie fon­da­men­tale de pou­voir entre le bour­geois et le pro­lé­taire, mais aus­si entre l’homme et la femme10. » Cependant, si les thé­ma­tiques abor­dées dans le jour­nal sont sou­vent très nova­trices pour l’époque et le milieu aux­quelles elles s’adressent, on constate tou­te­fois que, sur d’autres aspects, les posi­tions défen­dues sont plus conservatrices.

Ainsi la vision du couple, de la famille, de la mater­ni­té ou de la sexua­li­té for­mu­lée par les rédac­trices, reste, pour l’essentiel, conforme aux sché­mas tra­di­tion­nels, empreinte même d’un cer­tain puri­ta­nisme, et ne trans­gresse que timi­de­ment les conven­tions de leur temps. Plusieurs articles contiennent des éloges appuyés à la mater­ni­té et au rôle fon­da­men­tal dévo­lu aux mères dans l’éducation des enfants, dans la droite lignée de la tra­di­tion patriar­cale et de la divi­sion gen­rée du tra­vail domes­tique. Enfin, comme nous l’avons sou­li­gné plus haut, la ques­tion de la libé­ra­tion sexuelle et des pra­tiques n’est abor­dée que sous l’angle de la déviance. Quant à la ques­tion de l’homosexualité, elle n’est tout sim­ple­ment pas évo­quée. Si la condi­tion des femmes pro­lé­taires est le sujet prin­ci­pal du jour­nal, il ne se limite cepen­dant pas à cette thé­ma­tique et aborde éga­le­ment d’autre sujets dans une optique anar­chiste plus vaste : lutte contre l’État, l’Église, le capi­ta­lisme, la police et l’armée, etc. Partisan de la pro­pa­gande par le fait, il appelle les tra­vailleuses et les tra­vailleurs à s’organiser pour ren­ver­ser, par tous les moyens à leur dis­po­si­tion — même les plus vio­lents —, les tenants du sys­tème auto­ri­taire. Après plu­sieurs chan­ge­ments de comi­té de rédac­tion, et de nom­breux appels à l’aide, le jour­nal cesse sa paru­tion. Les rai­sons sont mul­tiples : manque de sou­tien, pro­blèmes éco­no­miques, dif­fi­cul­tés à trou­ver son public (beau­coup de femmes étaient alors anal­pha­bètes), radi­ca­li­té du pro­pos, ten­dance mino­ri­taire au sein de l’anarchisme argen­tin, et plus encore du mou­ve­ment ouvrier, etc.

[Sonia Delaunay]

Cependant, en dépit d’une exis­tence assez brève, ce jour­nal a joué un rôle pré­cur­seur fon­da­men­tal. En effet, il ouvre la voie à d’autres mili­tantes et à la for­ma­tion de groupes exclu­si­ve­ment fémi­nins comme « Las liber­ta­rias », en 1902 — même s’il fau­dra ensuite attendre une ving­taine d’années avant que ne se repro­duise une expé­rience édi­to­riale de ce genre, avec la paru­tion, entre 1922 et 1925, de Nuestra tri­bu­na, à l’initiative de la mili­tante anar­chiste Juana Rouco Buela. De plus, La Voz de la Mujer, qui ne se reven­di­quait pas fémi­niste11, mais bien com­mu­niste-anar­chiste, à tra­vers les thé­ma­tiques abor­dées — remise en cause du capi­ta­lisme et de l’État, ques­tion­ne­ment sur la condi­tion fémi­nine, cri­tique de la condi­tion ouvrière et domes­tique, dénon­cia­tion de pra­tiques odieuses dans les milieux bour­geois et clé­ri­caux, mais aus­si mili­tants, refus de l’institution du mariage, droit à l’éducation pour toutes et tous — per­mit l’expression d’une volon­té d’émancipation fémi­nine et favo­ri­sa une sen­si­bi­li­sa­tion du mou­ve­ment ouvrier aux ques­tions d’égalité entre les sexes, liant dans une même réflexion ques­tion de classe et ques­tion de genre.

*

À plus d’un siècle de dis­tance, force est de consta­ter que la situa­tion dénon­cée par ces mili­tantes reste, mal­gré cer­taines évo­lu­tions, dans ses grandes lignes tou­jours d’actualité. En leur redon­nant aujourd’hui la parole, espé­rons que leur voix et leur com­ba­ti­vi­té ins­pirent encore toutes celles et ceux qui luttent pour un monde plus libre et plus égal.


Illustrations de ban­nière et de vignette : Sonia Delaunay


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  1. « Nuestros propó­si­tos », La Voz de la Mujer, n° 1, 8 jan­vier 1896.[]
  2. Militante auto­di­dacte, Pepita Gherra (ou Guerra) com­mence à tra­vailler, alors qu’elle n’a que 12 ans, comme cou­tu­rière en ate­lier où elle fait l’expérience, dans sa chair, des mau­vais trai­te­ments réser­vés aux tra­vailleuses. En 1895, elle col­la­bore à La Anarquía, publi­ca­tion de La Plata, puis, en 1896, à La Revolución Social. Órgano Comunista-Anárquico de Buenos Aires. Fondatrice et contri­bu­trice majeure de La Voz de la Mujer, elle se charge seule de la réa­li­sa­tion inté­grale de cer­tains numé­ros. Célèbre dans les milieux anar­chistes pour ses articles sur la condi­tion des femmes et la condi­tion ouvrière, ses poèmes, à carac­tère pro­sé­ly­tiste, sont réci­tés lors de veillées et de mee­tings anar­chistes.[]
  3. Surnommée la « Louise Michel argen­tine », Virginia Bolten (1872[?]-1969) est sans doute l’une des figures les plus emblé­ma­tiques du mou­ve­ment anar­chiste fémi­nin argen­tin. Née à San Luis d’un père alle­mand mar­chand ambu­lant, elle s’installe à Rosario où elle tra­vaille comme ouvrière, d’abord dans un ate­lier de confec­tion de chaus­sures, puis dans une usine sucrière. Elle acquiert rapi­de­ment une grande noto­rié­té, en par­ti­ci­pant, dès 1888, au jour­nal El Obrero Panadero de Rosario (L’Ouvrier bou­lan­ger de Rosario) et, l’année sui­vante, en orga­ni­sant une mani­fes­ta­tion et une grève des cou­tu­rières. Lors de la mani­fes­ta­tion du 1er mai 1890, elle est à la tête du cor­tège et pro­nonce un viru­lent dis­cours à la suite duquel elle est arrê­tée par la police et fichée comme agi­ta­trice. Fondatrice, en 1896 de La Voz de la Mujer, elle col­la­bore éga­le­ment à d’autres jour­naux comme La Protesta, puis, plus tard, La Nueva Senda, édi­té par Juana Rouco Buela. Militante et agi­ta­trice infa­ti­gable, elle prend part, en 1904, au Comité de grève fémi­nin lors de la grève des tra­vailleurs du mar­ché aux fruits de la capi­tale, et fonde à Buenos Aires, en 1906, avec d’autres com­pa­gnonnes, le Centre fémi­nin anar­chiste. Elle meurt en 1969 à Montevideo, en Uruguay.[]
  4. Originaire de Rosario, amie de Virgina Bolten, Teresa Marchisio est une ora­trice anar­chiste inves­tie dans de nom­breux mou­ve­ments de grèves et luttes sociales. En 1906, elle par­ti­cipe à la créa­tion du Centre fémi­nin anar­chiste à Buenos Aires.[]
  5. En rai­son de l’invisibilisation dont ont été vic­times ces femmes, tant dans l’historiographie aca­dé­mique que mili­tante, nous ne dis­po­sons mal­heu­reu­se­ment que de très peu d’informations sur leur vie et leur par­cours.[]
  6. Les sous­crip­teurs, qui pré­fèrent conser­ver l’anonymat pour déjouer les ser­vices de police, uti­lisent des pseu­do­nymes évo­quant l’attitude com­ba­tive des milieux anar­chistes d’alors : « Celui qui charge son canon avec la tête d’un bour­geois », « Vive la dyna­mite ! », « Un tueur de curés », etc.[]
  7. « ¡Apareció aquel­lo ! », La Voz de la Mujer, n° 2, 31 jan­vier 1896.[]
  8. « Firmes en la Brecha », La Voz de la Mujer, n° 3, 20 février 1896.[]
  9. Ces trois édi­to­riaux sont repro­duits le volume d’où est tiré ce texte intro­duc­tif [ndlr].[]
  10. Joël Delhom, « La voix soli­taire de la femme anar­chiste argen­tine à la fin du XIXe siècle », in Mariannick Guennec (dir.), Entre jouis­sance et tabous. Les repré­sen­ta­tions des rela­tions amou­reuses et des sexua­li­tés dans les Amériques, Rennes, PUR, 2015, p. 115–123.[]
  11. Alors qu’a pos­te­rio­ri, il est sou­vent qua­li­fié de pré­cur­seur du fémi­nisme en Argentine, notons que le terme n’est jamais cité dans le jour­nal. Il faut ici pré­ci­ser que le fémi­nisme, en tant que mou­ve­ment, était alors consi­dé­ré, dans les milieux ouvriers, comme un phé­no­mène bour­geois, se limi­tant sou­vent à des reven­di­ca­tions sur l’égalité du droit de vote — alors que les anar­chistes dénon­çaient le vote comme ins­tru­ment de sou­mis­sion.[]

REBONDS

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