Cartouches (91)


La tra­ver­sée révo­lu­tion­naire de Nantes, un mani­feste pour un fémi­nisme rural, mettre en scène une trans­mis­sion inter­rom­pue, une enquête col­lec­tive sur le sport, les mémoires d’une femme dako­ta, l’histoire colo­niale de la conser­va­tion, une enfance ira­nienne à Paris, l’épopée d’une bande de lapins : nos chro­niques du mois de mai.


Nantes, ville révol­tée — Une contre-visite de la Cité des Ducs, de Contre Attaque

Sous la cou­ver­ture jaune comme les maillots du FC Nantes, le média Contre Attaque nous pro­pose une virée effré­née dans les rues de Nantes, « ville révol­tée« , au gré d’une mani­fes­ta­tion qui se trans­forme bien vite en émeute débor­dant les forces répres­sives, leurs canons à eaux, leurs bar­ri­cades et leurs LBD. Les façades de la ville sont repeintes de tags colo­rés. La joie fes­tive des émeu­tiers gagne vite le lec­teur. « Une made­leine de Proust saveur lacry­mo­gène, sur les pas des révoltes nan­taises d’hier et d’aujourd’hui. » Celles-ci sont racon­tées par Claude, nona­gé­naire ima­gi­naire qui a tra­ver­sé le siècle et les luttes de Nantes, ville insou­mise et indomp­table, où Mai 68 a démar­ré en décembre 67 et débou­ché sur la Commune de Nantes, où George Courtois a mis la jus­tice sur le banc des accu­sés, 357 mag­num en main, où les grandes poli­tiques d’aménagement public menées par les flics, les bureau­crates et les urba­nistes se heurtent à la résis­tance du peuple, comme à Notre-Dame-des-Landes où le pro­jet démen­tiel d’aéroport ne ver­ra jamais le jour. À l’heure où la macro­nie dis­tord l’histoire pour réha­bi­li­ter les enfants de Pétain, il y a plus que jamais besoin de récits par­ta­gés pour cimen­ter nos luttes. Comme l’écrit le col­lec­tif, « il n’existe pas de révoltes hors-sol. On ne lutte jamais que depuis une expé­rience sen­sible, limi­tée, sub­jec­tive. Il n’est pas de révo­lu­tion qui ne soit pas le pro­duit d’un ter­ri­toire et des gens qui l’habitent. Pas de sou­lè­ve­ment sans liens, corps, his­toire et récit col­lec­tif. [O]n ne part pas à l’assaut du futur sans le souffle des géné­ra­tions des révol­tés qui nous ont pré­cé­dées. » Cette balade dans l’histoire révo­lu­tion­naire nan­taise met ain­si en lumière l’importance de la conver­gence des luttes et des liens noués, notam­ment en 1968, entre tra­vailleurs urbains, ruraux et étu­diants. Les pay­sans ont ain­si maintes fois ravi­taillé les tra­vailleurs en grève. Un sou­tien capi­tal pour tenir sur la durée. [L.]

Divergences, 2024

La Terre des femmes, de María Sánchez

« Je suis la pre­mière fille, la pre­mière petite-fille, la pre­mière nièce, la pre­mière femme vété­ri­naire. » María Sánchez aurait pu se satis­faire de l’orgueil des pre­miers, des pre­mières, que valide l’accès au métier fami­lial. Bien vite, pour­tant, l’autrice et vété­ri­naire espa­gnole com­prend que cette filia­tion labo­rieuse n’aurait pas été pos­sible sans les femmes de sa famille, elles qui depuis tou­jours « ont exis­té sans être nom­mées », res­tant « cette par­tie des ver­sants qui ne voient presque jamais le soleil. » María Sánchez le sent : le « récit invi­sible » qui irrigue son ins­pi­ra­tion lit­té­raire et donne l’« étin­celle » suf­fi­sante pour écrire est en fait celui de ces figures fémi­nines qu’il convient, désor­mais, de mettre en pleine lumière. Les « hommes de terre et de sang » laissent enfin leur place à une autre ascen­dance : « cette lignée de femmes de la terre aux mains pleines de grains de maïs pour nour­rir les poules, mains dans les mains de ceux qui ont attra­pés les lièvres, ces femmes qui manient la faux et savent où trou­ver les bra­con­niers, qui se dressent mal­gré tout, ces femmes aux genoux ter­reux incrus­tés de gra­villons à force de ramas­ser les olives. » En fai­sant dia­lo­guer plu­sieurs géné­ra­tions de femmes qui ont vécu et vivent encore dans la cam­pagne espa­gnole, mais aus­si John Berger avec Maria Gabriela Llansol, Miguel Delibes avec Virginia Woolf, le pas­to­ra­lisme et le fémi­nisme, María Sánchez com­pose le texte renou­ve­lé d’« un monde rural vivant ». « No somos la España vacía » — nous ne sommes pas l’Espagne vide — clame-t-elle en réponse aux livres qui ne font qu’évoquer « des voix qui s’éteignent ». Alors que l’extrême droite espa­gnole s’arcboute sur des tra­di­tions écu­lées et évoque la période fran­quiste avec une cer­taine nos­tal­gie, La Terre des femmes évoque pour sa part la pos­si­bi­li­té d’un « fémi­nisme rural » qui puisse faire cas des géné­ra­tions pas­sées, muettes ou réduites au silence, autant que des tra­vailleuses déta­chées exploi­tées sous les serres de Huelva. « Nous vou­lons un monde rural fémi­niste, une terre qui offre éga­li­té et oppor­tu­ni­té aux filles de demain, qu’elles soient nos propres filles ou pas. » [E.M.]

Rivages poche, 2024

La Fracture, une pièce de Yasmine Yahiatène

Comment les archives d’un pays, ou d’une famille, nous res­ti­tuent-elles l’intensité de moments vécus, tout en por­tant en elles des silences et des zones d’ombre qui lestent et troublent le pré­sent ? Les traces du pas­sé ne parlent pas tou­jours d’elles-mêmes, et le théâtre est par­fois le lieu le mieux à même de révé­ler ou de tou­cher du doigt les frac­tures qui des­sinent des lignes de vies. Dans cette pièce créée en 2023, Yasmine Yahiatène, seule sur scène, fait s’entrechoquer les sou­ve­nirs et les oublis d’un pays, la France, et celui d’une his­toire intime : la sienne et celle de son père, Ahmed, que l’alcoolisme a ron­gé. Le point de départ de ces cin­quante minutes de théâtre : la retrans­mis­sion télé­vi­sée de la finale de la Coupe du monde de foot de 1998. Les deux buts de la tête de Zidane. La liesse et la joie natio­nales. La suite ? Une plon­gée tout en déli­ca­tesse et en points d’interrogation dans la vie d’Ahmed, qui n’a pas trans­mis à Yasmine son his­toire et les rai­sons de son arri­vée en France, ni sa langue et sa culture kabyles : « je sais pas pour­quoi mamie a des tatouages par­tout sur le visage ; pour­quoi je sais rien ? » Parce qu’en France, à force peut-être de rava­ler des larmes, Ahmed s’est ame­nui­sé dans l’alcool. Yasmine, face à nous ou plu­tôt avec nous, s’adresse à lui, mort pen­dant la créa­tion du spec­tacle. Sans com­bler les vides, elle les fait exis­ter. Sans livrer de leçon d’histoire, elle fait œuvre poli­tique. Parce que, dit-elle, elle a trou­vé trois points com­muns entre l’histoire colo­niale fran­çaise en Algérie et la mala­die d’alcool : « le silence, le tabou et la honte ». Dans une com­po­si­tion scé­nique déli­ca­te­ment maî­tri­sée, qui super­pose les mots et les lignes tra­cées à la pein­ture blanche par l’actrice sur le sol, son propre visage fil­mé en direct et des images de son père, Yasmine, qui ter­mine en chan­tant, ne conclut rien mais laisse ces mots nous accom­pa­gner hors les murs du théâtre : « les hommes n’oublient pas, les hommes, quand ils ne savent pas pleu­rer ». [L.M.]

Production délé­guée de l’Atelier 210, 2023

Seine-Saint-Denis — Faire corps face aux jeux, revue Z, n° 16

Un nou­veau numé­ro de la revue Z est tou­jours une fête. On l’attend un an, on le lit très vite, on y revient par­fois, puis on patiente encore avant de décou­vrir le pro­chain avec une ques­tion en tête : où donc le col­lec­tif ira cette fois poser ses valises ? Après avoir explo­ré les forêts indus­trielles de la Montagne limou­sine pour y ren­con­trer leurs habitant·es, une équipe renou­ve­lée s’est retrou­vée en Seine-Saint-Denis afin de s’imprégner des mul­tiples figures que prend le sport dans le dépar­te­ment. On s’en réjouit, tant la pra­tique spor­tive est, à de rares excep­tions près, lais­sée sur la touche par tout un pan de la gauche radi­cale. « Faire corps face aux jeux » : voi­là un titre qui condense à mer­veille les trois grandes thé­ma­tiques abor­dées dans ce numé­ro. On découvre d’abord le com­bat mené par des spor­tives che­vron­nées, comme la bas­ket­teuse Salimata Sylla, ain­si que des col­lec­tifs anti­ra­cistes, trans­fé­mi­nistes et anti­va­li­distes, afin de garan­tir un accès serein à la pra­tique spor­tive pour des corps décla­rés « hors jeux ». La tenue des Jeux para­lym­piques en France à la ren­trée pro­chaine est ain­si l’occasion pour Les Dévalideuses de rap­pe­ler que, si le pays s’enorgueillit de sa pré­ten­due inclu­si­vi­té, 93 % des sta­tions de métro res­tent inac­ces­sibles aux per­sonnes à mobi­li­té réduites. Un exemple par­mi de nom­breux autres d’une hypo­cri­sie tenace, qui invite le col­lec­tif à joyeu­se­ment zbeu­ler une fête qui ne les inclut pas. Pour celles et ceux qui, mal­gré tout, res­tent sur le bord du ter­rain faute de trou­ver un club qui leur res­semble ou des ren­contres qui les acceptent, l’accès au sport se gagne et se construit dans les marges. C’est toute l’histoire du sport pales­ti­nien, le par­cours jalon­née de pré­ju­gés d’une « grosse spor­tive » ou encore le constat à l’origine du Cisn’t, un « club de sport auto­gé­ré pour per­sonnes mino­ri­sées », qui pro­pose boxe et pole dance à des per­sonnes trans­fems. Impossible, enfin, d’éluder l’événement qui conduit à trans­for­mer la Seine-Saint-Denis depuis plu­sieurs années : les Jeux olym­piques qui s’y tien­dront cet été. Le cœur de ce numé­ro est ain­si dédié au quo­ti­dien des tra­vailleurs sans-papiers embau­chés sur les chan­tiers, à leurs com­bats, à l’analyse des trans­for­ma­tions urbaines sur fond de racisme envi­ron­ne­men­tal, aux pers­pec­tives de lutte qu’appelle la tenue d’un spec­tacle spor­tif pla­né­taire dans le dépar­te­ment le plus pauvre de France métro­po­li­taine. [R.B.]

Éditions de la der­nière lettre, 2024

L’Oiseau rouge — Mémoires d’une femme dako­ta, de Zitkála-Šá

Dans le monde du livre, contri­buer à dif­fu­ser la parole long­temps étouf­fée des peuples ciblés par un pro­ces­sus de colo­ni­sa­tion et d’assimilation est l’une des pers­pec­tives pos­sibles de la lutte anti­co­lo­nia­liste. Les édi­tions les Prouesses par­ti­cipent à cette tâche avec L’Oiseau rouge — Mémoire d’une femme dako­ta. Ce livre, apprend-on, « ras­semble quatre récits publiés dans The Atlantic Monthly en 1900 et 1902 », écrits par Zitkála-Šá et tra­duits pour cette nou­velle impres­sion par Marie Chuvin. Zitkála-Šá témoigne « d’une période char­nière de l’histoire amé­rin­dienne aux États-Unis, une période où les indi­vi­dus sont assi­gnés à rési­dence dans les réserves et subissent de plein fouet les poli­tiques fédé­rales assi­mi­la­tion­nistes ». Ainsi, l’autrice part étu­dier loin de chez elle dans une école de mis­sion­naire blancs. Elle raconte la vio­lence de ce chan­ge­ment de monde et la confron­ta­tion à une ins­ti­tu­tion char­gée de trans­for­mer les peuples autoch­tones en « citoyens amé­ri­cains ». « Il était presque impos­sible d’échapper à la rou­tine d’acier qui s’enclenchait une fois que la machine à civi­li­ser nous avait appe­lés » raconte Zitkála-Šá. Entre elle et sa mère, un écart se creuse peu à peu. La pré­face de Céline Planchou per­met de remettre en contexte le tra­vail d’écriture de l’autrice, qui écri­vait prin­ci­pa­le­ment pour un lec­to­rat Blanc, dans une optique de mili­tan­tisme pour les droits des Amérindiens. Zitkála-Šá est une « pas­seuse », « déchi­rée mais déci­dée à faire de son exemple un pont entre les rives, elle uti­lise la langue de l’autre pour par­ler de son peuple » et veille donc à décrire avec péda­go­gie, dans des termes simples et com­pré­hen­sibles, son enfance dans la réserve au contact de la nature, puis son expé­rience dans le monde des Visage-Pâles et de la ville. Le livre est illus­tré par les des­sins de Hinook-Mahiwi-Kalinaka (bap­ti­sée sous le nom de Angel De Cora). Cette artiste, contem­po­raine de l’autrice, est elle-aus­si pas­sée par les struc­tures assi­mi­la­tion­nistes des mis­sion­naires chré­tiens. [L.]

Les Prouesses, 2024

La Nature des hommes — Une mis­sion éco­lo­gique pour « sau­ver » l’Afrique, de Guillaume Blanc

Après L’Invention du colo­nia­lisme vert qui, en 2020, abor­dait depuis l’Éthiopie la fabrique de la conser­va­tion colo­niale et ses consé­quences sur les habi­tants des aires pro­té­gées jusqu’à aujourd’hui, l’historien Guillaume Blanc conti­nue d’exhumer, avec La Nature des hommes, les archives de l’« Internationale conser­va­tion­niste » en Afrique. Si le sujet reste iden­tique, la méthode et la nar­ra­tion, elles, évo­luent. Inspiré par l’historien états-unien Karl Jacoby et son tra­vail sur les mas­sacres per­pé­trés par les colons sur les popu­la­tions autoch­tones en Amérique du Nord, Guillaume Blanc se concentre cette fois sur un seul évé­ne­ment, d’apparence ano­din, qui sert pour­tant de pivot à l’ensemble de l’ouvrage : la confé­rence d’Arusha de 1961, dont l’objectif n’est autre que d’« orga­ni­ser l’avenir de la nature dans les pays afri­cains qui accèdent les uns après les autres à l’indépendance ». Un moment post­co­lo­nial par excel­lence, explique l’auteur, en ce qu’il illustre la conti­nui­té entre « l’ère des pro­fes­sion­nels colo­niaux de la nature » et « celle des experts inter­na­tio­naux de la conser­va­tion ». Lire La Nature des hommes, c’est reprendre quatre fois la même his­toire, sui­vant le prisme de groupes dis­tincts : les « experts-gent­le­men » de la conser­va­tion, des bio­lo­gistes, zoo­logues ou poli­ti­ciens dont le champ d’action est inter­na­tio­nal ; les « experts de ter­rain » qui, à l’échelle de l’Afrique de l’Est, conseillent et orientent la conser­va­tion de la région ; les « ges­tion­naires », dont le rôle est d’administrer les parcs natio­naux qui se déve­loppent alors ; les habi­tants de ces mêmes parcs, enfin, géné­ra­le­ment agro-pas­teurs, que les conser­va­tion­nistes nomment tout sim­ple­ment « les Africains ». Guillaume Blanc démontre com­ment la nature afri­caine a été et reste l’objet d’un mythe, celui d’une nature uni­ver­selle et édé­nique. Un mythe qui s’est conso­li­dé sur la colo­ni­sa­tion, l’expulsion et l’exclusion. « Si aujourd’hui la plu­part des parcs afri­cains sont vides, c’est uni­que­ment parce qu’ils ont été vidés de leurs habi­tants. » [R.B.]

La Découverte, 2024

Marx et la pou­pée, de Maryam Madjidi

Ce livre est celui d’une conteuse : Maryam Madjidi fait réson­ner les frag­ments de son his­toire fami­liale, sur le che­min d’un exil racon­té, en grande par­tie, à hau­teur d’enfant. L’exil comme un désert qui devient une mai­son, qui vous suit d’un pays l’autre, d’un âge l’autre, au fil des « trois nais­sances » qui com­posent ce récit. L’histoire com­mence ain­si : « une fille pousse dans le ventre d’une femme ». Cette femme, la mère de Maryam, mani­feste à l’Université de Téhéran en 1980. Bientôt, il fau­dra fuir le pays. Les parents de Maryam sont des révo­lu­tion­naires qui l’élèvent en mar­xistes, avec une tendre intran­si­geance, en n’hésitant pas à se ser­vir de leur bébé pour faire tran­si­ter des comptes-ren­dus de réunions secrètes glis­sés par­mi ses couches. Le couple de militant·es, bien­tôt, devra enter­rer ses livres, dire au revoir ou adieu, et par­tir. Pour fuir la pri­son, la ter­reur et la mort qui les cernent en Iran, ils devront com­po­ser avec l’incertitude, la soli­tude et la dis­tance, en France. L’enfant per­dra sa langue — « il se pas­sa quelque chose d’étrange : elle ava­la sa langue. Elle fer­ma les yeux et elle englou­tit sa langue mater­nelle qui glis­sa au fond de son ventre, bien à l’abri », puis elle en trou­ve­ra une autre qu’elle bran­di­ra comme un bou­clier, avant de recou­vrer la pre­mière. À l’école, à la can­tine, dans la « classe spé­ciale pour les non-fran­co­phones », elle devra négo­cier l’exigence impos­sible de la « fran­ci­sa­tion » — venir d’ailleurs, d’accord, mais en le fai­sant vite oublier. Une fois adulte, loin de l’Iran tou­jours, Maryam raille­ra les hommes et leurs fan­tasmes orien­ta­listes. Elle leur réci­te­ra des vers d’Omar Khayyâm et s’amusera d’une séduc­tion facile. De retour en Iran, dans les années 2010, elle obser­ve­ra les tech­niques de drague éla­bo­rées par les jeunes des villes, et assis­te­ra impuis­sante à la vio­lence de la police des bonnes mœurs qui s’attaque aux femmes jugées « mal » voi­lées ou habillées. Au fil des pages et de ses sou­ve­nirs, Maryam effeuille un à un les masques qui cer­naient son visage — roman­ti­sa­tion de l’exil, langue ava­lée, dou­leur refou­lée… — et les dépose dans l’écriture. [L.M.]

Le Nouvel Attila, 2017

Watership Down, de Richard Adams

C’est l’histoire d’une bande de lapins qui far­falent — se nour­rissent — tran­quille­ment près de leur garenne. L’un d’entre eux a de ter­ri­fiantes visions : la col­line sur laquelle ils ont construit leurs ter­riers pour­rait bien­tôt être rava­gée à coups de pelles, de pioches, de fumi­gènes et de katak­lop, les trac­teurs de leurs voi­sins humains. Un pan­neau qu’ils ne savent pas lire le confirme dès les pre­mières pages : « Ce domaine idéa­le­ment situé (trois hec­tares d’excellent ter­rain à bâtir) va être loti ». Une petite équipe décide de suivre le plus clair­voyant de leurs cama­rades, qui est aus­si le plus frêle, au grand dam de Padi-shâ, le maître des lieux. Un soir, une demi-dou­zaine de lapins fuient ain­si leur garenne d’origine et entament un voyage rocam­bo­lesque, qu’une carte située au début de Watership Down nous per­met de suivre. L’équipée n’est pas au bout de ses peines, car les humains ne sont pas l’unique menace qui rôde autour de la garenne. Les vilou, c’est-à-dire les renards, les fouines et les rapaces, mais aus­si d’autres bandes de lapins moins accueillantes ou encore des mala­dies, comme les hor­ribles « yeux blancs » (la myxo­ma­tose) rendent le quo­ti­dien de Hazel, Fyveer, Rubus et de leurs amis pour le moins mou­ve­men­té. En s’appuyant sur une solide connais­sance des mœurs des lapins de garenne, Richard Adams, conseiller du ministre de l’environnement bri­tan­nique au milieu du siècle der­nier, a écrit l’une des épo­pées ani­ma­lières les plus réus­sies qui soient. Que les détrac­teurs de l’anthropomorphisme passent leur che­min : oui, dans ce livre, les ani­maux parlent — et c’est pour le mieux. Assumant le fait de don­ner la parole aux lago­morphes, l’auteur éla­bore tout au long de Watership Down une véri­table mytho­lo­gie lapine, dou­blée d’une géo­po­li­tique inter­spé­ci­fique pas­sion­nante. Et ça n’est pas le suc­cès de l’ouvrage — plus de 50 mil­lions d’exemplaires ven­dus depuis sa paru­tion en 1972 — qui le démen­ti­ra. [E.M.]

Toussaint Louverture, 2020


Photographie de ban­nière : la cycliste Lily Herse lors du tour de France fémi­nin 1955 | DR


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REBONDS

Cartouches 90, avril 2024
Cartouches 89, mars 2024
Cartouches 88, février 2024
Cartouches 87, décembre 2023
Cartouches 86, novembre 2023

Ballast

« Tenir tête, fédérer, amorcer »

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