Vendée : une ZAD contre un port de plaisance


Texte inédit pour le site de Ballast

C’est une petite commune de 50 000 habi­tants l’été, 4 500 le reste de l’année. 60 % de retrai­tés. La mai­rie jure que le lit­to­ral ven­déen a « un besoin criant » de ports ; ses opposants affirment le contraire et entendent bien entra­ver la construc­tion de l’un d’entre eux, de plai­sance. Mieux : ils ont spon­ta­né­ment éri­gé une ZAD à deux pas de la dune que les engins de chan­tier, depuis stop­pés, avaient entre­pris de démo­lir. La ZAD de Brétignolles-sur-Mer — la « Bréti-ZAD », de son petit sur­nom — affiche deux ambi­tions : faire plier le pou­voir local et pro­mou­voir la résis­tance non-vio­lente à échelle natio­nale. Nous nous sommes ren­dus sur cette nou­velle « zone à défendre » et y avons pas­sé la nuit. ☰ Par Roméo Bondon et Léon Mazas


Un bar fer­mé en milieu de jour­née sur la place de l’église, un Super U ouvert jusque tard un peu plus loin ; peu de mou­ve­ment dans le bourg, mais le défi­lé des voi­tures devant la grande sur­face. À moins de deux kilo­mètres du centre de Brétignolles-sur-Mer, il y a la plage. Et sa ZAD. Au len­de­main d’une mani­fes­ta­tion qui, dimanche 6 octobre 2019, a regrou­pé quelque 2 500 per­sonnes, l’occupation et la résis­tance non-vio­lente ont son­né comme une évi­dence pour les plus convain­cues : « Zéro pré­mé­di­ta­tion, c’est vrai­ment une impro », nous dira l’une d’elles. Une ving­taine d’habitants se sont ins­tal­lés, avec l’accord d’un pro­prié­taire ano­nyme, sur un ter­rain pri­vé joux­tant une dune, la dune, celle-là même qui depuis quelques jours n’est plus. En une poi­gnée d’heures, à la faveur de bran­chages et de palettes, un cam­pe­ment a été dres­sé. Ainsi la ZAD de Brétignolles est-elle née.

« Des dra­peaux pirate, paci­fiste, ven­déen et fran­çais sur­plombent une vigie de for­tune ; des pan­neaux jaunes bar­dés de reven­di­ca­tions forment une haie. »

Vaches et aigrettes coha­bitent sur des pâtu­rages d’un vert appuyé, cou­pés de la route par quelques bar­be­lés. Une ferme se des­sine à droite de la route que nous lon­geons. Du foin est entre­po­sé dans l’une des dépen­dances. Deux ou trois graf­fi­tis annoncent l’actualité récente du lieu : un sobre « ZAD », s’effaçant déjà, est ins­crit sur la façade, laquelle ombrage un rosier encore fleu­ri. Bientôt, un rond-point s’annonce. Derrière lui s’é­tire une sorte de traî­née sableuse : la dune fraî­che­ment ara­sée. Des voix attirent notre atten­tion : des dra­peaux pirate, paci­fiste, ven­déen et fran­çais sur­plombent une vigie de for­tune ; des pan­neaux jaunes bar­dés de reven­di­ca­tions forment une haie. Ici, on refuse le pro­jet de port de plai­sance et le maire qui le porte, de la même manière qu’on défend une dune, une plage, des vagues et l’environnement : en occupant.

Lubie municipale et opposition locale

Les argu­ments de la mai­rie sont connus : déve­lop­pe­ment local, attrac­ti­vi­té rési­den­tielle et inser­tion dans une éco­no­mie tou­ris­tique, autant de pro­ces­sus qui contri­bue­raient à l’é­mer­gence d’une modeste com­mune lit­to­rale. Le dyna­misme d’un lieu peut pour­tant pas­ser par d’autres voies. Celle choi­sie par le maire divers-droit de Brétignolles-sur-Mer et chef d’en­tre­prise, Christophe Chabot, suit un modèle déjà péri­mé. Le port de plai­sance qu’il pro­jette sur sa com­mune depuis son pre­mier man­dat, en 2001, serait pour l’association his­to­rique d’op­po­si­tion, La Vigie, « très loin de l’utilité publique » reven­di­quée par le pou­voir local. La plage, acces­sible à tous et toutes, se ver­rait acca­pa­rée par des inté­rêts pri­vés : les usa­gers du port ne seraient pas ceux qui fré­quen­taient le lieu aupa­ra­vant. La Vigie dénonce ain­si un « détour­ne­ment social et tou­ris­tique » du lieu. Les pro­messes d’embauches, chères aux élus de tous bords, peinent éga­le­ment à convaincre. À la cen­taine d’emplois pro­mis par la mai­rie, un occu­pant lui rétorque : le chan­tier ne recru­te­ra que tem­po­rai­re­ment et n’au­ra pas recours à une entre­prise du cru ; la ges­tion du tra­fic du futur port sera prise en charge depuis les ports à proximité.

[Jérôme Laumailler]

Certains emplois sont, en sus, d’ores et déjà sup­pri­més. L’école locale de surf s’est vue reti­rer tour à tour ses bas­sins suc­ces­sifs ain­si que ses lieux d’apprentissage sécu­ri­sés ; son bâti­ment prin­ci­pal a été ven­du afin d’anticiper l’expropriation pro­chaine ; la plage, enfin, ter­rain d’entraînement des jeunes pra­ti­quants, serait ampu­tée du site le plus aisé­ment pra­ti­cable. Des démis­sions ont déjà été enre­gis­trées. Seraient ain­si pré­fé­rés à une asso­cia­tion spor­tive du coin les inté­rêts des plai­san­ciers de pas­sage, à une acti­vi­té ins­crite dans le temps long une pra­tique sai­son­nière. Si la voile n’est pas reje­tée par les oppo­sants — cer­tains d’entre eux sont skip­pers — la colo­ni­sa­tion de l’es­pace que sa pra­tique jus­ti­fie ne passe pas. Christophe Chabot s’y efforce pour­tant depuis près de 20 ans. « Les gens qui sont pour le port, leurs seuls argu­ments c’est le bou­lot et les sous que ça va ame­ner. Ou des papys qui disent vou­loir mettre là leur bateau. » C’est ain­si que Dune-six (ici, cha­cun se nomme « Dune » pour les médias) nous résume la posi­tion des « oui-oui », les par­ti­sans du maire.

« Le maire le répète à l’en­vi sitôt qu’un micro lui est ten­du : son pro­jet est réso­lu­ment moderne et éco­lo­gique. La suite laisse en douter. »

Certains d’entre eux s’a­vancent pour dis­cu­ter avec les zadistes ; d’autres lancent des insultes en pas­sant en voi­ture. Le maire argue que la popu­la­tion se serait expri­mée en faveur du pro­jet lors des deux enquêtes publiques, en 2011 et 2018 ; les occu­pants opposent les 8 500 réponses néga­tives enre­gis­trées mais igno­rées par l’in­té­res­sé. Après avoir été reto­qué une pre­mière fois en 2006 par la pré­fec­ture en rai­son des digues inap­pro­priées ima­gi­nées au large du port, le pro­jet a été pro­po­sé de nou­veau et accep­té en 2008 après une modi­fi­ca­tion mineure. Ont sui­vi deux amé­na­ge­ments urba­nis­tiques sans consul­ta­tion publique : la modi­fi­ca­tion du SCoT1 de la part de la com­mu­nau­té de com­mune en 2011, puis celle du PLU2 de Brétignolles-sur-Mer. Une fois les auto­ri­sa­tions déli­vrées par la pré­fec­ture et les col­lec­ti­vi­tés locales concer­nées, la décla­ra­tion d’utilité publique (DUP) a acté l’im­po­si­tion du chan­tier. Toutefois, si l’État et ses rami­fi­ca­tions locales ont un temps été des alliés, elles se tiennent depuis à l’é­cart, selon les aveux même du maire. Face à une forme de mobi­li­sa­tion inat­ten­due, la réac­tion de Christophe Chabot est désa­bu­sée : « Les Brétignollais se sont fait voler leur com­mune en 24 heures, 48 heures. Qu’est-ce qu’on fait, avec qui on fait, com­ment on fait ? J’ai com­pris que ce ne sera pas avec l’État. » Cet État, s’il s’absente peu à peu du dos­sier, conti­nue ailleurs de ser­vir ses inté­rêts et ceux des Grands pro­jets inutiles et impo­sés (GPII) en usant du droit et de la Justice. Les normes éco­lo­giques sont l’un de ses ter­rains de jeu pri­vi­lé­giés — mais c’est aus­si le cœur de l’ar­gu­men­ta­tion des opposants.

Déconstruire la farce environnementale

Sur la cabane de l’é­cole de voile qui sur­plombe la plage toute proche, un per­mis de construire et sa jus­ti­fi­ca­tion éco­lo­gique s’af­fichent. L’annonce égraine les retom­bées posi­tives : emploi, attrac­ti­vi­té, tou­risme, plai­sance. Un cha­pe­let cen­sé consti­tuer la « plus grande oppor­tu­ni­té » qui soit pour la com­mune et ses alen­tours. Au-des­sous, les désor­mais néces­saires « mesures envi­ron­ne­men­tales » qui accom­pagnent tout pro­jet d’ur­ba­nisme : elles devraient faire de ce port le pre­mier à avoir « un impact envi­ron­ne­men­tal posi­tif ». Le maire le répète à l’en­vi sitôt qu’un micro lui est ten­du : son pro­jet est réso­lu­ment moderne et éco­lo­gique. La suite laisse en dou­ter. Parmi les mesures du trip­tyque légis­la­tif « évi­ter, réduire, com­pen­ser », ins­crit dans la loi fran­çaise depuis 1976 et actua­li­sé en 2016, le pro­jet local choi­sit la der­nière — la moins contrai­gnante sur le temps court, la plus défa­vo­rable sur le long. De même qu’à Notre-Dame-des-Landes un temps ou à Bure désor­mais, le maire de Brétignolles-sur-Mer entend recréer ex-nihi­lo et à deux pas le milieu qu’il détruit. Outre les débats éthiques qu’une telle pro­po­si­tion implique, sa réus­site pra­tique est loin d’être assu­rée : les espèces vul­né­rables seraient cap­tu­rées puis relâ­chées en des mares et sites d’hi­ver­nage dédiés ; les végé­taux remar­quables seraient un à un reti­rés de la dune exis­tante pour être replan­tés sur celle à venir. À une cen­taine de mètres du futur port, une ancienne car­rière aujourd’­hui réserve de 340 000 mètres cube d’eau devrait être vidée, puis com­blée par les sables de la dune actuelle.

[Jérôme Laumailler]

En un mot, il s’a­git d’une délo­ca­li­sa­tion. Mais un mot peut cacher une com­plexi­té de mise en œuvre que le maire balaye de la main. Après un été his­to­ri­que­ment aride, une réserve d’eau claire serait pom­pée puis déver­sée dans la mer, modi­fiant tem­po­rai­re­ment le taux de sali­ni­sa­tion du lieu et tou­chant la faune marine locale. Alors que l’é­ro­sion des lit­to­raux est une pré­oc­cu­pa­tion majeure en ces espaces, le pré­sent site serait béton­né et abri­té par des récifs arti­fi­ciels qui déstruc­tu­re­raient les cou­rants et l’en­sa­ble­ment. Le dépu­té local LREM, Stéphane Buchou, membre d’une com­mis­sion par­le­men­taire por­tant sur l’a­dap­ta­tion du lit­to­ral à l’é­vo­lu­tion du trait de côte — ce même trait de côte mis en péril par un tel pro­jet — botte en touche et laisse maire et oppo­sants dos-à-dos. Pourtant, ain­si que le rap­pelle La Vigie, « le pro­jet entend modi­fier un site marin natu­rel non seule­ment dans son aspect pay­sage, mais aus­si dans son fonc­tion­ne­ment ». Les mesures envi­ron­ne­men­tales com­pen­sa­toires appa­raissent comme un cadeau fait à l’ur­ba­nisme irres­pon­sable pour pour­suivre ses œuvres pen­dant quelques décen­nies sup­plé­men­taires. La loi lit­to­rale qui, en 1986, devait radi­ca­le­ment frei­ner l’ar­ti­fi­cia­li­sa­tion des rivages est depuis détour­née ou contour­née par divers moyens, au pre­mier des­quels ces décla­ra­tions d’u­ti­li­té publique qui condamnent les mou­ve­ments d’op­po­si­tion. Ce fut le cas à Brétignolles le 16 juillet 2019. Sans doute le pré­fet signa­taire ne s’at­ten­dait-il pas à ce que la contes­ta­tion prenne une nou­velle forme.

Gardiens de la dune

« Non loin, deux hommes portent un ciré, une tasse de café à la main. Ils s’en­gagent chaque same­di sur les ronds-points. »

En termes tan­tôt tech­niques, tan­tôt affec­tifs, cha­cun — qu’il soit simple habi­tant, sur­feur, skip­per ou natu­ra­liste — nous explique sur la ZAD le non-sens éco­lo­gique de pareil port de plai­sance dans leur com­mune. D’autant qu’à une quin­zaine de kilo­mètres au nord et au sud de Brétignolles, les com­munes Saint-Gilles-Croix-de-Vie et Les Sables-d’Olonnes abritent déjà plus de 1 000 anneaux por­tuaires pour accueillir les plai­san­ciers. Un homme peint, sur le bois de la gui­toune à l’en­trée de la zone, la phrase « Les gar­diens de la dune ». Un autre pré­cise : « Si on défend notre dune, c’est aus­si pour l’environnement. » Un troi­sième d’a­jou­ter : « La dune, c’est des sou­ve­nirs. Et des risques, par rap­port à la sub­mer­sion, aux tem­pêtes de plus en plus vio­lentes. » Si beau­coup se remé­morent leurs sou­ve­nirs d’en­fance, les jour­nées pas­sées dans les vagues et sur le sable, cer­tains insistent en effet sur le rôle pro­tec­teur que peut avoir une dune : une heure plus au sud, le nom des vil­lages rap­pellent un évé­ne­ment des­truc­teur aux consé­quences évi­tables. La tem­pête Xynthia a mar­qué le lit­to­ral ven­déen et cha­ren­tais en 2011 : l’ur­ba­nisme, au ser­vice d’in­té­rêts par­ti­cu­liers, avait contri­bué aux consé­quences néfastes.

L’une des sinis­trées d’a­lors, désor­mais habi­tante de Brétignolles, trie des tracts en faveur de la ZAD. Elle craint de voir les mêmes erre­ments cau­ser les mêmes dégâts. S’opposer au port est à ses yeux une manière de contraindre la mai­rie à prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés. Les visi­teurs vont et viennent, sans dis­con­ti­nuer, les bras sou­vent char­gés de sacs de nour­ri­ture : « On ne s’at­ten­dait pas à un tel suc­cès : on est agréa­ble­ment sur­pris par tous les dons », com­mente Dune-trois, mère d’un petit gar­çon que la ton­deuse à gazon, sta­tion­née à quelques mètres d’une table de jar­din, paraît fas­ci­ner. Non loin, deux hommes portent un ciré, une tasse de café à la main. Ils s’en­gagent chaque same­di sur les ronds-points ; arri­vés tard la veille, ils comptent d’ores et déjà pas­ser quelques jours sur la ZAD : la spon­ta­néi­té avec laquelle celle-ci s’est mon­tée leur rap­pelle, avec force et enthou­siasme, la lutte à laquelle ils ont par­ti­ci­pé ces der­nières années, une heure plus au nord, à Notre-Dame-des-Landes. Mais si l’a­cro­nyme employé est iden­tique, il appa­raît sans trop tar­der que la com­pa­rai­son trouve ses limites.

[Jérôme Laumailler]

Une autogestion locale

La ZAD de Notre-Dame-des-Landes a popu­la­ri­sé l’idée qu’il n’est de com­bat qu’à deux niveaux : « Contre l’aéroport et son monde », dit le mot d’ordre, désor­mais fameux. « Il n’y a pas de luttes locales », pré­cise ain­si Serge Quadruppani dans son ouvrage Le Monde des Grands pro­jets et ses enne­mis. C’est qu’il s’agit d’entraver la réa­li­sa­tion d’un pro­jet don­né, pré­cis, cir­cons­crit, et, dans le même temps, la « civi­li­sa­tion » qui l’a ren­du pos­sible : « celle de la tech­nos­cience et de la course à la valeur ajou­tée ». Sur fond de débats d’é­lus, natio­na­listes comme com­mu­nistes, la ZAD de Brétignolles affiche des ambi­tions plus modestes. « En fait, je crois qu’on ne parle même pas de poli­tique », nous confie Dune-un, jeune employé dans la res­tau­ra­tion. Dune-deux rebon­dit aus­si­tôt : « On n’est pas ici pour ça, on est apo­li­tiques. » Même son de cloche, ici et là : « Les à‑côté, on n’en veut pas, on ne veut pas se pol­luer » ; « On n’a pas de com­pa­rai­sons à faire avec les autres ZAD, on avance au pré­sent, on ne se pro­jette pas ». Pas de doc­trines ni de savants noms propres : de l’huile de coude et des marteaux.

« Un désir d’horizontalité maxi­male qui passe, sans sur­prise, par le refus des lea­ders et des représentants. »

Chacun est le bien­ve­nu en sa qua­li­té de « citoyen », mili­tant encar­té com­pris. L’étiquette n’im­porte pas ; seule compte la dune et l’en­vi­ron­ne­ment à défendre. Un zadiste ayant des sym­pa­thies pour le Rassemblement natio­nal pour­rait-il être de l’a­ven­ture ? Affirmatif — à condi­tion que l’intéressé ne s’adonne pas au pro­sé­ly­tisme. Puisque leur lutte épouse un péri­mètre strict, il n’est pas d’« après » à anti­ci­per ni d’u­ni­té future à pré­ser­ver des inévi­tables dis­sen­sions idéo­lo­giques : mettre le port en échec suf­fit. Les pro­fils pro­fes­sion­nels sont « très divers », même s’il y a « énor­mé­ment de gens qui bossent avec leurs mains » : cui­si­nier, char­pen­tier, menui­sier, maçon… Le dra­peau tri­co­lore, his­sé dans un ciel sans nuages, peut éton­ner tout autant : l’étendard natio­nal, lar­ge­ment mobi­li­sé par les gilets jaunes pour asseoir leurs reven­di­ca­tions sociales, ne compte pas au nombre des attri­buts usuels des ZAD. « On est des citoyens fran­çais, nous répond-on sur le ton de l’é­vi­dence. Le maire a dit qu’il vou­lait défendre la République en mani­fes­tant contre nous, mais nous aus­si, on est dans la République ! » En matière de dra­peaux, cha­cun est tou­te­fois libre d’adjoindre celui auquel il tient : « On aime­rait en trou­ver un kurde, vu qu’ils se battent en ce moment », nous dit l’un des zadistes en réfé­rence au Rojava. Ainsi qu’un LGBT.

L’« auto­ges­tion » n’en est pas moins sur nombre de bouches. « Chacun est indé­pen­dant, s’autogère », lance Dune-quatre — venue de Saint-Sébastien-sur-Loire, elle super­vise la cui­sine avec une amie. Et cela passe avant tout par l’or­ga­ni­sa­tion métho­dique d’un quo­ti­dien sans argent : prise en charge des déchets, de la vais­selle et des construc­tions, pour l’es­sen­tiel. « C’est une vraie com­mu­nau­té. On a cha­cun nos carac­tères. On ne se connais­sait pas pour la plu­part d’entre nous, mais on tra­vaille ensemble : on ne se pose pas trop de ques­tions, on agit », pour­suit-elle. « On est deve­nus des potes sou­dés, ça prend aux tripes », raconte éga­le­ment l’un de ses cama­rades. Un désir d’horizontalité maxi­male qui passe, sans sur­prise, par le refus des lea­ders et des repré­sen­tants. Pas de porte-parole atti­trés, pas de repré­sen­tants dési­gnés pour répondre aux médias. Chaque soir, le froid gagnant les corps que la jour­née a requis pour les nom­breux tra­vaux en cours, une cen­taine de per­sonnes — domi­ci­liées à la ZAD, rive­raines ou seule­ment de pas­sage — se réunit pour l’as­sem­blée géné­rale. Large cercle, télé­phones éteints, inter­dic­tion de se cou­per la parole. On règle les ques­tions du moment, on tranche à main levée, on pré­pare la jour­née portes-ouvertes, on annonce les pro­chaines acti­vi­tés. « Ça me rap­pelle la vie com­mu­nau­taire en Éthiopie, je retrouve ce mode de vie », indique Dune-quatre, ori­gi­naire de la Corne de l’Afrique. « C’est une vraie démo­cra­tie », confirme Dune-deux. Un chien blanc som­nole sur une palette éten­due sur l’herbe ; deux ou trois de ses congé­nères attendent, atta­chés, le retour de leurs com­pa­gnons humains.

[Jérôme Laumailler]

Servir d’exemple

L’affaire fait consen­sus : la ZAD est « non-vio­lente » — ou « paci­fiste », c’est selon. « Ce qu’ils ont fait à Notre-Dame-des-Landes, c’est énorme, mais on ne veut pas que les habi­tants s’imaginent que ça va finir de la même manière, à se battre contre des chars », nous avoue Dune-un. Les zadistes ven­déens s’échinent dès lors à soi­gner leur image. « Être irré­pro­chables », résume Dune-trois. Auprès de la popu­la­tion avoi­si­nante, d’abord, mais éga­le­ment des médias natio­naux qui viennent à leur ren­contre. Il faut ras­su­rer, dis­si­per les a prio­ri, balayer l’aura néga­tive que char­rient les zadistes dans l’opinion. Aux pas­sants outra­gés, la ZAD répond avec le sou­rire ; aux simples curieux, elle pro­pose le par­tage d’un verre — et va jusqu’à convier les lau­da­teurs du port à expo­ser leurs argu­ments au cours des assem­blées. L’ancien pré­sident de l’Amicale des retrai­tés, s’a­van­çant dans le « salon » de la Zone (palettes, poutres, bâches, tou­rets, sofas impro­vi­sés), nous assure qu’au comp­toir du bar de la com­mune, il n’est plus ques­tion que de l’oc­cu­pa­tion : « Un gars a dit que les Allemands ont débar­qué dans la ZAD ! » Irait-il jus­qu’à se dire zadiste ? Il opine du chef sans une hési­ta­tion. Certains Brétignollais viennent ici la nuit tom­bée, sou­cieux de mani­fes­ter leur sou­tien tout en échap­pant au qu’en-dira-t-on de la com­mune. Derrière le retrai­té, ama­teur de vélo et sym­pa­thi­sant gilet jaune, deux fillettes des­sinent non sans joie des affiches en vue d’un immi­nent rassemblement.

« La ZAD s’en ver­rait réduite en miettes, cela sans un pli ? Ils la relè­ve­ront après le départ de la police. »

Si les zadistes ont blo­qué les engins de chan­tier il y a quelques jours de cela, ils se sont refu­sés, après dis­cus­sion, à recou­rir au sabo­tage. Et si les forces de l’ordre en viennent à for­cer l’entrée de leur lieu de vie, il est d’ores et déjà acté qu’ils n’opposeront aucune résis­tance. La ZAD s’en ver­rait réduite en miettes, cela sans un pli ? Ils la relè­ve­ront après le départ de la police. « Qu’ils viennent faire ce qu’ils veulent, on s’en fout, on a des mains pour recons­truire », nous répond en toute sim­pli­ci­té l’un des occu­pants. La police ne compte pas au nombre de leurs pro­blèmes : leur enne­mi, insiste-t-on dès l’en­trée, ce sont les bull­do­zers. « On a des gens qui veulent en découdre, mais ils voient bien que pour l’ins­tant, ça marche, la non-vio­lence. » Les éven­tuels mili­tants de sen­si­bi­li­té « anar­cho-auto­nome » (« les ACAB », syn­thé­tise Dune-un en sou­riant) dési­reux de ral­lier leur cause auront d’ailleurs à se confor­mer au consen­sus en ques­tion : res­pect du lieu oblige. « On peut expri­mer tous les désac­cords qu’on veut, mais avec bien­veillance », assure ain­si Dune-quatre.

La non-vio­lence des oppo­sants au port obéit à la volon­té d’obtenir le ral­lie­ment, ou au moins l’aval tacite, d’une popu­la­tion majo­ri­tai­re­ment retrai­tée. À la confi­gu­ra­tion de l’espace, sans doute aus­si : de taille réduite, il s’avère impropre aux affron­te­ments. Mais pas seule­ment. La ZAD de Brétignolles aspire à ser­vir de modèle natio­nal. Entendre que ses occu­pants comptent, en cas de vic­toire, sillon­ner les ZAD de France afin de prou­ver qu’il est pos­sible de stop­per un pro­jet inutile et anti-éco­lo­gique sans recou­rir à la vio­lence phy­sique. De gagner par la seule force de l’organisation et du sou­tien popu­laire. « Transmettre le mes­sage », note-t-on. Faire juris­pru­dence. Un pôle de « com­mu­ni­ca­tion » s’emploie donc à cla­ri­fier les enjeux sur les réseaux sociaux — une chaîne YouTube ver­ra pro­chai­ne­ment le jour. Seconde vic­toire, après l’ar­rêt des machines : le maire a renon­cé à la mani­fes­ta­tion qu’il avait annon­cée face à la ZAD.

*

La ZAD fait désor­mais par­tie du pay­sage local. Le 13 octobre, un dimanche fes­tif a vu affluer plus de 1 000 per­sonnes : poules et mou­tons étaient de sor­tie pour l’oc­ca­sion ; sous une tente, les enfants pou­vaient trou­ver des jouets avec les­quels s’af­fai­rer. Le week-end sui­vant, c’est sur la place prin­ci­pale de La Roche-sur-Yon, chef-lieu du dépar­te­ment, que la lutte a pu s’ex­pri­mer. Entre 1 400 et 1 800 mani­fes­tants étaient ras­sem­blés pour faire entendre leur voix à proxi­mi­té du bureau du pré­fet. Tandis qu’une seconde jour­née portes ouvertes va se tenir le 27 octobre, le chan­tier, de l’autre côté de la route, n’a pas repris. Les gar­diens de la dune y veillent — et comptent bien l’emporter.


Toutes les pho­to­gra­phies sont de Jérôme Laumailler, avec son aimable autorisation.


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  1. Le Schéma de cohé­rence ter­ri­to­rial (SCoT) est un docu­ment d’ur­ba­nisme char­gé de déter­mi­ner un pro­jet ter­ri­to­rial com­mun et homo­gène entre les com­munes d’un même grou­pe­ment. Instauré par la loi rela­tive à la soli­da­ri­té et au renou­vel­le­ment urbain, dite SRU, en 2000, le SCoT s’ap­plique depuis une révi­sion en 2017 à toute com­mune, don­nant plus de pou­voir qu’au­pa­ra­vant aux inter­com­mu­na­li­tés.[]
  2. Le Plan local d’ur­ba­nisme est le prin­ci­pal docu­ment de pla­ni­fi­ca­tion urbaine à l’é­che­lon com­mu­nal ou inter­com­mu­nal. Il fait suite au plan d’oc­cu­pa­tion des sols, sup­pri­mé par la loi SRU en 2000, et s’in­sère, à l’é­chelle d’un grou­pe­ment de com­munes, dans le SCoT.[]

REBONDS

☰ Lire notre entre­tien avec François-Xavier Drouet : « La forêt est un champ de bataille », octobre 2018
☰ Lire notre entre­tien avec Alessandro Pignocchi : « Un contre-pou­voir ancré sur un ter­ri­toire », sep­tembre 2018
☰ Lire notre entre­tien avec Jean-Baptiste Fressoz : « Désintellectualiser la cri­tique est fon­da­men­tal pour avan­cer », juin 2018
☰ Lire notre entre­tien avec Jean-Baptiste Vidalou : « La Nature est un concept qui a fait faillite », février 2018
☰ Lire notre article : « Bure réen­chante la lutte anti-nucléaire », Gaspard d’Allens, juin 2017

Roméo Bondon

Doctorant en géographie. Il a récemment coordonné avec Elias Boisjean Cause animale, luttes sociales (Le Passager clandestin, 2021) et publié avec Raphaël Mathevet Sangliers - Géographies d'un animal politique (Actes Sud, 2022).

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Sympathisant écosocialiste.

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