Texte inédit pour le site de Ballast
C’est une petite commune de 50 000 habitants l’été, 4 500 le reste de l’année. 60 % de retraités. La mairie jure que le littoral vendéen a « un besoin criant » de ports ; ses opposants affirment le contraire et entendent bien entraver la construction de l’un d’entre eux, de plaisance. Mieux : ils ont spontanément érigé une ZAD à deux pas de la dune que les engins de chantier, depuis stoppés, avaient entrepris de démolir. La ZAD de Brétignolles-sur-Mer — la « Bréti-ZAD », de son petit surnom — affiche deux ambitions : faire plier le pouvoir local et promouvoir la résistance non-violente à échelle nationale. Nous nous sommes rendus sur cette nouvelle « zone à défendre » et y avons passé la nuit. ☰ Par Roméo Bondon et Léon Mazas
Un bar fermé en milieu de journée sur la place de l’église, un Super U ouvert jusque tard un peu plus loin ; peu de mouvement dans le bourg, mais le défilé des voitures devant la grande surface. À moins de deux kilomètres du centre de Brétignolles-sur-Mer, il y a la plage. Et sa ZAD. Au lendemain d’une manifestation qui, dimanche 6 octobre 2019, a regroupé quelque 2 500 personnes, l’occupation et la résistance non-violente ont sonné comme une évidence pour les plus convaincues : « Zéro préméditation, c’est vraiment une impro », nous dira l’une d’elles. Une vingtaine d’habitants se sont installés, avec l’accord d’un propriétaire anonyme, sur un terrain privé jouxtant une dune, la dune, celle-là même qui depuis quelques jours n’est plus. En une poignée d’heures, à la faveur de branchages et de palettes, un campement a été dressé. Ainsi la ZAD de Brétignolles est-elle née.
« Des drapeaux pirate, pacifiste, vendéen et français surplombent une vigie de fortune ; des panneaux jaunes bardés de revendications forment une haie. »
Vaches et aigrettes cohabitent sur des pâturages d’un vert appuyé, coupés de la route par quelques barbelés. Une ferme se dessine à droite de la route que nous longeons. Du foin est entreposé dans l’une des dépendances. Deux ou trois graffitis annoncent l’actualité récente du lieu : un sobre « ZAD », s’effaçant déjà, est inscrit sur la façade, laquelle ombrage un rosier encore fleuri. Bientôt, un rond-point s’annonce. Derrière lui s’étire une sorte de traînée sableuse : la dune fraîchement arasée. Des voix attirent notre attention : des drapeaux pirate, pacifiste, vendéen et français surplombent une vigie de fortune ; des panneaux jaunes bardés de revendications forment une haie. Ici, on refuse le projet de port de plaisance et le maire qui le porte, de la même manière qu’on défend une dune, une plage, des vagues et l’environnement : en occupant.
Lubie municipale et opposition locale
Les arguments de la mairie sont connus : développement local, attractivité résidentielle et insertion dans une économie touristique, autant de processus qui contribueraient à l’émergence d’une modeste commune littorale. Le dynamisme d’un lieu peut pourtant passer par d’autres voies. Celle choisie par le maire divers-droit de Brétignolles-sur-Mer et chef d’entreprise, Christophe Chabot, suit un modèle déjà périmé. Le port de plaisance qu’il projette sur sa commune depuis son premier mandat, en 2001, serait pour l’association historique d’opposition, La Vigie, « très loin de l’utilité publique » revendiquée par le pouvoir local. La plage, accessible à tous et toutes, se verrait accaparée par des intérêts privés : les usagers du port ne seraient pas ceux qui fréquentaient le lieu auparavant. La Vigie dénonce ainsi un « détournement social et touristique » du lieu. Les promesses d’embauches, chères aux élus de tous bords, peinent également à convaincre. À la centaine d’emplois promis par la mairie, un occupant lui rétorque : le chantier ne recrutera que temporairement et n’aura pas recours à une entreprise du cru ; la gestion du trafic du futur port sera prise en charge depuis les ports à proximité.
Certains emplois sont, en sus, d’ores et déjà supprimés. L’école locale de surf s’est vue retirer tour à tour ses bassins successifs ainsi que ses lieux d’apprentissage sécurisés ; son bâtiment principal a été vendu afin d’anticiper l’expropriation prochaine ; la plage, enfin, terrain d’entraînement des jeunes pratiquants, serait amputée du site le plus aisément praticable. Des démissions ont déjà été enregistrées. Seraient ainsi préférés à une association sportive du coin les intérêts des plaisanciers de passage, à une activité inscrite dans le temps long une pratique saisonnière. Si la voile n’est pas rejetée par les opposants — certains d’entre eux sont skippers — la colonisation de l’espace que sa pratique justifie ne passe pas. Christophe Chabot s’y efforce pourtant depuis près de 20 ans. « Les gens qui sont pour le port, leurs seuls arguments c’est le boulot et les sous que ça va amener. Ou des papys qui disent vouloir mettre là leur bateau. » C’est ainsi que Dune-six (ici, chacun se nomme « Dune » pour les médias) nous résume la position des « oui-oui », les partisans du maire.
« Le maire le répète à l’envi sitôt qu’un micro lui est tendu : son projet est résolument moderne et écologique. La suite laisse en douter. »
Certains d’entre eux s’avancent pour discuter avec les zadistes ; d’autres lancent des insultes en passant en voiture. Le maire argue que la population se serait exprimée en faveur du projet lors des deux enquêtes publiques, en 2011 et 2018 ; les occupants opposent les 8 500 réponses négatives enregistrées mais ignorées par l’intéressé. Après avoir été retoqué une première fois en 2006 par la préfecture en raison des digues inappropriées imaginées au large du port, le projet a été proposé de nouveau et accepté en 2008 après une modification mineure. Ont suivi deux aménagements urbanistiques sans consultation publique : la modification du SCoT1 de la part de la communauté de commune en 2011, puis celle du PLU2 de Brétignolles-sur-Mer. Une fois les autorisations délivrées par la préfecture et les collectivités locales concernées, la déclaration d’utilité publique (DUP) a acté l’imposition du chantier. Toutefois, si l’État et ses ramifications locales ont un temps été des alliés, elles se tiennent depuis à l’écart, selon les aveux même du maire. Face à une forme de mobilisation inattendue, la réaction de Christophe Chabot est désabusée : « Les Brétignollais se sont fait voler leur commune en 24 heures, 48 heures. Qu’est-ce qu’on fait, avec qui on fait, comment on fait ? J’ai compris que ce ne sera pas avec l’État. » Cet État, s’il s’absente peu à peu du dossier, continue ailleurs de servir ses intérêts et ceux des Grands projets inutiles et imposés (GPII) en usant du droit et de la Justice. Les normes écologiques sont l’un de ses terrains de jeu privilégiés — mais c’est aussi le cœur de l’argumentation des opposants.
Déconstruire la farce environnementale
Sur la cabane de l’école de voile qui surplombe la plage toute proche, un permis de construire et sa justification écologique s’affichent. L’annonce égraine les retombées positives : emploi, attractivité, tourisme, plaisance. Un chapelet censé constituer la « plus grande opportunité » qui soit pour la commune et ses alentours. Au-dessous, les désormais nécessaires « mesures environnementales » qui accompagnent tout projet d’urbanisme : elles devraient faire de ce port le premier à avoir « un impact environnemental positif ». Le maire le répète à l’envi sitôt qu’un micro lui est tendu : son projet est résolument moderne et écologique. La suite laisse en douter. Parmi les mesures du triptyque législatif « éviter, réduire, compenser », inscrit dans la loi française depuis 1976 et actualisé en 2016, le projet local choisit la dernière — la moins contraignante sur le temps court, la plus défavorable sur le long. De même qu’à Notre-Dame-des-Landes un temps ou à Bure désormais, le maire de Brétignolles-sur-Mer entend recréer ex-nihilo et à deux pas le milieu qu’il détruit. Outre les débats éthiques qu’une telle proposition implique, sa réussite pratique est loin d’être assurée : les espèces vulnérables seraient capturées puis relâchées en des mares et sites d’hivernage dédiés ; les végétaux remarquables seraient un à un retirés de la dune existante pour être replantés sur celle à venir. À une centaine de mètres du futur port, une ancienne carrière aujourd’hui réserve de 340 000 mètres cube d’eau devrait être vidée, puis comblée par les sables de la dune actuelle.
En un mot, il s’agit d’une délocalisation. Mais un mot peut cacher une complexité de mise en œuvre que le maire balaye de la main. Après un été historiquement aride, une réserve d’eau claire serait pompée puis déversée dans la mer, modifiant temporairement le taux de salinisation du lieu et touchant la faune marine locale. Alors que l’érosion des littoraux est une préoccupation majeure en ces espaces, le présent site serait bétonné et abrité par des récifs artificiels qui déstructureraient les courants et l’ensablement. Le député local LREM, Stéphane Buchou, membre d’une commission parlementaire portant sur l’adaptation du littoral à l’évolution du trait de côte — ce même trait de côte mis en péril par un tel projet — botte en touche et laisse maire et opposants dos-à-dos. Pourtant, ainsi que le rappelle La Vigie, « le projet entend modifier un site marin naturel non seulement dans son aspect paysage, mais aussi dans son fonctionnement ». Les mesures environnementales compensatoires apparaissent comme un cadeau fait à l’urbanisme irresponsable pour poursuivre ses œuvres pendant quelques décennies supplémentaires. La loi littorale qui, en 1986, devait radicalement freiner l’artificialisation des rivages est depuis détournée ou contournée par divers moyens, au premier desquels ces déclarations d’utilité publique qui condamnent les mouvements d’opposition. Ce fut le cas à Brétignolles le 16 juillet 2019. Sans doute le préfet signataire ne s’attendait-il pas à ce que la contestation prenne une nouvelle forme.
Gardiens de la dune
« Non loin, deux hommes portent un ciré, une tasse de café à la main. Ils s’engagent chaque samedi sur les ronds-points. »
En termes tantôt techniques, tantôt affectifs, chacun — qu’il soit simple habitant, surfeur, skipper ou naturaliste — nous explique sur la ZAD le non-sens écologique de pareil port de plaisance dans leur commune. D’autant qu’à une quinzaine de kilomètres au nord et au sud de Brétignolles, les communes Saint-Gilles-Croix-de-Vie et Les Sables-d’Olonnes abritent déjà plus de 1 000 anneaux portuaires pour accueillir les plaisanciers. Un homme peint, sur le bois de la guitoune à l’entrée de la zone, la phrase « Les gardiens de la dune ». Un autre précise : « Si on défend notre dune, c’est aussi pour l’environnement. » Un troisième d’ajouter : « La dune, c’est des souvenirs. Et des risques, par rapport à la submersion, aux tempêtes de plus en plus violentes. » Si beaucoup se remémorent leurs souvenirs d’enfance, les journées passées dans les vagues et sur le sable, certains insistent en effet sur le rôle protecteur que peut avoir une dune : une heure plus au sud, le nom des villages rappellent un événement destructeur aux conséquences évitables. La tempête Xynthia a marqué le littoral vendéen et charentais en 2011 : l’urbanisme, au service d’intérêts particuliers, avait contribué aux conséquences néfastes.
L’une des sinistrées d’alors, désormais habitante de Brétignolles, trie des tracts en faveur de la ZAD. Elle craint de voir les mêmes errements causer les mêmes dégâts. S’opposer au port est à ses yeux une manière de contraindre la mairie à prendre ses responsabilités. Les visiteurs vont et viennent, sans discontinuer, les bras souvent chargés de sacs de nourriture : « On ne s’attendait pas à un tel succès : on est agréablement surpris par tous les dons », commente Dune-trois, mère d’un petit garçon que la tondeuse à gazon, stationnée à quelques mètres d’une table de jardin, paraît fasciner. Non loin, deux hommes portent un ciré, une tasse de café à la main. Ils s’engagent chaque samedi sur les ronds-points ; arrivés tard la veille, ils comptent d’ores et déjà passer quelques jours sur la ZAD : la spontanéité avec laquelle celle-ci s’est montée leur rappelle, avec force et enthousiasme, la lutte à laquelle ils ont participé ces dernières années, une heure plus au nord, à Notre-Dame-des-Landes. Mais si l’acronyme employé est identique, il apparaît sans trop tarder que la comparaison trouve ses limites.
Une autogestion locale
La ZAD de Notre-Dame-des-Landes a popularisé l’idée qu’il n’est de combat qu’à deux niveaux : « Contre l’aéroport et son monde », dit le mot d’ordre, désormais fameux. « Il n’y a pas de luttes locales », précise ainsi Serge Quadruppani dans son ouvrage Le Monde des Grands projets et ses ennemis. C’est qu’il s’agit d’entraver la réalisation d’un projet donné, précis, circonscrit, et, dans le même temps, la « civilisation » qui l’a rendu possible : « celle de la technoscience et de la course à la valeur ajoutée ». Sur fond de débats d’élus, nationalistes comme communistes, la ZAD de Brétignolles affiche des ambitions plus modestes. « En fait, je crois qu’on ne parle même pas de politique », nous confie Dune-un, jeune employé dans la restauration. Dune-deux rebondit aussitôt : « On n’est pas ici pour ça, on est apolitiques. » Même son de cloche, ici et là : « Les à-côté, on n’en veut pas, on ne veut pas se polluer » ; « On n’a pas de comparaisons à faire avec les autres ZAD, on avance au présent, on ne se projette pas ». Pas de doctrines ni de savants noms propres : de l’huile de coude et des marteaux.
« Un désir d’horizontalité maximale qui passe, sans surprise, par le refus des leaders et des représentants. »
Chacun est le bienvenu en sa qualité de « citoyen », militant encarté compris. L’étiquette n’importe pas ; seule compte la dune et l’environnement à défendre. Un zadiste ayant des sympathies pour le Rassemblement national pourrait-il être de l’aventure ? Affirmatif — à condition que l’intéressé ne s’adonne pas au prosélytisme. Puisque leur lutte épouse un périmètre strict, il n’est pas d’« après » à anticiper ni d’unité future à préserver des inévitables dissensions idéologiques : mettre le port en échec suffit. Les profils professionnels sont « très divers », même s’il y a « énormément de gens qui bossent avec leurs mains » : cuisinier, charpentier, menuisier, maçon… Le drapeau tricolore, hissé dans un ciel sans nuages, peut étonner tout autant : l’étendard national, largement mobilisé par les gilets jaunes pour asseoir leurs revendications sociales, ne compte pas au nombre des attributs usuels des ZAD. « On est des citoyens français, nous répond-on sur le ton de l’évidence. Le maire a dit qu’il voulait défendre la République en manifestant contre nous, mais nous aussi, on est dans la République ! » En matière de drapeaux, chacun est toutefois libre d’adjoindre celui auquel il tient : « On aimerait en trouver un kurde, vu qu’ils se battent en ce moment », nous dit l’un des zadistes en référence au Rojava. Ainsi qu’un LGBT.
L’« autogestion » n’en est pas moins sur nombre de bouches. « Chacun est indépendant, s’autogère », lance Dune-quatre — venue de Saint-Sébastien-sur-Loire, elle supervise la cuisine avec une amie. Et cela passe avant tout par l’organisation méthodique d’un quotidien sans argent : prise en charge des déchets, de la vaisselle et des constructions, pour l’essentiel. « C’est une vraie communauté. On a chacun nos caractères. On ne se connaissait pas pour la plupart d’entre nous, mais on travaille ensemble : on ne se pose pas trop de questions, on agit », poursuit-elle. « On est devenus des potes soudés, ça prend aux tripes », raconte également l’un de ses camarades. Un désir d’horizontalité maximale qui passe, sans surprise, par le refus des leaders et des représentants. Pas de porte-parole attitrés, pas de représentants désignés pour répondre aux médias. Chaque soir, le froid gagnant les corps que la journée a requis pour les nombreux travaux en cours, une centaine de personnes — domiciliées à la ZAD, riveraines ou seulement de passage — se réunit pour l’assemblée générale. Large cercle, téléphones éteints, interdiction de se couper la parole. On règle les questions du moment, on tranche à main levée, on prépare la journée portes-ouvertes, on annonce les prochaines activités. « Ça me rappelle la vie communautaire en Éthiopie, je retrouve ce mode de vie », indique Dune-quatre, originaire de la Corne de l’Afrique. « C’est une vraie démocratie », confirme Dune-deux. Un chien blanc somnole sur une palette étendue sur l’herbe ; deux ou trois de ses congénères attendent, attachés, le retour de leurs compagnons humains.
Servir d’exemple
L’affaire fait consensus : la ZAD est « non-violente » — ou « pacifiste », c’est selon. « Ce qu’ils ont fait à Notre-Dame-des-Landes, c’est énorme, mais on ne veut pas que les habitants s’imaginent que ça va finir de la même manière, à se battre contre des chars », nous avoue Dune-un. Les zadistes vendéens s’échinent dès lors à soigner leur image. « Être irréprochables », résume Dune-trois. Auprès de la population avoisinante, d’abord, mais également des médias nationaux qui viennent à leur rencontre. Il faut rassurer, dissiper les a priori, balayer l’aura négative que charrient les zadistes dans l’opinion. Aux passants outragés, la ZAD répond avec le sourire ; aux simples curieux, elle propose le partage d’un verre — et va jusqu’à convier les laudateurs du port à exposer leurs arguments au cours des assemblées. L’ancien président de l’Amicale des retraités, s’avançant dans le « salon » de la Zone (palettes, poutres, bâches, tourets, sofas improvisés), nous assure qu’au comptoir du bar de la commune, il n’est plus question que de l’occupation : « Un gars a dit que les Allemands ont débarqué dans la ZAD ! » Irait-il jusqu’à se dire zadiste ? Il opine du chef sans une hésitation. Certains Brétignollais viennent ici la nuit tombée, soucieux de manifester leur soutien tout en échappant au qu’en-dira-t-on de la commune. Derrière le retraité, amateur de vélo et sympathisant gilet jaune, deux fillettes dessinent non sans joie des affiches en vue d’un imminent rassemblement.
« La ZAD s’en verrait réduite en miettes, cela sans un pli ? Ils la relèveront après le départ de la police. »
Si les zadistes ont bloqué les engins de chantier il y a quelques jours de cela, ils se sont refusés, après discussion, à recourir au sabotage. Et si les forces de l’ordre en viennent à forcer l’entrée de leur lieu de vie, il est d’ores et déjà acté qu’ils n’opposeront aucune résistance. La ZAD s’en verrait réduite en miettes, cela sans un pli ? Ils la relèveront après le départ de la police. « Qu’ils viennent faire ce qu’ils veulent, on s’en fout, on a des mains pour reconstruire », nous répond en toute simplicité l’un des occupants. La police ne compte pas au nombre de leurs problèmes : leur ennemi, insiste-t-on dès l’entrée, ce sont les bulldozers. « On a des gens qui veulent en découdre, mais ils voient bien que pour l’instant, ça marche, la non-violence. » Les éventuels militants de sensibilité « anarcho-autonome » (« les ACAB », synthétise Dune-un en souriant) désireux de rallier leur cause auront d’ailleurs à se conformer au consensus en question : respect du lieu oblige. « On peut exprimer tous les désaccords qu’on veut, mais avec bienveillance », assure ainsi Dune-quatre.
La non-violence des opposants au port obéit à la volonté d’obtenir le ralliement, ou au moins l’aval tacite, d’une population majoritairement retraitée. À la configuration de l’espace, sans doute aussi : de taille réduite, il s’avère impropre aux affrontements. Mais pas seulement. La ZAD de Brétignolles aspire à servir de modèle national. Entendre que ses occupants comptent, en cas de victoire, sillonner les ZAD de France afin de prouver qu’il est possible de stopper un projet inutile et anti-écologique sans recourir à la violence physique. De gagner par la seule force de l’organisation et du soutien populaire. « Transmettre le message », note-t-on. Faire jurisprudence. Un pôle de « communication » s’emploie donc à clarifier les enjeux sur les réseaux sociaux — une chaîne YouTube verra prochainement le jour. Seconde victoire, après l’arrêt des machines : le maire a renoncé à la manifestation qu’il avait annoncée face à la ZAD.
*
La ZAD fait désormais partie du paysage local. Le 13 octobre, un dimanche festif a vu affluer plus de 1 000 personnes : poules et moutons étaient de sortie pour l’occasion ; sous une tente, les enfants pouvaient trouver des jouets avec lesquels s’affairer. Le week-end suivant, c’est sur la place principale de La Roche-sur-Yon, chef-lieu du département, que la lutte a pu s’exprimer. Entre 1 400 et 1 800 manifestants étaient rassemblés pour faire entendre leur voix à proximité du bureau du préfet. Tandis qu’une seconde journée portes ouvertes va se tenir le 27 octobre, le chantier, de l’autre côté de la route, n’a pas repris. Les gardiens de la dune y veillent — et comptent bien l’emporter.
Toutes les photographies sont de Jérôme Laumailler, avec son aimable autorisation.
- Le Schéma de cohérence territorial (SCoT) est un document d’urbanisme chargé de déterminer un projet territorial commun et homogène entre les communes d’un même groupement. Instauré par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite SRU, en 2000, le SCoT s’applique depuis une révision en 2017 à toute commune, donnant plus de pouvoir qu’auparavant aux intercommunalités.[↩]
- Le Plan local d’urbanisme est le principal document de planification urbaine à l’échelon communal ou intercommunal. Il fait suite au plan d’occupation des sols, supprimé par la loi SRU en 2000, et s’insère, à l’échelle d’un groupement de communes, dans le SCoT.[↩]
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