Mohammed Kenzi : « Laisser une trace, témoigner, ne pas oublier »


Entretien inédit | Ballast | Série « Les bidonvilles de Nanterre »

Nanterre, années 2020. Le bus 378 longe le pont de Rouen, file entre une bor­dée d’im­meubles pris dans une toile d’au­to­routes, de voies fer­rées, de ponts et de pas­se­relles. Ces amé­na­ge­ments modernes, tout en hau­teur, ont écra­sé l’an­cienne ville. Bien qu’elle soit tom­bée lors des évé­ne­ments de Mai 68, la vieille enceinte mili­taire qui refer­mait le ter­ri­toire sur lui-même semble de nou­veau d’ac­tua­li­té. Ici, se trou­vaient des années 1950 jus­qu’aux années 1970 les bidon­villes de Nanterre. Ils ont vu gran­dir toute une géné­ra­tion par­mi laquelle un cer­tain Mohammed Kenzi. Son récit La Menthe sau­vage, récem­ment réédi­té, revient sur la vie quo­ti­dienne des bidon­villes, l’ar­ri­vée du jazz et de la poli­tique à Nanterre, les réseaux de sou­tien au FLN et les col­lec­tifs mili­tants qui, peu à peu, font un pont avec les étu­diants et les ouvriers qui ani­me­ront les mobi­li­sa­tions à la fin des années 1960. À l’oc­ca­sion d’une ren­contre à la librai­rie El Ghorba mon amour, Mohammed Kenzi est reve­nu dans sa ville pour racon­ter les chro­niques de sa jeu­nesse. L’historien Victor Collet lui donne la réplique. Nous retrans­cri­vons leur échange. Troisième volet de notre série sur la mémoire de Nanterre et de ses bidonvilles.


[deuxième volet : « Bidonvilles : l’enlisement [port­fo­lio] »]


Quelle était la vie du bidon­ville de Nanterre durant l’é­poque colo­niale puis pen­dant la lutte pour l’in­dé­pen­dance algérienne ?

À 7 ans, je pars d’Algérie avec ma mère et mes sœurs, retrou­ver mon père, par­ti dès 1957 de Maghnia, près de la fron­tière maro­caine. Arrivés à Nanterre au bidon­ville, on a vite com­pris que la guerre n’était pas finie. La répres­sion non plus. Je me sou­viens de la période avec le FLN. Nous étions tout petits mais j’y ai pris part. Pour moi, sans aucun doute, il fal­lait le faire. Comme j’étais assez débrouillard, on m’a vite deman­dé de par­ti­ci­per. Les enfants étaient uti­li­sés à l’é­poque pour trans­por­ter soit de l’argent, soit des armes. Je devais suivre un mon­sieur et s’il déta­lait, je devais déta­ler aus­si ! Le 17 octobre 1961, je me suis retrou­vé avec une petite famille, Madame et Monsieur Saadaoui. On a réus­si à arri­ver jusqu’au pont de Neuilly et puis, d’un coup : le pre­mier tir. C’était ter­rible, la panique totale. Le FLN tirait des cordes jusqu’aux arbres pour empê­cher les gens de recu­ler. Après ça, avec la petite famille, on a dû mar­cher pour reve­nir jusqu’à Nanterre. On a trou­vé une cache et on a dor­mi là. On n’est ren­trés que bien après, quand ça s’est cal­mé. Tout était sans des­sus des­sous. Je ne savais pas où étaient mes parents. Je ne les ai vus que deux jours plus tard.

« Si tu ne vou­lais pas mou­rir, te retrou­ver jeté dans la Seine, tu l’évitais. La majo­ri­té d’entre nous ne savait pas nager : si tu tenais à la vie, tu n’y pas­sais pas. »

8 ans, oui, je n’a­vais que 8 ans. Je m’en rap­pel­le­rai tou­jours. Ça m’est res­té ces trucs. C’est comme le pont de Bezons, à l’époque c’était l’horreur. Si tu ne vou­lais pas mou­rir, te retrou­ver jeté dans la Seine, tu l’évitais. La majo­ri­té d’entre nous ne savait pas nager : si tu tenais à la vie, tu n’y pas­sais pas. On nous disait à chaque fois : « Y a untel qui a dis­pa­ru, un autre qu’on ne retrouve pas. » Des fois, des corps remon­taient plus bas, d’autres ne remon­taient jamais. Nous, ce pont, on ne le tra­ver­sait que la jour­née. La nuit, il valait mieux se cacher près de la berge, attendre là et le tra­ver­ser à l’aube… Durant toute la période colo­niale, avant l’in­dé­pen­dance de l’Algérie, nos parents nous disaient : « Il faut pas écou­ter les Français, il faut pas ceci, il faut pas cela, pas faire confiance, pas par­ler. » Même à l’école on s’af­fi­chait très peu, on res­tait mutiques. On ne disait rien, on répé­tait ce qu’on appre­nait, point à la ligne. Et, à l’indépendance, c’é­tait : « Il faut aller à l’école, il faut apprendre ! » On pen­sait : « Ils sont fous ces adultes ! » On ne com­pre­nait pas leur monde. C’était très per­tur­bant. Et racon­ter com­ment c’était à la mai­son, ça, c’est impossible.

Une des forces de La Menthe sau­vage est que vous avez osé décrire des dif­fi­cul­tés au sein des bidon­villes qui sont sou­vent élu­dées, par pudeur ou par honte… 

Les gens masquent ces ques­tions pour ne pas créer une mau­vaise image de la com­mu­nau­té. Mais l’al­cool, oui, était très pré­sent. Mon père, quand il buvait, il nous tapait des­sus sans rai­son. C’était dur. Pour moi, la bois­son a débar­qué avec leur déses­poir. Ils pen­saient réus­sir à pou­voir construire leurs baraques, réus­sir à avoir, je sais pas, un ave­nir pour leurs enfants. Et fina­le­ment, ils se retrou­vaient dans ce bidon­ville, dans une pièce où ils vivaient à douze dedans. Chez nous, quand il pleu­vait, ça s’infiltrait de tous les côtés, c’é­tait ter­rible. Et quand quelqu’un rajou­tait un bout de mur ou quelque chose sur sa baraque, il y avait cette bri­gade spé­ciale, la fameuse « bri­gade Z1″. Ils arri­vaient, ils cas­saient tout et repar­taient. Ils ont conti­nué à venir après l’indépendance mais les jeunes comme moi, qui en avaient marre de tout ça, ils avaient gran­di. Ils se sont fait caillas­ser plu­sieurs fois et ils sont plus reve­nus. Mais c’était vrai­ment une période dif­fi­cile. Et, pour mon père, l’alcool, je crois que ça lui per­met­tait de ne plus être là, de ne plus vivre cette vie-là, de dis­pa­raître. À l’é­poque, je ne com­pre­nais pas toute cette réa­li­té. Ce n’est que plus tard que je me suis dit qu’il devait y avoir des rai­sons que je ne voyais pas.

[Élie Kagan, « Bidonvilles de Nanterre », 21 octobre 1961 | Collection de la bibliothèque La contemporaine]

L’atmosphère que vous décri­vez est très sombre, très dure. Pour autant, vous ne tom­bez jamais dans une forme de fata­lisme. On sent cette envie, mal­gré tout, d’ou­vrir les hori­zons au pied de biche.

Cet esprit de révolte est ce qui m’a aus­si per­mis de réus­sir à sor­tir du bidon­ville. J’avais cet élan, cette envie d’al­ler vers les autres. Quand j’étais encore à l’école Anatole-France, j’é­tais à peu près le seul à avoir un copain fran­çais. Sinon, le reste du temps, ça pas­sait par des bagarres à la sor­tie. Durant cette période les rap­ports entre les Français et ceux qui habi­taient au bidon­ville étaient rudes, ça ne se mélan­geait pas. Dans la classe non plus d’ailleurs : les petites têtes blondes devant, les Portugais et les Espagnols au milieu et, au fond, les petits comme nous avec la boue sur les chaus­sures. Les familles fran­çaises habi­taient dans la zone pavillon­naire, de l’autre côté de l’avenue de la République. Parmi ces familles, on avait quand même quelques amis. Je me sou­viens des Letertre, qui avaient une petite mai­son qui lon­geait le bidon­ville… mais c’est tout. Pour le reste, on était exclus. Les Français ne vou­laient pas se mélan­ger. Dès qu’ils nous voyaient, ils nous disaient : « Je parle pas avec un Arabe, il a un cou­teau dans la poche » ou encore « C’est des voleurs… » Des cli­chés comme ça, on en enten­dait à lon­gueur de jour­née. Mais moi, quand même, j’a­vais ce copain. Sa famille m’avait ouvert la porte alors que son père était militaire !

Comme beau­coup, vous quit­tez rapi­de­ment l’école…

« Ça ne se mélan­geait pas. Dans la classe non plus : les petites têtes blondes devant, les Portugais et les Espagnols au milieu et, au fond, les petits comme nous avec la boue sur les chaussures. »

Vers 1968–69, j’ai arrê­té l’école. Mon père n’arrêtait pas de faire des allers-retours entre le tra­vail et le chô­mage. J’ai trou­vé un tra­vail pour aider un peu ma famille à la pape­te­rie de la Seine. Ça a duré six mois. Je rega­gnais l’estime de la com­mu­nau­té avec ce tra­vail mais c’é­tait assom­mant, je n’en ai vite plus vou­lu. C’était un peu ten­du, il com­men­çait à y avoir plus de pro­blèmes de chô­mage. Mon père était dans le bâti­ment mais il ne trou­vait plus de poste. J’ai essayé de le faire enga­ger à la pape­te­rie mais il n’y est pas resté.

Quelles étaient les condi­tions de tra­vail et les rela­tions avec ce monde-là — notam­ment avec les com­mu­nistes —, du point de vue des immi­grés ?

Les rap­ports entre Français et immi­grés n’existaient que dans le tra­vail : ils n’acceptaient de se fré­quen­ter que quand ils allaient bos­ser. Mais il y avait déjà des ten­sions. « L’immigré qui vient voler le tra­vail du Français », tout ça. Les com­mu­nistes, c’est dur à dire, mais ils nous voyaient d’un mau­vais œil. Nos parents n’étaient pas aus­si poli­ti­sés, ils n’avaient aucune notion de la grève. Pour eux, il fal­lait tra­vailler. Du coup, ils étaient très mal vus par les ouvriers fran­çais qui les consi­dé­raient comme des bri­seurs de grève… C’est ce qu’ils disaient d’ailleurs : « Les immi­grés ne par­ti­cipent pas. » Comme si on n’é­tait pas de leur classe ! Pour eux, on n’appartenait pas à leur monde. Nos parents, nous, on était des gens qui venaient faire leur bou­lot à leur place. Point à la ligne. Moi, là où j’ai tra­vaillé, à Flins, c’était la CGT qui régnait en maître, c’étaient eux qui diri­geaient, qui don­naient les ordres. Il n’y avait pas de repré­sen­tants de la com­mu­nau­té ouvrière magh­ré­bine ou immi­grée, ça n’existait pas. Nos parents non plus n’a­vaient pas de rela­tions avec le par­ti com­mu­niste, ou que rare­ment. D’ailleurs, on n’avait aucune idée de ce qu’é­tait le PC, le PS. On ne les voyait qu’à tra­vers les affiches pour les élec­tions, avec la tête de Barbet, tout ça. Je savais que le Parti com­mu­niste exis­tait parce qu’il y avait Georges Marchais, bien sûr. Il nous fai­sait rire des fois quand on le voyait à la télé, avec sa manière de par­ler. Mais rien d’autre. Aucun de nous n’avait vrai­ment une vision claire, une idée de ce qu’é­tait le PC. Finalement, le PC, à cette époque, c’était la mai­rie. Et la mai­rie, fran­che­ment, elle nous met­tait des bâtons dans les roues dès qu’on essayait quelque chose, comme avoir accès à l’eau. Sur l’ensemble des bidon­villes à Nanterre, il n’y avait que la fon­taine du bidon­ville de la Folie à cette époque. Du pont de Rouen où j’habitais, on mar­chait près de qua­rante minutes pour sim­ple­ment rame­ner l’eau chez nous…

[Élie Kagan, « Usine Renault de Flins, première fête de Lutte ouvrière : concert de Claude Nougaro », 31 mai 1971 | Collection de la bibliothèque La contemporaine]

C’est à cette période que naissent les pre­miers mou­ve­ments étu­diants de Nanterre. Est-ce que ces milieux ont pu inter­agir, se croiser ?

Il faut savoir qu’a­vant, l’u­ni­ver­si­té, c’é­tait une zone inter­dite pour nous. On était petits, en pleine guerre d’Algérie, avec la police, l’OAS… Imaginez tra­ver­ser cette enceinte du vieux camp d’aviation mili­taire sur des kilo­mètres, sans aucune issue. La nuit, on avait très peur. Nos parents nous inter­di­saient d’y aller. Nos parents, la mai­rie, les anciens, mais aus­si les grands frères, qui ont pris la suite des anciens. Tous essayaient de nous cadrer. À ce moment-là, pour moi, clai­re­ment, le bidon­ville, c’était la pri­son. Une cel­lule à ciel ouvert où on se retrou­vait tous ensemble enfer­més. J’avais le sen­ti­ment que je n’avais aucune échap­pa­toire, ma vie était un enclos. À part les quelques bandes de lou­bards, les Blousons noirs qui étaient un peu les anar­chistes de cette période, il n’y avait aucune rai­son de se croi­ser avec les Français. Par consé­quent, le reste du temps, on vivait en com­mu­nau­té, refer­mée, en cercle, de manière tri­bale. C’était tout tra­cé, je devais suivre le che­min : épou­ser une femme arabe, faire des enfants et tra­vailler. À l’é­poque, dans le bidon­ville, il n’y avait qu’un seul homme qui vivait avec une Bretonne, Aïcha. Elle avait chan­gé de pré­nom en arri­vant là. C’était la seule, on n’imaginait pas pou­voir vivre avec une Française, qu’on pou­vait sor­tir ensemble. C’était un peu comme avec les Noirs aux États-Unis, la ségré­ga­tion : une Blanche ne mar­che­ra jamais avec un Noir. C’étaient des mondes qui se fai­saient face, avec le quar­tier pavillon­naire des Français d’un côté, les bidon­villes de l’autre. Le bidon­ville de la Folie, celui des Pâquerettes — à l’époque on l’appelait Tartarins — et jusqu’au bidon­ville de la rue des Prés, près des pape­te­ries, et celui du pont de Rouen, sur les bords de Seine : tout ça fai­sait vrai­ment un cercle autour de l’université. Il y avait comme une fron­tière phy­sique entre ces deux mondes — trois mondes devrais-je dire, avec l’université.

« C’était un peu comme avec les Noirs aux États-Unis, la ségré­ga­tion : une Blanche ne mar­che­ra jamais avec un Noir. »

Mais un jour, Mustapha, un des habi­tants du bidon­ville, est reve­nu de Paris tout remué : « Il y a les Français qui se battent entre eux. Il faut plus sor­tir du bidon­ville ! C’est la ter­reur dehors ! » Quand tu connais la tra­gé­die algé­rienne, pour eux, ce moment, c’é­tait un peu comme revivre la guerre. Mais avant, c’é­taient des Algériens contre des Français ; là, c’é­taient des Français entre eux… Nos parents ne com­pre­naient plus rien : « On ne sait pas ce qui se passe, il vaut mieux res­ter à l’abri. » Et c’est à ce moment-là que, d’un coup, les murs qui sépa­raient le bidon­ville de l’u­ni­ver­si­té sont tom­bés. C’était un peu comme avec le mur de Berlin : il y a eu une ouver­ture. On est arri­vés avec quelques jeunes et on a fait un tas de ren­contres. On s’est ren­du compte que les étu­diants n’a­vaient pas du tout les mêmes pré­ju­gés envers nous que les autres Français de Nanterre. Là, à la fac, d’un coup, c’était très dif­fé­rent. Ils t’accueillaient, ils te par­laient. Ce qui était impos­sible aupa­ra­vant est deve­nu pos­sible. Mai 68, ça a été mar­quant pour moi, c’é­tait un peu comme un mirage, c’é­tait la liber­té. Ça m’a vrai­ment per­mis de m’ouvrir… L’université, c’é­tait comme s’échapper.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué ?

Les concerts de jazz, les Black Panthers, Jim Morrison… Toute cette culture n’existait pas dans le bidon­ville. Nous, on avait Rapat, les danses allaoui… C’était la culture arabe, les musiques arabes. Et nos parents n’étaient pas ins­truits, mon père ne savait pas lire. Du coup notre culture était sou­vent réduite à ce que les parents savaient déjà, ou à ce que les anciens leur disaient. Il y avait ceux qu’on appe­lait les mara­bouts. Ils connais­saient bien le Coran, ils déte­naient la parole et avaient une capa­ci­té de jouer avec les mots, le lan­gage. Leur parole était sacrée, on ne pou­vait pas la remettre en cause. On n’avait pas les capa­ci­tés, on ne maî­tri­sait pas la langue arabe, donc pour nos parents, c’était « Il a dit », « Il a dit »… Et quand ils disaient « Il a dit », il fal­lait jus­te­ment ne plus rien dire et se taire ! En face, d’un coup, l’université ouvre, avec la musique, le jazz, tout ça… Les étu­diants, eux, avaient accès aux livres. Ils venaient, ils nous met­taient par­fois devant nos contra­dic­tions : « Ça se passe comme ça, faut pas croire… » Tout une autre culture est venue s’ajouter à la nôtre. Avant, j’avais une vision de la culture fran­çaise qui était celle de l’école, celle de « Nos ancêtres les Gaulois », que j’avais tou­jours refu­sée. Il y avait vrai­ment une frac­ture entre les deux cultures. Et quand j’ai décou­vert ces étu­diants, ce n’était plus du tout cette vision. Ça s’ouvrait, ça se rencontrait.

[Élie Kagan, « Manifestation à l'université de Nanterre et manifestation de l'UNEF et du SNESup dans la cour de la Sorbonne », 2 et 3 mai 1968 | Collection de la bibliothèque La contemporaine]

Comment ?

Ces ren­contres, elles se sont nouées quand il se pas­sait quelque chose, autour du bor­del. Avant 68 déjà, il y avait des échauf­fou­rées, des bagarres à l’u­ni­ver­si­té. Et moi je fai­sais par­tie de ceux qui osaient déjà un peu entrer à l’université. Je par­ti­ci­pais aux bagarres. C’est comme ça que ça s’est construit, sans avoir ni pro­jet ni rien du tout. Jacques Barda, l’ancien com­pa­gnon d’Annette Lévy, qui venait de l’École des Beaux-Arts, est arri­vé un jour au bidon­ville un peu après 1968. On avait ce pro­blème d’approvisionnement en eau et il vou­lait per­cer la cana­li­sa­tion pour la faire déri­ver jus­qu’au bidon­ville ! C’est comme ça qu’on s’est croi­sés et c’est de là que c’est par­ti. Jacques, c’é­tait plu­tôt une sorte de recru­teur de Vive la révo­lu­tion [VLR], il cher­chait des per­sonnes qui avaient du bagou. À l’é­poque, il y avait deux grou­pus­cules qui étaient un peu rivaux. Il y avait VLR qui était plus du côté fes­tif et la Gauche Prolétarienne [GP] qui était plu­tôt très car­rée. Moi j’ai vite choi­si VLR pour ce côté spon­ta­né, c’est ce que j’aimais. Je me disais : vivre vite et mou­rir jeune. Je ne vou­lais pas sor­tir du bidon­ville pour retrou­ver ce côté très mili­taire et fermé.

« Je me disais : vivre vite et mou­rir jeune. Je ne vou­lais pas sor­tir du bidon­ville pour retrou­ver ce côté très mili­taire et fermé. »

Il y avait aus­si un groupe à l’intérieur de l’université avec des Martiniquais, dont Roland Junod — un étu­diant du Jura suisse, mon copain —, qui avait appris à jouer des per­cus­sions et fai­sait de la phi­lo. Les copains avaient intro­duit la musique antillaise ; Roland, lui, c’était plu­tôt jaz­zy ; en fré­quen­tant VLR et le Front de libé­ra­tion de la jeu­nesse [FLJ], la pop est entrée dans le jeu. Ça se pas­sait plu­tôt en exté­rieur, ici, sur place, à Nanterre. On appe­lait ça des trucs sau­vages, la France sau­vage. On se retrou­vait avec des bou­teilles, un bout de shit et on fai­sait la fête. Des fois, à l’université, des gars met­taient de la musique à la fenêtre d’une chambre, alors cha­cun rame­nait quelque chose et c’était par­ti ! Ça nous fai­sait la soi­rée. On finis­sait le soir avec de grands feux vers la rési­dence à l’université et quand on avait un peu trop bu, on se retrou­vait sur l’île. Ça sor­tait les ins­tru­ments, les tam­bours, on recréait un peu nos uni­vers ima­gi­naires, la savane, le bled. C’est de là qu’est venue la musique… C’était les débuts de Bob Dylan, ça chan­tait du Brassens. Ça bou­geait entre l’université et des bâti­ments des bidon­villes. Aux Marguerites, il y avait des appar­te­ments où on se retrou­vait avec les gens de VLR. On se retrou­vait à cinq ou six quand on des­cen­dait pour les manifs. Il y avait Khetib, Alain… Ah, Alain ! À l’é­poque on l’appelait pas comme ça, on l’appelait Khekhet’ ! Je n’ai su qu’après qu’il était mort en pri­son… De cette époque, j’ai gar­dé beau­coup de liens : avec Richard Deshayes, du FLJ, avec Henri Leclerc, l’avocat, Yann Chouque, Roland Junot, des amis qui habi­taient Nanterre. Certaines rela­tions sont res­tées, d’autres se sont bri­sées tout de suite. Mais tout ça, ce moment d’ou­ver­ture, ça s’est vite refermé.

Vous décri­vez assez dure­ment des formes d’ins­tru­men­ta­li­sa­tion et un cer­tain pater­na­lisme des « gau­chistes », notam­ment au sein du pre­mier Comité Palestine…

Oui. À Nanterre, tu avais peu de choix à cette période : la com­mu­nau­té, l’université, quelques bâti­ments où ça bou­geait un peu comme aux Marguerites et le Comité Palestine de Gilbert Mury, qui se trou­vait un peu plus loin, au quar­tier du Chemin-de‑l’Île. Il recru­tait les jeunes Maghrébins des alen­tours. Là, on était plu­sieurs de la même bande à s’y retrou­ver, un peu fiers de retrou­ver dans la cause pales­ti­nienne celle de la recon­nais­sance pour l’indépendance des anciens. Mais ça a été vite faus­sé, moins la cause que le sou­tien. Dès qu’on a ten­té de par­ler des condi­tions de vie dans les cités de tran­sit et dans les bidon­villes, ça coin­çait. Et puis Gilbert Mury, c’était déjà un ancêtre, le vieux modèle du PCF dont il avait été exclu, mais sans pou­voir ni force. Il régnait sur sa troupe avec son garde du corps, Messaoud, un agent du FLN et de l’Amicale des Algériens. On est vite allés voir ailleurs. VLR m’a atti­ré par son aspect fes­tif, les ren­contres, je l’ai dit ; là, devant ce cadre aus­si rigide qu’au bidon­ville, on s’est tirés.

[Élie Kagan, « Comités Palestine à la Mutualité, avec Gilbert Mury : An 5 de la révolution armée palestinienne, 14 janvier 1970 | Collection de la bibliothèque La contemporaine]

C’est à cette époque, durant les années 1970, qu’une poli­tique de chan­tage à l’ex­pul­sion se met en place pour les immigrés…

Avec le nou­veau pré­sident de l’u­ni­ver­si­té, René Rémond, les portes ont com­men­cé à se refer­mer. Il déci­dait de qui entrait et de qui sor­tait. Dans le bidon­ville c’é­tait pareil : on com­men­çait à faire le tri entre les familles. Celles qui n’é­taient pas « bonnes », qui étaient là au départ du mou­ve­ment. Elles ont rapi­de­ment été expul­sées. Que des immi­grés plu­tôt de la jeune géné­ra­tion com­mencent à se poli­ti­ser, c’était mal vu, ça déran­geait. L’expulsion ren­voyait la patate chaude de l’après 1968 aux Algériens et ils devaient se débrouiller avec. C’était la période où Marcellin et Pleven expul­saient faci­le­ment. Ce que je n’ai pas décrit dans mon livre, c’est l’Amicale des Algériens. Elle a eu un rôle dans cette fer­me­ture. Tous ces jeunes Algériens qui venaient à l’université deve­naient pro­blé­ma­tiques pour elle, pour ses rap­ports avec le consu­lat. L’idée qui se déve­lop­pait était très claire : « Attends ! Si tous ces jeunes, à un moment, débarquent chez nous, ça va être le bor­del ! » Ils s’inquiétaient. Donc, à un moment, il y a une concor­dance, une coor­di­na­tion même, autour de l’i­dée selon laquelle « Il faut réta­blir un peu d’ordre là-dedans »… Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, les poli­ciers venaient, ciblaient des gens, nous fou­taient des claques sans rai­son, met­taient en œuvre ce chan­tage à l’expulsion. La police et nous, on n’était pas copains du tout. À cette période, je suis vrai­ment par­ti en révolte contre le sys­tème, je vou­lais tout cas­ser. Le gau­chisme m’a un peu per­mis d’ex­pri­mer toute cette rage accu­mu­lée. Je fai­sais ce que je vou­lais. C’était : « On ver­ra ce qu’ils feront. » Je com­men­çais à moins traî­ner au bidonville.

Puis cette coer­ci­tion est pas­sée à une répres­sion poli­cière violente…

« Ce jour-là, on avait déci­dé avec des membres de la GP d’utiliser les pre­mières ran­gées comme bou­cliers et de bazar­der un paquet de cock­tails Molotov. »

À ce moment-là, il y a eu Richard. On lui a tiré des­sus. C’était un tir ten­du de gre­nade lacry­mo­gène lors d’une mani­fes­ta­tion à Paris. Là tu as un copain qui est au sol, tu peux pas lais­ser pas­ser ça. Je me rap­pelle qu’on avait eu une réunion à la Maison peinte [pavillon prê­té par la Cimade, près des Pâquerettes, où se réunis­saient des mili­tants immi­grés, ndlr] avec les mili­tants de VLR : tous prô­naient la révo­lu­tion mais, d’un coup, ils ne vou­laient plus aller mani­fes­ter, ils ne vou­laient plus conti­nuer. Ils disaient : « On peut rien faire… » Richard, à qui on avait cre­vé un œil, c’é­tait tant pis pour lui ! Ça m’a cho­qué. Richard, je l’aimais, c’était un ami, un frère. Quand j’étais dans la merde, c’est lui qui m’a aidé. J’ai trou­vé injuste ce qui lui est arri­vé. À ce moment-là, il y a eu comme une frac­ture avec VLR. Je me suis dit que ça n’est pas avec ces gens-là que le chan­ge­ment se ferait. Je ne suis plus vrai­ment reve­nu à la Maison peinte après ça. Je me suis reti­ré, j’avais l’impression de ne plus faire par­tie de cette com­mu­nau­té à laquelle je tenais. Cette his­toire m’a­vait vrai­ment abattu.

Il y a pour­tant eu le Palais des sports où une grosse mani­fes­ta­tion anti-poli­ciers était pré­vue. On a eu une bas­ton pas pos­sible avec la police. Nous, on est arri­vés avec ce groupe très infor­mel que VLR uti­li­sait en manif. Un groupe qui venait d’Argenteuil, des Marguerites et qui était très violent. Ce jour-là, on avait déci­dé avec des membres de la GP d’utiliser les pre­mières ran­gées comme bou­cliers et de bazar­der un paquet de cock­tails Molotov. La police ne s’y atten­dait pas du tout. Il y a eu une répres­sion très vio­lente. Dès qu’ils ont com­pris qu’il y avait une volon­té de faire mal, ils ont sor­ti leur bri­gade d’intervention avec les motos [le pelo­ton des vol­ti­geurs moto­por­tés ou moto­ri­sés (PVM), ancêtres des Brigades de répres­sion de l’ac­tion vio­lente moto­ri­sée (BRAV‑M) créées en 2019, ndlr], une bri­gade qui a été créée juste après que Richard ait été bles­sé. Là, on a sen­ti que le vent était en train de tourner.

[Élie Kagan, « Le 17 octobre 1961 : métro Solférino », 17 octobre 1961 / « Manifestations contre les violences du 17 octobre 1961 et contre la guerre d'Algérie : le PSU à la place Clichy et à la place Maubert », 1er avril 1961 | Collection de la bibliothèque La contemporaine]

Ça com­men­çait à être très, très violent. Le nou­veau contin­gent poli­cier qui arri­vait avait clai­re­ment le champ libre. Je me sou­viens qu’on se fai­sait contrô­ler sans même savoir pour­quoi, des dizaines de fois, toutes les trois minutes, qu’on nous tutoyait : « Qu’est-ce que tu fais là le bou­gnoule ? » Un degré de plus avait été fran­chi. Quand j’ai été arrê­té, à la pré­fec­ture, on me met­tait des coups de Bottin, ça ne lais­sait pas de traces… Tu sen­tais qu’on avait lais­sé libre cours à leurs pra­tiques, qu’ils savaient qu’ils ne seraient pas inquié­tés et qu’ils pou­vaient y aller. Et puis, ils devaient pen­ser qu’on ne por­te­rait pas plainte. La police n’a­vait plus du tout la même manière d’aborder les manifs qu’avant. Les grou­pus­cules non plus. La GP était déjà dans l’i­dée de pas­ser dans la clan­des­ti­ni­té pour évi­ter cette répres­sion plus sau­vage. Moi je me suis fait avoir à l’université. Un gars m’avait filé un bout de shit. En sor­tant du res­tau­rant uni­ver­si­taire, il y avait des flics tout autour de nous. Ils ont embar­qué Nordine et Madjid. J’ai com­pris que c’était un coup monté.

Après cette ouver­ture, ça s’est refer­mé violemment.

« Tu te dis que dans ton propre pays, t’es deve­nu immi­gré par la force des choses. »

Quand je suis sor­ti de pri­son, j’avais rejoint Richard Deshayes. Parce que, quand VLR est arri­vé en bout de course, lui avait créé le Front de libé­ra­tion des jeunes, avec son jour­nal Tout. À cette époque, moi, je navi­guais entre le FLJ et la cité d’urgence des Marguerites, je navi­guais entre les lignes, d’un côté et de l’autre. J’ai gar­dé long­temps un lien avec mes parents qui habi­taient à la cité des Prés, vers les Marguerites, vers Bezons. Et puis je suis par­ti. Je me sen­tais com­plè­te­ment déclas­sé — la pri­son fait le vide. Tu n’as plus que quelques amis, j’avais plus que Richard Deshayes, Françoise et Danièle que je connais­sais de la fac. Je me suis ren­du compte que ça avait été une période de liber­té où l’on pou­vait tout faire et que c’é­tait retom­bé — la grande des­cente. Ça n’é­tait même pas une dés­illu­sion, tu tom­bais de si haut ! Tu te retrou­vais pra­ti­que­ment tout seul, et tu devais te démer­der avec ça. C’était très dur. Pour beau­coup. Et moi, je me suis retrou­vé seul dans le cir­cuit, je devais agir et ne plus comp­ter sur personne.

Et c’est là que le « nous » est reve­nu, le « nous » de la com­mu­nau­té, celui qui te remet dans le cir­cuit, celui de tous les jeunes immi­grés qui sont res­tés à Nanterre et qui y sont encore. Ce « nous », c’était un peu le retour à la culture algé­rienne, magh­ré­bine, de l’im­mi­gra­tion… Cette période, c’est celle où je reve­nais sou­vent à la cité, mais ça n’a pas duré très long­temps. Avec les amis du bidon­ville, on n’avait pra­ti­que­ment plus le même lan­gage, la même vision de « nous », de nos vies. C’était très dur comme sen­ti­ment, je per­dais beau­coup d’amis d’enfance. Et lors de ma deuxième arres­ta­tion, ma famille a été expul­sée. Je l’ai appris depuis la pri­son. Mon petit frère, Hocine, a été le plus mar­qué. Il était en appren­tis­sage ici, il a per­du tous ses amis. Il a dû réap­prendre tout là-bas, à com­men­cer par l’arabe. Dans mon livre je parle du « pays », je dis « en Algérie », je décris com­ment serait pour moi « ce retour ». Mais ce retour est une illu­sion, c’est un rêve : c’est le mythe du retour. En fait je n’y suis retour­né que bien plus tard. J’avais fui en Suisse. De retour au bled, on nous appe­lait « les immi­grés ». Tu te dis que dans ton propre pays, t’es deve­nu immi­gré par la force des choses. Le seul truc inté­res­sant pour eux, ce sont les devises qui arrivent avec nous. On contri­bue, comme à l’époque de la guerre et de la Fédération de France du FLN.

[Élie Kagan, « Bidonvilles de Nanterre », 21 octobre 1961 | Collection de la bibliothèque La contemporaine]

C’est vrai que toute cette période, ça a été très dur pour moi. C’est aus­si pour ça que j’ai vou­lu la cou­cher par écrit ensuite. Ça a été sal­va­teur, fina­le­ment, quand je regarde les choses main­te­nant. D’un coup j’ai pris conscience de cette époque entre le bidon­ville, l’u­ni­ver­si­té, la pri­son. Durant cette période, j’étais visé par un décret d’expulsion. J’ai pas­sé une année en clan­des­ti­ni­té. Ce sont les réseaux des amis de la fac qui m’ont plan­qués. Je suis d’abord allé à Paris avec Richard Deshayes, ensuite à Toulouse chez un pro­fes­seur de l’Arsenal, et puis en Bretagne, à Lannilis, dans l’Aber Wrac’h, chez Yves Gourves, qui était un des douze membres qui avaient fait sau­ter la pré­fec­ture de Rennes, pour le Front de libé­ra­tion de la Bretagne. Et après, Henri Leclerc et Yann Chouque m’ont pro­po­sé l’Espagne pour m’exiler, et puis le Brésil. Mais qu’est-ce que j’al­lais faire au Brésil en pleine dic­ta­ture mili­taire, et en Espagne avec Franco ? Au der­nier moment, Leclerc il dit : « Ah ! Il y a une pos­si­bi­li­té pour la Suisse. » Ça devait être en 1970–71, ou en 72. Et c’est comme ça que je me suis recons­truit à Genève. J’ai eu une autre vie. Je me suis refait des amis, qui m’ont aus­si aidé dans cette route. C’est là que j’ai ren­con­tré ma femme, avec qui j’ai écrit le livre.

Pouvez-vous jus­te­ment nous par­ler de la genèse de ce livre, La Menthe sau­vage ?

« J’ai res­sen­ti le besoin d’apporter cette pierre à l’édifice. Ce qui a été écrit était vu exclu­si­ve­ment de l’extérieur. »

Finalement, si Jacques n’était pas venu au bidon­ville pour per­cer une cana­li­sa­tion, si leur révolte à eux en tant que jeunes n’était pas arri­vée à nous, si le mur n’était pas tom­bé, si je n’a­vais pas par­ti­ci­pé à tous ces trucs, y com­pris les plus vio­lents, il n’y aurait peut-être pas eu tout ça. La Menthe sau­vage, au début, c’é­tait sur­tout pour sor­tir tout ça, cette période dif­fi­cile à Nanterre. Pour l’expurger. Ensuite ça a été aus­si pour mes filles, qui ont gran­di ici, pour qu’elles com­prennent d’où je venais, ce que j’avais vécu. Décrire ma tra­jec­toire. Parce qu’à force de me l’en­tendre dire, je res­sen­tais que mon par­cours était un peu par­ti­cu­lier, alors j’ai vou­lu lais­ser une trace, témoi­gner, ne pas oublier. C’était aus­si une manière de resi­tuer l’histoire des bidon­villes, de les décrire enfin de l’intérieur. Même Mehdi Charef avec Le Thé au harem d’Archimède, il ne par­lait pas des bidon­villes. Ou bien je voyais pas­ser des trucs où on racon­tait n’importe quoi ! Je me disais : « C’est pas pos­sible, il faut faire quelque chose. »

D’où cette phrase d’introduction de Magressi : « On en a marre de voir l’Histoire écrite par d’autres, on est mûr pour l’écrire nous-mêmes. »

Oui, c’est par­ti de là. À force de voir des choses qui n’étaient pas vraies, ou lar­ge­ment faus­sées, j’ai res­sen­ti le besoin d’apporter cette pierre à l’édifice. Ce qui a été écrit était vu exclu­si­ve­ment de l’extérieur. Il y a bien celles et ceux qui avaient mili­té, comme Monique Hervo et son livre Bidonvilles : l’enlisement, publié chez Maspero. Mais c’était sur­tout des entre­tiens. Et puis, à cette période, il y avait plein de petites auto­bio­gra­phies de jeunes qui étaient publiées mais les édi­teurs, ça les arran­geait bien, parce que ce style, ça leur per­met­tait de réécrire beau­coup. Souvent, c’étaient des jeunes qui n’arrivaient pas à bien écrire. Le livre a failli être publié au Seuil. C’était un ancien mao, Olivier Rolin, qui me l’avait deman­dé au départ. Mais ils l’ont refu­sé fina­le­ment, on m’a dit que le livre était trop sombre, ils auraient aimé des aspects posi­tifs, plus joyeux, pour l’avenir. Ils vou­laient réécrire, jus­te­ment, et moi je ne vou­lais pas lis­ser. Pourtant, à cette époque, j’avais quand même une cer­taine pudeur, je n’ai pas tout dit… Il y a cer­taines choses vécues, pour moi into­lé­rables, que je n’ai pas décrites. Et puis fina­le­ment le livre a été refu­sé de nou­veau : « On a dépas­sé notre quo­ta de récits sur l’immigration », m’ont-ils dit !


[lire le qua­trième et der­nier volet | Nanterre : des his­toires ense­ve­lies sous La Défense]


Photographie de ban­nière : Élie Kagan, « Bidonvilles de Nanterre », 21 octobre 1961 | Collection de la biblio­thèque La contemporaine
Photographie de vignette : émis­sion Céline, ses livres


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  1. Brigade créée en 1961, fai­sant par­tie du dis­po­si­tif répres­sif pour évi­ter le déve­lop­pe­ment de bidon­villes et les pro­tes­ta­tions lors des déman­tè­le­ments [ndlr].[]

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