Texte inédit | Ballast
En quoi la pensée d’Herbert Marcuse peut-elle encore nous parler, quarante-cinq années après sa disparition ? Né à Berlin, le philosophe rejoint le mouvement spartakiste suite à sa répression sanglante lors de la révolution de 1919, puis émigre aux États-Unis lorsque les Nazis arrivent au pouvoir. C’est là qu’il commence à élaborer une réflexion devant à Marx autant qu’à Freud qui nourrira la nouvelle gauche. Christophe Solioz saisit l’occasion de plusieurs publications récentes pour revenir sur la réception de l’œuvre de Marcuse en France. Deux séquences ont retenu son attention : la critique de la rationalité technologique formulée dans les années 1960 et, une décennie plus tard, son approche de l’écologie politique.

Philosophe, sociologue marxiste et intellectuel engagé mais sans ancrage partisan ; professeur exigeant, spécialiste de Kant, Hegel, Marx, Husserl et Kierkegaard, Marcuse savait prendre des positions claires dans des textes-tracts esquissant une philosophie de l’émancipation. Ainsi dans « La tolérance répressive », où il arrive à la conclusion radicale « que réaliser l’objectif de la tolérance exigerait l’intolérance vis-à-vis des politiques, attitudes et opinions dominantes, et l’extension de la tolérance aux politiques, attitudes et opinions qui sont réprimées ou déclarées hors-la-loi. Autrement dit, aujourd’hui, la tolérance ressemble de nouveau à ce qu’elle était à son origine, au début de la période moderne : c’est un but partisan, une notion et une pratique subversives et émancipatrices1. »
« Marcuse savait prendre des positions claires dans des textes-tracts esquissant une philosophie de l’émancipation. »
Marcuse est souvent resté dans l’ombre de Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, ses collègues de l’École de Francfort qui l’ont tenu à distance, d’abord marginalisé puis écarté des activités de l’Institut de recherches sociales fondé en 1923. Ce point a fait couler beaucoup d’encre, aussi importe-t-il de préciser avec le philosophe Arno Münster que, malgré les différends et conflits, Marcuse n’a jamais renié « son enracinement profond dans la théorie critique de l’École de Francfort, son histoire et son appartenance à l’Institut de recherches sociales [ni] son amitié profonde avec Adorno et Max Horkheimer2 ».
Il n’était pas un tribun et encore moins un gourou, mais simplement professeur, comme le rappelle André Gorz dans son hommage appuyé publié dans Le Nouvel Observateur à la mort du philosophe allemand : « Il était le dernier Professor allemand. Il était convaincu qu’on ne sert pas les causes justes avec des idées simplistes ni avec des raisonnements approximatifs et confus. Il détestait le primitivisme, le populisme, l’ouvriérisme et cet anti-intellectualisme masochiste des étudiants maoïstes
pour qui les idées justes étaient censées venir des masses. Tout cela était du bullshit, de la connerie. Penser correctement demande un travail d’apprentissage et exige une discipline, un effort sur soi3. »
[Arthur Dove]
On dit qu’il serait aujourd’hui passé de mode, pourtant sa théorie critique entre en résonance avec notre actualité. Alors que les récents développements de l’intelligence artificielle maximalisent l’omnipuissance de la rationalité scientifique et technologique, que celles-ci se confondent toujours plus avec la rationalité politique, force est de constater que les analyses marcusiennes d’une civilisation unidimensionnelle se réalisent au-delà de toute prévision. Aujourd’hui plus qu’hier, « le Logos de la technique est devenu le Logos d’une domination maintenue. La force libératrice de la technologie — l’instrumentalisation des choses — est devenue une entrave à la libération, une instrumentalisation des hommes4. » Le philosophe envisageait dans les années 1960 deux hypothèses contradictoires : « 1° Ou bien la société industrielle avancée est capable d’empêcher une transformation qualitative de la société dans un avenir immédiat. 2° Ou bien il existe des forces et des tendances capables de passer outre et de faire éclater la société5. » De toute évidence, la première est aujourd’hui de rigueur.
Alors que « la technique pourrait servir l’émancipation, elle continue de servir la domination6 ». Pourquoi ? Non sans rappeler le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de la Boétie7, Marcuse raisonne le plus souvent en termes dialectiques, comme ici en 1936 : « La sphère de la liberté et la sphère de l’absence de liberté ne sont pas simplement juxtaposées mais se trouvent dans un rapport qui les fonde mutuellement8. » En 1937, dans un article consacré au caractère affirmatif de la culture, il souligne que celle-ci réprime l’exigence de bonheur en intériorisant le renoncement9. Dans les années 1970, il insiste sur l’efficacité des stratégies de contre-révolution institutionnalisées par le pouvoir10. Plus proche de nous, dans la même veine que Marcuse, Luc Boltanski et Eve Chiapello ont rappelé que le nouvel esprit du capitalisme a triomphé grâce à la formidable récupération de la « critique artiste » qui, après Mai 68, dénonçait l’aliénation de la vie quotidienne. La véritable crise n’est donc pas celle du capitalisme, mais celle de sa critique11.
« Alors que les récents développements de l’intelligence artificielle maximalisent l’omnipuissance de la rationalité scientifique et technologique, force est de constater que les analyses marcusiennes d’une civilisation unidimensionnelle se réalisent au-delà de toute prévision. »
Redonner à la critique ses lettres de noblesse est précisément le projet de Marcuse. En cela, il est à situer sur la même orbite que Miguel Abensour dont l’œuvre est elle aussi animée par la recherche d’une autre forme de politique. Tout comme Abensour, Marcuse a consacré sa vie à organiser le pessimisme en direction d’une possibilité d’espoir et d’émancipation, cela même qu’il nommait utopie. Outre l’utopie, l’anthropologie politique d’Abensour est régie par la fonction critique de l’imagination, pour parler en termes marcusiens. Seule l’imagination critique semble être en mesure d’échapper au paradoxe de la modernité, soit le mouvement contradictoire par lequel l’émancipation moderne se renverse en son contraire et donne naissance à de nouvelles formes de domination — « dialectique de la raison » illustrée notamment par les ressacs des flux révolutionnaires et des reflux contre-révolutionnaires auxquels l’un comme l’autre sont sensibles12.
La nécessité de changement et son impossibilité constitue un cercle vicieux dont on ne peut, semble-t-il, sortir. Marcuse tente la voie de la « dimension esthétique » pour construire comme « philosophie concrète » une philosophie de l’émancipation esquissée déjà dans Raison et révolution13. Comme le note le philosophe Gérard Raulet, tant Marcuse que les autres figures de proue de la théorie critique ont commencé — sans le mener à terme — le travail de « substituer à l’idéologie de l’émancipation une philosophie de l’émancipation14. » D’où l’appel de Raulet d’aller avec Marcuse au-delà de Marcuse : au nom de la raison comme subjectivité critique, principe de liberté et exigence de bonheur, il importe de poursuivre le chantier d’une philosophie de l’émancipation esquissant un horizon à l’aspiration d’une société juste et d’une vie meilleure. Dans cette perspective, l’examen de la relation Marcuse / Gorz revêt un intérêt particulier tant l’un et l’autre formulent les linéaments d’une philosophie de l’émancipation15.
[Arthur Dove]
Dans les années 1960–70, trois réseaux sont particulièrement sensibles aux travaux marcusiens et contribuent à leur diffusion : une avant-garde « institutionnelle », une avant-garde « littéraire » ou intellectuelle, et une avant-garde politique. Pour faire court : un courant multiforme conscient du nécessaire renouvellement du marxisme, une génération d’intellectuels de gauche « non alignés », et des revues et maisons d’éditions. Arguments, Partisans, Socialisme ou barbarie et Sauvage s’intéressent à Marcuse alors que Kostas Axelos et Pierre Bourdieu accueillent ses livres dans les collections qu’ils dirigent aux éditions Minuit16.
Le témoignage de Jean-Michel Palmier complète ce tableau d’une première vague de réception de Marcuse en France en élargissant le champ : « Herbert Marcuse semble condamné à se heurter au scepticisme et à l’ironie des sociologues et des universitaires, à l’hostilité déclarée des marxistes qui n’ont que peu d’estime pour ce gauchiste
et craignent son influence néfaste sur les étudiants. C’est pourtant auprès d’eux que ses thèses rencontreront le plus fervent accueil17. » Ce dernier point concerne plus particulièrement les États-Unis et l’Allemagne, où plusieurs générations d’intellectuels continuent de discuter encore aujourd’hui les textes de Marcuse ainsi que ses inédits récemment publiés. Rien de tel en France où l’on peut imaginer, comme le suggère Raulet, que « si on l’a oublié, c’est que le Marcuse engagé a nui à l’image du philosophe jusqu’à jeter le discrédit sur une rigueur philosophique pourtant exemplaire à sa façon18. »
Première séquence. La critique de la rationalité technologique
« La rationalité est en train d’être transformée de force critique en force d’ajustement et de conformation. »
La première séquence qui retiendra notre attention est celle durant laquelle Marcuse s’attache à formuler une critique de la rationalité technologique. Après ses années de formation en Allemagne, exilé aux États-Unis depuis 1934, Marcuse obtient une chaire à l’université Brandeis en 1954. Il consacre ses cours à l’imbrication science-économie-défense et à l’analyse de l’intégration de toutes les sphères de l’existence à la rationalité technologique. Au début des années 1940, il avait déjà publié dans la revue publiée par l’Institut de recherches sociales son article « Quelques implications sociales de la technologie moderne ». Inspiré par l’ouvrage de référence Technique et civilisation (1934) de Lewis Mumford, il considère la technologie comme un processus social : « En tant que mode de production, en tant qu’ensemble des instruments, dispositifs ou appareils qui caractérisent l’âge de la machine, la technologie est aussi un mode d’organisation et de perpétuation (ou de modification) des rapports sociaux, une manifestation des modes de pensée et des comportements prédominants, ainsi qu’un instrument de contrôle et de domination19 ». Le problème étant qu’il y a autoaliénation, soit adhésion à cette société de consommation, de domination et de contrôle. Si Éros et civilisation (1955) souligne la présence d’une conscience critique et de désirs inconscients de libération, ceux-ci sont refoulés par l’idéologie capitaliste de la société de production et de consommation de masse, comme le met en évidence L’homme unidimensionnel (1964). Au bout du compte, l’exploitation est acceptée, l’aliénation, imperceptible et la critique, absorbée. D’où un monde unidimensionnel écartant tout narratif critique et émancipateur.
Retenons de cet article l’idée d’une efficacité normalisatrice illustrant la structure de la rationalité technologique : « La rationalité est en train d’être transformée de force critique en force d’ajustement et de conformation. L’autonomie de la raison perd alors son sens de la même façon que les pensées, les sentiments et les actions des hommes sont façonnés par les exigences techniques de l’appareil qu’ils ont eux-mêmes créé. La raison a trouvé sa place dans le système du contrôle, de la production et de la consommation normalisés. Là, elle règne à l’aide des lois et des mécanismes qui garantissent l’efficacité, l’intelligence pratique et la cohérence de ce système20. » Marcuse reprend et développe plus avant cette approche dans ses six conférences données à l’École pratique des Hautes Études en 1958–1959 et dont est extrait le texte Critique de la société technologique avancée 21.
[Arthur Dove]
Deuxième séquence. L’écologie politique
Marcuse et Gorz, une rencontre
Cette deuxième séquence, moins connue, a pour moteur le dialogue entre Marcuse et Gorz. Ce dernier publie d’abord dans une revue progressiste new-yorkaise « Un appel à la subversion intellectuelle » (1964), une critique de L’homme unidimensionnel. Fort de sa sympathie pour le mouvement ouvrier italien, plus particulièrement de l’opéraïsme, ainsi qu’en France de la Gauche ouvrière et paysanne (GOP), Gorz se distancie de la thèse marcusienne selon laquelle la classe ouvrière occidentale ne serait plus un agent de changement révolutionnaire. Selon Gorz, l’analyse de Marcuse serait par trop tributaire du contexte spécifique des États-Unis. Il se demande aussi « si Marcuse n’exagère pas les effets de la technologie sur l’idéologie, la civilisation et la politique. Peut-on légitimement considérer la technologie comme une variable indépendante ? […] La rationalité scientifico-technique est fondamentalement viciée par les conditions historiques de sa naissance et de son développement22. » Argument dont Marcuse tiendra compte par la suite. Prenant la mesure du débat engagé, Céline Marty commente : « Marcuse ne situe pas sa technocritique : il “passe sans crier gare de la critique historique de la technification à une critique de l’essence de la technologie et de l’attitude technico-scientifique en général”, sans préciser si l’indifférence de la technique à l’égard des fins qu’elle sert provient de son essence ou de la division capitaliste du travail qu’elle sert23. » Sur cet argument, les analyses de Gorz seront plus pointues.
Avec Adieux au prolétariat (1980), Gorz prend en compte le fait que la crise du socialisme est celle du prolétariat : « avec l’ouvrier professionnel polyvalent, sujet possible de son travail productif, et, partant, sujet possible de la transformation révolutionnaire des rapports sociaux, a aussi disparu la classe capable de prendre à son compte le projet socialiste24. » Comme le note Arno Münster, à cela vient s’ajouter l’impossibilité du travailleur de l’époque postindustrielle « à s’identifier au travail, provoquée par l’automatisation et la robotisation (qui ont depuis longtemps pris le relais du taylorisme dans les usines), qui a fait disparaitre le sentiment d’appartenance de classe25. » Cette mutation sociologique dans l’organisation du travail industriel explique que « la classe [ouvrière] est entrée en crise », et que « cette crise est cependant beaucoup plus la crise d’un mythe et d’une idéologie que celle d’une classe ouvrière réellement existante26 ».
« Avec l’ouvrier professionnel polyvalent a aussi disparu la classe capable de prendre à son compte le projet socialiste. »
De toute évidence, Gorz se rapproche ici significativement de Marcuse. Tendance confirmée par les analyses développées dans Métamorphoses du travail (1988), ouvrage dans lequel Gorz prend la mesure de la diminution du poids sociologique de la classe ouvrière dans la société moderne, de la fonctionnarisation et technicisation du travail, et du statut de la science et de la technique comme nouvelle force productive à l’ère de la troisième révolution industrielle. Ainsi lorsqu’il poursuit dans le même livre en affirmant qu’un autre socialisme ne peut s’affirmer que dans « l’expérimentation sociale de nouvelles manières de vivre en communauté, de consommer, de produire et de coopérer » et dans un mode nouveau de production, organisé à partir de « technologies alternatives permettant de faire plus et mieux avec moins, tout en élargissant l’autonomie des individus et des communautés de base27 ».
Arrive Mai 68. Marcuse est à Paris pour un colloque consacré à Marx. Gorz en profite pour réaliser un court entretien de circonstance, « Les étudiants se révoltent contre un mode de vie », publié dans Le Nouvel Observateur du 20 mai 1968. Marcuse se reconnaît « dans les motivations profondes d’une lutte étudiante qui s’attaque non seulement aux structures périmées de l’Université, mais à tout un ordre social dont la prospérité et la cohésion ont pour fondement l’aggravation de l’exploitation, la compétition brutale et une morale hypocrite28. » Le différend ne porte pas sur les étudiants, mais sur l’université. Pour Gorz, elle ne fait que perpétuer le capitalisme et ce même dans une société socialiste ; il faut donc « détruire l’université29 ». Rien de plus stupide pour Marcuse qui défend l’université contre vents et marées : comme le rappelle Gorz dans le vibrant hommage qu’il rend à son ami décédé il y a peu, elle était pour lui « un des rares espaces de liberté où l’on peut apprendre à penser contre l’ordre établi et favoriser l’épanouissement d’une sensibilité nouvelle
30. » Avec le temps, les divergences cèdent la place aux affinités et à une amitié indéfectible scellée en 1966 lors d’un cycle de conférences organisé par la faculté de sciences politiques et sociales de l’université de Mexico. Ils se rencontreront par la suite au gré de conférences ou séminaires aux États-Unis, en Suisse et en Allemagne. La rencontre déterminante a lieu dans le cadre du colloque « Écologie et révolution » organisé sous les auspices du Nouvel Observateur par André Gorz à Paris le 13 juin 1972.
[Arthur Dove]
Pour la Terre, halte à la croissance
Publié en octobre 1972 par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT), The Limits to Growth (Halte à la croissance ?) contribue à la prise de conscience des dégâts environnementaux au niveau planétaire et plaide pour un « développement écologiquement soutenable » et une « croissance zéro ». Employant la méthodologie de la dynamique des systèmes élaborée dans les années 1950 par Jay W. Forrester et retenant cinq variables (population, industrie, agriculture, ressources et pollution), le rapport envisage différents scénarios de croissance ou de stabilisation économique et démographique prenant en compte la finitude des ressources. Seul le scénario de stabilisation permet d’éviter un effondrement. Ces prédictions seront confirmées et précisées par les rapports successifs Beyond the Limits (1992), The Limits to Growth. The 30-Years Update (2004) et An Earth for All (2022). Si ces rapports s’inscrivent dans l’horizon d’une écologie scientifique, le colloque « Écologie et révolution » relève d’une écologie politique qui trouve ici son ancrage31.
Le rapport, publié en octobre, est précédé d’une lettre que Sicco Mansholt (vice-président de la Commission européenne) adresse le 9 février 1972 au Président de la Commission. Mansholt, en contact régulièrement avec des membres du rapport Meadows dès 1971, publie sa lettre avant la sortie officielle du rapport. Dans sa lettre, il jette les bases d’une transition écologique et sociale au plan européen avec pour « objectif primordial […] de sauvegarder l’équilibre écologique et de réserver aux générations futures des sources d’énergie suffisantes32. » Le mot d’ordre est sobriété, soit réduction de la consommation. Dans son entretien avec Le Nouvel Observateur publié le 12 juin 1972, il revendique l’idée de décroissance : « Il ne s’agit même plus de croissance zéro, mais d’une croissance en dessous de zéro. Disons-le carrément : il faut réduire notre croissance économique, notre croissance purement matérielle, pour y substituer la notion d’une autre croissance — celle de la culture, du bonheur, du bien-être33. » Dans son introduction à la reprise de cette lettre, Dominique Méda insiste sur la puissance du narratif de Mansholt : « il s’agit d’un programme complet et convainquant qui s’inscrit tout entier dans une perspective de sobriété » ; Méda propose même « de prendre le temps de regarder ces propositions, de les mettre en discussion et d’adopter enfin un programme complet qui nous permettra de répondre sérieusement à l’ensemble des défis écologiques et sociaux auxquels nos sociétés font face aujourd’hui34 ».
« Pour Gorz, l’université ne fait que perpétuer le capitalisme et ce même dans une société socialiste. Rien de plus stupide pour Marcuse qui défend l’université contre vents et marées. »
En présence de 1 200 personnes, Gorz réunit à Paris un panel composé d’hommes politiques, de syndicalistes, de militants et d’intellectuels de premier plan : outre Sicco Mansholt, Edmond Maire (secrétaire général de la CFDT), Edward Goldsmith (fondateur de la revue The Ecologist qui publie la même année Changer ou disparaître), Philippe Saint-Marc (magistrat à la Cour des comptes qui venait de publier Socialisation de la nature), Edgar Morin (qui travaille au Paradigme perdu : la nature humaine, qui sera publié l’année suivante) et la « vedette américaine » Herbert Marcuse — sans oublier Jean Daniel, qui préside le grand débat. L’intervention de Gorz35, envisage « la non-croissance, voire la décroissance » comme condition globale d’un nouvel équilibre. La thèse de Gorz est cependant nuancée : « La non-croissance est contraire à la logique du système capitaliste et incompatible avec le fonctionnement du capitalisme tel que nous le connaissons ; mais elle n’est pas nécessairement incompatible avec la survie du capitalisme sous une autre forme, pour une période limitée mais potentiellement longue. » L’allocution de Marcuse36, souligne combien la lutte écologique se heurte aux lois qui gouvernent le système capitaliste pour tomber d’accord avec Gorz : « La logique écologique est la négation pure et simple de la logique capitaliste, on ne peut sauver la Terre dans le cadre du capitalisme, on ne peut développer le tiers-monde selon le modèle du capitalisme. » Dans sa conclusion, il souligne qu’« il faut que les hommes apprennent par eux-mêmes qu’il est indispensable de changer de modèle de production et de consommation, d’abandonner l’industrie de guerre, de gaspillage, de gadgets pour y substituer la production des objets et des services nécessaires à une vie de travail réduit, de travail créateur, de jouissance ». Les linéaments de l’écologie politique et libertaire sont posés : « La véritable écologie débouche sur un combat militant pour une politique socialiste qui doit réussir à atteindre les racines du système, à la fois dans le processus de production et dans la conscience mutilée des individus. »
Christophe Fourel et Clara Ruault précisent que Gorz et Marcuse « s’entendent alors sur la puissance de contradiction de l’écologie politique : une écologie qui ne serait pas immédiatement environnementale, mais qui s’ancre sur la reconnaissance de la dépossession d’un monde vécu plus que d’un milieu de vie naturel. Mais cette écologie doit être politique, c’est-à-dire advenir comme une forme nouvelle de critique sociale. » Cette alliance scelle l’avènement de l’écologie politique, qui s’impose comme l’articulation d’une analyse des limites physiques de la croissance matérielle et d’une critique du caractère de plus en plus aliénant de la modernité. Bien évidemment, le contexte tant géopolitique qu’environnemental n’est aujourd’hui plus le même. D’autres enjeux sont venus entretemps s’imposer — la crise climatique, la disparition de la biodiversité, l’Anthropocène ou encore le développement (ou non) d’infrastructures énergétiques notamment nucléaires.
[Arthur Dove]
On peut cependant noter avec Céline Marty que « le choix gorzien d’une décroissance de la production adaptée au suffisant, économe en ressources, y compris en travail humain, semble encore judicieux pour protéger les corps de l’épuisement37 » que ne manque pas de susciter le réchauffement climatique. Des choix devront être faits, mais comment les organiser dans la perspective d’une autogestion des besoins et des moyens ? Tout comme Marcuse, Gorz privilégie l’échelle locale — sans toutefois préciser vraiment les modalités d’intervention, note l’auteure. Céline Marty inscrit sa réflexion dans les pas de Marcuse et Gorz tout tenant compte de l’émergence de nouvelles problématiques. Ainsi par exemple, « la transformation de l’écosystème, simultanée aux propres mutations de nos pratiques, augmente aussi l’incertitude sur la conjonction de leurs effets, qui peuvent dépasser toutes les prévisions envisagées et envisageables, mais nous devons nous méfier d’une augmentation du pouvoir technocratique des experts qui monopolisent la prospective. » Voilà qui nous ramène sur les terres arpentées par les deux philosophes.
Si, dans les années 1970, l’écologie politique va être propulsée sur le devant de la scène grâce aux livres d’André Gorz, Écologie et politique (1975) et Écologie et liberté (1977), on mesure moins la contribution de Marcuse, qui s’inscrit certes dans un autre registre. L’écosocialisme autogestionnaire du premier repose sur quatre piliers : la convergence de l’écologie et de l’économie, le postulat d’une réduction significative de la durée du travail, l’autonomisation maximale d’unités autogérées de production et l’institution d’un revenu minimum pour tous. Gorz insiste particulièrement sur l’autonomie et l’autogestion, fort de la conviction que « nous savons désormais que la société ne sera jamais “bonne”, par son organisation, mais seulement en raison des espaces d’autonomie, d’auto-organisation et de coopération volontaire qu’elle ouvre aux individus38 ». Les métamorphoses du travail permettent d’envisager la société du temps libéré : « l’émancipation des individus, leur libre épanouissement, la recomposition de la société passent par la libération du travail. C’est grâce à la réduction de la durée du travail qu’ils peuvent acquérir une nouvelle sécurité, un recul par rapport aux “nécessités de la vie” et une autonomie existentielle qui les porteront à exiger leur autonomie croissante dans le travail, leur contrôle politique de ses buts, un espace social dans lequel puissent se déployer les activités volontaires et auto-organisées39 ». Désormais, l’appropriation du travail n’étant plus de mise, à la classe ouvrière se substitue comme sujet social une « non-classe » de « non-travailleurs » dont l’objectif est l’abolition du travail et la création d’une société du temps libéré.
« On ne peut sauver la Terre dans le cadre du capitalisme. »
Avec L’Immatériel (2003), Gorz pousse plus loin l’analyse des métamorphoses du travail en intégrant l’émergence de la connaissance comme principale force de production et donc du « capitalisme postmoderne » centré sur le « capital immatériel » résultant de la révolution informatique — que Gorz considère avec optimisme dans la mesure où il contribue à s’émanciper de la société de consommation. En référence à l’éthique des hackers, à la communauté Linux, aux réseaux non-hiérarchiques décentralisés, aux « anarcho-communistes des logiciels et des réseaux libres », Gorz considère qu’« il s’agit d’une pratique qui, partant d’une “auto-organisation apprenante” inhérente aux logiciels libres, se développe consciemment au sein du capitalisme contre le capitalisme, comme un “anarcho-communisme réellement existant”, selon l’expression de Richard Barbrook ; d’une pratique qui entend disputer au capital le terrain particulièrement sensible, stratégiquement, de la production, de l’orientation, de la division et de la propriété des savoirs40. »
Quant à Marcuse, signalons que suite au colloque « Écologie et révolution », le mensuel Sauvage — l’une des principales publications consacrées à l’écologie politique dans les années 1970 où l’on trouve régulièrement des textes signés Michel Bosquet, alias André Gorz — publie trois de ses contributions : « Érotisme et environnement » (1973, n° 9), « Adieu la croissance » (1974, n° 10), et « Le temps des prophètes » (1974). Enfin, dans l’une de ses dernières conférences, « L’écologie et la critique de la société moderne », Marcuse rappelle l’importance que revêt à ses yeux le mouvement écologiste comme un mouvement politique et psychologique de libération : « Il est politique car il affronte le pouvoir concerté du grand capital dont le mouvement menace les intérêts vitaux. Il est psychologique car (et ceci est un point important) la pacification de la nature externe, la protection de l’environnement vital, pacifieront également la nature interne des hommes et des femmes. La réussite de l’écologisme subordonnera au sein même des individus l’énergie destructive à l’énergie érotique41. »
[Arthur Dove]
Actualité de Marcuse
Si certaines des prises de positions de Marcuse dans les années 1960 semblent datées voire paraissent manifester un certain aveuglement politique42, d’autres sont d’une étonnante actualité. Ainsi cette remarque de 1967 concernant le fascisme, qui n’est pas sans évoquer l’actuelle montée en puissance des démocraties illibérales et pouvoirs autocratiques qui tendent à s’imposer partout : « Le nouveau fascisme, s’il vient, sera très différent de l’ancien — l’histoire ne se répète pas si aisément. Par un succès fasciste, surtout dans l’exemple américain, j’entends que les adversaires des libertés civiles et politiques qui subsistent encore deviennent assez puissants pour imposer au Congrès une législation répressive très effective. Pour en arriver là, il ne faut pas forcément des manifestations et des combats de rue à la suite d’une crise économique, mais il suffit que les masses soutiennent une tendance qui sape toute l’aire de liberté que la démocratie reconnaît encore, et par là enferme et affaiblisse mortellement l’opposition43. »
On peut même remonter plus loin dans le temps et tirer profit de deux articles de 1942, inspirés du Béhémoth que son ami Franz Neumann publie la même année44. Le deuxième, « La nouvelle mentalité allemande », explique l’inadéquation des méthodes traditionnelles de contre-propagande pour contrer la nouvelle mentalité que sut imposer le national-socialisme à une population rendue insensible à la logique et à la raison. Marcuse insiste tout d’abord sur la nécessité d’« une connaissance très approfondie de la nouvelle mentalité et du nouveau langage allemands est donc indispensable pour mener une offensive psychologique et idéologique contre le national-socialisme ». Cette mentalité est caractérisée par la politisation totale, le désenchantement généralisé, le pragmatisme cynique, le néopaganisme, le déplacement des tabous traditionnels et le fatalisme catastrophiste. Après avoir disséqué la logique et le langage nationaux-socialistes et analysé les fondements psychologiques de la nouvelle mentalité, il examine la transformation de la mentalité en technologie avant d’aborder trois mesures de contre-propagande. En synthèse : premièrement, être pragmatique et privilégier le langage des faits ; deuxièmement, utiliser le langage du souvenir afin de rappeler les acquis perdus ; et, troisièmement, engager un programme économique basé sur la notion de libération/abolition du besoin45.
« Marcuse rappelle l’importance que revêt à ses yeux le mouvement écologiste comme un mouvement politique et psychologique de libération. »
Marcuse revient sur le sujet dans sa conclusion à Contre-révolution et révolte où il esquisse une stratégie adaptée à la lutte contre la contre-révolution destinée à la jeune génération : « Les jeunes devraient apprendre à se regrouper après la défaite, à élaborer, de pair avec la nouvelle sensibilité, une rationalité neuve, à poursuivre cette longue affaire qu’est l’éducation, préalable sine qua non d’une action politique à grande échelle. Car la prochaine révolution est l’affaire de plus d’une génération, et la crise finale du capitalisme
peut prendre près d’un siècle46. » Sans céder aux sirènes de l’anachronisme, retenons l’invite à formuler de nouvelles voies de contre-propagande pour s’opposer aux nouvelles formes de contrôle développées par les sociétés post-disciplinaires et/ou sociétés de contrôle.
Marcuse mérite donc d’être relu tant il est un des rares à penser la tension utopique dans un monde de plus en plus unidimensionnel. Telle est précisément l’objectif de l’ouvrage collectif The Marcusean Mind qui publie un ensemble de contributions abordant une multiplicité de thèmes en résonance avec le monde contemporain, voire ayant depuis gagné en pertinence — la rationalité technologique, le contrôle social, la critique de l’autoritarisme, l’engagement esthétique, les espoirs de libération47. L’angle d’attaque de cet ouvrage monumental doit être souligné : il ne s’agit pas d’en rester à ce que Marcuse aurait dit ou écrit ; en faire l’unique source d’une pensée critique et d’un engagement ne peut qu’être décevant. Il s’agit plutôt de prolonger les recherches passionnées de Marcuse en s’inspirant de l’esprit d’une démarche et d’une pensée qui cherche toujours à être en prise avec la société pour en révéler les possibilités. Seule une telle approche permet d’aborder des enjeux que Marcuse ne pouvait traiter à l’époque, tels le postcolonialisme, la postmodernité, l’intelligence artificielle et l’Anthropocène. Là réside l’originalité de ce volume, qui ouvre de nouvelles pistes de réflexion permettant d’aller avec Marcuse au-delà de Marcuse, comme le souhaite Raulet. Ses méthodes (la théorie critique, la philosophie sociale, la dialectique critique) et concepts (réification, surrépression, homme unidimensionnel, tolérance répressive, désublimation, culture non répressive, nouvelle sensibilité) ont vocation à être retravaillés, approfondis, à ouvrir de nouvelles pistes, donner le jour à de nouveaux concepts et, surtout, à de nouvelles pratiques — autant de chantiers ouverts par The Marcusean Mind. Pastichant ce que Marcuse dit de Hegel, il s’agit moins de contribuer à la renaissance des études marcusiennes qu’à celle d’une faculté mentale en danger de disparition : le pouvoir de la pensée négative48.
[Arthur Dove]
Pour Marcuse, la négation est, d’une part, l’outil méthodologique permettant de démasquer les contradictions de l’ordre établi et, d’autre part, le levier pour mettre à jour les potentialités non encore réalisées — par-là, la négation se trouve liée à l’utopie. Ces deux aspects sont liés par un même processus dialectique combinant Hegel et Marx, comme s’en explique Marcuse : « Il est essentiel, aussi bien pour Marx que pour Hegel, que les forces de négation qui font éclater les contradictions à l’œuvre dans un système et conduisent à un nouveau stade, se développent à l’intérieur de ce système49. » Marcuse emprunte la notion d’utopie concrète, « le non-encore-devenu », à Ernst Bloch (1885–1977)50. Ce concept permet — au-delà de Marx — de redéfinir les buts du socialisme et joue un rôle majeur dans la philosophie critique sociale de Marcuse jusque dans son œuvre tardive.
Facilitant l’accès à des textes qui étaient devenus difficiles d’accès, le travail éditorial de Fabien Ollier permet de prendre la mesure de l’œuvre marcusienne en deux volumes bien pensés51. La trajectoire de Marcuse devient ici particulièrement lisible : après la dialectique marxienne et ses destins dans les développements historiques du socialisme (1957–1972), on passe au freudo-marxisme (1956–1962), pour aborder les dynamiques contradictoires et paradoxales du néocapitalisme (1965–1963), avant d’aborder la praxis révolutionnaire des mouvements protestataires des années 1960–1970. Malgré les efforts louables d’Ollier, il manque tout de même une édition française des œuvres complètes intégrant les inédits et autres documents publiés ces dernières années aux États-Unis. Rappelons les propos d’André Gorz publiés dans Libération le 31 juillet 1979 : « La moindre des choses, pour un pays qui a les prétentions intellectuelles de la France, ce serait quand même de traduire les œuvres complètes d’un des penseurs les plus marquants de ce siècle. » On en est loin.
Cet assemblage de textes permet de prendre la mesure d’un socialisme radical, loin de la version édulcorée proposée par un Axel Honneth52. Socialisme formulé par Marcuse en 1974 dans sa conférence « Marxisme et féminisme » : « Le socialisme en tant que mode de vie qualitativement différent n’utiliserait pas seulement les forces productives dans le but de réduire le travail aliéné et le temps de travail. Ce serait aussi afin de faire de la vie une fin en soi, de développer les sens et l’intellect pour apaiser l’agressivité, de jouir de la vie, de dégager les sens et l’intellect de la rationalité de la domination, ce serait la créativité réceptive opposée à la productivité répressive53. » Reste que les porteurs du changement, même le mouvement féministe présenté par Marcuse comme « une révolte contre le capitalisme en déclin, contre l’obsolescence historique du mode de production capitaliste », ne sont pas sûr de prendre le dessus : « C’est le lien précaire entre l’utopie et la réalité car la base sociale du Mouvement en tant que force potentiellement radicale et révolutionnaire existe, c’est le cœur même du rêve. Mais le capitalisme a encore la possibilité de le laisser à l’état de rêve, de supprimer les forces transcendantes qui combattent pour subvertir les valeurs inhumaines de notre civilisation54. »
Aujourd’hui plus encore qu’hier, il faut choisir entre la reproduction du système établi et sa transformation. Pour Marcuse, le choix est clair : le combat politique et la nécessité d’une transformation radicale de la société sont à l’ordre du jour. Dans son entretien « Socialisme ou barbarie », il rappelle son leitmotiv, à savoir que l’« une des conditions préalables de la révolution c’est un changement radical dans la conscience et dans l’inconscient des individus, dans leur psychologie, leurs besoins, leurs aspirations. […] Si [la révolution] n’est pas l’œuvre d’un nouveau type d’homme et de femme, la transition au socialisme ne produira pas non plus un changement radical dans les rapports de production et dans les rapports de l’homme avec la nature55. » Sur sa tombe à Berlin, un mot d’ordre en guise d’adieu : « Weitermachen ! » Continuer !
Illustration de bannière : Arthur Dove
- Herbert Marcuse, « La tolérance répressive » (1965), Théorie critique et émancipation. Théorie critique et émancipation. Textes et interventions 1941–1979, traduit par Christophe David, Alboussière, QS ? éditions, « Archives du futur », 2018, p. 209.[↩]
- Arno Münster, Herbert Marcuse et le « Grand Refus », Paris, L’Harmattan, 2022, p. 114.[↩]
- André Gorz, « Herbert Marcuse, professeur de liberté », Le Nouvel Observateur, 6 août 1979 ; cité d’après Christophe Fourel et Clara Ruault, « Écologie et révolution », pacifier l’existence. André Gorz/Herbert Marcuse : un dialogue critique, Paris, Les petits matins, 2022, p. 182.[↩]
- Herbert Marcuse, L’Homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, traduit de l’anglais par Monique Wittig et l’auteur, Paris, Minuit, « Arguments », 1968, traduction ici modifiée, p. 183.[↩]
- Ibid., p. 21.[↩]
- Herbert Marcuse, « Kinder des Prometheus. 25 Thesen zu Technik und Gesellschaft » (1979), Tüte, Sonderheft « Zur Aktualität von Herbert Marcuse », Tübingen, 1989, p. 23.[↩]
- Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire, Paris, Klincksieck/Droz, 2022.[↩]
- Herbert Marcuse, « Autorité et famille » (1936), Pour une théorie critique de la société, traduit de l’allemand par Cornélius Heim, Paris, Denoël/Gonthier, 1971, p. 11. Il s’agit de la contribution de Marcuse à l’ouvrage collectif Studien über Autorität und Familie. Forschungsberichte aus dem Institut für Sozialforschung, Paris, Librairie Félix Alcan, 1936.[↩]
- Lire Herbert Marcuse, « Le caractère affirmatif de la culture » (1937), Culture et société, traduit de l’allemand par Daniel Bresson, Paris, Minuits, 1970, p. 103–148.[↩]
- Herbert Marcuse, Contre-révolution et révolte, traduit de l’anglais par Didier Coste, Paris, Seuil, 1973, p. 71.[↩]
- Lire Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999 ; édition augmentée de 2011.[↩]
- Le témoignage d’Abensour mérite d’être cité : « Pourquoi la Théorie critique ? J’ai lu Éros et civilisation en 1965. C’est l’époque où j’ai décidé de faire ma thèse sur l’utopie. […] Dans cette perspective, Éros et civilisation de Marcuse fut pour moi un livre essentiel, notamment le chapitre VII,
Imaginaire et utopie
. Marcuse y retrouvait, grâce à Freud, la valeur authentique de l’imagination et tentait d’arracher le concept d’utopie au principe de rendement et à la condamnation que ce dernier en prononçait. Il s’agissait pour lui de faire resurgir la faculté de l’imagination, à libérer la réalité historique et à l’orienter vers les formes de liberté et de bonheur appartenant à une forme de civilisation où aurait disparu la surrépression. Il faut dire qu’à l’époque, avec mes amis de la Bibliothèque nationale, nous étions plusieurs à lire Marcuse dans une grande attente, tant sa pensée paraissait apporter un renouvellement de la question de l’émancipation. » Miguel Abensour, La Communauté politique des « tous uns » : désir de liberté, désir d’utopie. Entretien avec Michel Enaudeau, Paris, Les Belles Lettres, 2014, p. 29 (ainsi que p. 209–211). Cf. Herbert Marcuse, Éros et civilisation. Contribution à Freud, traduit par Jean-Guy Nény et Boris Fraenkel, revue par l’auteur, Paris, Les Éditions de Minuit, 1963, p. 128–141.[↩] - Herbert Marcuse, Raison et révolution. Hegel et la naissance de la théorie sociale, traduit de l’anglais par Robert Castel et Pierre-Henri Gonthier, Paris, Minuit, 1968.[↩]
- Gérard Raulet, Herbert Marcuse. Philosophie de l’émancipation, Paris, PUF, 1992, p. 243.[↩]
- Respectivement : pour Marcuse, le livre susmentionné de Raulet et, pour Gorz, Françoise Gollian, Gorz, une philosophie de l’émancipation, Paris, L’Harmattan, 2018.[↩]
- Respectivement les collections « Arguments », dirigée par Kostas Axelos, et « Le sens commun », dirigée par Pierre Bourdieu.[↩]
- Jean-Michel Palmier, Sur Marcuse, Paris, 10/18, 1969, p. 9.[↩]
- Raulet, Herbert Marcuse, p. 8.[↩]
- Herbert Marcuse, « Quelques implications sociales de la technologie moderne » (1941), Sommes-nous déjà des Hommes ?, traduit par Christophe David, p. 249.[↩]
- Marcuse, « Quelques conséquences sociales de la technologie moderne » (1941), p. 263.[↩]
- Herbert Marcuse, Critique de la société technologique avancée, Paris, Eterotopia France, 2024. Texte original français.[↩]
- André Gorz « Un appel à la subversion intellectuelle », in Fourel et Ruault, « Écologie et révolution », pacifier l’existence – André Gorz/Herbert Marcuse, p. 106.[↩]
- Céline Marty, L’écologie libertaire d’André Gorz. Démocratiser le travail, libérer le temps, Paris, PUF, 2025, p. 184.[↩]
- André Gorz / Michel Bosquet, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme, Paris, Points, nouvelle édition augmentée, 1981, p. 101.[↩]
- Arno Münster, Gorz ou le socialisme difficile, Paris, Lignes, 2008, p. 52–53.[↩]
- Gorz / Bosquet, Adieux au prolétariat, p. 103. Concernant la crise du marxisme, cf. p. 28–29.[↩]
- Gorz / Bosquet, Adieux au prolétariat, p. 183.[↩]
- Herbert Marcuse, « Les étudiants se révoltent contre un mode de vie », Le Nouvel Observateur, 20 mai 1968. Texte accessible dans le livre de Fourel et Ruault, « Écologie et révolution », pacifier l’existence André Gorz/Herbert Marcuse, p. 113.[↩]
- André Gorz, « Détruire l’Université », Les Temps modernes, n° 285, avril 1970, p. 1553.[↩]
- Gorz, « Herbert Marcuse, professeur de liberté », p. 182.[↩]
- Dans « L’écologie politique entre expertocratie et autolimitation », André Gorz distingue l’écologie politique de l’écologie scientifique. Ce texte est publié en 1992 dans un dossier de la revue Actuel Marx consacre à l’analyse des continuités et des ruptures entre le marxisme et l’écologie. Lire André Gorz, « L’écologie politique entre expertocratie et autolimitation » (1992), Leur écologie et la nôtre, Paris, Seuil, 2019, p. 115–138.[↩]
- Sicco Mansholt, La Lettre Mansholt. 1972, Paris, Les petits matins, 2023, p. 34.[↩]
- Dominique Méda, « Introduction », in Sicco Mansholt, La Lettre Mansholt. 1972, Paris, Les petits matins, 2023, p. 23.[↩]
- Sicco Mansholt, « Le chemin du bonheur », n° 396, Le Nouvel Observateur, 12 juin 1972. Cité d’après Sicco Mansholt, La Lettre Mansholt. 1972, Paris, Les petits matins, 2023, p. 13 et p. 53.[↩]
- Qui a pour titre : « Une aspiration révolutionnaire sans base de classe ».[↩]
- Qui a pour titre : « La lutte pour une extension du monde de la beauté, de la non-violence et du calme est une lutte politique ».[↩]
- Céline Marty, L’écologie libertaire d’André Gorz. Démocratiser le travail, libérer le temps, Paris, PUF, 2025, p. 367.[↩]
- Gorz / Bosquet, Adieux au prolétariat, p. 175–176.[↩]
- André Gorz, Métamorphoses du travail. Quête de sens. Critique de la raison économique, Paris, Galilée, 1988, p. 130–131.[↩]
- André Gorz, L’Immatériel. Connaissance, valeur et capital, Paris, Galilée, 2003, p. 95.[↩]
- Herbert Marcuse, « L’écologie et la critique de la société moderne » (1979), Sommes-nous déjà des Hommes ? Théorie critique et émancipation, traduit par Fabien Ollier, QS ? éditions, « Archives du futur », 2018, p. 354.[↩]
- On songe notamment à son livre Marxisme soviétique (1958), écrit dans le reflux de la période stalinienne.[↩]
- Marcuse, La Fin de l’utopie, p. 65.[↩]
- Franz Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme 1933–1944, traduit par Gilles Dauvé, Paris, Klincksieck, 2024.[↩]
- Herbert Marcuse, « L’État et l’individu sous le national-socialisme » (1942) et « La nouvelle mentalité allemande » (1942), Sommes-nous déjà des Hommes ?, traduit par Fabien Ollier, p. 97–131 et p. 133–205.[↩]
- Marcuse, Contre-révolution et révolte, p. 166–167.[↩]
- Eduardo Altheman C. Santos, Jina Fast, Nicole K. Mayberry et Sid Simpson (dir.), The Marcusean Mind, Londres, Routledge, 2025.[↩]
- Lire Marcuse, Raison et révolution, p. 41.[↩]
- Herbert Marcuse, « Sur le concept de négation dans la dialectique » (1967), Pour une théorie critique de la société, p. 214.[↩]
- Outre les classiques de l’auteur (L’esprit de l’utopie et Le Principe Espérance), on se reportera à Arno Münster, Principe responsabilité ou principe espérance ? Hans Jonas, Ernst Bloch, Günter Anders, Lormont, Le Bord de l’eau, 2010 ; Utopie, écologie, écosocialisme. De l’utopie concrète d’Ernst Bloch à l’écologie socialiste, Paris, L’Harmattan, 2013 ; Espérance, rêve, utopie dans la pensée d’Ernst Bloch, Paris, L’Harmattan, 2015.[↩]
- Le premier recueil qu’il publie, Sommes-nous déjà des Hommes ? Théorie critique et émancipation, présente en cinq volets — freudo-marxisme, détruire le national-socialisme, dialectique de la raison, théorie et pratique — des interventions majeures de Marcuse (articles, conférences, discours, interviews) réparties de manière thématiques. Le second, Dialectique de la civilisation. Marxisme, psychanalyse, critique sociale, propose une intelligente sélection de l’anthologie des inédits rassemblant articles, commentaires, notes et lettres en six volumes publiée en anglais aux éditions Routledge et en allemand aux éditions zu Klampen. Les éditions Routledge ont publié sous la direction de Douglas Kellner les Collected Papers of Herbert Marcuse en six volumes (1998–2014). Zu Klampen a d’abord repris l’édition des œuvres de Marcuse en neuf volumes publiée initialement aux éditions Suhrkamp (1978–1989) pour ensuite publier les inédits en six volumes (1999–2009). Il s’agit là aussi d’articles, conférences et interventions répartis en quatre sections : la dialectique marxienne en question, les tâches d’une psychanalyse politique, les tendances régressives du néo-capitalisme, les luttes pour l’émancipation.[↩]
- Axel Honneth, L’idée du socialisme. Un essai d’actualisation, trad. Pierre Rusch, Paris, Gallimard, 2015.[↩]
- Herbert Marcuse, « Marxisme et féminisme » (1974), Sommes-nous déjà des Hommes ? Théorie critique et émancipation, traduit par Fabien Ollier, Alboussière, QS ? éditions, « Archives du futur », 2018, p. 336. Il s’agit d’une conférence prononcée d’abord au Center for Research on Women (CROW) de l’université de Stanford, puis à Vincennes les 15 et 17 mai 1974, dont Libération publie le texte le 15 mai 1974. Rappelons la proximité de Marcuse avec celle qui fut son étudiante et dont il prit la défense, Angela Davis. Lire Angela Davis, Femmes, race et classe, Paris, Zulma, 2022, qui reprend nombre d’arguments développés ensemble.[↩]
- Marcuse, « Marxisme et féminisme », p. 341.[↩]
- Marcuse, « Socialisme ou barbarie » (1973), Sommes-nous déjà des Hommes ?, p. 362. Lire aussi Marcuse, « L’écologie et la critique de la société moderne », p. 344.[↩]
REBONDS
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