Herbert Marcuse : au nom de l’émancipation


Texte inédit | Ballast

En quoi la pen­sée d’Herbert Marcuse peut-elle encore nous par­ler, qua­rante-cinq années après sa dis­pa­ri­tion ? Né à Berlin, le phi­lo­sophe rejoint le mou­ve­ment spar­ta­kiste suite à sa répres­sion san­glante lors de la révo­lu­tion de 1919, puis émigre aux États-Unis lorsque les Nazis arrivent au pou­voir. C’est là qu’il com­mence à éla­bo­rer une réflexion devant à Marx autant qu’à Freud qui nour­ri­ra la nou­velle gauche. Christophe Solioz sai­sit l’oc­ca­sion de plu­sieurs publi­ca­tions récentes pour reve­nir sur la récep­tion de l’œuvre de Marcuse en France. Deux séquences ont rete­nu son atten­tion : la cri­tique de la ratio­na­li­té tech­no­lo­gique for­mu­lée dans les années 1960 et, une décen­nie plus tard, son approche de l’écologie politique.


Herbert Marcuse, une œuvre en guise de mani­feste, des livres d’agitation poli­tique en ban­dou­lière : Éros et civi­li­sa­tion (1955) pour rap­pe­ler que le peuple n’est « libre » que mani­pu­lé ; L’homme uni­di­men­sion­nel (1964) pour prendre la mesure de la domi­na­tion de la ratio­na­li­té tech­no­lo­gique ; La tolé­rance répres­sive (1965) pour dénon­cer que la tolé­rance sert le plus sou­vent la cause de l’oppression ; Vers la libé­ra­tion (1969) pour indi­quer que l’émancipation requiert une « nou­velle sen­si­bi­li­té » et un « homme nou­veau » ; Contre-Révolution et révolte (1973) pour sou­li­gner com­bien le sys­tème au pou­voir oppose aux forces de sub­ver­sion une contre-révo­lu­tion pré­ven­tive ; et La dimen­sion esthé­tique (1977) pour dési­gner celle-ci comme le seul garant per­met­tant d’aller au-delà de l’homme unidimensionnel.

Philosophe, socio­logue mar­xiste et intel­lec­tuel enga­gé mais sans ancrage par­ti­san ; pro­fes­seur exi­geant, spé­cia­liste de Kant, Hegel, Marx, Husserl et Kierkegaard, Marcuse savait prendre des posi­tions claires dans des textes-tracts esquis­sant une phi­lo­so­phie de l’émancipation. Ainsi dans « La tolé­rance répres­sive », où il arrive à la conclu­sion radi­cale « que réa­li­ser l’objectif de la tolé­rance exi­ge­rait l’intolérance vis-à-vis des poli­tiques, atti­tudes et opi­nions domi­nantes, et l’extension de la tolé­rance aux poli­tiques, atti­tudes et opi­nions qui sont répri­mées ou décla­rées hors-la-loi. Autrement dit, aujourd’hui, la tolé­rance res­semble de nou­veau à ce qu’elle était à son ori­gine, au début de la période moderne : c’est un but par­ti­san, une notion et une pra­tique sub­ver­sives et éman­ci­pa­trices1. »

« Marcuse savait prendre des posi­tions claires dans des textes-tracts esquis­sant une phi­lo­so­phie de l’émancipation. »

Marcuse est sou­vent res­té dans l’ombre de Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, ses col­lègues de l’École de Francfort qui l’ont tenu à dis­tance, d’abord mar­gi­na­li­sé puis écar­té des acti­vi­tés de l’Institut de recherches sociales fon­dé en 1923. Ce point a fait cou­ler beau­coup d’encre, aus­si importe-t-il de pré­ci­ser avec le phi­lo­sophe Arno Münster que, mal­gré les dif­fé­rends et conflits, Marcuse n’a jamais renié « son enra­ci­ne­ment pro­fond dans la théo­rie cri­tique de l’École de Francfort, son his­toire et son appar­te­nance à l’Institut de recherches sociales [ni] son ami­tié pro­fonde avec Adorno et Max Horkheimer2 ».

Il n’était pas un tri­bun et encore moins un gou­rou, mais sim­ple­ment pro­fes­seur, comme le rap­pelle André Gorz dans son hom­mage appuyé publié dans Le Nouvel Observateur à la mort du phi­lo­sophe alle­mand : « Il était le der­nier Professor alle­mand. Il était convain­cu qu’on ne sert pas les causes justes avec des idées sim­plistes ni avec des rai­son­ne­ments approxi­ma­tifs et confus. Il détes­tait le pri­mi­ti­visme, le popu­lisme, l’ouvriérisme et cet anti-intel­lec­tua­lisme maso­chiste des étu­diants maoïstes pour qui les idées justes étaient cen­sées venir des masses. Tout cela était du bull­shit, de la conne­rie. Penser cor­rec­te­ment demande un tra­vail d’apprentissage et exige une dis­ci­pline, un effort sur soi3. »

[Arthur Dove]

On dit qu’il serait aujourd’hui pas­sé de mode, pour­tant sa théo­rie cri­tique entre en réso­nance avec notre actua­li­té. Alors que les récents déve­lop­pe­ments de l’intelligence arti­fi­cielle maxi­ma­lisent l’omnipuissance de la ratio­na­li­té scien­ti­fique et tech­no­lo­gique, que celles-ci se confondent tou­jours plus avec la ratio­na­li­té poli­tique, force est de consta­ter que les ana­lyses mar­cu­siennes d’une civi­li­sa­tion uni­di­men­sion­nelle se réa­lisent au-delà de toute pré­vi­sion. Aujourd’hui plus qu’hier, « le Logos de la tech­nique est deve­nu le Logos d’une domi­na­tion main­te­nue. La force libé­ra­trice de la tech­no­lo­gie — l’instrumentalisation des choses — est deve­nue une entrave à la libé­ra­tion, une ins­tru­men­ta­li­sa­tion des hommes4. » Le phi­lo­sophe envi­sa­geait dans les années 1960 deux hypo­thèses contra­dic­toires : « 1° Ou bien la socié­té indus­trielle avan­cée est capable d’empêcher une trans­for­ma­tion qua­li­ta­tive de la socié­té dans un ave­nir immé­diat. 2° Ou bien il existe des forces et des ten­dances capables de pas­ser outre et de faire écla­ter la socié­té5. » De toute évi­dence, la pre­mière est aujourd’hui de rigueur.

Alors que « la tech­nique pour­rait ser­vir l’émancipation, elle conti­nue de ser­vir la domi­na­tion6 ». Pourquoi ? Non sans rap­pe­ler le Discours de la ser­vi­tude volon­taire d’Étienne de la Boétie7, Marcuse rai­sonne le plus sou­vent en termes dia­lec­tiques, comme ici en 1936 : « La sphère de la liber­té et la sphère de l’absence de liber­té ne sont pas sim­ple­ment jux­ta­po­sées mais se trouvent dans un rap­port qui les fonde mutuel­le­ment8. » En 1937, dans un article consa­cré au carac­tère affir­ma­tif de la culture, il sou­ligne que celle-ci réprime l’exigence de bon­heur en inté­rio­ri­sant le renon­ce­ment9. Dans les années 1970, il insiste sur l’efficacité des stra­té­gies de contre-révo­lu­tion ins­ti­tu­tion­na­li­sées par le pou­voir10. Plus proche de nous, dans la même veine que Marcuse, Luc Boltanski et Eve Chiapello ont rap­pe­lé que le nou­vel esprit du capi­ta­lisme a triom­phé grâce à la for­mi­dable récu­pé­ra­tion de la « cri­tique artiste » qui, après Mai 68, dénon­çait l’aliénation de la vie quo­ti­dienne. La véri­table crise n’est donc pas celle du capi­ta­lisme, mais celle de sa cri­tique11.

« Alors que les récents déve­lop­pe­ments de l’intelligence arti­fi­cielle maxi­ma­lisent l’omnipuissance de la ratio­na­li­té scien­ti­fique et tech­no­lo­gique, force est de consta­ter que les ana­lyses mar­cu­siennes d’une civi­li­sa­tion uni­di­men­sion­nelle se réa­lisent au-delà de toute prévision. »

Redonner à la cri­tique ses lettres de noblesse est pré­ci­sé­ment le pro­jet de Marcuse. En cela, il est à situer sur la même orbite que Miguel Abensour dont l’œuvre est elle aus­si ani­mée par la recherche d’une autre forme de poli­tique. Tout comme Abensour, Marcuse a consa­cré sa vie à orga­ni­ser le pes­si­misme en direc­tion d’une pos­si­bi­li­té d’espoir et d’émancipation, cela même qu’il nom­mait uto­pie. Outre l’utopie, l’anthropologie poli­tique d’Abensour est régie par la fonc­tion cri­tique de l’imagination, pour par­ler en termes mar­cu­siens. Seule l’imagination cri­tique semble être en mesure d’échapper au para­doxe de la moder­ni­té, soit le mou­ve­ment contra­dic­toire par lequel l’émancipation moderne se ren­verse en son contraire et donne nais­sance à de nou­velles formes de domi­na­tion — « dia­lec­tique de la rai­son » illus­trée notam­ment par les res­sacs des flux révo­lu­tion­naires et des reflux contre-révo­lu­tion­naires aux­quels l’un comme l’autre sont sen­sibles12.

La néces­si­té de chan­ge­ment et son impos­si­bi­li­té consti­tue un cercle vicieux dont on ne peut, semble-t-il, sor­tir. Marcuse tente la voie de la « dimen­sion esthé­tique » pour construire comme « phi­lo­so­phie concrète » une phi­lo­so­phie de l’émancipation esquis­sée déjà dans Raison et révo­lu­tion13. Comme le note le phi­lo­sophe Gérard Raulet, tant Marcuse que les autres figures de proue de la théo­rie cri­tique ont com­men­cé — sans le mener à terme — le tra­vail de « sub­sti­tuer à l’idéologie de l’émancipation une phi­lo­so­phie de l’émancipation14. » D’où l’appel de Raulet d’aller avec Marcuse au-delà de Marcuse : au nom de la rai­son comme sub­jec­ti­vi­té cri­tique, prin­cipe de liber­té et exi­gence de bon­heur, il importe de pour­suivre le chan­tier d’une phi­lo­so­phie de l’émancipation esquis­sant un hori­zon à l’aspiration d’une socié­té juste et d’une vie meilleure. Dans cette pers­pec­tive, l’examen de la rela­tion Marcuse / Gorz revêt un inté­rêt par­ti­cu­lier tant l’un et l’autre for­mulent les linéa­ments d’une phi­lo­so­phie de l’émancipation15.

[Arthur Dove]

Dans les années 1960–70, trois réseaux sont par­ti­cu­liè­re­ment sen­sibles aux tra­vaux mar­cu­siens et contri­buent à leur dif­fu­sion : une avant-garde « ins­ti­tu­tion­nelle », une avant-garde « lit­té­raire » ou intel­lec­tuelle, et une avant-garde poli­tique. Pour faire court : un cou­rant mul­ti­forme conscient du néces­saire renou­vel­le­ment du mar­xisme, une géné­ra­tion d’intellectuels de gauche « non ali­gnés », et des revues et mai­sons d’éditions. Arguments, Partisans, Socialisme ou bar­ba­rie et Sauvage s’intéressent à Marcuse alors que Kostas Axelos et Pierre Bourdieu accueillent ses livres dans les col­lec­tions qu’ils dirigent aux édi­tions Minuit16

Le témoi­gnage de Jean-Michel Palmier com­plète ce tableau d’une pre­mière vague de récep­tion de Marcuse en France en élar­gis­sant le champ : « Herbert Marcuse semble condam­né à se heur­ter au scep­ti­cisme et à l’ironie des socio­logues et des uni­ver­si­taires, à l’hostilité décla­rée des mar­xistes qui n’ont que peu d’estime pour ce gau­chiste et craignent son influence néfaste sur les étu­diants. C’est pour­tant auprès d’eux que ses thèses ren­con­tre­ront le plus fervent accueil17. » Ce der­nier point concerne plus par­ti­cu­liè­re­ment les États-Unis et l’Allemagne, où plu­sieurs géné­ra­tions d’intellectuels conti­nuent de dis­cu­ter encore aujourd’hui les textes de Marcuse ain­si que ses inédits récem­ment publiés. Rien de tel en France où l’on peut ima­gi­ner, comme le sug­gère Raulet, que « si on l’a oublié, c’est que le Marcuse enga­gé a nui à l’image du phi­lo­sophe jusqu’à jeter le dis­cré­dit sur une rigueur phi­lo­so­phique pour­tant exem­plaire à sa façon18. »

Première séquence. La critique de la rationalité technologique 

« La ratio­na­li­té est en train d’être trans­for­mée de force cri­tique en force d’ajustement et de conformation. »

La pre­mière séquence qui retien­dra notre atten­tion est celle durant laquelle Marcuse s’at­tache à for­mu­ler une cri­tique de la ratio­na­li­té tech­no­lo­gique. Après ses années de for­ma­tion en Allemagne, exi­lé aux États-Unis depuis 1934, Marcuse obtient une chaire à l’université Brandeis en 1954. Il consacre ses cours à l’imbrication science-éco­no­mie-défense et à l’analyse de l’intégration de toutes les sphères de l’existence à la ratio­na­li­té tech­no­lo­gique. Au début des années 1940, il avait déjà publié dans la revue publiée par l’Institut de recherches sociales son article « Quelques impli­ca­tions sociales de la tech­no­lo­gie moderne ». Inspiré par l’ouvrage de réfé­rence Technique et civi­li­sa­tion (1934) de Lewis Mumford, il consi­dère la tech­no­lo­gie comme un pro­ces­sus social : « En tant que mode de pro­duc­tion, en tant qu’ensemble des ins­tru­ments, dis­po­si­tifs ou appa­reils qui carac­té­risent l’âge de la machine, la tech­no­lo­gie est aus­si un mode d’organisation et de per­pé­tua­tion (ou de modi­fi­ca­tion) des rap­ports sociaux, une mani­fes­ta­tion des modes de pen­sée et des com­por­te­ments pré­do­mi­nants, ain­si qu’un ins­tru­ment de contrôle et de domi­na­tion19 ». Le pro­blème étant qu’il y a autoa­lié­na­tion, soit adhé­sion à cette socié­té de consom­ma­tion, de domi­na­tion et de contrôle. Si Éros et civi­li­sa­tion (1955) sou­ligne la pré­sence d’une conscience cri­tique et de dési­rs incons­cients de libé­ra­tion, ceux-ci sont refou­lés par l’idéologie capi­ta­liste de la socié­té de pro­duc­tion et de consom­ma­tion de masse, comme le met en évi­dence L’homme uni­di­men­sion­nel (1964). Au bout du compte, l’exploitation est accep­tée, l’aliénation, imper­cep­tible et la cri­tique, absor­bée. D’où un monde uni­di­men­sion­nel écar­tant tout nar­ra­tif cri­tique et émancipateur.

Retenons de cet article l’idée d’une effi­ca­ci­té nor­ma­li­sa­trice illus­trant la struc­ture de la ratio­na­li­té tech­no­lo­gique : « La ratio­na­li­té est en train d’être trans­for­mée de force cri­tique en force d’ajustement et de confor­ma­tion. L’autonomie de la rai­son perd alors son sens de la même façon que les pen­sées, les sen­ti­ments et les actions des hommes sont façon­nés par les exi­gences tech­niques de l’appareil qu’ils ont eux-mêmes créé. La rai­son a trou­vé sa place dans le sys­tème du contrôle, de la pro­duc­tion et de la consom­ma­tion nor­ma­li­sés. Là, elle règne à l’aide des lois et des méca­nismes qui garan­tissent l’efficacité, l’intelligence pra­tique et la cohé­rence de ce sys­tème20. » Marcuse reprend et déve­loppe plus avant cette approche dans ses six confé­rences don­nées à l’École pra­tique des Hautes Études en 1958–1959 et dont est extrait le texte Critique de la socié­té tech­no­lo­gique avan­cée 21.

[Arthur Dove]

Deuxième séquence. L’écologie politique

Marcuse et Gorz, une rencontre

Cette deuxième séquence, moins connue, a pour moteur le dia­logue entre Marcuse et Gorz. Ce der­nier publie d’abord dans une revue pro­gres­siste new-yor­kaise « Un appel à la sub­ver­sion intel­lec­tuelle » (1964), une cri­tique de L’homme uni­di­men­sion­nel. Fort de sa sym­pa­thie pour le mou­ve­ment ouvrier ita­lien, plus par­ti­cu­liè­re­ment de l’opéraïsme, ain­si qu’en France de la Gauche ouvrière et pay­sanne (GOP), Gorz se dis­tan­cie de la thèse mar­cu­sienne selon laquelle la classe ouvrière occi­den­tale ne serait plus un agent de chan­ge­ment révo­lu­tion­naire. Selon Gorz, l’analyse de Marcuse serait par trop tri­bu­taire du contexte spé­ci­fique des États-Unis. Il se demande aus­si « si Marcuse n’exagère pas les effets de la tech­no­lo­gie sur l’idéologie, la civi­li­sa­tion et la poli­tique. Peut-on légi­ti­me­ment consi­dé­rer la tech­no­lo­gie comme une variable indé­pen­dante ? […] La ratio­na­li­té scien­ti­fi­co-tech­nique est fon­da­men­ta­le­ment viciée par les condi­tions his­to­riques de sa nais­sance et de son déve­lop­pe­ment22. » Argument dont Marcuse tien­dra compte par la suite. Prenant la mesure du débat enga­gé, Céline Marty com­mente : « Marcuse ne situe pas sa tech­no­cri­tique : il “passe sans crier gare de la cri­tique his­to­rique de la tech­ni­fi­ca­tion à une cri­tique de l’essence de la tech­no­lo­gie et de l’attitude tech­ni­co-scien­ti­fique en géné­ral”, sans pré­ci­ser si l’indifférence de la tech­nique à l’égard des fins qu’elle sert pro­vient de son essence ou de la divi­sion capi­ta­liste du tra­vail qu’elle sert23. » Sur cet argu­ment, les ana­lyses de Gorz seront plus pointues.

Avec Adieux au pro­lé­ta­riat (1980), Gorz prend en compte le fait que la crise du socia­lisme est celle du pro­lé­ta­riat : « avec l’ouvrier pro­fes­sion­nel poly­va­lent, sujet pos­sible de son tra­vail pro­duc­tif, et, par­tant, sujet pos­sible de la trans­for­ma­tion révo­lu­tion­naire des rap­ports sociaux, a aus­si dis­pa­ru la classe capable de prendre à son compte le pro­jet socia­liste24. » Comme le note Arno Münster, à cela vient s’ajouter l’impossibilité du tra­vailleur de l’époque post­in­dus­trielle « à s’identifier au tra­vail, pro­vo­quée par l’automatisation et la robo­ti­sa­tion (qui ont depuis long­temps pris le relais du tay­lo­risme dans les usines), qui a fait dis­pa­raitre le sen­ti­ment d’appartenance de classe25. » Cette muta­tion socio­lo­gique dans l’organisation du tra­vail indus­triel explique que « la classe [ouvrière] est entrée en crise », et que « cette crise est cepen­dant beau­coup plus la crise d’un mythe et d’une idéo­lo­gie que celle d’une classe ouvrière réel­le­ment exis­tante26 ».

« Avec l’ouvrier pro­fes­sion­nel poly­va­lent a aus­si dis­pa­ru la classe capable de prendre à son compte le pro­jet socia­liste. »

De toute évi­dence, Gorz se rap­proche ici signi­fi­ca­ti­ve­ment de Marcuse. Tendance confir­mée par les ana­lyses déve­lop­pées dans Métamorphoses du tra­vail (1988), ouvrage dans lequel Gorz prend la mesure de la dimi­nu­tion du poids socio­lo­gique de la classe ouvrière dans la socié­té moderne, de la fonc­tion­na­ri­sa­tion et tech­ni­ci­sa­tion du tra­vail, et du sta­tut de la science et de la tech­nique comme nou­velle force pro­duc­tive à l’ère de la troi­sième révo­lu­tion indus­trielle. Ainsi lorsqu’il pour­suit dans le même livre en affir­mant qu’un autre socia­lisme ne peut s’affirmer que dans « l’expérimentation sociale de nou­velles manières de vivre en com­mu­nau­té, de consom­mer, de pro­duire et de coopé­rer » et dans un mode nou­veau de pro­duc­tion, orga­ni­sé à par­tir de « tech­no­lo­gies alter­na­tives per­met­tant de faire plus et mieux avec moins, tout en élar­gis­sant l’autonomie des indi­vi­dus et des com­mu­nau­tés de base27 ».

Arrive Mai 68. Marcuse est à Paris pour un col­loque consa­cré à Marx. Gorz en pro­fite pour réa­li­ser un court entre­tien de cir­cons­tance, « Les étu­diants se révoltent contre un mode de vie », publié dans Le Nouvel Observateur du 20 mai 1968. Marcuse se recon­naît « dans les moti­va­tions pro­fondes d’une lutte étu­diante qui s’attaque non seule­ment aux struc­tures péri­mées de l’Université, mais à tout un ordre social dont la pros­pé­ri­té et la cohé­sion ont pour fon­de­ment l’aggravation de l’exploitation, la com­pé­ti­tion bru­tale et une morale hypo­crite28. » Le dif­fé­rend ne porte pas sur les étu­diants, mais sur l’université. Pour Gorz, elle ne fait que per­pé­tuer le capi­ta­lisme et ce même dans une socié­té socia­liste ; il faut donc « détruire l’université29 ». Rien de plus stu­pide pour Marcuse qui défend l’université contre vents et marées : comme le rap­pelle Gorz dans le vibrant hom­mage qu’il rend à son ami décé­dé il y a peu, elle était pour lui « un des rares espaces de liber­té où l’on peut apprendre à pen­ser contre l’ordre éta­bli et favo­ri­ser l’épanouissement d’une sen­si­bi­li­té nou­velle30. » Avec le temps, les diver­gences cèdent la place aux affi­ni­tés et à une ami­tié indé­fec­tible scel­lée en 1966 lors d’un cycle de confé­rences orga­ni­sé par la facul­té de sciences poli­tiques et sociales de l’université de Mexico. Ils se ren­con­tre­ront par la suite au gré de confé­rences ou sémi­naires aux États-Unis, en Suisse et en Allemagne. La ren­contre déter­mi­nante a lieu dans le cadre du col­loque « Écologie et révo­lu­tion » orga­ni­sé sous les aus­pices du Nouvel Observateur par André Gorz à Paris le 13 juin 1972.

[Arthur Dove]

Pour la Terre, halte à la croissance

Publié en octobre 1972 par des cher­cheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT), The Limits to Growth (Halte à la crois­sance ?) contri­bue à la prise de conscience des dégâts envi­ron­ne­men­taux au niveau pla­né­taire et plaide pour un « déve­lop­pe­ment éco­lo­gi­que­ment sou­te­nable » et une « crois­sance zéro ». Employant la métho­do­lo­gie de la dyna­mique des sys­tèmes éla­bo­rée dans les années 1950 par Jay W. Forrester et rete­nant cinq variables (popu­la­tion, indus­trie, agri­cul­ture, res­sources et pol­lu­tion), le rap­port envi­sage dif­fé­rents scé­na­rios de crois­sance ou de sta­bi­li­sa­tion éco­no­mique et démo­gra­phique pre­nant en compte la fini­tude des res­sources. Seul le scé­na­rio de sta­bi­li­sa­tion per­met d’éviter un effon­dre­ment. Ces pré­dic­tions seront confir­mées et pré­ci­sées par les rap­ports suc­ces­sifs Beyond the Limits (1992), The Limits to Growth. The 30-Years Update (2004) et An Earth for All (2022). Si ces rap­ports s’inscrivent dans l’horizon d’une éco­lo­gie scien­ti­fique, le col­loque « Écologie et révo­lu­tion » relève d’une éco­lo­gie poli­tique qui trouve ici son ancrage31.

Le rap­port, publié en octobre, est pré­cé­dé d’une lettre que Sicco Mansholt (vice-pré­sident de la Commission euro­péenne) adresse le 9 février 1972 au Président de la Commission. Mansholt, en contact régu­liè­re­ment avec des membres du rap­port Meadows dès 1971, publie sa lettre avant la sor­tie offi­cielle du rap­port. Dans sa lettre, il jette les bases d’une tran­si­tion éco­lo­gique et sociale au plan euro­péen avec pour « objec­tif pri­mor­dial […] de sau­ve­gar­der l’équilibre éco­lo­gique et de réser­ver aux géné­ra­tions futures des sources d’énergie suf­fi­santes32. » Le mot d’ordre est sobrié­té, soit réduc­tion de la consom­ma­tion. Dans son entre­tien avec Le Nouvel Observateur publié le 12 juin 1972, il reven­dique l’idée de décrois­sance : « Il ne s’agit même plus de crois­sance zéro, mais d’une crois­sance en des­sous de zéro. Disons-le car­ré­ment : il faut réduire notre crois­sance éco­no­mique, notre crois­sance pure­ment maté­rielle, pour y sub­sti­tuer la notion d’une autre crois­sance — celle de la culture, du bon­heur, du bien-être33. » Dans son intro­duc­tion à la reprise de cette lettre, Dominique Méda insiste sur la puis­sance du nar­ra­tif de Mansholt : « il s’agit d’un pro­gramme com­plet et convain­quant qui s’inscrit tout entier dans une pers­pec­tive de sobrié­té » ; Méda pro­pose même « de prendre le temps de regar­der ces pro­po­si­tions, de les mettre en dis­cus­sion et d’adopter enfin un pro­gramme com­plet qui nous per­met­tra de répondre sérieu­se­ment à l’ensemble des défis éco­lo­giques et sociaux aux­quels nos socié­tés font face aujourd’hui34 ».

« Pour Gorz, l’u­ni­ver­si­té ne fait que per­pé­tuer le capi­ta­lisme et ce même dans une socié­té socia­liste. Rien de plus stu­pide pour Marcuse qui défend l’université contre vents et marées. »

En pré­sence de 1 200 per­sonnes, Gorz réunit à Paris un panel com­po­sé d’hommes poli­tiques, de syn­di­ca­listes, de mili­tants et d’intellectuels de pre­mier plan : outre Sicco Mansholt, Edmond Maire (secré­taire géné­ral de la CFDT), Edward Goldsmith (fon­da­teur de la revue The Ecologist qui publie la même année Changer ou dis­pa­raître), Philippe Saint-Marc (magis­trat à la Cour des comptes qui venait de publier Socialisation de la nature), Edgar Morin (qui tra­vaille au Paradigme per­du : la nature humaine, qui sera publié l’année sui­vante) et la « vedette amé­ri­caine » Herbert Marcuse — sans oublier Jean Daniel, qui pré­side le grand débat. L’intervention de Gorz35, envi­sage « la non-crois­sance, voire la décrois­sance » comme condi­tion glo­bale d’un nou­vel équi­libre. La thèse de Gorz est cepen­dant nuan­cée : « La non-crois­sance est contraire à la logique du sys­tème capi­ta­liste et incom­pa­tible avec le fonc­tion­ne­ment du capi­ta­lisme tel que nous le connais­sons ; mais elle n’est pas néces­sai­re­ment incom­pa­tible avec la sur­vie du capi­ta­lisme sous une autre forme, pour une période limi­tée mais poten­tiel­le­ment longue. » L’allocution de Marcuse36, sou­ligne com­bien la lutte éco­lo­gique se heurte aux lois qui gou­vernent le sys­tème capi­ta­liste pour tom­ber d’accord avec Gorz : « La logique éco­lo­gique est la néga­tion pure et simple de la logique capi­ta­liste, on ne peut sau­ver la Terre dans le cadre du capi­ta­lisme, on ne peut déve­lop­per le tiers-monde selon le modèle du capi­ta­lisme. » Dans sa conclu­sion, il sou­ligne qu’« il faut que les hommes apprennent par eux-mêmes qu’il est indis­pen­sable de chan­ger de modèle de pro­duc­tion et de consom­ma­tion, d’abandonner l’industrie de guerre, de gas­pillage, de gad­gets pour y sub­sti­tuer la pro­duc­tion des objets et des ser­vices néces­saires à une vie de tra­vail réduit, de tra­vail créa­teur, de jouis­sance ». Les linéa­ments de l’écologie poli­tique et liber­taire sont posés : « La véri­table éco­lo­gie débouche sur un com­bat mili­tant pour une poli­tique socia­liste qui doit réus­sir à atteindre les racines du sys­tème, à la fois dans le pro­ces­sus de pro­duc­tion et dans la conscience muti­lée des indi­vi­dus. »

Christophe Fourel et Clara Ruault pré­cisent que Gorz et Marcuse « s’entendent alors sur la puis­sance de contra­dic­tion de l’écologie poli­tique : une éco­lo­gie qui ne serait pas immé­dia­te­ment envi­ron­ne­men­tale, mais qui s’ancre sur la recon­nais­sance de la dépos­ses­sion d’un monde vécu plus que d’un milieu de vie natu­rel. Mais cette éco­lo­gie doit être poli­tique, c’est-à-dire adve­nir comme une forme nou­velle de cri­tique sociale. » Cette alliance scelle l’avènement de l’écologie poli­tique, qui s’impose comme l’articulation d’une ana­lyse des limites phy­siques de la crois­sance maté­rielle et d’une cri­tique du carac­tère de plus en plus alié­nant de la moder­ni­té. Bien évi­dem­ment, le contexte tant géo­po­li­tique qu’environnemental n’est aujourd’hui plus le même. D’autres enjeux sont venus entre­temps s’imposer — la crise cli­ma­tique, la dis­pa­ri­tion de la bio­di­ver­si­té, l’Anthropocène ou encore le déve­lop­pe­ment (ou non) d’infrastructures éner­gé­tiques notam­ment nucléaires.

[Arthur Dove]

On peut cepen­dant noter avec Céline Marty que « le choix gor­zien d’une décrois­sance de la pro­duc­tion adap­tée au suf­fi­sant, éco­nome en res­sources, y com­pris en tra­vail humain, semble encore judi­cieux pour pro­té­ger les corps de l’épuisement37 » que ne manque pas de sus­ci­ter le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Des choix devront être faits, mais com­ment les orga­ni­ser dans la pers­pec­tive d’une auto­ges­tion des besoins et des moyens ? Tout comme Marcuse, Gorz pri­vi­lé­gie l’échelle locale — sans tou­te­fois pré­ci­ser vrai­ment les moda­li­tés d’intervention, note l’auteure. Céline Marty ins­crit sa réflexion dans les pas de Marcuse et Gorz tout tenant compte de l’émergence de nou­velles pro­blé­ma­tiques. Ainsi par exemple, « la trans­for­ma­tion de l’écosystème, simul­ta­née aux propres muta­tions de nos pra­tiques, aug­mente aus­si l’incertitude sur la conjonc­tion de leurs effets, qui peuvent dépas­ser toutes les pré­vi­sions envi­sa­gées et envi­sa­geables, mais nous devons nous méfier d’une aug­men­ta­tion du pou­voir tech­no­cra­tique des experts qui mono­po­lisent la pros­pec­tive. » Voilà qui nous ramène sur les terres arpen­tées par les deux philosophes.

Si, dans les années 1970, l’écologie poli­tique va être pro­pul­sée sur le devant de la scène grâce aux livres d’André Gorz, Écologie et poli­tique (1975) et Écologie et liber­té (1977), on mesure moins la contri­bu­tion de Marcuse, qui s’inscrit certes dans un autre registre. L’écosocialisme auto­ges­tion­naire du pre­mier repose sur quatre piliers : la conver­gence de l’écologie et de l’économie, le pos­tu­lat d’une réduc­tion signi­fi­ca­tive de la durée du tra­vail, l’autonomisation maxi­male d’unités auto­gé­rées de pro­duc­tion et l’institution d’un reve­nu mini­mum pour tous. Gorz insiste par­ti­cu­liè­re­ment sur l’autonomie et l’autogestion, fort de la convic­tion que « nous savons désor­mais que la socié­té ne sera jamais “bonne”, par son orga­ni­sa­tion, mais seule­ment en rai­son des espaces d’autonomie, d’auto-organisation et de coopé­ra­tion volon­taire qu’elle ouvre aux indi­vi­dus38 ». Les méta­mor­phoses du tra­vail per­mettent d’envisager la socié­té du temps libé­ré : « l’émancipation des indi­vi­dus, leur libre épa­nouis­se­ment, la recom­po­si­tion de la socié­té passent par la libé­ra­tion du tra­vail. C’est grâce à la réduc­tion de la durée du tra­vail qu’ils peuvent acqué­rir une nou­velle sécu­ri­té, un recul par rap­port aux “néces­si­tés de la vie” et une auto­no­mie exis­ten­tielle qui les por­te­ront à exi­ger leur auto­no­mie crois­sante dans le tra­vail, leur contrôle poli­tique de ses buts, un espace social dans lequel puissent se déployer les acti­vi­tés volon­taires et auto-orga­ni­sées39 ». Désormais, l’appropriation du tra­vail n’étant plus de mise, à la classe ouvrière se sub­sti­tue comme sujet social une « non-classe » de « non-tra­vailleurs » dont l’objectif est l’abolition du tra­vail et la créa­tion d’une socié­té du temps libéré.

« On ne peut sau­ver la Terre dans le cadre du capi­ta­lisme. »

Avec L’Immatériel (2003), Gorz pousse plus loin l’analyse des méta­mor­phoses du tra­vail en inté­grant l’émergence de la connais­sance comme prin­ci­pale force de pro­duc­tion et donc du « capi­ta­lisme post­mo­derne » cen­tré sur le « capi­tal imma­té­riel » résul­tant de la révo­lu­tion infor­ma­tique — que Gorz consi­dère avec opti­misme dans la mesure où il contri­bue à s’émanciper de la socié­té de consom­ma­tion. En réfé­rence à l’éthique des hackers, à la com­mu­nau­té Linux, aux réseaux non-hié­rar­chiques décen­tra­li­sés, aux « anar­cho-com­mu­nistes des logi­ciels et des réseaux libres », Gorz consi­dère qu’« il s’agit d’une pra­tique qui, par­tant d’une “auto-orga­ni­sa­tion appre­nante” inhé­rente aux logi­ciels libres, se déve­loppe consciem­ment au sein du capi­ta­lisme contre le capi­ta­lisme, comme un “anar­cho-com­mu­nisme réel­le­ment exis­tant”, selon l’expression de Richard Barbrook ; d’une pra­tique qui entend dis­pu­ter au capi­tal le ter­rain par­ti­cu­liè­re­ment sen­sible, stra­té­gi­que­ment, de la pro­duc­tion, de l’orientation, de la divi­sion et de la pro­prié­té des savoirs40. »

Quant à Marcuse, signa­lons que suite au col­loque « Écologie et révo­lu­tion », le men­suel Sauvage — l’une des prin­ci­pales publi­ca­tions consa­crées à l’écologie poli­tique dans les années 1970 où l’on trouve régu­liè­re­ment des textes signés Michel Bosquet, alias André Gorz — publie trois de ses contri­bu­tions : « Érotisme et envi­ron­ne­ment » (1973, n° 9), « Adieu la crois­sance » (1974, n° 10), et « Le temps des pro­phètes » (1974). Enfin, dans l’une de ses der­nières confé­rences, « L’écologie et la cri­tique de la socié­té moderne », Marcuse rap­pelle l’importance que revêt à ses yeux le mou­ve­ment éco­lo­giste comme un mou­ve­ment poli­tique et psy­cho­lo­gique de libé­ra­tion : « Il est poli­tique car il affronte le pou­voir concer­té du grand capi­tal dont le mou­ve­ment menace les inté­rêts vitaux. Il est psy­cho­lo­gique car (et ceci est un point impor­tant) la paci­fi­ca­tion de la nature externe, la pro­tec­tion de l’environnement vital, paci­fie­ront éga­le­ment la nature interne des hommes et des femmes. La réus­site de l’écologisme subor­don­ne­ra au sein même des indi­vi­dus l’énergie des­truc­tive à l’énergie éro­tique41. »

[Arthur Dove]

Actualité de Marcuse

Si cer­taines des prises de posi­tions de Marcuse dans les années 1960 semblent datées voire paraissent mani­fes­ter un cer­tain aveu­gle­ment poli­tique42, d’autres sont d’une éton­nante actua­li­té. Ainsi cette remarque de 1967 concer­nant le fas­cisme, qui n’est pas sans évo­quer l’actuelle mon­tée en puis­sance des démo­cra­ties illi­bé­rales et pou­voirs auto­cra­tiques qui tendent à s’imposer par­tout : « Le nou­veau fas­cisme, s’il vient, sera très dif­fé­rent de l’ancien — l’histoire ne se répète pas si aisé­ment. Par un suc­cès fas­ciste, sur­tout dans l’exemple amé­ri­cain, j’entends que les adver­saires des liber­tés civiles et poli­tiques qui sub­sistent encore deviennent assez puis­sants pour impo­ser au Congrès une légis­la­tion répres­sive très effec­tive. Pour en arri­ver là, il ne faut pas for­cé­ment des mani­fes­ta­tions et des com­bats de rue à la suite d’une crise éco­no­mique, mais il suf­fit que les masses sou­tiennent une ten­dance qui sape toute l’aire de liber­té que la démo­cra­tie recon­naît encore, et par là enferme et affai­blisse mor­tel­le­ment l’opposition43. »

On peut même remon­ter plus loin dans le temps et tirer pro­fit de deux articles de 1942, ins­pi­rés du Béhémoth que son ami Franz Neumann publie la même année44. Le deuxième, « La nou­velle men­ta­li­té alle­mande », explique l’inadéquation des méthodes tra­di­tion­nelles de contre-pro­pa­gande pour contrer la nou­velle men­ta­li­té que sut impo­ser le natio­nal-socia­lisme à une popu­la­tion ren­due insen­sible à la logique et à la rai­son. Marcuse insiste tout d’abord sur la néces­si­té d’« une connais­sance très appro­fon­die de la nou­velle men­ta­li­té et du nou­veau lan­gage alle­mands est donc indis­pen­sable pour mener une offen­sive psy­cho­lo­gique et idéo­lo­gique contre le natio­nal-socia­lisme ». Cette men­ta­li­té est carac­té­ri­sée par la poli­ti­sa­tion totale, le désen­chan­te­ment géné­ra­li­sé, le prag­ma­tisme cynique, le néo­pa­ga­nisme, le dépla­ce­ment des tabous tra­di­tion­nels et le fata­lisme catas­tro­phiste. Après avoir dis­sé­qué la logique et le lan­gage natio­naux-socia­listes et ana­ly­sé les fon­de­ments psy­cho­lo­giques de la nou­velle men­ta­li­té, il exa­mine la trans­for­ma­tion de la men­ta­li­té en tech­no­lo­gie avant d’aborder trois mesures de contre-pro­pa­gande. En syn­thèse : pre­miè­re­ment, être prag­ma­tique et pri­vi­lé­gier le lan­gage des faits ; deuxiè­me­ment, uti­li­ser le lan­gage du sou­ve­nir afin de rap­pe­ler les acquis per­dus ; et, troi­siè­me­ment, enga­ger un pro­gramme éco­no­mique basé sur la notion de libération/abolition du besoin45

« Marcuse rap­pelle l’importance que revêt à ses yeux le mou­ve­ment éco­lo­giste comme un mou­ve­ment poli­tique et psy­cho­lo­gique de libération. »

Marcuse revient sur le sujet dans sa conclu­sion à Contre-révo­lu­tion et révolte où il esquisse une stra­té­gie adap­tée à la lutte contre la contre-révo­lu­tion des­ti­née à la jeune géné­ra­tion : « Les jeunes devraient apprendre à se regrou­per après la défaite, à éla­bo­rer, de pair avec la nou­velle sen­si­bi­li­té, une ratio­na­li­té neuve, à pour­suivre cette longue affaire qu’est l’éducation, préa­lable sine qua non d’une action poli­tique à grande échelle. Car la pro­chaine révo­lu­tion est l’affaire de plus d’une géné­ra­tion, et la crise finale du capi­ta­lisme peut prendre près d’un siècle46. » Sans céder aux sirènes de l’anachronisme, rete­nons l’invite à for­mu­ler de nou­velles voies de contre-pro­pa­gande pour s’opposer aux nou­velles formes de contrôle déve­lop­pées par les socié­tés post-dis­ci­pli­naires et/ou socié­tés de contrôle.

Marcuse mérite donc d’être relu tant il est un des rares à pen­ser la ten­sion uto­pique dans un monde de plus en plus uni­di­men­sion­nel. Telle est pré­ci­sé­ment l’objectif de l’ouvrage col­lec­tif The Marcusean Mind qui publie un ensemble de contri­bu­tions abor­dant une mul­ti­pli­ci­té de thèmes en réso­nance avec le monde contem­po­rain, voire ayant depuis gagné en per­ti­nence — la ratio­na­li­té tech­no­lo­gique, le contrôle social, la cri­tique de l’autoritarisme, l’engagement esthé­tique, les espoirs de libé­ra­tion47. L’angle d’attaque de cet ouvrage monu­men­tal doit être sou­li­gné : il ne s’agit pas d’en res­ter à ce que Marcuse aurait dit ou écrit ; en faire l’unique source d’une pen­sée cri­tique et d’un enga­ge­ment ne peut qu’être déce­vant. Il s’agit plu­tôt de pro­lon­ger les recherches pas­sion­nées de Marcuse en s’inspirant de l’esprit d’une démarche et d’une pen­sée qui cherche tou­jours à être en prise avec la socié­té pour en révé­ler les pos­si­bi­li­tés. Seule une telle approche per­met d’aborder des enjeux que Marcuse ne pou­vait trai­ter à l’époque, tels le post­co­lo­nia­lisme, la post­mo­der­ni­té, l’intelligence arti­fi­cielle et l’Anthropocène. Là réside l’originalité de ce volume, qui ouvre de nou­velles pistes de réflexion per­met­tant d’aller avec Marcuse au-delà de Marcuse, comme le sou­haite Raulet. Ses méthodes (la théo­rie cri­tique, la phi­lo­so­phie sociale, la dia­lec­tique cri­tique) et concepts (réi­fi­ca­tion, sur­ré­pres­sion, homme uni­di­men­sion­nel, tolé­rance répres­sive, désu­bli­ma­tion, culture non répres­sive, nou­velle sen­si­bi­li­té) ont voca­tion à être retra­vaillés, appro­fon­dis, à ouvrir de nou­velles pistes, don­ner le jour à de nou­veaux concepts et, sur­tout, à de nou­velles pra­tiques — autant de chan­tiers ouverts par The Marcusean Mind. Pastichant ce que Marcuse dit de Hegel, il s’agit moins de contri­buer à la renais­sance des études mar­cu­siennes qu’à celle d’une facul­té men­tale en dan­ger de dis­pa­ri­tion : le pou­voir de la pen­sée néga­tive48.

[Arthur Dove]

Pour Marcuse, la néga­tion est, d’une part, l’outil métho­do­lo­gique per­met­tant de démas­quer les contra­dic­tions de l’ordre éta­bli et, d’autre part, le levier pour mettre à jour les poten­tia­li­tés non encore réa­li­sées — par-là, la néga­tion se trouve liée à l’utopie. Ces deux aspects sont liés par un même pro­ces­sus dia­lec­tique com­bi­nant Hegel et Marx, comme s’en explique Marcuse : « Il est essen­tiel, aus­si bien pour Marx que pour Hegel, que les forces de néga­tion qui font écla­ter les contra­dic­tions à l’œuvre dans un sys­tème et conduisent à un nou­veau stade, se déve­loppent à l’intérieur de ce sys­tème49. » Marcuse emprunte la notion d’utopie concrète, « le non-encore-deve­nu », à Ernst Bloch (1885–1977)50. Ce concept per­met — au-delà de Marx — de redé­fi­nir les buts du socia­lisme et joue un rôle majeur dans la phi­lo­so­phie cri­tique sociale de Marcuse jusque dans son œuvre tardive.

Facilitant l’accès à des textes qui étaient deve­nus dif­fi­ciles d’accès, le tra­vail édi­to­rial de Fabien Ollier per­met de prendre la mesure de l’œuvre mar­cu­sienne en deux volumes bien pen­sés51. La tra­jec­toire de Marcuse devient ici par­ti­cu­liè­re­ment lisible : après la dia­lec­tique mar­xienne et ses des­tins dans les déve­lop­pe­ments his­to­riques du socia­lisme (1957–1972), on passe au freu­do-mar­xisme (1956–1962), pour abor­der les dyna­miques contra­dic­toires et para­doxales du néo­ca­pi­ta­lisme (1965–1963), avant d’aborder la praxis révo­lu­tion­naire des mou­ve­ments pro­tes­ta­taires des années 1960–1970. Malgré les efforts louables d’Ollier, il manque tout de même une édi­tion fran­çaise des œuvres com­plètes inté­grant les inédits et autres docu­ments publiés ces der­nières années aux États-Unis. Rappelons les pro­pos d’André Gorz publiés dans Libération le 31 juillet 1979 : « La moindre des choses, pour un pays qui a les pré­ten­tions intel­lec­tuelles de la France, ce serait quand même de tra­duire les œuvres com­plètes d’un des pen­seurs les plus mar­quants de ce siècle. » On en est loin.

Cet assem­blage de textes per­met de prendre la mesure d’un socia­lisme radi­cal, loin de la ver­sion édul­co­rée pro­po­sée par un Axel Honneth52. Socialisme for­mu­lé par Marcuse en 1974 dans sa confé­rence « Marxisme et fémi­nisme » : « Le socia­lisme en tant que mode de vie qua­li­ta­ti­ve­ment dif­fé­rent n’utiliserait pas seule­ment les forces pro­duc­tives dans le but de réduire le tra­vail alié­né et le temps de tra­vail. Ce serait aus­si afin de faire de la vie une fin en soi, de déve­lop­per les sens et l’intellect pour apai­ser l’agressivité, de jouir de la vie, de déga­ger les sens et l’intellect de la ratio­na­li­té de la domi­na­tion, ce serait la créa­ti­vi­té récep­tive oppo­sée à la pro­duc­ti­vi­té répres­sive53. » Reste que les por­teurs du chan­ge­ment, même le mou­ve­ment fémi­niste pré­sen­té par Marcuse comme « une révolte contre le capi­ta­lisme en déclin, contre l’obsolescence his­to­rique du mode de pro­duc­tion capi­ta­liste », ne sont pas sûr de prendre le des­sus : « C’est le lien pré­caire entre l’utopie et la réa­li­té car la base sociale du Mouvement en tant que force poten­tiel­le­ment radi­cale et révo­lu­tion­naire existe, c’est le cœur même du rêve. Mais le capi­ta­lisme a encore la pos­si­bi­li­té de le lais­ser à l’état de rêve, de sup­pri­mer les forces trans­cen­dantes qui com­battent pour sub­ver­tir les valeurs inhu­maines de notre civi­li­sa­tion54. »

Aujourd’hui plus encore qu’hier, il faut choi­sir entre la repro­duc­tion du sys­tème éta­bli et sa trans­for­ma­tion. Pour Marcuse, le choix est clair : le com­bat poli­tique et la néces­si­té d’une trans­for­ma­tion radi­cale de la socié­té sont à l’ordre du jour. Dans son entre­tien « Socialisme ou bar­ba­rie », il rap­pelle son leit­mo­tiv, à savoir que l’« une des condi­tions préa­lables de la révo­lu­tion c’est un chan­ge­ment radi­cal dans la conscience et dans l’inconscient des indi­vi­dus, dans leur psy­cho­lo­gie, leurs besoins, leurs aspi­ra­tions. […] Si [la révo­lu­tion] n’est pas l’œuvre d’un nou­veau type d’homme et de femme, la tran­si­tion au socia­lisme ne pro­dui­ra pas non plus un chan­ge­ment radi­cal dans les rap­ports de pro­duc­tion et dans les rap­ports de l’homme avec la nature55. » Sur sa tombe à Berlin, un mot d’ordre en guise d’adieu : « Weitermachen ! » Continuer !


Illustration de ban­nière : Arthur Dove


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  1. Herbert Marcuse, « La tolé­rance répres­sive » (1965), Théorie cri­tique et éman­ci­pa­tion. Théorie cri­tique et éman­ci­pa­tion. Textes et inter­ven­tions 1941–1979, tra­duit par Christophe David, Alboussière, QS ? édi­tions, « Archives du futur », 2018, p. 209.[]
  2. Arno Münster, Herbert Marcuse et le « Grand Refus », Paris, L’Harmattan, 2022, p. 114.[]
  3. André Gorz, « Herbert Marcuse, pro­fes­seur de liber­té », Le Nouvel Observateur, 6 août 1979 ; cité d’après Christophe Fourel et Clara Ruault, « Écologie et révo­lu­tion », paci­fier l’existence. André Gorz/Herbert Marcuse : un dia­logue cri­tique, Paris, Les petits matins, 2022, p. 182.[]
  4. Herbert Marcuse, L’Homme uni­di­men­sion­nel. Essai sur l’idéologie de la socié­té indus­trielle avan­cée, tra­duit de l’anglais par Monique Wittig et l’auteur, Paris, Minuit, « Arguments », 1968, tra­duc­tion ici modi­fiée, p. 183.[]
  5. Ibid., p. 21.[]
  6. Herbert Marcuse, « Kinder des Prometheus. 25 Thesen zu Technik und Gesellschaft » (1979), Tüte, Sonderheft « Zur Aktualität von Herbert Marcuse », Tübingen, 1989, p. 23.[]
  7. Étienne de la Boétie, Discours de la ser­vi­tude volon­taire, Paris, Klincksieck/Droz, 2022.[]
  8. Herbert Marcuse, « Autorité et famille » (1936), Pour une théo­rie cri­tique de la socié­té, tra­duit de l’allemand par Cornélius Heim, Paris, Denoël/Gonthier, 1971, p. 11. Il s’agit de la contri­bu­tion de Marcuse à l’ouvrage col­lec­tif Studien über Autorität und Familie. Forschungsberichte aus dem Institut für Sozialforschung, Paris, Librairie Félix Alcan, 1936.[]
  9. Lire Herbert Marcuse, « Le carac­tère affir­ma­tif de la culture » (1937), Culture et socié­té, tra­duit de l’allemand par Daniel Bresson, Paris, Minuits, 1970, p. 103–148.[]
  10. Herbert Marcuse, Contre-révo­lu­tion et révolte, tra­duit de l’anglais par Didier Coste, Paris, Seuil, 1973, p. 71.[]
  11. Lire Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nou­vel esprit du capi­ta­lisme, Paris, Gallimard, 1999 ; édi­tion aug­men­tée de 2011.[]
  12. Le témoi­gnage d’Abensour mérite d’être cité : « Pourquoi la Théorie cri­tique ? J’ai lu Éros et civi­li­sa­tion en 1965. C’est l’époque où j’ai déci­dé de faire ma thèse sur l’utopie. […] Dans cette pers­pec­tive, Éros et civi­li­sa­tion de Marcuse fut pour moi un livre essen­tiel, notam­ment le cha­pitre VII, Imaginaire et uto­pie. Marcuse y retrou­vait, grâce à Freud, la valeur authen­tique de l’imagination et ten­tait d’arracher le concept d’utopie au prin­cipe de ren­de­ment et à la condam­na­tion que ce der­nier en pro­non­çait. Il s’agissait pour lui de faire resur­gir la facul­té de l’imagination, à libé­rer la réa­li­té his­to­rique et à l’orienter vers les formes de liber­té et de bon­heur appar­te­nant à une forme de civi­li­sa­tion où aurait dis­pa­ru la sur­ré­pres­sion. Il faut dire qu’à l’époque, avec mes amis de la Bibliothèque natio­nale, nous étions plu­sieurs à lire Marcuse dans une grande attente, tant sa pen­sée parais­sait appor­ter un renou­vel­le­ment de la ques­tion de l’émancipation. » Miguel Abensour, La Communauté poli­tique des « tous uns » : désir de liber­té, désir d’utopie. Entretien avec Michel Enaudeau, Paris, Les Belles Lettres, 2014, p. 29 (ain­si que p. 209–211). Cf. Herbert Marcuse, Éros et civi­li­sa­tion. Contribution à Freud, tra­duit par Jean-Guy Nény et Boris Fraenkel, revue par l’auteur, Paris, Les Éditions de Minuit, 1963, p. 128–141.[]
  13. Herbert Marcuse, Raison et révo­lu­tion. Hegel et la nais­sance de la théo­rie sociale, tra­duit de l’anglais par Robert Castel et Pierre-Henri Gonthier, Paris, Minuit, 1968.[]
  14. Gérard Raulet, Herbert Marcuse. Philosophie de l’émancipation, Paris, PUF, 1992, p. 243.[]
  15. Respectivement : pour Marcuse, le livre sus­men­tion­né de Raulet et, pour Gorz, Françoise Gollian, Gorz, une phi­lo­so­phie de l’é­man­ci­pa­tion, Paris, L’Harmattan, 2018.[]
  16. Respectivement les col­lec­tions « Arguments », diri­gée par Kostas Axelos, et « Le sens com­mun », diri­gée par Pierre Bourdieu.[]
  17. Jean-Michel Palmier, Sur Marcuse, Paris, 10/18, 1969, p. 9.[]
  18. Raulet, Herbert Marcuse, p. 8.[]
  19. Herbert Marcuse, « Quelques impli­ca­tions sociales de la tech­no­lo­gie moderne » (1941), Sommes-nous déjà des Hommes ?, tra­duit par Christophe David, p. 249.[]
  20. Marcuse, « Quelques consé­quences sociales de la tech­no­lo­gie moderne » (1941), p. 263.[]
  21. Herbert Marcuse, Critique de la socié­té tech­no­lo­gique avan­cée, Paris, Eterotopia France, 2024. Texte ori­gi­nal fran­çais.[]
  22. André Gorz « Un appel à la sub­ver­sion intel­lec­tuelle », in Fourel et Ruault, « Écologie et révo­lu­tion », paci­fier l’existence – André Gorz/Herbert Marcuse, p. 106.[]
  23. Céline Marty, L’écologie liber­taire d’André Gorz. Démocratiser le tra­vail, libé­rer le temps, Paris, PUF, 2025, p. 184.[]
  24. André Gorz / Michel Bosquet, Adieux au pro­lé­ta­riat. Au-delà du socia­lisme, Paris, Points, nou­velle édi­tion aug­men­tée, 1981, p. 101.[]
  25. Arno Münster, Gorz ou le socia­lisme dif­fi­cile, Paris, Lignes, 2008, p. 52–53.[]
  26. Gorz / Bosquet, Adieux au pro­lé­ta­riat, p. 103. Concernant la crise du mar­xisme, cf. p. 28–29.[]
  27. Gorz / Bosquet, Adieux au pro­lé­ta­riat, p. 183.[]
  28. Herbert Marcuse, « Les étu­diants se révoltent contre un mode de vie », Le Nouvel Observateur, 20 mai 1968. Texte acces­sible dans le livre de Fourel et Ruault, « Écologie et révo­lu­tion », paci­fier l’existence André Gorz/Herbert Marcuse, p. 113.[]
  29. André Gorz, « Détruire l’Université », Les Temps modernes, n° 285, avril 1970, p. 1553.[]
  30. Gorz, « Herbert Marcuse, pro­fes­seur de liber­té », p. 182.[]
  31. Dans « L’écologie poli­tique entre exper­to­cra­tie et auto­li­mi­ta­tion », André Gorz dis­tingue l’écologie poli­tique de l’écologie scien­ti­fique. Ce texte est publié en 1992 dans un dos­sier de la revue Actuel Marx consacre à l’analyse des conti­nui­tés et des rup­tures entre le mar­xisme et l’écologie. Lire André Gorz, « L’écologie poli­tique entre exper­to­cra­tie et auto­li­mi­ta­tion » (1992), Leur éco­lo­gie et la nôtre, Paris, Seuil, 2019, p. 115–138.[]
  32. Sicco Mansholt, La Lettre Mansholt. 1972, Paris, Les petits matins, 2023, p. 34.[]
  33. Dominique Méda, « Introduction », in Sicco Mansholt, La Lettre Mansholt. 1972, Paris, Les petits matins, 2023, p. 23.[]
  34. Sicco Mansholt, « Le che­min du bon­heur », n° 396, Le Nouvel Observateur, 12 juin 1972. Cité d’après Sicco Mansholt, La Lettre Mansholt. 1972, Paris, Les petits matins, 2023, p. 13 et p. 53.[]
  35. Qui a pour titre : « Une aspi­ra­tion révo­lu­tion­naire sans base de classe ».[]
  36. Qui a pour titre : « La lutte pour une exten­sion du monde de la beau­té, de la non-vio­lence et du calme est une lutte poli­tique ».[]
  37. Céline Marty, L’écologie liber­taire d’André Gorz. Démocratiser le tra­vail, libé­rer le temps, Paris, PUF, 2025, p. 367.[]
  38. Gorz / Bosquet, Adieux au pro­lé­ta­riat, p. 175–176.[]
  39. André Gorz, Métamorphoses du tra­vail. Quête de sens. Critique de la rai­son éco­no­mique, Paris, Galilée, 1988, p. 130–131.[]
  40. André Gorz, L’Immatériel. Connaissance, valeur et capi­tal, Paris, Galilée, 2003, p. 95.[]
  41. Herbert Marcuse, « L’écologie et la cri­tique de la socié­té moderne » (1979), Sommes-nous déjà des Hommes ? Théorie cri­tique et éman­ci­pa­tion, tra­duit par Fabien Ollier, QS ? édi­tions, « Archives du futur », 2018, p. 354.[]
  42. On songe notam­ment à son livre Marxisme sovié­tique (1958), écrit dans le reflux de la période sta­li­nienne.[]
  43. Marcuse, La Fin de l’utopie, p. 65.[]
  44. Franz Neumann, Béhémoth. Structure et pra­tique du natio­nal-socia­lisme 1933–1944, tra­duit par Gilles Dauvé, Paris, Klincksieck, 2024.[]
  45. Herbert Marcuse, « L’État et l’individu sous le natio­nal-socia­lisme » (1942) et « La nou­velle men­ta­li­té alle­mande » (1942), Sommes-nous déjà des Hommes ?, tra­duit par Fabien Ollier, p. 97–131 et p. 133–205.[]
  46. Marcuse, Contre-révo­lu­tion et révolte, p. 166–167.[]
  47. Eduardo Altheman C. Santos, Jina Fast, Nicole K. Mayberry et Sid Simpson (dir.), The Marcusean Mind, Londres, Routledge, 2025.[]
  48. Lire Marcuse, Raison et révo­lu­tion, p. 41.[]
  49. Herbert Marcuse, « Sur le concept de néga­tion dans la dia­lec­tique » (1967), Pour une théo­rie cri­tique de la socié­té, p. 214.[]
  50. Outre les clas­siques de l’auteur (L’esprit de l’utopie et Le Principe Espérance), on se repor­te­ra à Arno Münster, Principe res­pon­sa­bi­li­té ou prin­cipe espé­rance ? Hans Jonas, Ernst Bloch, Günter Anders, Lormont, Le Bord de l’eau, 2010 ; Utopie, éco­lo­gie, éco­so­cia­lisme. De l’utopie concrète d’Ernst Bloch à l’écologie socia­liste, Paris, L’Harmattan, 2013 ; Espérance, rêve, uto­pie dans la pen­sée d’Ernst Bloch, Paris, L’Harmattan, 2015.[]
  51. Le pre­mier recueil qu’il publie, Sommes-nous déjà des Hommes ? Théorie cri­tique et éman­ci­pa­tion, pré­sente en cinq volets — freu­do-mar­xisme, détruire le natio­nal-socia­lisme, dia­lec­tique de la rai­son, théo­rie et pra­tique — des inter­ven­tions majeures de Marcuse (articles, confé­rences, dis­cours, inter­views) répar­ties de manière thé­ma­tiques. Le second, Dialectique de la civi­li­sa­tion. Marxisme, psy­cha­na­lyse, cri­tique sociale, pro­pose une intel­li­gente sélec­tion de l’anthologie des inédits ras­sem­blant articles, com­men­taires, notes et lettres en six volumes publiée en anglais aux édi­tions Routledge et en alle­mand aux édi­tions zu Klampen. Les édi­tions Routledge ont publié sous la direc­tion de Douglas Kellner les Collected Papers of Herbert Marcuse en six volumes (1998–2014). Zu Klampen a d’abord repris l’édition des œuvres de Marcuse en neuf volumes publiée ini­tia­le­ment aux édi­tions Suhrkamp (1978–1989) pour ensuite publier les inédits en six volumes (1999–2009). Il s’agit là aus­si d’articles, confé­rences et inter­ven­tions répar­tis en quatre sec­tions : la dia­lec­tique mar­xienne en ques­tion, les tâches d’une psy­cha­na­lyse poli­tique, les ten­dances régres­sives du néo-capi­ta­lisme, les luttes pour l’émancipation.[]
  52. Axel Honneth, L’idée du socia­lisme. Un essai d’actualisation, trad. Pierre Rusch, Paris, Gallimard, 2015.[]
  53. Herbert Marcuse, « Marxisme et fémi­nisme » (1974), Sommes-nous déjà des Hommes ? Théorie cri­tique et éman­ci­pa­tion, tra­duit par Fabien Ollier, Alboussière, QS ? édi­tions, « Archives du futur », 2018, p. 336. Il s’agit d’une confé­rence pro­non­cée d’abord au Center for Research on Women (CROW) de l’université de Stanford, puis à Vincennes les 15 et 17 mai 1974, dont Libération publie le texte le 15 mai 1974. Rappelons la proxi­mi­té de Marcuse avec celle qui fut son étu­diante et dont il prit la défense, Angela Davis. Lire Angela Davis, Femmes, race et classe, Paris, Zulma, 2022, qui reprend nombre d’arguments déve­lop­pés ensemble.[]
  54. Marcuse, « Marxisme et fémi­nisme », p. 341.[]
  55. Marcuse, « Socialisme ou bar­ba­rie » (1973), Sommes-nous déjà des Hommes ?, p. 362. Lire aus­si Marcuse, « L’écologie et la cri­tique de la socié­té moderne », p. 344.[]

REBONDS

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Christophe Solioz

Philosophe et politologue, il travaille sur l’analyse des processus de transition et de démocratisation, ainsi que la coopération régionale dans les Balkans. Il est notamment l'auteur de Passages à Sarajevo (Georg, 2022) et de Belfast, ville partagée (L'Harmattan, 2024).

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