Le climat sous la Révolution française, l’arnaque du « consom’acteur », l’expérimentation sociale permanente, des poèmes et des compagnons, une pédagogie radicale, l’équipe de France de football, les savoirs du Sud, les algues de la Bretagne, les réflexions d’un sinologue et l’exploitation en milieu associatif : nos chroniques du mois de novembre.
☰ Les Révoltes du ciel — Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècle, de Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher
« [L]’histoire du changement [climatique] global n’est en rien celle d’une découverte
» : telle est l’une des thèses défendues par les historiens de l’environnement Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher. Pour la démontrer, ils ont mené une enquête au long cours en s’appuyant sur de nombreux documents historiques. Nulle recherche d’une quelconque « origine » de la « conscience » écologique, mais une historicisation des questionnements sur les évolutions du climat et les possibles influences des humains sur celui-ci. De la colonisation de l’Amérique du Nord (accompagnée de l’idée de liens entre la nature et les civilisations) aux formulations de l’enjeu climatique sous des termes plus contemporains, en passant par la thèse d’un refroidissement des climats (qui s’avèrera invalide) de Buffon, la naissance de la climatologie historique, ou encore l’éruption du volcan Tambora en 1815, le livre retrace les multiples débats de leurs époques sur les transformations du climat. Les discussions ne portaient évidemment pas sur le taux de CO2 dans l’atmosphère, mais n’en témoignaient pas moins de préoccupations réelles : cycle de l’eau, inondations, variations subites dans les saisons ou déboisement n’ont cessé d’être au cœur des interrogations. « La Révolution française fut aussi une révolution climatique », expliquent les auteurs, car la nationalisation des forêts met au centre des débats politiques leur rôle, leur devenir et les questions de propriétés. En 1821, c’est même une enquête de grande ampleur menée en France auprès des préfets pour chercher à savoir si le déboisement ne serait pas la cause d’événements climatiques, posant ainsi « une possible responsabilité de l’Homme dans cette dynamique en cours ». Si « la conviction en un agir climatique humain a marqué profondément, sur le long terme, les sociétés européennes », cet oubli n’a alors rien d’anodin. Car en occultant les débats politiques et sociaux sur l’agir climatique, le récit de la « prise de conscience » joue aussi le rôle d’une forme de dépolitisation du changement climatique. [M.B.]
Seuil, 2020
☰ Nous n’irons plus pointer chez Gaïa, du collectif Le Grimm
Nombreux sûrement sont celles et ceux qui ont un jour acheté un petit sachet de graines avec la conviction de faire un geste militant. Sur le sachet, un arbre aux racines aussi denses que ses branches. La mention d’une association, aussi — presque une marque : Kokopelli. Popularisée par des documentaires peu originaux dans le choix de leurs protagonistes et par un long procès, l’association Kokopelli diffuse depuis 1999 des graines non inscrites au catalogue officiel des semences. Un geste dissident, pense-t-on, sanctionné par l’État français en première instance et attaqué par un grand semencier pour concurrence déloyale. Un geste commercial doublé d’une victoire médiatique, corrige le collectif Le Grimm, constitué d’ancien⋅nes salarié⋅es écoeuré⋅es par les pratiques de leur employeur. Collecte de témoignages, Nous n’irons plus pointer chez Gaïa s’attache à décortiquer la structure économique et sociale d’une association pilotée de manière paternaliste, sous couvert d’un discours spiritualiste de mauvais goût qui s’arrange fort bien avec les impératifs d’un marché se verdissant. Baignés par la chanson rance du « consom’acteur », « acheter Kokopelli deviendrait un acte militant : à chaque commande de graines on prendrait notre petite part à la conservation ». « Or les semences sont le fruit d’une organisation sociale » et c’est cette dernière que se sont attachés à mettre à jour anciens et, surtout, anciennes employées d’une association très lucrative. « Trop rares sont les critiques formulées dans le milieu associatif », rappellent-elles. Plus rares encore sont celles décriant des acteurs supposés en marge des normes et institutions. On apprend alors que la campagne « Semence sans frontière » a des accents de « colonialisme caritatif » — refourguer des produits périmées à des pays du Sud, stratégie éculée d’un humanitarisme délétère ; que le local ne dure guère lorsque des grossistes étrangers baissent les prix ; que les convictions de paysan⋅nes et de jardinier⋅ères sont usitées, usées puis reléguées à l’état de folklore par une direction opportuniste. Pourtant, le jardinage serait pour les auteur⋅ices une forme d’autonomie à cultiver. On ne peut qu’encourager une telle pratique à s’émanciper de néfastes tuteurs. [R.B.]
Les éditions du bout de la ville, 2017
☰ Contre la révolution politique — Netchaïev, Bakounine, Dostoïevski, de Nicola Massimo De Feo
C’est là un texte rare, nous prévient-on en avant-propos. Texte écrit par un philosophe du politique qui informa sa pensée par la fréquentation des mouvements autonomes de son temps. Ce furent les années 1970 et l’Autonomia italienne, les années 1980 et « la guérilla diffuse contre la métropole » dans quelques zones sauvagement occupées de Berlin (comme l’écrit son ami Marcello Tarì). S’il a disserté sur l’autonomie politique de l’époque, De Feo s’est surtout attaché à en préciser les contours depuis les mots et les actes de révolutionnaires du siècle précédent. Et parmi eux, Netchaïev et Bakounine. Le premier fait partie des oubliés de l’histoire révolutionnaire, de ceux dont on reconnaît l’importance mais qu’on ne met trop en avant — sachant les risques que cela comporte. Attaqué par Marx, recherché par la police secrète russe, l’homme terminera sa vie en prison après avoir participé à la Commune et tenté d’insuffler par la conspiration et l’action directe une révolte internationale. Le second critiqua les dérives autoritaires de Netchaïev et érigea en principe cardinal la révolution sociale, faite par et pour le peuple. Tous deux furent dépeints dans Les Démons de Dostoïevski, roman qui fixa l’image des nihilistes russes pour les années à suivre. En partant d’une controverse théorique entre les deux révolutionnaires, De Feo s’est attaché à décrire les limites d’une « action révolutionnaire qui n’a plus d’autre fin qu’elle-même », mettant en avant les conditions « pour libérer la révolution sociale de la révolution politique ». Sont ainsi posés les jalons de ce que Julien Allavena appelle une « autonomie non revendicative » ou « destituante », passant par l’expérimentation sociale permanente. Concluant ce court essai — seul un chapitre de l’ouvrage original a été ici traduit —, Marcello Tarì rappelle à quel point « l’amitié révolutionnaire », la reconnaissance des défaites et les festivités saluant les conflits ouverts sont à retrouver pour, contre la politique, renouveler toujours les pratiques de l’autonomie. [R.B.]
Éditions Divergences, 2020
☰ Nous sommes maintenant nos êtres chers, de Simon Johannin
On connaît Simon Johannin pour ses deux romans parus aux éditions Allia, respectivement en 2017 pour L’Été des charognes et en 2019 pour Nino dans la nuit, coécrit avec sa compagne Capucine. Ici, le détour poétique offre une entrée en diagonale dans cette œuvre à la naissance furieuse. Dégagées de la prose emmenée et énergique propres aux romans de l’auteur, les images récurrentes et retournantes qui les parcourent prennent ici une ampleur nouvelle. La sensualité amère de vies jeunes, précaires, où les corps s’exténuent à vivre un désir lancinant, côtoie l’âpreté d’un réel asphyxié. La révolte, par à-coups, tape dans les poèmes : « Un commissariat, vide / Où l’on fume en cellule une herbe poisseuse et forte / Une maternité / Où les gens meurent et ne naissent plus / J’y ai jeté des cocktails de flammes / Du pétrole, un tissu et du verre / Pour purifier cet air qui sentait la torture ». À d’autres moments éclosent des scènes serrées dans l’étau quotidien : « J’ai le fond de la gorge qui moisit / Un euro symbolique pour soigner de vrais maux / La délicatesse qu’il a / De dire que c’est un geste, / Entre voisins ». Et parfois la drogue, ou l’amour ou la violence ouvrent des brèches furtives comme infernales. Les poèmes tendent des fils sur lesquels tout vacille, les images renouvellent et résorbent une chute toujours en devenir : « Les mains sur la rampe / Trempées de risque / Je fixe / Comment ne pas dire non au diable / Quand on sait qui il est ». On croise dans le recueil des figures aux visages dérobés, belles peut-être et dévastées sans doute : Chloé, un compagnon de manche, « toi », des prostituées, Louis, Clovis, un dealer, Ayme, beaucoup d’autres encore, des « eux », et un « je » qui fraye avec le néant comme avec l’impossible le plus flamboyant. « T’ai-je déjà caché la crasse qui, me recouvrant, / Ouvre les portes vers d’autres mondes ? ». Il y a quelque chose peut-être ici de Calaferte ou de Genet : la crasse, la violence et la beauté ne s’annulent guère, mais composent. [L.M.]
Allia, 2020
☰ Apprendre à transgresser, de bell hooks
Militante afroféministe aux États-Unis, bell hooks, nom de plume choisi en hommage à sa grand-mère et à sa mère, est connue pour ses écrits sur l’intersectionnalité. Mais elle est également une grande enseignante, qui a développé la pédagogie critique de Paulo Freire dans une perspective féministe et antiraciste. Paru initialement en 1994, Apprendre à transgresser reste d’une saisissante actualité. Ses 14 chapitres sont autant d’essais indépendants, avec une écriture pensée pour être la plus accessible possible. L’ouvrage n’a pas vocation à donner des recettes toutes prêtes, car « prétendre offrir un modèle discréditerait la conviction selon laquelle chaque salle de classe est différente ». Plusieurs essais abordent la question de l’enseignement en milieu multiculturel, notamment le fait qu’« une pédagogie radicale doit insister sur la reconnaissance de la présence de tou⋅tes. Cette insistance ne peut pas seulement être affirmée. Elle doit être démontrée par des principes pédagogiques ». La question de la pensée féministe et de la sororité au sein d’une classe est également développée. « Mes pratiques éducatives ont émergé d’un jeu entre les pédagogies anticoloniales, critiques et féministes, qui se sont éclairées mutuellement », explique ainsi bell hooks, laquelle réfléchit à la manière dont une salle de classe peut devenir un espace d’émancipation. Le chapitre 10 prend la forme d’un dialogue avec l’éducateur Ron Scapp, avec qui l’autrice a voulu « remettre en question l’hypothèse qu’il était impossible d’établir un point de connexion ou de camaraderie entre des intellectuels blancs et des groupes marginalisés », à une époque où ses travaux étaient attaqués par nombre d’intellectuel⋅les blanc⋅hes. Elle se penche aussi sur le rôle du langage dans la lutte contre les oppressions, sur l’espace physique de la classe et la place qu’y occupe le corps de l’enseignant⋅e. Apprendre à transgresser est une bouffée d’air, une invitation à se repenser qui « insiste sur le plaisir d’enseigner comme acte de résistance et un barrage à l’ennui écrasant, le désintérêt, l’apathie que si souvent les enseignant⋅es et les étudiant⋅es ressentent ». [L.]
Syllepse, 2019
☰ Les Bleus et la Coupe — De Kopa à Mbappé, de François da Rocha Carneiro
L’équipe de France de football, un objet d’étude pour historien ? C’est l’ambition de l’auteur, François da Rocha Carneiro, en s’arrêtant sur quatre glorieuses Coupes du Monde : la troisième place de 1958, la demi-finale perdue (ou volée) contre la RFA en 1982 et les victoires de 1998 et 2018. La singularité de chaque parcours est minutieusement déployée, des récits de matchs clés jusqu’aux choix tactiques des sélectionneurs. Mais ce sont les constances qui interpellent. À chaque fois, la préparation de la compétition est ratée et les espoirs des supporters au plus bas. À chaque fois, la presse spécialisée entretient des relations conflictuelles avec le groupe quand elle n’affiche pas son classisme au grand jour : en 1954, le journal L’Équipe s’en prenait à des joueurs qui « n’ont absolument rien dans le crâne ni dans les jambes« . À chaque fois, les joueurs issus de l’immigration se retrouvent au centre de polémiques : la défense centrale composée de Marius Trésor et Jean-Pierre Adams, surnommée « la garde noire » en 1982, ou l’éviction de Karim Benzema sur fond de débat public hystérique. À chaque fois, des tensions géopolitiques se répercutent sur le rectangle vert : Rachid Mekhloufi et Mustapha Zitouni décident de rejoindre l’équipe du FLN en 1958 ou le réveil d’une germanophobie latente après la grave faute du gardien allemand sur l’attaquant français, Patrick Battiston, en 1982. Des parcours singuliers, des constantes et une transformation : les perdants magnifiques de 1958 et 1982 ont laissé place aux gagnants réalistes de 1998 et 2018, les sélectionneurs adeptes de la solidité défensive (Aimé Jacquet et Didier Deschamps) remplaçant le jeu offensif et créatif (Albert Batteux et Michel Hidalgo). [A.G.]
Éditions du Détour, 2020
☰ Algues vertes, l’histoire interdite, d’Inès Léraud et Pierre Van Hove
Chaque été sur les côtes bretonnes prolifèrent des algues vertes qui, en se putréfiant, développent un gaz comparable au cyanure, le H2S, et deviennent un danger mortel. Si, ces dernières années, elles ont entraîné l’interdiction d’accès à des kilomètres de plages, elles seraient responsables, depuis les années 1980, de plusieurs décès suspects — dont celui de Thierry Morfoisse, survenu quelques heures après avoir déchargé des bennes d’algues vertes. En reconstituant et synthétisant une enquête de terrain menée par la journaliste Inès Léraud, cette bande dessinée, illustrée par Pierre Van Hove, constitue l’aboutissement d’un travail d’investigation d’une rare qualité. À partir de multiples témoignages et de documents scientifiques, ce travail met en lumière comment les enjeux écologiques et sanitaires sont passés au second plan face aux enjeux économiques colossaux que représente l’agriculture intensive. C’est que la modernisation du système productif agricole breton et son adoption à une logique productiviste a été rendu possible grâce à l’utilisation massive d’engrais d’azote minéral. Une fois dans le sol, celui-ci se transforme en nitrate, fertilisant efficace des cultures qui, par ruissellement, aboutit à la mer, entraînant la multiplication des algues vertes. En faisant dialoguer différents protagonistes, l’auteur montre de quelle manière ce problème social est parvenu à ne pas devenir un scandale sanitaire et écologique : dissimulation des élus, mise à l’écart d’experts, pression des lobbies de l’agro-industriel, pièces chaudes retirées des dossiers, disparition d’échantillons, menaces qui pèsent sur les lanceurs d’alerte. Précise et documentée, cette bande dessinée contextualise et explique non sans clarté les enjeux du problème : protéger l’économie locale et les profits des agro-industriels au détriment de la santé publique. [M.T.]
Delcourt, 2020
☰ Épistémologies du Sud — Mouvements citoyens et polémique sur la science, de Boaventura De Sousa Santos
Docteur en sociologie du droit et professeur à l’université de Coimbra au Portugal, Boaventura de Sousa Santos propose dans le présent ouvrage une théorisation de concepts à même de permettre l’émergence des savoirs du Sud, ainsi qu’une rapide mise en pratique des théories développées (à travers le « minifeste » et le « Manifeste » qui closent ce volume). L’auteur y autocritique d’ailleurs son livre comme une énième production depuis « l’autre côté ». De Sousa Santos résume sa thèse principale en cette phrase : « Il n’existe pas de justice mondiale sans justice cognitive mondiale ; c’est-à-dire qu’il doit y avoir de l’équité entre différentes façons de connaître et différents types de savoir. Cette thèse a été couplée à deux arguments : premièrement la compréhension du monde va bien au delà de la compréhension occidentale du monde ; deuxièmement, les transformations émancipatoires dans ce monde peuvent suivre des grammaires et des scénarios autres que ceux développés par la théorie critique occidentalo-centrique, et cette diversité doit être valorisée. » Ce livre ouvre une réflexion essentielle sur comment le Nord a tracé une « ligne abyssale » déterminant les savoirs, les savoir-faire, les croyances dignes de considération et les autres, et propose, à travers une « sociologie des absences » et une « sociologie des émergences », des pistes en vue de permettre la reconnaissance des savoirs du Sud. Le concept de « traduction interculturelle » joue ici un rôle fondamental, en réfléchissant à la diffusion possible desdits savoirs. C’est là un outil important, tant pour celles et ceux qui se battent pour une décolonisation du monde que pour les éducateurs⋅trices qui peuvent y trouver de quoi prendre du recul sur leurs pratiques d’enseignement. [L.]
Desclée de Brouwer, 2016
☰ Pourquoi l’Europe — Réflexions d’un sinologue, de Jean François Billeter
Avec sa clarté et sa concision habituelles, le sinologue suisse revient en quelques dizaines de pages sur près de 3 000 ans de tradition politique en Chine — de la lointaine dynastie des Zhou jusqu’au règne de Xi Jinping. Loin d’être une démonstration dogmatique, cet ouvrage est bien plutôt une invitation à la réflexion, sur la Chine contemporaine mais aussi sur l’Europe et son avenir. Le sinologue insiste sur un point : il faut au continent européen un projet et une orientation — tout comme la Chine a théorisé le sien. S’il nous est permis de discuter de la nature de ce même projet — Billeter est partisan d’une « République européenne », qu’il a défendue dans Demain l’Europe —, nul doute que la désintégration organisée par nos actuels dirigeants européens paraît pour le moins s’accommoder d’une dépendance croissante au marché capitaliste. Les dirigeants de la République populaire de Chine jouent quant à eux sur plusieurs tableaux : si le pouvoir « communiste » déclare ouvertement la guerre aux « valeurs occidentales », il n’en va pas de même dans le rapport de force qu’il engage sur le terrain des relations internationales — le monde s’offrant à lui comme une immense partie de go qui ne prendra fin qu’une fois l’adversaire étouffé. « Notre ignorance les aide grandement », pense Billeter. C’est que l’Europe se trouve comme piégée par la tentation du « relativisme » et sa dépendance croissante à l’égard de ladite République. L’universalisme qu’elle promeut, sous couvert de coopération pacifique, questionne ainsi l’auteur. Et d’avancer : « L’universalisme chinois n’en est pas un parce qu’il n’a pas rompu avec l’autochtonie. On ne peut s’y rallier qu’en faisant allégeance au pouvoir chinois. » Billeter va donc proposant un double projet, politique et philosophique, dont la maxime pourrait se résumer ainsi : « le besoin-désir essentiel de l’être humain est de réaliser son autonomie ». Ceci pour mieux sortir du capitalisme (l’« assujettissement de toute la vie sociale à l’accroissement sans fin du capital »). Un projet à même de concerner tout un chacun, les Européens autant que les Chinois. Mais il est vrai qu’avant de réaliser un tel projet, peut-être faut-il, comme nous y invite le sinologue, commencer de le concevoir. [A.C.]
Allia, 2020
☰ Te plains pas c’est pas l’usine — L’exploitation en milieu associatif, de Lily Zalzett et Stella Fihn
Parce que la mission est d’utilité publique, il n’y aurait pas à compter les heures passées à travailler pour une structure associative ; parce que les associations ne sont pas lucratives, toujours sans le sou, être sous-payé n’aurait rien d’anormal ; parce que ça n’est pas l’usine, il n’y aurait pas à se plaindre. Peu d’enquêtes ont été consacrées au travail associatif sous prétexte que ça ne serait pas un travail comme les autres. Pourtant, la précarité y règne, tant pour une majorité des structures que pour celles et ceux qui les font vivre, soit en France 1 800 000 personnes salariées. Ce sont ces dernières qui ont interpellé deux autrices, elles-mêmes impliquées dans des associations et collectifs. Depuis leur expérience et par le biais de témoignages, elles rappellent l’histoire de la captation étatique des associations depuis les années 1970 et soulignent la dépendance qui s’est induit aux subventions publiques puis aux appels à projet, qui concentrent aujourd’hui l’essentiel des dotations attribuées. Il s’agit désormais de se faire aussi élastique que les appels d’offre émis par les structures publiques. Si les associations elles-mêmes en pâtissent, leurs bénévoles et salarié⋅es plus encore. Ainsi revient-on sur les contrats aidés, aides financières qui fluctuent au gré des annonces gouvernementales censées permettre aux association d’embaucher ; aides, aussi, qui assoient les personnes concernées dans des situations précaires : temps partiels, contrats non reconduits, volontariat subi… Autant de situations inacceptables qui le sont parce que la cause serait louable et qu’un salaire, aussi faible soit-il, en est toujours un. Les autrices invitent dès lors à penser la mobilisation collective imaginable dans ce contexte — et les options sont peu nombreuses. Pour que ce « sous-prolétariat associatif » se reconnaisse au nom d’une commune condition, il conviendrait de « déplacer les rapports de loyauté qui lient les travailleurs à leur structure […] vers des rapports de solidarité de classe » entre stagiaires, services civiques, contractuels ou volontaires, toutes et tous unis contre un État qui « maintient les gens dans la pauvreté et l’écrasement« . [R.B.]
Niet ! éditions, 2020
Photographie de bannière : Shirley Baker
REBONDS
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