Des Amazones, des baleines et des points cardinaux, la Grèce démocratique, la science au service du pouvoir, l’animalité de l’humanité, les bords de la mer Noire, l’architecture totalitaire, la Chine et les États-Unis et une révolution à défendre : nos chroniques du mois de juillet.
☰ Les Amazones, d’Adrienne Mayor
Certains noms à résonance quasi-légendaire ont le pouvoir d’évoquer immédiatement en nous une foule d’images, dont il n’est pas toujours facile de mesurer la part de fantasme. « Amazone » est l’un d’eux. On l’associe souvent à des guerrières nomades, parcourant à cheval les steppes eurasiennes et terrassant leurs ennemis sur leur passage ; on pense aussi à des archères zélées s’étant coupé le sein pour mieux tirer à l’arc ; on imagine même parfois des « femmes dominantes mettant en esclavage des hommes faibles et émasculant les bébés de sexe masculin ». Le livre d’Adrienne Mayor s’efforce de démêler la vérité du mythe et de faire la lumière sur l’« identité complexe » des Amazones, « enchevêtrée dans l’histoire et l’imaginaire ». Véritable « encyclopédie amazonique », l’ouvrage déplie minutieusement l’ensemble des connaissances historiques et archéologiques dont nous disposons aujourd’hui sur le mode de vie des Amazones antiques : leur organisation politique et leurs armes, leur sexualité et leurs drogues, leurs vêtements et leurs tatouages… L’ensemble esquisse finalement le portrait de femmes « égales des hommes », montant à cheval, chassant et combattant, ignorant le mariage et les contraintes sociales et sexuelles qui en découlent. Pour tout cela, les Amazones ont suscité l’indignation de ceux qui ont croisé leur route et qui, à l’instar des Grecs, avaient plutôt cherché à tuer celle qui sommeillait en chaque épouse. Au fil des pages, on rencontre les figures d’Atalante et de Mulan, d’Amezan et de Penthésilée, autant de récits qui, « de la Méditerranée jusqu’à la Grande Muraille de Chine », se sont faits l’écho, si ce n’est de l’existence d’un peuple unique et identifiable, du moins de l’image inquiétante, renvoyée comme en miroir aux sociétés patriarcales, de femmes « puissantes et libres », qui « font l’amour et la guerre ». [L.M.]
La Découverte, 2017 [2014]
☰ Le Hibou et la baleine, de Nicolas Bouvier
Qu’on ne s’y trompe pas : ce petit livre illustré qu’est Le Hibou et la baleine n’est ni un conte pour enfant, ni une succession de gravures animalières. C’est le collage des images que Nicolas Bouvier fit siennes durant une vie de voyages, menée dans le dehors du monde, et d’iconographe, menée dans le dedans des archives. Le rire, l’amour, le corps et ses rêves, les points cardinaux et le fantasme de ces derniers sont autant de prétextes pour attiser l’imaginaire de l’auteur. Les animaux d’abord : hibou et baleine sont deux « animaux-totems » et « amis tutélaires », les têtes de pont d’un bestiaire intime — pont du navire sur lequel, serrés, se pressent les animaux autour de Noé, pont entre les espèces, aussi. Viennent ensuite les mots, sur lesquels Bouvier n’écrit pas, mais laisse parler ceux des autres ou les pages reproduites de ses carnets. Les photos du voyageur côtoient alors les dessins de Thierry Vernet, camarade d’aventure qui illustra L’Usage du monde, leur voyage initiatique devenu mythique de Genève à Ceylan ; le peintre japonais Hokusaï chemine non loin de gravures médiévales, et un invraisemblable ÂneCulotte, que l’auteur dit punaiser au mur « sitôt qu’il s’agit d’écrire une ligne, pour ne pas oublier la sottise qui m’habite » surgit d’une page. Chasseur d’images, Bouvier n’en délaisse pas moins les sons. Aux musiciens il rend hommage, à eux ainsi qu’à ce qu’ils transportent, une musique qui « comme la lumière ou la souffrance n’a pas de patrie ». C’est « d’Est en Ouest » qu’enfin il termine : « Tel a été mon parcours » rappelle-t-il, ajoutant penser « avec Hérodote que l’Asie est la mère de l’Europe et que le Nouveau Monde en est la fille ». Une Asie dont il constata les misères post-coloniales, la corruption et le dogmatisme, mais depuis laquelle il s’élança avec un regard nouveau vers l’Europe — jusqu’à Aran, cette île irlandaise qu’il décrira dans un sublime récit. Un beau pas de côté dans la découverte du monde intérieur de l’écrivain-voyageur. [R.B.]
Zoé, 1993
☰ Ce qui fait la Grèce — 1. D’Homère à Héraclite, de Cornelius Castoriadis
Immense est la chance qui nous est donnée de pouvoir suivre la pensée de Castoriadis cheminer pas à pas, à travers ces séminaires visant à comprendre « la saisie première par les Grecs, avant toute thématisation philosophique et politique, de l’être du monde, de l’existence humaine dans le monde ». L’enquête se fait donc en amont de la philosophie de Platon, et porte sur les significations imaginaires qui transparaissent des poèmes homériques jusqu’aux fragments héraclitéens. Dans ces pages d’une oralité vivante et entraînante, Castoriadis redouble de finesse, croise digressions ingénieuses et intuitions profondes — mais tout son enseignement est traversé par un seul et même fil : ce qui fait la Grèce, c’est une philosophie en acte qui implique l’ensemble de la collectivité sociale, dans une remise cause perpétuelle de la société par elle-même. Ce qui naît en Grèce, ce n’est rien d’autre que l’activité politique comme telle, brisure de l’hétéronomie instituée et de la clôture du sens, et ce à travers une immanence radicale où les dieux côtoient les hommes — car tous sont soumis à la moira [« destin »]. Dans la mythologie grecque, nous dit Castoriadis, le sens n’existe que sur fond d’a‑sensé, le monde est né d’un chaos inconnaissable et abyssal ; et c’est bien parce qu’il n’y a aucun sens donné d’emblée et une fois pour toutes, par une transcendance divine, que la naissance conjointe de la démocratie et de la philosophie est rendue possible. C’est dans cette perspective que Castoriadis propose, entre autres, une lecture géniale des fragments d’Anaximandre, où la rigueur philologique ne cède en rien à l’inventivité de l’interprétation : l’apeiron [« principe de tout ce qui existe »] d’Anaximandre constitue l’arkhè, le sens ultime, mais celui-ci est précisément infigurable, irreprésentable. Abîme d’où la pensée et l’imaginaire social radical peuvent enfin s’élancer. En osant affronter cet infigurable et chercher à saisir l’insaisissable, Castoriadis s’affirme bel et bien comme philosophe grec : car n’y a‑t-il pas une forme d’hubris dans le geste castoriadien ? [A.C.]
Seuil, 2004
☰ Histoire populaire des sciences, de Clifford D. Conner
L’Histoire populaire des sciences de Clifford D. Conner vise à déconstruire la vision européano-centrée et le mythe des « grandes figures » encore largement dominants dans l’enseignement des sciences. Au cœur de leur développement, il replace le travail de milliers d’anonymes, paysan·nes, marins, artisan·es, technicien·nes, qui, pour résoudre des problèmes concrets de leur quotidien, imaginèrent et parfois théorisèrent des notions qui furent plus tard attribuées à une élite intellectuelle, aristocratique puis bourgeoise — n’ayant souvent eu pour seul mérite que de maitriser le langage écrit et d’avoir accès à des réseaux de diffusion. Le mythe du « miracle grec », largement instrumentalisé par des scientifiques racistes occidentaux au XIXe siècle (qui refusaient les origines égyptiennes et phéniciennes des savoirs développés dans la Grèce antique), en prend notamment un coup. De l’accaparement des savoirs des peuples autochtones au profit des colons (par exemple, la cartographie chez les peuples natifs américains, la culture du riz en Afrique), à la privatisation des innovations par les brevets, en passant par le développement des technologies industrielles qui permis l’essor du capitalisme, l’ouvrage montre également comment les sciences ont été utilisées comme instrument de domination au service du pouvoir. Si, aujourd’hui, on est davantage conscient qu’elles ont participé à justifier l’esclavage et la colonisation au titre d’une supposée supériorité technologique et intellectuelle, on oublie souvent l’épistémicide1 qui en a été la conséquence, à savoir la négation et l’éradication — consciente ou non — des savoirs considérés comme illégitimes par les communautés scientifiques occidentales blanches. Ce livre est donc un outil indispensable à la compréhension des mécanismes de colonisation dans le savoir, étudiés notamment par le sociologue portugais Boaventura de Sousa Santos ; sa lecture peut permettre, pour les enseignant·es de matières scientifiques, de réfléchir à une décolonisation de leur enseignement. [Y.R.]
L’échappée, 2011
☰ Retour aux sources du Pléistocène, de Paul Shepard
Deux millions d’années nous séparent de notre ancêtre hominidé commun, un chasseur-cueilleur évoluant en petits groupes dans les savanes arborées. Ce laps de temps semble suffisant pour affirmer que nous sommes radicalement différent⋅es de lui, et pourtant, tout indique que ce n’est pas le cas. Notre génome, stabilisé depuis 50 000 ans, nous relie davantage à notre passé de fourrageurs qu’à notre présent de béton et de nourriture industrielle. Paul Shepard s’interroge sur ce que cela peut expliquer de notre rapport aujourd’hui distancié, voire indifférent à la nature sauvage. L’extinction progressive de l’expérience de nature pour chacun⋅e, et l’extinction des espèces et des individus de cette nature, nous en sépare de plus en plus — à nous faire oublier que c’est pourtant cet environnement sauvage qui nous a porté⋅es le plus clair de notre existence en tant qu’espèce, et qui nous a donné nos caractéristiques physiologiques, linguistiques, sociales et culturelles persistantes. Réhabilitant une lecture déterministe de la trajectoire, sur le temps long, de l’espèce humaine, l’auteur participe à asseoir une idée féconde : l’humanité est avant tout une animalité et, en tant que telle, elle n’a d’autres choix que de tisser à nouveau les liens avec ce qui la maintient en vie, le reste du vivant autour d’elle. Revenir aux sources du Pléistocène ne signifie pas prétendre que l’urgence écologique nécessite que nous « revenions en arrière » dans nos modes de vie, mais invite à opérer, en pensées, un retour indispensable vers des ontologies de la nature plus saines, moins anthropocentrées, qui, après tout, ont garanti notre existence et notre évolution pendant plus de deux millions d’années. Cela revient également à nous penser comme un maillon des écosystèmes davantage que comme le sommet d’un pyramide — métaphore qui dit tout de notre incapacité à nous penser dans la nature — dans une relation d’interdépendance respectueuse et fructueuse. Nous n’avançons plus discrètement dans la brousse, nous traçons dans les dédales minéraux : Shepard nous suggère pourtant à tous⋅tes de faire un pas vers nos ancêtres chasseurs, qui sommeillent encore en nous, car la survie de toutes les espèces en dépend. [C.M.]
Éditions Dehors, 2013
☰ Au pays des poules aux œufs d’or, d’Eugène Savitzkaya
Voici un pays où les distances se mesurent en verstes, où habitent, indifférents des uns et des autres, un pope vaniteux se voulant roi, une fée enfermée sifflant les hirondelles et maints animaux « courant course déliée » dans le grand paysage. Voici une contrée où se meuvent une renarde et un héron, « un drôle de couple de deux drôles de bêtes » : « L’un pensait dans la buée des cours d’eau et l’autre très près de la glèbe, dans l’humidité de la terre crue, parmi les halliers, les haies anciennes et les buissons d’obiers. » Tous deux traversent un pays qui s’étend avec les pages. Des noms sont connus : il s’agit là d’une vieille Ukraine où coule le Dniepr, des bords de la mer Noire et de la Sibérie, au Nord de tout. Auprès d’animaux, fleurs et fruits habitent des humains tapageurs ou spectateurs muets du chatoiement qui les entoure. L’un, Despote orgueilleux, « fit disparaître les poules d’une certaine contrée afin de diminuer légèrement le volume sonore de ce monde ». Un autre, Archine, dit Le Glaireux, fait de terre sortir un palais, en trois jours seulement, avant que celui-ci ne disparaisse, emporté loin sur les bords de la Volga. Et Le Glaireux « dans la merde […] se noya ». Point d’histoire dans ce conte : « Il était une fois, il sera un jour », rappelle l’auteur au cœur de son livre. Et c’est à ce foisonnement d’une vie qu’il ne sait comment, par ses mots, épuiser, qu’Eugène Savitzkaya s’attèle ici. À partir de notes éparses rapportées de voyage, il recompose un tableau sans cadre où les personnages cheminent sans qu’on ne les somme d’agir. D’entrée il s’explique : « Nous allons nous astreindre au labeur qui consiste à vouloir embrasser le tout, à dire les choses, à décrire les objets, à nommer les espaces, les roches, les animaux, les eaux diverses, les végétaux, les minerais, les vents, les orages, les êtres humains, les castes, les groupes, les merveilles. » L’invitation est franche : plongeons avec délices dans ce pays qu’aucune carte ne figera, que nulle photographie ne capturera. [R.B.]
Les Éditions de Minuit, 2020
☰ De la compacité — Architectures et régimes totalitaires, de Miguel Abensour
La scène est en effet impressionnante : voici une masse compacte, apparemment unie et solidaire, au cœur d’un édifice monumental, colossal — l’espace semble occupé à la perfection, les corps humains paraissent s’abolir dans une archi-fusion. Les colonnes de lumière sont comme engendrées par la Terre elle-même, et leurs cimes ne s’effacent qu’une fois parvenues à l’obscure voûte céleste : telle est la prouesse architecturale accomplie par Alfred Speer, serviteur du IIIe Reich et père de la « cathédrale de lumière » de Nuremberg. La démesure de l’ouvrage fascine, mais insuffle surtout un « étrange malaise » aux mortels que nous sommes : de quoi au juste ces édifices titanesques sont-ils le nom ? D’aucuns y ont vu la simple passion du Führer pour l’architecture classique. Miguel Abensour, quant à lui, y voit une spatialisation et une mise en scène du totalitarisme nazi. C’est dans une perspective résolument critique et politique — termes galvaudés auxquels il n’est pas inutile de redonner un vrai sens — qu’il questionne la relation entre l’architecture et la domination totalitaire. Loin d’être un lieu politique, l’architecture nazie est celui de la dissolution et la destruction du politique ; le lien social se mue en son simulacre, où le sujet politique devient la masse et la masse le seul sujet. Il y a autant mystification qu’esthétisation du charisme du Führer dans une sorte de magie illusoire : ce qui est recherché est bel et bien l’extase ou le pseudo-sublime du tous-Un. Abensour donne à penser ce vertige monstrueux, au sein duquel l’espace lui-même est détruit, et où plus rien n’unit les êtres humains si ce n’est le simulacre d’une fusion qui n’est en fait que compacité morbide. Et, dans le même temps, il invite à poursuivre ce travail réflexif essentiel quant à la « responsabilité de l’architecture », ne touchant pas tant la question du style des édifices que celle de leur mobilisation : ainsi pourra-t-on peut-être poser un nom sur toutes ces constructions proprement innommables qui, partout dans le monde, témoignent de la soumission et de l’annihilation des communautés humaines. [A.C.]
Sens & Tonka, 1997
☰ Chine trois fois muette, Suivi de Essai sur l’histoire chinoise, d’après Spinoza, de Jean François Billeter
20 ans se sont déjà écoulés depuis la première édition de ces deux petits essais lumineux, mais quasiment rien n’y est à corriger tant les événements viennent hélas confirmer les inquiétudes de l’auteur : le mutisme de la Chine et des Chinois est toujours aussi profond, ou plutôt nous n’entendons plus que les rodomontades grotesques de nationalistes fanatiques et autres idéologues-serviteurs du Parti. Et, de l’autre côté, à l’Ouest cette fois, la non moins ridicule et vantarde diplomatie américaine se pare de son habituelle rhétorique de la liberté pour présenter son pays comme le défenseur des « valeurs occidentales » : le spectacle ne trompe plus, et en devient même lassant tant il est conforme au scénario. Un autre sinologue, Jean Levi, parlait dans un récent document de travail de la « rivalité sino-américaine pour la pseudo hégémonie mondiale sur un univers de déchet » ; telle est en effet la situation dans laquelle le monde est en train de s’engouffrer. Et c’est précisément « la réaction en chaîne » qui a conduit à une pareille impasse que Jean François Billeter nous aide à comprendre. Celui-ci choisit délibérément d’inscrire son propos dans le temps long, pour montrer comment la Chine contemporaine ne constitue en rien une exception, comme semble le revendiquer la propagande d’État, mais s’inscrit dans une logique historique et économique qui débute à la Renaissance et « l’émancipation de la relation marchande » et qui culmine aujourd’hui dans le triomphe mondial de la raison économique. Mais le cas de la Chine est autrement plus complexe, car s’y superpose la question de la tradition politique chinoise dont l’auteur esquisse, dans le deuxième essai, un portrait synthétique et qui va droit à l’essentiel. Dans une conclusion aux accents castoriadiens, Billeter rappelle que toutes les sociétés humaines sont imaginairement instituées, que leurs structures fondamentales sont le fruit d’une création. Rien n’empêche donc d’en instituer librement de nouvelles — encore faut-il d’abord prendre conscience de notre capacité instituante. [A.C.]
Allia, 2000
☰ Plaidoyer pour le Rojava — Réflexions d’un internationaliste sur les aléas de la révolution, de B. Şoreş
Les ouvrages sur le Rojava se font rares. Le présent a pour mérite, en plus d’y remédier, de proposer une analyse politique de la situation (jusque fin 2018), méticuleuse avec ça, doublée d’une expérience de terrain non moins substantielle : l’auteur, français, a rallié la Révolution armes à la main comme volontaire internationaliste. La part biographique n’est même pas réduite au strict nécessaire : l’intéressé s’efface tout bonnement. Donc de forfanterie de vétéran, jamais. Şoreş s’avance sur une ligne escarpée : il refuse la glorification des combattants rebelles (lubie d’une frange de la gauche radicale) autant que la légitimation du régime Assad (marotte d’une frange du camp anti-impérialiste). S’il rappelle les compromis passés entre la Révolution et ce dernier, le militant anticapitaliste insiste : leurs relations ont été « celles d’ennemis à qui les circonstances et la raison interdisaient de se livrer une guerre totale ». Ainsi, accuser l’Administration autonome d’être à la solde de Damas n’est, note-t-il, rien moins que de « la propagande de guerre ». D’une main, Şoreş tance les commentateurs européens soucieux, loin du front, de « distribuer bons et mauvais points » ; de l’autre, il dit son fait à la « pureté » révolutionnaire occidentale : condamner toute négociation relève de l’irréalisme le plus obtus, sinon criminel. Si l’auteur dément l’existence, au Rojava, d’un pouvoir autocratique (entendre : une dictature du PYD), c’est sans peine qu’il reconnaît l’existence de « survivances autoritaires individuelles » et de réflexes d’autocensure. De même qu’il a constaté, par-delà le discours égalitaire que l’on sait, la sous-représentation des femmes mariées dans les instances collectives de décision. Contre l’idéalisation parfois exotique d’un Rojava communaliste, horizontaliste et libertaire, l’auteur — marxiste — appelle à ne pas prendre « ses rêves pour la réalité des choses » et à écarter les « soutiensacritiques ». Ainsi : le « féminisme » n’est jamais revendiqué comme tel par les révolutionnaires ; la fameuse brigade internationale LGBTI-queer fut expulsée manu militari ; les relations entre Kurdes et Arabes ne sont pas l’occasion de quelque paradis multiculturel — et le combattant de confier le racisme anti-arabe qu’il a pu, ça et là, entendre de la bouche de camarades kurdes. Des erreurs ont été commises, à l’évidence ; des dérives internes sont possibles, bien sûr ; demeure : contre Daech, le fascisme étatique turc, l’absolutisme du gouvernement syrien et l’impérialisme occidental, l’expérience menée au Rojava, toujours menacée, doit être défendue. [E.B.]
Acratie, 2019
Photographie de bannière : Michel Vanden Eeckhoudt
« Un épistémicide est la mort silencieuse des autres formes de science, de cultures, de savoirs, d’apports, qui ont pu exister pour une seule domination, un seul type de science, de savoir qui sont considérés comme légitimes. » Fatima Khemilat↑
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