Alaa Ashkar : « Israël, c’est toujours l’exception »


Entretien inédit pour le site de Ballast

Dernier jour de la troi­sième édi­tion du fes­ti­val Ciné-Palestine. La veille, au ciné­ma Les Studios d’Aubervilliers, la salle est pleine pour la pro­jec­tion du second long métrage d’Alaa Ashkar, On récolte ce que l’on sème. Après Route 60, dans lequel le réa­li­sa­teur pales­ti­nien de natio­na­li­té israé­lienne par­court les ter­ri­toires incon­nus de ses ori­gines, Ashkar revient avec un film qui ques­tionne sa famille en Israël : « Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que la Palestine, pour vous ? » Lorsqu’il inter­roge ses proches, il confie en réa­li­té effec­tuer un retour sur lui-même. Nous débu­tons cet entre­tien dans le grand parc enso­leillé atte­nant au ciné­ma-théâtre. Au milieu des gamins qui s’es­claffent, jouent, pro­fitent d’un dimanche en famille, nous dis­cu­tons avec celui qui entend faire du ciné­ma un espace de ques­tion­ne­ment et de joie.


Vous avez dit un jour vou­loir « éveiller les esprits colo­ni­sés des Israéliens ». Votre film y contribue-t-il ?

J’ai dit ça au tout début du mon­tage, pen­dant la genèse du film. En vou­lant par­ler de l’Autre, c’est en réa­li­té de moi-même que je vou­lais par­ler : je sou­hai­tais faire un retour dans le pas­sé, dans la mémoire. Je n’ai pas envie que la nou­velle géné­ra­tion tra­verse la même chose que moi. C’est ma vie, je ne regrette rien, c’est pour ça que je fais ce que je fais. J’ai pen­sé faire ce film pour éveiller la conscience de la nou­velle géné­ra­tion et mon­trer le déca­lage entre l’ancienne géné­ra­tion, qui cachait la mémoire pales­ti­nienne, et la nou­velle — moi inclus —, qui com­mence à se poser des ques­tions. Mon film a pour objec­tif de mettre en évi­dence ce déca­lage et de visi­ter l’espace de la peur qui se trans­met d’une géné­ra­tion à l’autre : peur par rap­port à la Palestine, peur de s’identifier en tant que pales­ti­nien. Ma famille a vécu 1948 et la guerre, donc des situa­tions qui font peur. Mes parents ont fui au Liban ; ils y sont res­tés un an puis sont reve­nus clan­des­ti­ne­ment. Ils ont eu de la chance — d’autres n’ont pas pu reve­nir. La sœur de ma grand-mère y est res­tée. Quand mes parents sont retour­nés en Israël, il leur a fal­lu être dis­cret, ne pas par­ler poli­tique : Israël était sous la hou­lette des mili­taires jusqu’en 1969. Elle est là, cette peur. Imaginez un Français qui vou­drait par­ler de la Résistance et de l’occupation alle­mande. Ça fait peur. Je parle des familles ordi­naires qui veulent juste être en paix et ne pas avoir à s’inquiéter pour leurs enfants. L’éducation que nous avons reçue, mon frère et moi, consis­tait à ne pas par­ler de poli­tique ; nous avons héri­té de cette peur que nos parents ont vécu. Mais nous, notre géné­ra­tion, ne vivons pas dans cette peur-là ! Ce n’est pas le même contexte ! Nous ne sommes, aujourd’­hui en Israël, ni dans une situa­tion de guerre ni sous un régime mili­taire. Nous avons envie de reve­nir sur cette ques­tion de la mémoire, de tour­ner la page, en quelque sorte, pour être en paix avec nous-mêmes. C’est notre histoire.

Vous ques­tion­nez votre nièce sur son iden­ti­té : « Te sens-tu pales­ti­nienne ou israé­lienne, etc. ? » Elle vous retourne la ques­tion mais vous n’y répon­dez pas. Vous vous défi­nis­sez comme « Palestinien d’Israël ». Est-ce l’appartenance à une terre qui consti­tue l’identité d’une personne ?

« En Israël, on est chez nous mais on se sent réfu­giés dans un pays qui n’est pas le nôtre : nous sommes dans un pays qui a un dra­peau qui ne nous repré­sente pas. »

C’est très impor­tant ! Regardez tous les Français d’origine étran­gère qui ne trouvent pas d’appartenance en France ! En Israël, on est chez nous mais on se sent réfu­giés dans un pays qui n’est pas le nôtre : nous sommes dans un pays qui a un dra­peau qui ne nous repré­sente pas, un hymne natio­nal qui ne nous repré­sente pas, etc. Tout est lié au pro­jet sio­niste, qui a créé la nou­velle iden­ti­té judéo-israé­lienne. Rajoutons à cela que nous sommes dis­cri­mi­nés et que le mou­ve­ment sio­niste, depuis sa créa­tion et jusqu’à aujourd’hui, fait que les Palestiniens n’existent pas. Ce n’est qu’en 1993, pen­dant les accords d’Oslo, que l’Autorité Palestinienne a été recon­nue comme enti­té, repré­sen­tant légal avec qui nous pou­vons négo­cier. Ça fait mal quand l’autre ne te recon­naît pas, et qu’en plus il efface ta mémoire à tra­vers les visages et les vil­lages qui dis­pa­raissent. Lorsque je suis en France, je vois des ruines. Je vois com­ment elles ont pu être conser­vées et res­tau­rées. En Israël, c’est tota­le­ment l’inverse, les vil­lages sont des fan­tômes — ça fait mal. Tout ce qui concerne le sujet de la Palestine et des Palestiniens est tou­jours vu avec un œil très sombre, alors que nous ne le sommes pas. Nous, Palestiniens, sommes repré­sen­tés par Israël comme des gens qui veulent jeter les Juifs à la mer. Nous sommes une menace démo­gra­phique, vous vous ren­dez compte ? Vous êtes dans un pays qui vous dit « Tu es une menace démo­gra­phique ». Bien sûr qu’on a envie de faire connaitre notre iden­ti­té natio­nale, cet État doit être pour tout le monde et pas uni­que­ment pour une par­tie de sa popu­la­tion : si cela doit être un État pour tout le monde, il faut recon­naître tout le monde. C’est un peu absurde, en réa­li­té, ce que je dis là. Parce que vou­loir un État pour tout le monde enlève de fac­to toute logique à l’existence de l’État d’Israël tel qu’il est aujourd’hui, puisqu’il a été créé, jus­te­ment, pour le peuple juif. Si je parle d’un État pour tous les citoyens, alors plu­sieurs ques­tions se posent : quelles fron­tières ? celles de 1967 ? celles de 1948 ? Est-ce que cet État va aus­si inclure la Cisjordanie ? Gaza ? Quels rap­ports avec les pays voi­sins tel que le Liban devons-nous entre­te­nir ? Je suis à côté du Liban. On veut un État israé­lien et un État pales­ti­nien. On veut sur­tout nor­ma­li­ser les rap­ports avec nos voi­sins qui, eux aus­si, font par­tie de notre his­toire. En Europe, quand on tra­verse la fron­tière entre la France et l’Espagne, il n’y a rien, pas de pro­blèmes. Nous, on a envie d’avoir une Union arabe — peut-être. Ça, c’est mon rêve. C’est pour ça que je fais des films : dans les films, on peut rêver.

Vous inter­ro­gez votre mère ; vous lui deman­dez si elle s’inquiète pour vous. Elle vous répond que c’est évident, comme toutes les mères. Quand vous lui posez cette ques­tion, à quoi pen­sez-vous, de quoi pour­rait-elle être inquiète ? 

L’inquiétude de la mère dans mon film est celle que l’on trouve dans n’importe quel rap­port mère-enfant. Ma mère me dit sou­vent : « Mon fils, quand tu auras un enfant, tu ver­ras. Là, tu me reproches mon inquié­tude, mais quand tu auras des enfants, tu ver­ras… » L’inquiétude de ma mère vient sur­tout du fait que je réa­lise des films poli­tiques. Forcément, cet héri­tage de la peur, ma mère l’a. Mais je pense qu’elle s’inquiète trop. Ma mère est une femme très indé­pen­dante ; elle a fait une belle car­rière pro­fes­sion­nelle. Elle était direc­trice d’une agence ban­caire pen­dant plus de qua­rante ans. À la mai­son — je crois que ça fait par­tie de son carac­tère —, elle se sent obli­gée de tout gérer, tout domi­ner, tout savoir. C’est un peu pénible, je dois l’avouer. Cette inquié­tude de la mère devient aus­si mon inquié­tude : j’ai envie de faire des choses mais je me dis « Ah non, si je voyage, elle va s’inquiéter ». Ma mère pense que je m’emmêle dans la poli­tique. Mais nous gran­dis­sons et fai­sons notre che­min ; c’est pour ça que la troi­sième par­tie de mon film est dédiée à l’âge adulte. L’âge adulte, c’est quand cette inquié­tude des parents existe tou­jours mais que tu tranches, tu tra­verses les fron­tières de la peur et fais tes choix. Ma crainte, par exemple, était d’entrer dans un quar­tier désert de Haïfa rem­pli de pan­neaux « Défense d’entrer », de grillages… Cet endroit a mau­vaise répu­ta­tion : entre les dea­lers et les délin­quants, per­sonne n’ose s’y aven­tu­rer. J’y allais pour la pre­mière fois de ma vie. 

Alaa Ashkar par Stéphane Burlot, pour Ballast

En 2011, vous avez vécu à Jénine puis à Naplouse pen­dant deux ans, avec une ONG fran­çaise. Vous cher­chiez une part de votre iden­ti­té incon­nue, celle de votre enfance… 

Quand j’étais gamin, je pen­sais que j’étais israé­lien, ou arabe-israé­lien. Je savais que la Palestine fai­sait par­tie de mon his­toire, mais ça res­tait abs­trait car je ne vivais pas l’occupation tel que le Palestinien la vit dans les ter­ri­toires occu­pés. C’est comme les Irlandais. J’ai une amie qui est irlan­daise ; elle est catho­lique et a vécu dans la par­tie pro­tes­tante de l’Irlande. Les pro­tes­tants la détes­tait et les catho­liques la voyait comme une traître. Moi, je vis côté israé­lien : pour cer­tains Palestiniens, je peux être un traître — pas tous, évi­dem­ment, il ne faut pas sim­pli­fier les choses et c’est pour cela que j’ai fait ce film — et, côté israé­lien, on voit les atten­tats et le conflit. J’aurais pu y être, j’aurais pu être tou­ché. Quand j’ai tra­vaillé chez l’o­pé­ra­teur Orange, cer­tains appe­laient, juste pour décon­ner, me disant : « Alors, t’as vu ? Il y a eu un atten­tat : c’est génial ! Il y a eu tant de morts, etc. » Et toi, tu te dis : « Mais qu’est-ce qu’il se passe, là ? » J’ai tra­vaillé dans un bureau d’avocat quand j’ai fait mon stage, pen­dant la seconde inti­fa­da. La secré­taire avait la télé­vi­sion toute la jour­née sous les yeux. Sur les images, trois sol­dats israé­liens s’étaient trom­pés de route ; les Palestiniens les ont attra­pés puis lyn­chés, à Ramallah, en 2001. Les médias ont pas­sé ces images en boucle pour mon­trer à quel point les Palestiniens étaient vio­lents. La secré­taire en ques­tion me dit alors : « Regarde ! regarde ! » Comme si j’étais direc­te­ment concer­né. Alors que j’ai juste envie de vivre tran­quille­ment… J’avais moi-même des pré­ju­gés envers les Palestiniens de Cisjordanie. Dans les médias israé­liens, on pré­sen­tait cette région comme un endroit effrayant où il y a des ter­ro­ristes, où les Palestiniens sont méchants, laids, arrié­rés… En gran­dis­sant, j’ai com­pris la manière dont les médias traitent les Palestiniens. Par exemple, quand un pho­to­graphe prend une pho­to de Yasser Arafat, il choi­sit l’image la plus laide et la met en une du jour­nal. C’est de l’image de marque, c’est très intel­li­gent. Dans les médias pales­ti­niens, Arafat est tou­jours mon­tré avec de l’al­lure, grand, puis­sant, fier. J’ai tou­jours sen­ti que quelque chose n’allait pas dans les médias israé­liens, que les Palestiniens ne pou­vaient pas tous être des ter­ro­ristes. D’ailleurs, qui est ter­ro­riste, fina­le­ment ? Tout cela me gênait. J’ai com­pris que, quelque part, ça me concer­nait aus­si. Je n’ai jamais pen­sé que j’étais juste israélien.

« J’ai tou­jours sen­ti que quelque chose n’allait pas dans les médias israé­liens, que les Palestiniens ne pou­vaient pas tous être des ter­ro­ristes. D’ailleurs, qui est ter­ro­riste, finalement ? »

J’ai donc com­men­cé à voya­ger. En France, quand j’ai ren­con­tré des Palestiniens de Cisjordanie, des Syriens, etc., je me suis ren­du compte que j’étais limi­té, condi­tion­né par cette bulle israé­lienne. Je suis venu en France, je suis allé au Canada, en Égypte, en Italie, j’ai tra­vaillé pour des ONG… et puis je me suis dit : « Mais pour­quoi je ne vais pas en Cisjordanie ? » C’est à peine à 40 kilo­mètres de chez moi et je n’ai jamais pen­sé y aller ! On me par­lait tou­jours de l’occupation et j’ai sen­ti que je ne la vivais pas, que ce n’était pas ma réa­li­té. Aujourd’hui, après avoir vécu cette expé­rience, si on me pose une ques­tion sur l’occupation dont je n’ai pas la réponse, ça ne me dérange pas, parce que j’ai vécu cette expé­rience et que cela fait désor­mais par­tie de moi. Avant, si on me posait une ques­tion et que je ne savais pas y répondre, j’étais gêné, je pen­sais que quelque chose me man­quait, comme si je n’étais pas un Palestinien entier. Avant de faire ce film, je me disais que pour être un vrai Palestinien, il fal­lait que je vive le conflit. Je me rends compte que ce que je cher­chais, c’était juste une paix inté­rieure pour me récon­ci­lier avec moi-même, avec mon his­toire, avec le fait que je suis né en Israël, que je viens d’une famille qui m’a tout offert, que je n’ai pas souf­fert dans ma vie, que je n’ai pas vécu l’occupation et que j’ai eu les meilleurs condi­tions pos­sibles pour faire mes études, voya­ger, etc. Je me suis ren­du compte qu’il ne fal­lait pas culpa­bi­li­ser de tout ça. Il ne faut pas aller cher­cher les endroits où il y a des pro­blèmes pour jus­ti­fier une vie plus facile qu’une autre.

Vous avez beau­coup voya­gé, vous vivez en France et vous par­lez fran­çais cou­ram­ment. Ne ren­con­trez-vous pas ain­si moins de dif­fi­cul­tés qu’un autre réa­li­sa­teur pales­ti­nien pour dif­fu­ser votre film ? Pensez-vous que c’est un atout ?

Comparé à un artiste pales­ti­nien de Gaza, évi­dem­ment, je suis pri­vi­lé­gié. À Gaza, ils sont étouf­fés, ils ne peuvent pas sor­tir. Des jeunes artistes israé­liens auront aus­si plus de dif­fi­cul­tés que moi : c’est l’une des rai­sons qui font que j’ai choi­si de res­ter en France, d’ailleurs. J’aime la France, c’est deve­nu une par­tie de moi. Je com­mence à me sen­tir un peu fran­çais, ça me fait peur ! (rires) Je suis fran­çais, pales­ti­nien, israé­lien… c’est ma vie. Je parle le fran­çais, l’hébreu, l’arabe, tout ça fait par­tie de moi. Je ne peux pas vivre du ciné­ma en Israël, ni en Palestine. En plus, il n’y a pas de public qui accueille le genre de docu­men­taire que je fais. Tous les films sont com­mer­ciaux, égyp­tiens ou amé­ri­cains. Heureusement qu’il y a des salles d’art et essai en France, qui, en plus, payent pour voir des films de ce genre, qui consi­dèrent l’art comme un métier ! Là-bas, allez cher­cher cela…

Alaa Ashkar par Stéphane Burlot, pour Ballast

En France, jus­te­ment, que lisez et enten­dez-vous sur le conflit israé­lo-pales­ti­nien ? Comment pre­nez-vous du recul sur ce sujet ? 

En Israël, je lisais beau­coup les jour­naux hébraïques, que je trou­vais très biai­sés, qui ne consi­dé­raient pas les Palestiniens comme une par­tie légi­time à trai­ter. Ils ont tou­jours dis­cré­di­té la Palestine. En France, on parle de « droits pales­ti­niens », de la « cause pales­ti­nienne ». Je trou­vais ça très bien au début, à mon arri­vée… Après, quand tu vis ici, plus les années passent, plus tu te rends compte qu’il y a des limites — que je com­prends —, pour des rai­sons géo­po­li­tiques ou inter­na­tio­nales. Notamment à cause du sio­nisme, qui influence beau­coup le gou­ver­ne­ment fran­çais. Lorsqu’il était sur le pla­teau de TV5 Monde, le réa­li­sa­teur Mohammad Bakri a dit quelque chose qui m’a plu, avec quoi je suis en plein accord, à savoir que la France avait peur du sio­nisme. Ce qui me gêne ici, sur­tout, c’est qu’on tombe dans le piège de la culpa­bi­li­té par rap­port à la Shoah. Quand on cri­tique Israël, c’est consi­dé­ré comme de l’antisémitisme : on fait appel à la mémoire de la Shoah et les gens ont peur. Ce qui me frappe en France, c’est à quel point les Français sont condi­tion­nés ; dès qu’on parle de conflits, ils peuvent te par­ler de tous les conflits du monde : contes­ter le Rwanda, l’injustice je ne sais où, cri­ti­quer Poutine, etc. Mais pour la Palestine, ils disent : « Ah non, je ne parle pas de politique ! »

« Ce qui me frappe, c’est à quel point les Français sont condi­tion­nés ; ils peuvent te par­ler de tous les conflits du monde : contes­ter le Rwanda, cri­ti­quer Poutine, etc. Mais pour la Palestine… »

Un ami a créé un site Internet, le site why­book, qui inter­roge les poli­tiques et leur demande, par exemple : « Pourquoi vous ne res­pec­tez pas ceci ou cela ? » On peut ain­si poser une ques­tion à Alain Juppé, qui répond aux citoyens. Ce site sert à créer un contact entre citoyens et poli­ti­ciens. J’ai deman­dé à mon ami s’il pou­vait lan­cer un sujet sur la Palestine. Au départ, il me disait être impli­qué dans la cause pales­ti­nienne, conscient qu’il fal­lait chan­ger les choses. Quand je lui ai dit d’en faire état sur son site, il m’a rétor­qué : « Ah non, pas de poli­tique ! » Vous vous ren­dez compte ? On en revient à ce condi­tion­ne­ment, au fait que c’est une ques­tion déli­cate par rap­port à la Shoah, qu’il vaut mieux ne pas s’en mêler. Ici aus­si, fina­le­ment, on sème la peur dans l’esprit des gens pour qu’ils ne parlent pas d’Israël-Palestine. C’est une poli­tique qui vise à lais­ser le gou­ver­ne­ment israé­lien conti­nuer à faire ce qu’il veut : colo­ni­ser ! Israël, c’est tou­jours l’exception, et je trouve ça intrigant.

Avez-vous mon­tré le film à votre famille ? Ici, à Aubervilliers, le public a beau­coup ri ; on sen­tait un film léger… C’est comme ça que vous vou­liez qu’il soit vu ?

Je l’ai mon­tré à ma mère. Elle ne regarde pas trop ce genre de film, d’ordinaire. Elle espère qu’un jour je vais trou­ver le bon che­min, me marier, etc. Elle m’a dit : « On voit bien que tu aimes ta famille, dans le film. » Les autres ne l’ont pas encore vu ; je veux qu’ils le voient sur grand écran. Là, c’était ma pre­mière pro­jec­tion en région pari­sienne ; sinon, c’est ma sixième pro­jec­tion en France. J’étais très content que le public prenne le film à la légère et non avec l’œil du mili­tant parce que, en effet, avant de venir ici, je l’ai pro­je­té dans des contextes dif­fé­rents. Quand c’est un public de mili­tants, je reçois des réac­tions du type : « Toi, tu es un pri­vi­lé­gié, tu ferais mieux de fil­mer ceux qui souffrent vrai­ment. » Ou : « C’est incroyable, je ne com­prends pas pour­quoi les Palestiniens ont mis de côté la ques­tion pales­ti­nienne et n’ont aucun esprit de résis­tance. » Sinon, le film a aus­si sus­ci­té des réac­tions légères, comme ici. Il y a éga­le­ment des gens qui cherchent des réponses. Je suis un cinéaste qui pose des ques­tions et qui uti­lise la matière pour lais­ser le spec­ta­teur tirer ses propres conclu­sions. Évidemment, mon regard entre tou­jours en jeu, et cer­tains spec­ta­teurs passent à côté du film car ils ne com­prennent pas ce que je veux dire. À Bordeaux, quelqu’un m’a dit : « Je n’ai rien com­pris. » Soit on a la sen­si­bi­li­té et on rentre dedans, soit on n’est pas assez curieux. Certains n’aiment pas les films inti­mistes, peu importe le sujet.


Photographie de cou­ver­ture : Mur de sépa­ra­tion, Cisjordanie © Darren Whiteside/Reuters
Portrait du réa­li­sa­teur : Stéphane Burlot, pour Ballast


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