Santé, vaccin et pass : discussion avec le médecin urgentiste Christophe Prudhomme


Entretien inédit | Ballast

Sans sur­prise, le gou­ver­ne­ment fran­çais vient d’an­non­cer qu’il se don­nait la pos­si­bi­li­té de pro­lon­ger le recours au pass sani­taire jus­qu’à l’é­té 2022. Au moment de son exten­sion à l’en­semble de la popu­la­tion (police excep­tée, bien enten­du), la Défenseure des droits avait aler­té l’o­pi­nion, au mois de juillet der­nier, sur la toxi­ci­té d’un tel dis­po­si­tif : en vain. En san­té comme ailleurs, l’ap­pa­reil macro­niste mal­traite les liber­tés publiques et cogne les tra­vailleurs — plu­sieurs mil­liers de soi­gnantes et de soi­gnants ont déjà été sus­pen­dus. Si Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des méde­cins urgen­tistes de France, urgen­tiste au Samu de Bobigny et syn­di­ca­liste CGT, a dénon­cé la ges­tion à la fois auto­ri­taire et cala­mi­teuse de la pandé­mie de Covid-19, c’est à une réflexion plus glo­bale qu’il nous convie : com­ment sommes-nous arri­vés à pareil déla­bre­ment de l’hô­pi­tal public ? Et le soi­gnant, « fervent par­ti­san de la vac­ci­na­tion », de reve­nir sur le long et métho­dique tra­vail de sape capitaliste.


On vient d’ap­prendre que 5 700 lits ont été fer­més dans les hôpi­taux fran­çais en 2020. Que doit-on en conclure du gou­ver­ne­ment Macron ?

D’abord, qu’Emmanuel Macron et Olivier Véran, le ministre de la Santé, ont men­ti dans toutes leurs décla­ra­tions. À la fois devant la popu­la­tion et la repré­sen­ta­tion natio­nale. Monsieur Véran avait pro­mis l’ou­ver­ture de lits pour répondre aux dif­fi­cul­tés que ren­con­traient les hôpi­taux pour hos­pi­ta­li­ser les patients. Une des rai­sons de l’in­ten­si­té de la crise liée à l’é­pi­dé­mie du coro­na­vi­rus, ce n’est pas tant le nombre de malades — qui est impor­tant mais n’a­vait rien de catas­tro­phique — que l’i­na­dé­qua­tion en termes de capa­ci­té hos­pi­ta­lière. Si nous avions dis­po­sé de 10 000 lits de réani­ma­tion — un chiffre qui n’a rien d’ex­tra­or­di­naire au regard des com­pa­rai­sons avec d’autres pays euro­péens — et non de 5 000, le choc aurait été moins rude. Nous avons été obli­gés de concen­trer toute notre acti­vi­té pour les malades atteints du coro­na­vi­rus, au détri­ment des autres malades, majo­ri­taires. On a lais­sé tom­ber ces der­niers et on com­mence déjà à payer les consé­quences que ça a eu sur leur san­té. On risque de les payer encore plus cher : dépis­tages des can­cers, retards d’un cer­tain nombre d’in­ter­ven­tions chi­rur­gi­cales, etc. Si le gou­ver­ne­ment conti­nue de fer­mer des lits, c’est qu’il veut réduire à tout prix les capa­ci­tés hos­pi­ta­lières car ça coûte cher. Leur objec­tif est finan­cier. Et, de façon plus cachée, il s’a­git de faire place nette afin que le sec­teur pri­vé lucra­tif en vienne, face aux dif­fi­cul­tés du public, à prendre en charge les acti­vi­tés les plus ren­tables. Et donc pros­père. L’exemple le plus fla­grant est les États-Unis, et c’est aus­si le modèle de Macron. Aux yeux de ces gens, la san­té est, pour la par­tie sol­vable de la popu­la­tion, un ser­vice mar­chand comme un autre. On doit lais­ser la place à des inves­tis­seurs dans l’offre de soin et l’offre assu­ran­tielle. De nos jours, on ne dégage plus des marges dans l’in­dus­trie mais dans les ser­vices : et c’est jus­te­ment dans la san­té que les marges sont les plus impor­tantes. On ne compte pas pour la san­té : les gens sont prêts à vider leur livret d’é­pargne pour se soigner.

Dans un texte, vous fai­siez remon­ter le début de la mise à mort de l’hô­pi­tal public en 1983, c’est-à-dire le « tour­nant » libé­ral de Mitterrand.

« Emmanuel Macron et Olivier Véran ont men­ti dans toutes leurs décla­ra­tions. À la fois devant la popu­la­tion et la repré­sen­ta­tion nationale. »

En effet. Tout ça vient de loin : c’est la revanche des libé­raux. Ils ont théo­ri­sé leur modèle dès 1947, via l’École de Chicago et la Société du Mont-Pèlerin. Les libé­raux n’ont jamais accep­té que deux sec­teurs de la socié­té — la san­té et l’é­du­ca­tion — échappent au mar­ché. Après la guerre, les poli­tiques key­né­siennes ont per­mis le déve­lop­pe­ment des ser­vices publics, mais les libé­raux ont repris les manettes avec Thatcher, Reagan et Bérégovoy. Leur stra­té­gie est par­fai­te­ment orga­ni­sée. Macron n’est jamais qu’une cari­ca­ture de bon petit sol­dat libéral.

Il y a dix jours, on a vu, à Tarbes, un cer­tain nombre d’ur­gen­tistes mena­cer de démis­sion­ner face aux manques de moyens. Il y a deux jours, le chef de ser­vice du Centre hos­pi­ta­lier inter­com­mu­nal Marmande-Tonneins a cla­qué la porte. Que ferait un gou­ver­ne­ment res­pon­sable pour faire face à l’effondrement ?

Nous sommes dans une situa­tion de sous-effec­tif. Pourtant, on fait tout pour faire fuir le per­son­nel de l’hô­pi­tal de public. Prenez le der­nier décret en date : il modi­fie les moda­li­tés d’au­to­ri­sa­tion d’ou­ver­ture d’un ser­vice d’ur­gence. On peut désor­mais ouvrir des antennes de méde­cine d’ur­gence, mais uni­que­ment en jour­née. C’est la porte ouverte à la mul­ti­pli­ca­tion des ser­vices pri­vés : ils vont ouvrir des antennes pour prendre en charge les patients dont l’é­tat n’est pas très grave et les méde­cins du public — qui subissent des rythmes de tra­vail épui­sants — iront tra­vailler dans ces nou­velles struc­tures. Vous com­men­ce­rez à 8 heures et vous ter­mi­ne­rez à 20 heures, vous n’au­rez plus de garde de nuit, vous aurez vos week-end : évi­dem­ment, vous quit­te­rez le public. Le Ségur de la san­té [mai-juillet 2020, ndlr] n’a abso­lu­ment rien réglé. Sa mesure emblé­ma­tique a été l’aug­men­ta­tion de 183 euros des salaires. Quand on prend le salaire moyen de l’hô­pi­tal fran­çais, cette aug­men­ta­tion ne cor­res­pond qu’à la com­pen­sa­tion de la perte de pou­voir d’a­chat accu­mu­lée depuis 2010. Avant le Ségur, les infir­mières fran­çaises avaient une rému­né­ra­tion qui cor­res­pon­dait, en pari­té de pou­voir d’a­chat, au 22e rang du clas­se­ment des pays de l’OCDE. Depuis le Ségur, elles sont pas­sés au 18e rang ; autre­ment dit, les infir­mières mexi­caines sont mieux payées, en termes de pou­voir d’a­chat. Et on s’é­tonne qu’on ait du mal à recruter ?

[Un citoyen brésilien vacciné par un vaccin de confection chinoise, le 22 mars 2021 | Lucio Tavora | Xinhua | Redux]

Nous fai­sons face à un aban­don du métier — un métier essen­tiel­le­ment fémi­nin. Si on prend la four­chette basse, nous avons, en France, entre 150 et 180 000 infir­mières diplô­mées qui n’exercent plus leur métier ! Soit elles ont arrê­té de tra­vailler, soit elles ont com­plè­te­ment chan­gé de métier. Si on ajoute à ça les 40 000 pro­fes­sion­nels de san­té — essen­tiel­le­ment des infir­mières — qui, chaque jour, vont tra­vailler en Belgique, en Allemagne, en Suisse ou au Luxembourg, ça nous fait envi­ron 200 000 pro­fes­sion­nels de san­té qui manquent dans nos hôpi­taux. Et c’est une pénu­rie orga­ni­sée. Dans les années 1990, on a fer­mé les lits et les hôpi­taux au motif qu’il fal­lait fer­mer les petites struc­tures car elles seraient dan­ge­reuses pour les patients. On avait, dans les années 1970, 1 600 mater­ni­tés ; aujourd’­hui, on en a un peu plus de 400. Vous vous ren­dez compte ? On a fer­mé 100 000 lits en vingt-cinq ans. Résultat, en psy­chia­trie, la majo­ri­té des patients ne sont plus pris en charge. Soit ils sont dans la rue, soit ils sont en pri­son. Et voi­ci qu’on place les toxi­co­manes dans des camps. Ce sont là les consé­quences des poli­tiques libé­rales menées depuis Bérégovoy et lar­ge­ment accé­lé­rées par Macron. Notre sys­tème sani­taire est à la limite de la rup­ture. Heureusement, des luttes ont été menées ces der­nières années. Mais si on a encore Macron pen­dant cinq ans, ça sera très dur de résis­ter. On atteint ce que les socio­logues nomment un « effet seuil » : on tire sur la corde, les gens se mobi­lisent, ça tient comme ça peut et puis, à la fin, ça craque. Tout s’ef­fondre sous nos yeux. Voyez les plans blancs à Aulnay, à Mulhouse, voyez les démis­sions ou les menaces que vous évo­quiez. On fait fuir le per­son­nel puis on jus­ti­fie les fer­me­tures au pré­texte que les ser­vices manquent de bras !

C’est dans ce contexte que vous avez fait savoir que le ren­voi des soi­gnantes et des soi­gnants non vac­ci­nés était « catas­tro­phique » — même si vous étiez favo­rable à leur vaccination.

« On tire sur la corde, les gens se mobi­lisent, ça tient comme ça peut et puis, à la fin, ça craque. Tout s’ef­fondre sous nos yeux. »

Je suis un fervent par­ti­san de la vac­ci­na­tion, mais il y a un prin­cipe de réa­li­té. Ce gou­ver­ne­ment fait voter une loi mais cer­tains dépar­te­ments ne l’ap­pliquent pas — la Guadeloupe et la Martinique. Car si, là-bas, la loi s’ap­plique, les hôpi­taux ferment. On a sim­ple­ment deman­dé que s’ap­plique, ici aus­si, ce prin­cipe de réa­li­té. Les soi­gnants sus­pen­dus sont au nombre de quelques mil­liers1. C’est assez peu, mais ils sont indis­pen­sables au regard de la pénu­rie pré­exis­tante. Sans eux, des équipes pour­ront s’ef­fon­drer. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est déjà pas­sé dans le bloc opé­ra­toire de Montélimar ou en neu­ro­lo­gie à Soissons. Sur le ter­rain de la san­té publique, on doit ana­ly­ser le rap­port bénéfices/inconvénients de cette mesure. Au regard de la situa­tion qu’on connaît, quel était le pire ? Laisser tra­vailler des soi­gnants non vac­ci­nés qui, dès lors qu’ils se pro­tègent, pré­sentent un risque de trans­mis­sion tout à fait minime ou ren­voyer des patients car on n’a plus les moyens humains de les prendre en charge ? Il n’y a pas pho­to. On devait main­te­nir le per­son­nel en poste.

Doit-on entendre cet auto­ri­ta­risme sani­taire dans le cadre, plus large, d’une gou­ver­nance en tout point auto­ri­taire ?

Les libé­raux sont très auto­ri­taires : c’est même dans leur ADN. Vous savez, quand les résul­tats sont au ren­dez-vous, en matière de san­té, la popu­la­tion accepte. Quand elle a confiance, elle suit les mesures énon­cées — quand bien même le régime ne serait pas démo­cra­tique. Le gou­ver­ne­ment Macron est inca­pable de la moindre auto­cri­tique. Il se braque, il sort le gros bâton ; c’est par­fai­te­ment contre-productif.

[New Dehli (Inde), avril 2021 | Adnan Abidi | Reuters]

Comment com­prendre, mal­gré les recom­man­da­tions de l’OMS en matière de péda­go­gie sani­taire quant au vac­cin, que le gou­ver­ne­ment Macron ait opté pour la coer­ci­tion ?

Il pense qu’il peut en tirer un béné­fice poli­tique. Macron s’ap­puie sur une par­tie de la popu­la­tion, mino­ri­taire, mais c’est celle qui vote et qui vote­ra. Il a été élu par 18 % du corps élec­to­ral2 et la moi­tié de la popu­la­tion, aujourd’­hui, ne vote plus.

En Espagne ou au Portugal, les per­sonnes de plus de 80 ans sont toutes vac­ci­nées. En France, le taux n’é­tait, le 3 sep­tembre, que de 85 %. Pourquoi un tel écart ?

Le gou­ver­ne­ment n’a joué que sur le paraître. L’ouverture des vac­ci­no­dromes, et en par­ti­cu­lier celui du Stade de France, a été une opé­ra­tion média­tique. Mais elle a été contre-pro­duc­tive sur le ter­rain de la san­té publique. La semaine de l’ou­ver­ture du vac­ci­no­drome du Stade de France, les livrai­sons de vac­cins étaient insuf­fi­santes ; on a donc dimi­nué de moi­tié les livrai­sons de vac­ci­na­tions des­ti­nées à la Seine-Saint-Denis pour tout concen­trer au stade. Il fai­sait, dans un pre­mier temps, 1 000 à 1 500 injec­tions par jour ; or, quand on ouvre un espace de cette taille, c’est pour vac­ci­ner 10 000 per­sonnes par jour ! Cette débauche de moyens était inadap­tée à la situa­tion. Pourquoi n’a-t-on pas vac­ci­né tous les plus de 80 ans ? Car on ne s’est pas don­nés les moyens, contrai­re­ment au Portugal, d’al­ler vac­ci­ner les gens à leur domi­cile. À cet âge, la mobi­li­té est réduite. En France, on a payé gras­se­ment les méde­cins pour se rendre dans les centres, à savoir 800 euros la jour­née en for­fai­taire : com­ment vou­lez-vous qu’ils aient envie, ensuite, de vac­ci­ner à domicile ?

On vient d’ap­prendre l’ex­ten­sion du pass sani­taire aux ado­les­cents de 12 à 17 ans et son pro­lon­ge­ment pour l’en­semble de la popu­la­tion, jus­qu’à, pos­si­ble­ment, l’é­té pro­chain. Ce pass a‑t-il une quel­conque effi­ca­ci­té en matière sanitaire ?

« Le pass est une mesure poli­tique auto­ri­taire dont l’ef­fi­ca­ci­té est contestable. »

Le pass est une mesure poli­tique auto­ri­taire dont l’ef­fi­ca­ci­té est contes­table. Il vaut mieux être péda­gogue, il faut expli­quer les risques, il faut insis­ter sur le port du masque en inté­rieur. Le risque de pro­pa­ga­tion de l’é­pi­dé­mie est direc­te­ment lié à la cir­cu­la­tion des per­sonnes : aux Antilles, qui a ame­né le variant del­ta ? Les tou­ristes, les « métros ». Car on a pri­vi­lé­gié l’ac­ti­vi­té éco­no­mique. Chez les enfants, il n’y a qua­si­ment aucun mort3 — pas plus, en tout cas, que pour une grippe clas­sique. Les jeunes enfants décé­dés avaient déjà des patho­lo­gies. Qu’on les vac­cine, d’ac­cord, mais limi­ter leur acti­vi­té sociale s’ils ne sont pas vac­ci­nés, c’est une catas­trophe. Cette acti­vi­té est essen­tielle d’un point de vue édu­ca­tif. Nous allons faire face à une explo­sion des troubles psy­cho­lo­giques. On le paie­ra dans les années qui viennent.

Qu’il s’a­gisse de liber­tés publiques et de san­té, il faut donc abo­lir ce pass ?

Oui. Le pass, comme toutes les mesures coer­ci­tives, a peu d’ef­fi­ca­ci­té. Les gens doivent être convain­cus par les bonnes pratiques.

Des oppo­sants au pass ont dénon­cé la tié­deur des syn­di­cats, CGT com­prise. Que répond le syn­di­ca­liste que vous êtes également ?

Que la CGT s’est mon­trée offen­sive ! Ce sont les anti­vax qui nous reprochent ça, et non les seuls oppo­sants au pass. Maintenant, que devons-nous reven­di­quer ? Parler uni­que­ment du pass ou s’en­ga­ger en faveur de plus de moyens et d’une vie sociale nor­male ? Cette nor­ma­li­té passe par l’embauche de per­son­nel hos­pi­ta­lier. Les syn­di­ca­listes s’en­gagent béné­vo­le­ment et le paient sou­vent chè­re­ment en termes de pro­gres­sion de car­rière : c’est bien facile de les critiquer…

[La police française contrôlant les auto-attestations de sortie de la population confinée, octobre 2020 | AFP]

Ce qui a frei­né cer­tains mili­tants syn­di­qués, c’est la puis­sance, en face, du dis­cours d’ex­trême droite ou libertarien.

Bien sûr. Toute crise conduit à des dis­cours irra­tion­nels, l’Histoire est là pour le confir­mer. Vous savez, on peut faire dire abso­lu­ment ce qu’on veut aux chiffres. J’aime dire ça, aux anti­vax que je connais : « Avec des amis, on boit l’a­pé­ro chaque soir et, au sein de notre groupe, on dénombre moins de cas de coro­na­vi­rus que dans un deuxième groupe, qui, lui, ne boit pas. Et je peux en effet le prou­ver sta­tis­ti­que­ment. Puis en conclure qu’il faut boire l’a­pé­ro pour contrer le virus… » Je ne les dia­bo­lise pas, je ne les insulte pas, je dis­cute — bon, j’ar­rête la dis­cus­sion à un moment, quand tout a été dit de part et d’autre. J’ai été, dans un pre­mier temps, favo­rable à la vac­ci­na­tion des seules per­sonnes âgées ; puis, face aux résul­tats et au large consen­sus médi­cal, j’ai approu­vé son extension.

Quid de la troi­sième dose ?

« Toute crise conduit à des dis­cours irra­tion­nels, l’Histoire est là pour le confir­mer. Vous savez, on peut faire dire abso­lu­ment ce qu’on veut aux chiffres. »

L’intérêt est petit et les études ne sont pas pro­bantes4. Il est avant tout celui des labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques : le PDG de Pfizer est le pre­mier à avoir pro­po­sé cette troi­sième dose [en avril 2021, ndlr]. Il vend ses pro­duits à des tarifs hon­teu­se­ment éle­vés au regard des coûts de pro­duc­tion et, le len­de­main, les actions de sa socié­té ont grim­pé en Bourse. Évidemment, ça ali­mente les antivax.

Pour en finir avec cette ques­tion des pro­fits, il n’y a que la levée des bre­vets…

Et on la porte. Mais c’est une bataille inter­na­tio­nale. La CGT fait par­tie de tous les groupes et les ras­sem­ble­ments sur le sujet. Le point posi­tif est idéo­lo­gique : les libé­raux sont désor­mais en dif­fi­cul­té sur un cer­tain nombre de ques­tions sani­taires. On doit pous­ser. L’idée que cer­tains ser­vices sont essen­tiels et ne doivent pas rele­ver du sec­teur mar­chand était inau­dible il y a trente ans : « Vous vou­lez reve­nir à l’URSS ? Vous avez vu ce que ça a don­né ? » Aujourd’hui, cette idée est dans le pay­sage. Et c’est aux libé­raux de se jus­ti­fier. Il en va de même, d’ailleurs, sur la ques­tion de l’énergie.

La vac­ci­na­tion est une ques­tion mon­diale, et vous avez déplo­ré que nous ayons le regard à ce point bra­qué sur la France. Vous l’a­vez dit tout à l’heure : le virus cir­cule via les dépla­ce­ments inter­na­tio­naux. Sauf à vac­ci­ner la Terre entière, ce qui n’est pas prêt d’ar­ri­ver, on voit mal com­ment endi­guer les nou­veaux variants…

Pour essayer de limi­ter le risque d’é­mer­gence de nou­veaux variants, la seule solu­tion est de vac­ci­ner l’en­semble de la popu­la­tion mon­diale. En l’état, c’est impos­sible du fait de la cap­ta­tion des vac­cins par les pays riches. On a la chance que les variants actuels ne soient pas par­ti­cu­liè­re­ment agres­sifs, avec des vac­cins qui res­tent glo­ba­le­ment effi­caces, mais c’est un vrai pro­blème. Voyez les taux de vac­ci­na­tion des pays pauvres. J’ai eu des contacts avec des Tunisiens : ils vou­laient des vac­cins. Il faut une poli­tique de san­té publique mon­diale, ou ce sera la catas­trophe. Il n’y a pas d’autre choix.

[« Les Afro-Américains meurent du Covid-19 trois fois plus que les Blancs » | distribution de masques à Harlem, mai 2020 | Bebeto Matthews | AP]

Vous avez appe­lé à « rai­son gar­der ». Tout ce déchaî­ne­ment — la bru­ta­li­té des macro­nistes et de cer­tains oppo­sants aux vac­cins — vous a‑t-il sur­pris ?

Non, pas plus que ça. Je vous par­lais des crises et de l’Histoire. Après tout, la méde­cine existe depuis Hippocrate, et même avant ! Vous ne l’a­vez pas connu, mais le XXe siècle, c’é­tait la grande poli­tique hygié­niste. Moi, je fais par­tie de ces gamins qui, à l’é­cole, ont été vac­ci­nés en file indienne dans la classe, en slip, par une infir­mière qui ne deman­dait rien aux parents. On n’a­vait pas le choix. C’est une autre époque, mais c’est une époque de confiance dans la méde­cine. Des gens de ma géné­ra­tion ont des séquelles de la polio. Certains en sont morts. Dans toute fra­trie, jus­qu’à la fin des années 1950, un gamin mour­rait en bas âge d’une mala­die infec­tieuse. Les suc­cès de la vac­ci­na­tion et l’é­lé­va­tion de la qua­li­té de l’eau ont, alors, convain­cu tout le monde de se faire vac­ci­ner. Mais on a oublié.

Comment l’ex­pli­quez-vous ?

« Pour nous, méde­cins, c’est la pre­mière fois, grâce aux moyens infor­ma­tiques, que nous pou­vons suivre une épi­dé­mie au quo­ti­dien et dans le monde entier. »

C’est, entre autres choses, une des tares du libé­ra­lisme. Il pri­vi­lé­gie l’in­di­vi­du sur le col­lec­tif. L’individualisme éman­ci­pa­teur a été cap­té par les libé­raux, qui en ont fait un « cha­cun pour soi ». C’est Tapie et Montand dans les années 1980. Quand je dis­cute avec des cama­rades anti­vax, je leur dis : « On pri­vi­lé­gie quoi, nous ? Le col­lec­tif. La liber­té indi­vi­duelle doit donc trou­ver cer­taines limites quand ça nuit au col­lec­tif. » La preuve a été four­nie que le vac­cin pré­sente plus d’a­van­tages que d’in­con­vé­nients ; alors, bien sûr, quand on vac­cine des mil­liards de per­sonnes, il y aura un cer­tain nombre d’ef­fets secon­daires. Et même des morts. Comme pour tout médicament.

Certains ont pu les pas­ser sous silence en vou­lant contre­car­rer les oppo­sants à toute forme de vac­ci­na­tion. Ce qui est une erreur, dites-vous. 

Bien sûr. Le pro­blème, aus­si, c’est que, lorsque la vac­ci­na­tion est obli­ga­toire, l’État vous doit entière répa­ra­tion en cas d’en­nuis. Lorsque la vac­ci­na­tion n’est que recom­man­dée, c’est à vous de vous retour­ner contre l’en­tre­prise. Voilà qui change la donne. Il faut donc être très clair : même lorsque vous pre­nez du para­cé­ta­mol, celui-ci peut, chez cer­taines per­sonnes dotées d’un cer­tain méta­bo­lisme, pro­vo­quer une hépa­tite ful­mi­nante et, si on ne vous greffe pas un foie, vous allez mou­rir. Et c’est en vente libre. Ne le nions pas. Et, évi­dem­ment, ne géné­ra­li­sons pas quelques cas. Pour nous, méde­cins, c’est fan­tas­tique : c’est la pre­mière fois, grâce aux moyens infor­ma­tiques, que nous pou­vons suivre une épi­dé­mie au quo­ti­dien et dans le monde entier. On peut magouiller l’in­for­ma­tion dans cer­tains pays mais, au final, ça sort. Mais cette cir­cu­la­tion des don­nées a pour défaut de rendre acces­sible des fausses infor­ma­tions ou des infor­ma­tions par­tielles, les­quelles prennent une place abso­lu­ment déme­su­rée. Oui, sur la quan­ti­té de per­sonnes vac­ci­nées, cer­taines sont mortes5. Mais, toute pro­por­tion gar­dée, pre­nez les homi­cides volon­taires : tous les études attestent que, depuis la Seconde Guerre mon­diale, ils n’ont pas ces­sé de dimi­nuer. Jamais nous n’a­vons vécu dans une socié­té à ce point peu vio­lente ! Or à chaque agres­sion mor­telle, la presse tourne en boucle : résul­tat, les gens ont l’im­pres­sion que nous vivons dans une socié­té très brutale.

Le fait de licen­cier des tra­vailleurs au seul motif qu’ils ne sont pas vac­ci­nés, ça, c’est nou­veau dans l’Histoire, non ?

En effet. Car c’est la pre­mière fois que l’o­bli­ga­tion vac­ci­nale est contes­tée à un tel niveau. Comme est tout à fait nou­velle ce type d’ins­tru­men­ta­li­sa­tion d’une ques­tion sani­taire par un gou­ver­ne­ment, en l’occurrence celui de Macron.


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  1. Si Olivier Véran a annon­cé, à la mi-sep­tembre 2021, la sus­pen­sion de 3 000 soi­gnants non vac­ci­nés, ce chiffre est en réa­li­té « très sous-esti­mé » [ndlr].[]
  2. Emmanuel Macron a récol­té 24 % des suf­frages expri­més au pre­mier tour de l’é­lec­tion pré­si­den­tielle de 2017, mais seule­ment 18 % des ins­crits sur les listes élec­to­rales [ndlr].[]
  3. Fin août 2021, on dénom­brait sept enfants de moins de dix ans décé­dés du Covid-19 en France. Sur l’en­semble des mineurs, on comp­ta­bi­li­se­rait une dizaine de décès début juillet 2021 [ndlr].[]
  4. Le 18 août 2021, la scien­ti­fique en chef de l’OMS Soumya Swaminathan décla­rait : « Nous pen­sons clai­re­ment que les don­nées actuelles n’in­diquent pas que les rap­pels sont néces­saires », expli­quant que d’un point de vue « moral et éthique », l’in­jec­tion d’une troi­sième dose pour les habi­tants des pays riches n’é­tait pas sou­hai­table « quand le reste du monde attend sa pre­mière injec­tion ». Elle a pré­ci­sé, qu’il était néces­saire d’« attendre que la science nous dise quand les rap­pels sont néces­saires, quels groupes de per­sonnes et quels vac­cins ont besoin de rap­pels » [ndlr].[]
  5. Au 24 août 2021, l’Agence natio­nale de sécu­ri­té du médi­ca­ment (ANSM) recen­sait 65 cas de throm­boses, dont 14 décès, pour 4 375 215 de doses injec­tées du vac­cin d’AstraZeneca. Sur les presque 100 mil­lions de doses injec­tées, aucun décès lié aux vac­cins Pfizer, Moderna et Janssen n’a été rele­vé par l’ANSM [ndlr].[]

REBONDS

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