Le transhumanisme, ce nouvel eugénisme


« Jamais le besoin de recon­naître notre appar­te­nance à la Terre n’avait été aus­si pres­sant, et pour­tant jamais le déni de notre dépen­dance à la Terre et à l’intégrité de ses éco­sys­tèmes ne s’était affir­mé avec une telle force. » Partant d’un tel para­doxe, Pierre Madelin, tra­duc­teur et essayiste éco­lo­giste d’ins­pi­ra­tion liber­taire, revient dans La Terre, les corps, la mort, sur le rap­port qu’ont entre­te­nu et conti­nuent d’en­tre­te­nir les socié­tés occi­den­tales avec la mort à l’é­chelle indi­vi­duelle aus­si bien que col­lec­tive. Le constat est sans appel : la mort (et, au-delà, la des­truc­tion de la vie sur Terre), fait l’ob­jet d’un déni. La pla­nète ne serait qu’un lieu d’exil ; les corps de simples enve­loppes pas­sa­gères. Le transhuma­nisme, dont il est ques­tion dans cet extrait, appa­raît ain­si comme l’ul­time muta­tion du rap­port qui se tisse à la mort depuis deux mil­lé­naires. Malgré l’in­croyable déploie­ment tech­no­lo­gique impli­qué et le dis­cours futu­riste expri­mé, la nou­veau­té n’est qu’ap­pa­rente : le trans­hu­ma­nisme n’est que de la reprise d’un vieux rap­port au vivant, à la matière, à la fini­tude de toute chose. Pire, le trans­hu­ma­nisme condui­rait à la sélec­tion dis­cri­mi­na­toire pour le salut d’une huma­ni­té aug­men­tée et pri­vi­lé­giée. À rebours d’une telle pers­pec­tive, l’au­teur nous enjoint de renouer avec une condi­tion en phase avec notre milieu de vie — autre­ment dit : avec une condi­tion pro­pre­ment ter­restre.


Par la foi abso­lue dont il témoigne à l’égard des sciences et des tech­no­lo­gies, par la confiance inébran­lable qu’il mani­feste envers la pos­si­bi­li­té d’un ave­nir tou­jours meilleur, le trans­hu­ma­nisme s’inscrit bien évi­dem­ment dans la longue his­toire de l’idéologie du Progrès. Nulle catas­trophe ne semble pou­voir ébran­ler cette confiance. Nul désastre, pas­sé, pré­sent ou à venir, ne semble pou­voir ter­nir les repré­sen­ta­tions radieuses que les trans­hu­ma­nistes se font du futur. Que le XXe siècle ait été une suc­ces­sion de mas­sacres et que le XXIe siècle s’annonce comme le moment de l’effondrement sys­té­mique de la civi­li­sa­tion indus­trielle ne semble guère les trou­bler. Que la science et la tech­no­lo­gie aient joué et conti­nuent à jouer un rôle pri­mor­dial dans la dévas­ta­tion du monde est une réa­li­té qui semble à peine effleu­rer leur conscience. Rien, abso­lu­ment rien ne semble pou­voir remettre en cause leurs cer­ti­tudes : l’avenir sera radieux.

De ce point de vue, le trans­hu­ma­nisme ne pré­sente qua­si­ment aucune ori­gi­na­li­té. L’on ne manque d’ailleurs jamais d’être sur­pris qu’un mou­ve­ment affi­chant avec une telle fier­té son esprit « révo­lu­tion­naire » et son culte de la nou­veau­té se contente, le plus sou­vent, de recy­cler et de res­sas­ser dans la plus grande pla­ti­tude les pon­cifs les plus écu­lés de l’idéologie du Progrès. Du néo-péla­gia­nisme1 de Bacon à l’eugénisme en pas­sant par des pans entiers des Lumières et par le dar­wi­nisme social, il réca­pi­tule à sa façon les grandes étapes qui ont jalon­né le che­mi­ne­ment de cette idéo­lo­gie à tra­vers les siècles. Et c’est fina­le­ment sans doute ain­si qu’il se laisse le mieux appré­hen­der : il est l’ultime bégaie­ment du sujet moderne, le der­nier coup d’éclat, tapa­geur et raco­leur, d’un bri­gand qui se sait condam­né mais qui se refuse à quit­ter la scène, qui réclame son dû au milieu des ruines d’un monde qu’il a métho­di­que­ment contri­bué à dévaster.

« Le trans­hu­ma­nisme est l’ultime bégaie­ment du sujet moderne, le der­nier coup d’éclat, tapa­geur et raco­leur, d’un bri­gand qui se sait condam­né mais qui se refuse à quit­ter la scène. »

Mais si les trans­hu­ma­nistes sup­posent l’avenir radieux, ce n’est pas parce que nous sommes cen­sés y deve­nir meilleurs, au sens moral du terme, ni même parce que notre bon­heur s’y trou­ve­ra accru, mais parce que nous y serons aug­men­tés. C’est que la concep­tion qu’ils se font du pro­grès est, c’est le moins que l’on puisse dire, mini­male. Il n’est pas ques­tion pour eux, si ce n’est à la marge — à la fois pour se don­ner bonne conscience et pour ras­su­rer le client — de se deman­der à quelles condi­tions pour­rait adve­nir une socié­té auto­nome, déter­mi­nant elle-même et par elle-même les prin­cipes de son orga­ni­sa­tion col­lec­tive. Des deux signi­fi­ca­tions ima­gi­naires que Castoriadis pla­çait au cœur de la moder­ni­té — celle de l’autonomie et celle de la maî­trise ration­nelle du monde — le trans­hu­ma­nisme ne retient que la seconde, dont il célèbre ad nau­seam les ver­tus. Maîtriser pour aug­men­ter. Augmenter pour aug­men­ter davan­tage. Devenir plus forts, plus grands, plus per­for­mants, plus puis­sants, plus pré­cis, plus effi­caces ; tel est son cre­do. Le règne de la quan­ti­té à sa puis­sance maximale.

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Bien qu’il ne soit pas ques­tion ici de retra­cer en détail l’histoire de l’idée de pro­grès, d’autres s’en étant fort bien char­gés aupa­ra­vant, il convient néan­moins de reve­nir sur une forme spé­ci­fique de l’idéologie du pro­grès, née au XIXe siècle dans le sillage des pre­mières théo­ries de l’évolution, et dont le trans­hu­ma­nisme est à bien des égards l’héritier : le dar­wi­nisme social. Dans son his­toire de l’idée de pro­grès, Pierre-André Taguieff sou­ligne que celle-ci se divise géné­ra­le­ment en deux pôles2. D’un côté, les phi­lo­sophes de la liber­té consi­dèrent que l’avènement d’un ave­nir meilleur ne ren­voie à aucune néces­si­té natu­relle ou his­to­rique et n’a donc rien d’inéluctable3. C’est aux êtres humains, indi­vi­duel­le­ment et col­lec­ti­ve­ment, qu’incombe la tâche de construire un monde meilleur. « Parce que l’avenir est ouvert, et offert à la liber­té comme à la volon­té d’agir de l’humanité », ces concep­tions de l’histoire « échappent à la fois à l’optimisme et au pes­si­misme : l’histoire est un pro­duit de notre liber­té, et n’est tel qu’en rai­son de la per­fec­ti­bi­li­té de son sujet, l’homme4 ».

[Ana Mendieta]

« Rien n’est plus étran­ger à cette phi­lo­so­phie de la liber­té, com­mente Taguieff, que l’idée d’une loi du pro­grès, qui ins­cri­rait l’histoire dans la nature, et opé­re­rait la dis­so­lu­tion de la liber­té dans le règne de la néces­si­té5. » Telle fut pour­tant, à par­tir du milieu du XIXe siècle, la thèse défen­due notam­ment par Herbert Spencer, affir­mant que le pro­grès de la civi­li­sa­tion est « une par­tie de la nature » et qu’en consé­quence le pro­grès n’est pas « un acci­dent mais une néces­si­té » ins­crite dans les lois de l’évolution5. En dépit des allé­ga­tions de Spencer, qui évoque une dyna­mique bien­veillante à l’œuvre dans l’évolution, celle-ci étant cen­sée nous conduire à « la plus grande per­fec­tion » et au « bon­heur le plus com­plet », cette néces­si­té n’a pour­tant rien de bien­fai­sant. Elle implique en effet, au fil de l’évolution, une dif­fé­ren­cia­tion hié­rar­chique au sein de l’espèce humaine, entre les « races civi­li­sées » d’un côté et les « races bar­bares » de l’autre. La dif­fé­ren­cia­tion ne dis­tingue plus ici, comme au temps du pre­mier colo­nia­lisme, celui de l’Espagne et du Portugal, les peuples et les indi­vi­dus dotés d’une âme de ceux qui en sont au contraire dépour­vus ; sous l’effet de la natu­ra­li­sa­tion des socié­tés qu’impliquent les théo­ries de l’évolution, elle devient interne à la nature. Plus l’évolution avance, plus grande est l’hétérogénéité qui se mani­feste en son sein, non seule­ment entre les espèces, mais éga­le­ment, au sein de l’espèce humaine elle-même, entre les races. C’est ain­si que les « races civi­li­sées », le plus sou­vent euro­péennes, se dis­tinguent des « races bar­bares » (Noirs, Asiatiques, Arabes, Amérindiens, etc.), qui se rap­prochent davan­tage des singes, ce dont se sou­vien­dront les trans­hu­ma­nistes plus d’un siècle plus tard en affir­mant que les humains qui refu­se­ront de s’augmenter devien­dront « les chim­pan­zés du futur6 ».

Cette ten­sion au sein de l’espèce humaine entre « races bar­bares » et « races civi­li­sées » implique entre les groupes une com­pé­ti­tion achar­née à laquelle seuls sur­vi­vront les plus « adap­tés », d’où le lexique guer­rier qui fleu­rit alors dans le milieu nais­sant du dar­wi­nisme social : « lutte pour l’existence », « concur­rence », « sélec­tion natu­relle », « sur­vi­vance des plus aptes », etc. Cette idéo­lo­gie, au demeu­rant par­tiel­le­ment étran­gère à la pen­sée de Darwin lui-même7, est bien évi­dem­ment par­fai­te­ment adap­tée au capi­ta­lisme libé­ral qui triomphe pen­dant la seconde moi­tié du XIXe siècle, et dont elle per­met, sui­vant une stra­té­gie aus­si vieille que l’histoire des socié­tés, de légi­ti­mer les inéga­li­tés au pré­texte qu’elles sont ins­crites dans l’ordre de la nature. C’est que la com­pé­ti­tion dont il est ques­tion ici n’oppose pas seule­ment des groupes et des races : elle engage, au sein même des « races civi­li­sées », tous les indi­vi­dus d’un même groupe, car la sélec­tion natu­relle ne s’arrête pas aux portes de la civi­li­sa­tion. Si tou­te­fois elle ne peut s’y expri­mer plei­ne­ment et que tant d’individus « inaptes » y sur­vivent encore, c’est que les ini­tia­tives cari­ta­tives et les inter­ven­tions éta­tiques en faveur des plus faibles y demeurent encore trop nom­breuses. Aussi le dar­wi­nisme social s’engage-t-il logi­que­ment en faveur d’un État mini­mal et du lais­sez-faire, seule condi­tion pour que s’exprime enfin plei­ne­ment la sélec­tion natu­relle et que le pro­grès suive ain­si son chemin.

« La com­pé­ti­tion dont il est ques­tion ici n’oppose pas seule­ment des groupes et des races : elle engage, au sein même des races civi­li­sées, tous les indi­vi­dus d’un même groupe, car la sélec­tion natu­relle ne s’arrête pas aux portes de la civilisation. »

Peu à peu, cepen­dant, les adeptes du dar­wi­nisme social vont réa­li­ser que la puis­sance éta­tique peut être retour­née en leur faveur et célé­brer en consé­quence les retrou­vailles de la néces­si­té et de la liber­té. Liberté d’intervenir au sein d’un pro­ces­sus évo­lu­tif néces­saire pour en pré­ci­pi­ter le cours, en faci­li­tant d’un côté l’élimination des « moins aptes » tout en s’employant de l’autre côté à per­fec­tion­ner les « meilleurs ». Ou pour le dire autre­ment, liber­té de cer­tains humains de deve­nir par­tie pre­nante du méca­nisme de la sélec­tion natu­relle et d’en orien­ter le cours, d’en redou­bler la force par le biais d’une sélec­tion arti­fi­cielle qui pren­dra la forme d’une ingé­nie­rie et d’une hygiène sociale : l’eugénisme est né. L’idée n’est certes pas nou­velle, puisque « dans le pro­jet nor­ma­tif des Lumières, tel que Condorcet le syn­thé­tise et le déve­loppe, on ren­contre notam­ment l’idée d’une amé­lio­ra­tion volon­taire et sys­té­ma­tique de l’espèce humaine par la sélec­tion des pro­créa­teurs, sur le modèle de la sélec­tion ani­male et végé­tale pra­ti­quée par les éle­veurs et les agri­cul­teurs8 ». « Puisque l’on est par­ve­nu à per­fec­tion­ner la race des che­vaux, des chiens, des chats, des poules, des pigeons, des serins, pour­quoi ne ferait-on aucune ten­ta­tive avec les humains ? », se deman­dait par exemple un auteur de la fin du XVIIIe siècle9.

C’est là indé­nia­ble­ment l’un des para­doxes, que l’on retrouve du reste dans nombre de construc­tions anthro­po­lo­giques modernes, de l’eugénisme, qui repose sur un mélange d’hypernaturalisme — la sacra­li­sa­tion de la nature et de ses lois, qu’il ne s’agit pas ici de trans­gres­ser mais d’appliquer — et d’antinaturalisme radi­cal. Comment expli­quer ce mélange d’apparence si para­doxale ? La théo­rie de l’évolution implique que la nature n’est pas sta­tique, qu’elle n’est pas du même pro­dui­sant du même, mais du même pro­dui­sant de l’autre, et plus encore, du mieux, en un pro­ces­sus d’autotransformation et d’autodépassement dont l’humain est jusqu’à pré­sent la figure la plus abou­tie, bien qu’en aucun cas achevée.

[Ana Mendieta]

Car si l’humain est ici per­çu comme un pur pro­duit de l’histoire natu­relle, la voca­tion que lui confie la nature est para­doxa­le­ment celle de dépas­ser la forme pré­sente de son huma­ni­té en l’arrachant à ce qui en elle relève encore de la natu­ra­li­té, comme si la nature ne pou­vait s’accomplir plei­ne­ment que dans ce qui la nie10. Ce para­doxe s’explique aus­si par la concep­tion méca­niste du vivant dans laquelle s’inscrit la théo­rie de l’évolution. La nature étant consi­dé­rée comme une machine, c’est-à-dire comme un arti­fice, et qui plus est comme un arti­fice qui ne cesse de s’améliorer, la natu­ra­li­sa­tion inté­grale de l’humain appelle logi­que­ment son arti­fi­cia­li­sa­tion inté­grale et le per­fec­tion­ne­ment indé­fi­ni de cette arti­fi­cia­li­sa­tion. À cette dif­fé­rence près que « ce que la nature accom­plit aveu­glé­ment, len­te­ment et impi­toya­ble­ment, l’homme peut l’accomplir pru­dem­ment, rapi­de­ment et avec bien­veillance11 », pour reprendre les termes de Francis Galton, l’un des prin­ci­paux théo­ri­ciens de l’eugénisme. Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa thèse fut contre­dite par l’histoire.

Car dès la fin du XIXe siècle, les jour­naux « scien­ti­fiques » et les « socié­tés savantes » qui se mul­ti­plient en Allemagne, en Scandinavie et aux États-Unis n’ont rien de bien­veillant. Elles entendent déter­mi­ner, moyen­nant la col­lecte de cen­taines de mil­liers d’arbres généa­lo­giques, quelles sont les familles dotées de qua­li­tés héré­di­taires et quelles sont, au contraire, les familles viciées par des tares : mala­dies, alcoo­lisme, pau­vre­té, cri­mi­na­li­té, etc. Naturellement, les indi­vi­dus issus de lignées « tarées » — han­di­ca­pés, homo­sexuels, délin­quants, etc. — sont pré­sen­tés non seule­ment comme des indi­vi­dus inutiles, non ren­tables, mais aus­si dan­ge­reux, mena­çant à terme la « qua­li­té » d’ensemble de la socié­té et sa marche vers le pro­grès. Pour évi­ter que les lignées « tarées » ne se repro­duisent et n’en viennent ain­si à « conta­mi­ner » le reste de la socié­té, des mesures d’« hygiène sociale » s’imposent. Elles prennent peu à peu, aux États-Unis comme en Europe, la forme d’une sté­ri­li­sa­tion for­cée des per­sonnes por­teuses de « qua­li­tés héré­di­taires dégé­né­rées ». Cette « hygiène sociale », qui entend s’exercer sur les indi­vi­dus « dégé­né­rés » quelle que soit leur ori­gine, se voit rapi­de­ment accom­pa­gnée et redou­blée d’une « hygiène raciale », toute ou presque toute la science de l’époque pos­tu­lant, nous l’avons vu, qu’il existe des races infé­rieures et des races supé­rieures. Pour évi­ter que les races infé­rieures ne se mélangent aux supé­rieures, qu’elles ne les conta­minent et qu’elles ne les menacent, les États-Unis adoptent par exemple des légis­la­tions inter­di­sant les mariages inter­ra­ciaux et mettent en place, de manière géné­rale, un régime d’apartheid dont le but est de réduire au mini­mum les inter­ac­tions entre les Noirs et les Blancs dans la vie quo­ti­dienne et au sein de l’espace public.

« C’est dans l’Allemagne nazie que les noces entre hygiène sociale et hygiène raciale atteignent leur point culminant. »

Mais c’est dans l’Allemagne nazie que les noces entre hygiène sociale et hygiène raciale atteignent leur point culmi­nant, et où les sté­ri­li­sa­tions for­cées (qui touchent plus de 400 000 per­sonnes pen­dant la décen­nie du pou­voir nazi) et la ségré­ga­tion raciale cèdent peu à peu la place au meurtre et à l’extermination, les Juifs pre­nant ici, comme cha­cun sait, la place occu­pée aux États-Unis par les Noirs. En 1942, la solu­tion finale est mise en place, mar­quant à bien des égards le point culmi­nant et la forme la plus exa­cer­bée de l’eugénisme et de la bio­lo­gi­sa­tion du social qui hantent les socié­tés occi­den­tales depuis des décen­nies12.

Au XIXe siècle, le dar­wi­nisme social fut une des prin­ci­pales et une des plus puis­santes idéo­lo­gies de légi­ti­ma­tion de l’expansion capi­ta­liste. Au niveau inter­na­tio­nal tout d’abord, où elle per­mit de jus­ti­fier les ordres sociaux inéga­li­taires et coer­ci­tifs ins­tau­rés par les dif­fé­rentes formes de colo­ni­sa­tion. Au niveau natio­nal ensuite, à l’intérieur même des nations colo­ni­sa­trices, où elle per­mit de natu­ra­li­ser la dif­fé­ren­cia­tion hié­rar­chique de la socié­té en classes, et de pré­pa­rer le ter­rain aux idéo­lo­gies et aux pra­tiques eugé­nistes qui devaient s’imposer dans les décen­nies sui­vantes. Après la Seconde Guerre mon­diale, au cours de laquelle l’hygiène socio-raciale consub­stan­tielle aux pra­tiques eugé­nistes attei­gnit son point culmi­nant dans l’extermination des Juifs d’Europe et d’un nombre consé­quent de Tziganes, d’homosexuels et de per­sonnes han­di­ca­pées, l’eugénisme fut logi­que­ment dis­cré­di­té. Mais cette éclipse s’explique aus­si sans doute en par­tie par la construc­tion, après 1945, d’États-providence sou­cieux de tem­pé­rer les dimen­sions les plus com­pé­ti­tives du capi­ta­lisme par une redis­tri­bu­tion des richesses et un sys­tème com­plexe de soli­da­ri­tés sociales, lui-même fon­dé sur la crois­sance excep­tion­nelle connue par de nom­breux pays dans les décen­nies d’après-guerre. D’aucuns, cepen­dant, jugent que le capi­ta­lisme est entré depuis les années 1970 dans une période de crise struc­tu­relle, et que la réduc­tion de ses marges de pro­fit n’est plus com­pa­tible avec la per­pé­tua­tion d’un État-pro­vi­dence fort, d’où l’avènement d’une ère néo­li­bé­rale mar­quée par la réduc­tion pro­gres­sive des anciens sys­tèmes de redis­tri­bu­tion de la richesse et par la recru­des­cence des logiques com­pé­ti­tives13.

[Ana Mendieta]

L’un des prin­ci­paux symp­tômes de ce capi­ta­lisme en crise, c’est la ten­dance à la raré­fac­tion du tra­vail. Voire, selon plu­sieurs théo­ri­ciens, à la fin du tra­vail, en rai­son du rem­pla­ce­ment ten­dan­ciel du tra­vail sala­rié par des machines, ce que l’on nomme géné­ra­le­ment l’automatisation. Cette raré­fac­tion du tra­vail entraîne évi­dem­ment la mul­ti­pli­ca­tion de ce que cer­tains ont appe­lé des « hommes inutiles14 » ou « non ren­tables » eu égard à l’accumulation du capi­tal. « Ce n’est plus, nous dit par exemple le groupe Krisis dans son remar­quable Manifeste contre le tra­vail, la malé­dic­tion biblique : tu man­ge­ras ton pain à la sueur de ton front qui pèse sur les exclus, mais un nou­veau juge­ment de dam­na­tion encore plus impi­toyable : tu ne man­ge­ras pas, parce que ta sueur est super­flue et inven­dable15. »

Cette raré­fac­tion entraîne évi­dem­ment un accrois­se­ment de la com­pé­ti­tion pour l’accès au tra­vail raré­fié chez ceux qui n’ont pas de tra­vail, et un accrois­se­ment de la com­pé­ti­tion pour conser­ver son tra­vail, deve­nu rare, chez ceux qui en ont un, pro­dui­sant ain­si une socié­té où le tra­vail écrase autant par sa pré­sence que par son absence. Mais la per­ver­si­té de cette situa­tion ne s’arrête pas là, loin s’en faut, car la socié­té capi­ta­liste en crise, non contente de pro­duire une masse sans cesse crois­sante d’hommes « inutiles », s’emploie à mettre en place des dis­po­si­tifs idéo­lo­giques et psy­cho­lo­giques moyen­nant les­quels la « réus­site » des uns et « l’échec » des autres n’est pas attri­bué aux évo­lu­tions inhé­rentes au sys­tème, mais aux « mérites » de cha­cun. L’implacable « tu ne man­ge­ras pas, parce que ta sueur est super­flue et inven­dable » se trans­forme ain­si en un « tu ne man­ge­ras pas, parce que tu n’es pas capable de faire valoir ta sueur ». Chaque indi­vi­du est ain­si som­mé de por­ter l’entière res­pon­sa­bi­li­té de sa situa­tion sociale et éco­no­mique, et de trou­ver en lui les res­sorts néces­saires pour main­te­nir son sta­tut d’« homme utile » ou pour se libé­rer au contraire de son sta­tut d’« homme inutile », don­nant ain­si lieu à un véri­table « for­ma­tage concur­ren­tiel des sub­jec­ti­vi­tés16 ». La com­pé­ti­tion se trans­forme alors en une lutte à mort pour la sur­vie et consti­tue « un res­sort d’adaptabilité, ten­du à bloc au cœur des sub­jec­ti­vi­tés17 ».

« Le trans­hu­ma­nisme est à bien des égards l’une des idéo­lo­gies de légi­ti­ma­tion du capi­ta­lisme néolibéral. »

Pour être com­pé­ti­tif, il convient notam­ment d’optimiser ses capa­ci­tés phy­siques et psy­chiques afin de maxi­mi­ser son uti­li­té, par exemple en culti­vant le bien-être et un état d’esprit « posi­tif », condi­tion sine qua non de l’efficacité et de la pro­duc­ti­vi­té au tra­vail18. Sous ses formes les plus exa­cer­bées, cette opti­mi­sa­tion peut éga­le­ment prendre la forme, plus pré­cise, plus « scien­ti­fique », d’une mesure et d’une quan­ti­fi­ca­tion per­ma­nente de la « qua­li­té » du fonc­tion­ne­ment des corps, de ses per­for­mances et de ses humeurs, don­nant ain­si nais­sance à un véri­table « soi quan­ti­fié ». Tout comme l’humain de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, som­mé de se sou­mettre à toutes sortes de tech­niques — anthro­po­mé­trie, cra­nio­mé­trie, phré­no­lo­gie — des­ti­nées à mesu­rer et à quan­ti­fier ses capa­ci­tés phy­siques et cog­ni­tives, l’individu contem­po­rain est invi­té par la norme com­pé­ti­tive qui défi­nit sa sub­jec­ti­vi­té à pré­le­ver, à l’aide de cap­teurs pla­cés dans des objets connec­tés qu’il uti­lise dans sa vie quo­ti­dienne, des don­nées rela­tives au fonc­tion­ne­ment de son corps et de sa psy­ché, afin de les ana­ly­ser et d’en mesu­rer les per­for­mances. Il pour­ra ain­si iden­ti­fier les fac­teurs de « troubles » — acti­vi­tés, lieux, indi­vi­dus — qui tendent à induire une baisse de ses per­for­mances et les éli­mi­ner en conséquence.

C’est dans ce contexte socio­lo­gique, éco­no­mique et psy­chique qu’il faut com­prendre l’avènement du trans­hu­ma­nisme, qui est à bien des égards l’une des idéo­lo­gies de légi­ti­ma­tion du capi­ta­lisme néo­li­bé­ral19. Car comme le sujet néo­li­bé­ral, le sujet trans­hu­ma­niste est appe­lé à consi­dé­rer son corps et son esprit, en un mot sa per­sonne, comme un capi­tal à gérer, à déve­lop­per et à opti­mi­ser. Le for­ma­tage concur­ren­tiel des sub­jec­ti­vi­tés, cepen­dant, ne peut être entiè­re­ment satis­fai­sant, car la sub­jec­ti­vi­té est par défi­ni­tion une réa­li­té aux contours flous, com­plexes, qu’il est dif­fi­cile de maî­tri­ser inté­gra­le­ment et qui est tra­di­tion­nel­le­ment la source d’une remise en cause des normes sociales ; le bas­tion de la vie inté­rieure ne se laisse pas aisé­ment conqué­rir. Ainsi l’intériorisation des normes sociales de com­pé­ti­ti­vi­té, aus­si puis­sante soit-elle, ne peut-elle suf­fire à garan­tir l’amélioration de la qua­li­té des indi­vi­dus. Au for­ma­tage psy­chique des sub­jec­ti­vi­tés doit donc s’ajouter le for­ma­tage géné­tique des corps. C’est ain­si que Max More […] affirme que : « Nous ne serons plus esclaves de nos gènes. Nous pren­drons en charge notre pro­gram­ma­tion géné­tique et achè­ve­rons notre pro­ces­sus bio­lo­gique et neu­ro­lo­gique20 ». C’est ce que les trans­hu­ma­nistes, usant d’un lan­gage qu’ils affec­tionnent, celui des « droits » et des « liber­tés21 », pré­sentent comme une « liber­té mor­pho­lo­gique », soit la pos­si­bi­li­té, pour chaque indi­vi­du, de modi­fier son corps comme bon lui semble : l’heure de l’eugénisme libé­ral22 et auto­gé­ré a son­né, et le trans­hu­ma­nisme en est le nom23. Cette résur­gence de l’eugénisme est évi­dem­ment tout sauf un hasard. Historiquement, nous l’avons vu, l’eugénisme vise à libé­rer la socié­té de ses « far­deaux vivants », de ses « semi-humains », de ses « ava­riés » et de ses « exis­tences super­flues24 », aus­si n’est-il pas sur­pre­nant qu’il res­sur­gisse aujourd’hui, fort de la puis­sance nou­velle que lui confèrent les bio­tech­no­lo­gies, dans un contexte où les « hommes inutiles » se multiplient.

[Ana Mendieta]

Les pro­grès ful­gu­rants du séquen­çage du génome humain per­mettent d’ores et déjà d’éliminer les mal­for­ma­tions infan­tiles et les mala­dies héré­di­taires. Grâce aux immenses avan­cées de la science et de la méde­cine, il n’est plus néces­saire désor­mais que cet eugé­nisme néga­tif assume les formes bru­tales qu’il a connu par le pas­sé, en sté­ri­li­sant ou en exter­mi­nant des popu­la­tions dont les « tares » sup­po­sées ne pou­vaient appa­raître qu’après la nais­sance. C’est aujourd’hui en amont, avant même la nais­sance, et par­fois même avant le début de la gros­sesse, que les traits indé­si­rables et les indi­vi­dus indé­si­rables aux­quels ils pour­raient don­ner nais­sance doivent être éli­mi­nés. Certes, cette éli­mi­na­tion engage pour l’instant essen­tiel­le­ment des traits impli­quant le plus sou­vent d’immenses souf­frances pour les per­sonnes qui en sont ou en seraient affec­tées. Elles posent de ce fait des ques­tions éthiques com­plexes et redou­tables qu’il n’est pas facile de tran­cher. Mais rien n’indique que la gamme des traits jugés indé­si­rables ne puisse pas s’étendre de façon incon­trô­lable pour inclure peu à peu des élé­ments tota­le­ment étran­gers à tout cri­tère « objec­tif » de bien-être phy­sique ou psy­cho­lo­gique. L’on sait déjà qu’en Inde, dans cer­taines entre­prises, les matières repro­duc­tives d’une don­neuse indienne coûtent 7 500 euros tan­dis que leur coût s’élève à 17 500 euros dans le cas d’une don­neuse euro­péenne de type « cau­ca­sien ». Comment affir­mer qu’à terme, cer­taines carac­té­ris­tiques phy­siques liées à la cou­leur de peau ou à la taille ne seront pas sys­té­ma­ti­que­ment éli­mi­nées faute de satis­faire aux normes sociales, cultu­relles ou éco­no­miques hégémoniques ?

Mais sans doute faut-il éga­le­ment renon­cer enfin à l’opposition quelque peu arbi­traire entre eugé­nisme néga­tif et eugé­nisme posi­tif : éli­mi­ner cer­tains traits, c’est tou­jours, in fine, en sélec­tion­ner et en favo­ri­ser d’autres, et s’engager ain­si dans un pro­ces­sus d’amélioration et d’optimisation de l’humain dont les limites sont impos­sibles à fixer. Aussi les centres de pro­duc­tion de bébés sont-ils appe­lés à déter­mi­ner un nombre crois­sant de carac­té­ris­tiques liées à la san­té sup­po­sée des per­sonnes, à leur appa­rence phy­sique ou encore à la per­son­na­li­té dont on pense qu’elles seront dotées. Et pour­quoi pas, à terme, à ouvrir la pos­si­bi­li­té de sélec­tion­ner les traits géné­tiques les plus favo­rables à l’allongement de la durée de vie et à l’avènement d’un humain immortel ?

« Les êtres occu­pant le bas de la hié­rar­chie socio-éco­lo­gique seront voués à être réduits en escla­vage ou à disparaître. »

« Le but de l’eugénisme est d’être une science d’amélioration et d’élevage » des­ti­née à « don­ner aux races ou à des lignées de sang appro­priées une meilleure chance de pré­va­loir sur les moins appro­priées » écri­vait Francis Galton, l’un de ses pre­miers idéo­logues, dès le XIXe siècle25. Dans le cadre nou­veau du capi­ta­lisme néo­li­bé­ral, la réfé­rence à des races et à des lignées n’est plus à l’ordre du jour, non seule­ment parce qu’elle est deve­nue poli­ti­que­ment inac­cep­table, mais parce que c’est désor­mais l’individu seul, en dehors de toute appar­te­nance et de toute filia­tion, qui est appe­lé à entrer en com­pé­ti­tion avec ses sem­blables. Dans ce contexte, la défi­ni­tion ori­gi­nelle de l’eugénisme pour­rait être refor­mu­lée comme suit : « l’eugénisme est une science d’amélioration et d’élevage dont le but est de per­mettre aux indi­vi­dus de faire pré­va­loir leur uti­li­té et celle de leur des­cen­dance au détri­ment d’autres indi­vi­dus voués à l’inutilité ». Enfin, dans le cadre spé­ci­fi­que­ment trans­hu­ma­niste du capi­ta­lisme néo­li­bé­ral, l’on pour­rait dire que « l’eugénisme est une science d’amélioration et d’élevage dont le but est de maxi­mi­ser l’utilité de cer­tains êtres humains en les ren­dant immor­tels, au détri­ment d’autres êtres humains qui, eux, demeu­re­ront mor­tels ».

L’on retrouve ici la triade de la rela­tion entre mort et pou­voir si pro­fon­dé­ment mise en lumière par [l’an­thro­po­logue] Louis-Vincent Thomas : pou­voir de la mort, pou­voir par la mort et pou­voir sur la mort26. Le pou­voir de la mort tout d’abord, que les trans­hu­ma­nistes jugent scan­da­leux, pour ne pas dire inso­lent, et dont ils sou­haitent s’affranchir. Le pou­voir par la mort ensuite, car même si la menace létale n’est pas à ce jour expli­ci­te­ment bran­die par les trans­hu­ma­nistes, le simple fait de décla­rer que les humains qui refu­se­ront de s’augmenter seront les « chim­pan­zés du futur » laisse entendre avec une grande clar­té, eu égard au sort aujourd’hui réser­vé aux grands singes, que les êtres occu­pant le bas de la hié­rar­chie socio-éco­lo­gique seront voués à être réduits en escla­vage ou à dis­pa­raître. Le pou­voir sur la mort enfin, dont la conquête est le rêve et le vœu le plus cher des trans­hu­ma­nistes, le sens pro­fond de leur ral­lie­ment au pro­jet eugé­niste. Car pour eux, comme pour Bacon cinq cent ans aupa­ra­vant, la mani­pu­la­tion et l’optimisation de l’humain ne repré­sentent pas un but en soi ; leur visée ultime, c’est l’abolition de la mort.

[Ana Mendieta]

D’ores et déjà, le som­meil, cette petite mort répa­ra­trice que la vie nous octroie quo­ti­dien­ne­ment, est dans le viseur du capi­ta­lisme27. Dans le sillage de recherches de l’armée amé­ri­caine por­tant sur un oiseau migra­teur, le bruant à gorge blanche, dont la par­ti­cu­la­ri­té est de pou­voir voler plu­sieurs jours de suite sans dor­mir, des scien­ti­fiques rêvent non seule­ment de créer un jour des sol­dats insom­niaques, tou­jours prêts pour le com­bat, mais éga­le­ment des tra­vailleurs et des consom­ma­teurs sans som­meil. À défaut de pou­voir dès aujourd’hui modi­fier la phy­sio­lo­gie humaine à cette fin, le capi­ta­lisme s’efforce, via notam­ment les tech­no­lo­gies numé­riques, de façon­ner socia­le­ment, dans le cadre d’une tem­po­ra­li­té de plus en plus indif­fé­ren­ciée, un être humain sans cesse dis­po­nible, sans cesse mobi­li­sable, sans cesse connec­té et pro­dui­sant ain­si sans inter­rup­tion des don­nées aisé­ment exploi­tables par les entre­prises et par les États.

Se des­sinent dès lors peu à peu les contours d’un monde sans contours ; un monde où l’alternance ances­trale du jour et de la nuit, de la veille et du som­meil, de l’ombre et de la lumière, du repos et de l’activité, du silence et du bruit, tend à s’effacer ; un monde sans vide, sans vacance, ni latence, sans inter­stice, sans fis­sure, ni blanc, sans trêve ni per­mis­sion ; en bref, un monde sans mort. Car si hyp­nos est le doux frère de tha­na­tos, comme le chan­tait déli­ca­te­ment Homère à l’aube de notre civi­li­sa­tion, la conquête du som­meil annonce iné­luc­ta­ble­ment la conquête de la mort. C’est que la mort, pour le capi­ta­lisme, consti­tue la der­nière fron­tière, le scan­dale ultime, car les morts ne pro­duisent ni ne consomment ; ils ne par­ti­cipent pas à l’accumulation de la valeur.


Texte extrait de La Terre, les corps, la mort — Essai sur la condi­tion ter­restre, de Pierre Madelin, publié aux édi­tions Dehors, en 2022.


Photographie de vignette et de ban­nière : Ana Mendieta


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  1. « Le péla­gia­nisme, en réfé­rence au moine Pélage, est une doc­trine selon laquelle l’homme peut assu­rer son salut par ses seuls mérites. »[]
  2. Pierre-André Taguieff, Le Sens du pro­grès. Une approche his­to­rique et phi­lo­so­phique (2004), Flammarion, 2006.[]
  3. Johann G. Fichte est aux yeux de Taguieff l’archétype du phi­lo­sophe pro­gres­siste cen­tré sur la liber­té. Voir Pierre-André Taguieff, ibid., p. 73–75.[]
  4. Pierre-André Taguieff, ibid., p. 74.[]
  5. Pierre-André Taguieff, ibid., p. 79.[][]
  6. Expression employée par le pro­fes­seur de cyber­né­tique et théo­ri­cien trans­hu­ma­niste Kevin Warwick dans son livre I, Cyborg (2002) : « Ceux qui dési­re­ront res­ter humains et refu­se­ront de s’améliorer auront un sérieux han­di­cap. Ils consti­tue­ront une sous-espèce et for­me­ront les chim­pan­zés du futur. » Expression cri­ti­quée par le col­lec­tif Pièces et Main d’œuvre dans Manifeste des chim­pan­zés du futur. Contre le trans­hu­ma­nisme. Grenoble, Service Compris, 2017, ndlr.[]
  7. Voir Patrick Tort, Darwin et le dar­wi­nisme (1997), PUF, 2022. []
  8. Pierre-André Taguieff, Le Sens du pro­grès, op. cit., p. 128.[]
  9. Charles Augustin Vandermonde cité par Pierre-André Taguieff, ibid., p. 111.[]
  10. Taguieff com­mente à ce pro­pos : « L’homme, cet être natu­rel, peut et doit pour­suivre le tra­vail auto­trans­for­ma­teur de la nature en la connais­sant par la science et en la trans­for­mant par la tech­nique. Étant une par­tie de la nature, il est voué à trans­for­mer sa propre nature, pour l’améliorer. » Voir Pierre-André Taguieff, ibid., p. 135–136.[]
  11. Francis Galton, « Eugenics, its defi­ni­tion, scope and aims », Sociological Papers, Londres, Macmillan, 1905, p. 50. Cité par Pierre-André Taguieff, dans Le Sens du pro­grès, op. cit., p. 134.[]
  12. Voir sur ce point André Pichot, La Société pure. De Darwin à Hitler (2000), Flammarion, 2009.[]
  13. Voir Ernst Lohoff et Norbert Trenkle, La Grande déva­lo­ri­sa­tion. Pourquoi la spé­cu­la­tion et la dette de l’État ne sont pas les causes de la crise (2012), Post, 2014.[]
  14. Pierre-Noël Giraud, L’Homme inutile. Une éco­no­mie poli­tique du popu­lisme, Odile Jacob, 2018.[]
  15. Groupe Krisis, Manifeste contre le tra­vail (2012), Albi, Crise et Critique, 2020, p. 30.[]
  16. Jérôme Baschet, Adieux au capi­ta­lisme. Autonomie, socié­té du bien vivre et mul­ti­pli­ci­té des mondes, La Découverte, 2014., p. 39.[]
  17. Jérôme Baschet, ibid., p. 42.[]
  18. Eva Illouz et Edgar Cabanas, Happycratie. Comment l’industrie du bon­heur a pris le contrôle de nos vies, Premier Parallèle, 2018.[]
  19. Sur les liens entre trans­hu­ma­nisme et capi­ta­lisme néo­li­bé­ral, voir le remar­quable ouvrage de Nicolas le Dévédec, Le Mythe de l’humain aug­men­té. Une cri­tique poli­tique et éco­lo­gique du trans­hu­ma­nisme, Montréal, Écosociété, 2021.[]
  20. Max More, « A Letter to Mother Nature », 1999, révi­sé en 2009, amen­de­ment n° 5 (consul­table sur Internet).[]
  21. Mark Hunyadi, Le Temps du post­hu­ma­nisme. Un diag­nos­tic d’époque, Belles Lettres, 2018. L’on peut lire par exemple sur le site de la WTA (World trans­hum­nist asso­cia­tion), que « tout le monde devrait être libre de pro­lon­ger sa vie et de prendre des arran­ge­ments en vue de sa sus­pen­sion cryo­nique […] le pro­lon­ge­ment de sa vie consti­tue un droit humain fon­da­men­tal ».[]
  22. Jürgen Habermas, L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugé­nisme libé­ral ? (2001), Gallimard, 2015.[]
  23. Les trans­hu­ma­nistes sou­lignent d’ailleurs que la pre­mière occur­rence du terme trans­hu­ma­nisme se trouve dans un texte de Julian Huxley, soit l’un des prin­ci­paux théo­ri­ciens de l’eugénisme au XXe siècle.[]
  24. Formules citées par Jean-Marc Royer, Le Monde comme pro­jet Manhattan. Des labo­ra­toires du nucléaire à la guerre géné­ra­li­sée au vivant, Le Passager clan­des­tin, 2017, p. 310.[]
  25. Cité par Pierre-André Taguieff, Le Sens du pro­grès, op. cit., p. 132–133.[]
  26. Voir le cha­pitre 2 sur ce point : « Dans un ouvrage désor­mais clas­sique, l’anthropologue Louis-Vincent Thomas a sou­li­gné qu’il exis­tait dans nombre de socié­tés un lien étroit, situé à trois niveaux, entre mort et pou­voir : pou­voir de la mort, pou­voir par la mort et pou­voir sur la mort. Il existe en effet en pre­mier lieu un pouvoir de la mort, dans la mesure où il n’appartient pas aux êtres vivants, et notam­ment aux êtres humains, de déci­der s’ils vont mou­rir ou non. La mort échappe à l’emprise de la volon­té humaine, et il y a dans le fait de la mort un arbi­traire abso­lu qui est non seule­ment à l’origine d’une conscience traumatique et d’un déni, mais qui semble qui plus est annu­ler et même ridi­cu­li­ser le pou­voir de ceux qui exercent une domi­na­tion quelle qu’elle soit. […] Face à ce pou­voir de la mort, la réac­tion des domi­nants consiste bien sou­vent à exer­cer un pou­voir par la mort, en s’appropriant la puis­sance de la mort pour dis­po­ser du corps et de la vie des êtres qu’ils dominent. Enfin, et c’est évi­dem­ment un point cru­cial eu égard à mon pro­pos dans ce livre, les domi­nants tendent à s’octroyer un pou­voir sur la mort elle-même, pou­voir qui non seule­ment confirme et exa­cerbe leur puis­sance mais qui leur per­met aus­si de se dis­tin­guer de façon déci­sive des êtres qu’ils dominent », infra, p. 65–66. Voir Louis-Vincent Thomas, Mort et pou­voir, Payot, 1998.[]
  27. Jonathan Crary, 24/7. Le Capitalisme à l’assaut du som­meil (2013), La Découverte, 2016.[]

REBONDS

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Pierre Madelin

Traducteur de nombreux ouvrages d'écologie politique et de philosophie environnementale. Auteur de plusieurs essais dont Carnets d'estives (Wildproject, 2016) et Faut-il en finir avec la civilisation ? (Écosociété, 2020).

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