Des champs mécanisés, des territoires en résistance, des sexes et des genres, une libertaire et un briseur de grèves, un poète foutraque disparu, un socialisme de la coopération, chaque animal est une personne, le feu de Baldwin, une chaîne de travail à l’usine, l’autonomie politique ou les droits étatiques : nos chroniques du mois de mai.
☰ La Plaine : récits de travailleurs du productivisme agricole, de Gatien Elie
Traversée pour rejoindre Paris depuis l’ouest ou quitter la capitale dans le sens inverse, connue pour ses vastes étendues monotones ponctuées d’éoliennes et de silos, la Beauce a peu à voir avec l’image d’Épinal d’une paysannerie éternelle. Cette dernière, cristallisée par la caméra de Raymond Depardon dans ses Profils paysans, émeut et séduit là où les exploitants céréaliers du Bassin parisien laissent indifférents ou, pis, excèdent en raison de leur productivisme et de leur soutien à une FNSEA omniprésente. Gatien Elie, professeur d’histoire-géographie à Saint-Denis, se garde ici de tout jugement : les témoignages recueillis auprès d’agriculteurs, de semenciers, d’assureurs ou de banquiers ouvrent sur un monde à part dont chaque membre est interdépendant — impossible de se satisfaire d’un seul tracteur quand les parcelles se multiplient et s’étirent ; impossible aussi désormais de réparer ses machines soi-même ; impossible encore d’imaginer se défaire des engrais, des pesticides et des fongicides associés tant la terre en a ingéré. Les drones ciblant les zones à pulvériser ou les GPS intégrés aux engins sont le signe que l’agriculture n’échappe pas à l’automatisation de sa pratique. L’agriculteur est dès lors « obsolète », avance l’auteur en reprenant le philosophe allemand Günther Anders : dans les champs, « il n’y a personne ». La beauté du lieu devient paradoxale : « à cette saison, fin octobre, le sol est recouvert de ces semences enrobées de pesticides qui se dispersent, hasard de semoir, en milliers de points rouges sur la terre brune. » Le charme n’opère pas. Elie conclut par un songe : « Je revois les parcelles régulières, mécaniques et tristes. Les terrains vagues et les sacs d’engrais. Les silos de béton. Les phares des camions. La balle de maïs emportée dans le vent silencieux et la terre noire couvrant le paysage morne de la plaine. Je repense à la laideur, à l’acceptation de la laideur. » Et nous laisse amer. [R.B.]
Éditions Amsterdam, 2018
☰ Errekaleor — Territoires en bataille, n°1, du collectif Mauvaise troupe
Errekaleor : un quartier hors de la ville de Gasteiz, dans le Pays basque espagnol, quoiqu’en son sein en même temps ; un ensemble de seize barres construit en 1959 dans ce qui était encore une campagne pour loger les ouvriers de l’industrie locale ; un îlot dépérissant, un temps caché par une ceinture verte plantée par la municipalité ; « le plus grand squat du Pays basque », également. Le collectif Mauvaise troupe — à qui l’on doit des récits de lutte et de vie à Notre-Dame-des-Landes (Saisons — nouvelles de la ZAD, 2017), croisés avec ceux du mouvement No-Tav (Contrées, 2016) ou insérés dans la magistrale fresque sur ce que le XXIe siècle recèle de révolutionnaire (Constellations, 2014) — lance le premier de ses reportages sur ce qu’il nomme les « territoires en bataille ». Ancré à la ZAD mais ouvert aux voyages, le collectif s’est rendu au quartier d’Errekaleor pour y écouter les récits d’un lieu que la municipalité et l’État veulent voir disparaître. Alors qu’une poignée de propriétaires habitaient encore les appartements dont l’avenir était la démolition, les premiers squatteurs sont accueillis en 2013 : y renaît un espace profondément attaché à des valeurs communes — « parler la langue basque est une de celles-ci tout comme l’anticapitalisme, le féminisme et la recherche de la souveraineté alimentaire ». La mémoire des combats locaux est inscrite sur les murs, le partage de ceux de maintenant se fait à travers des bertso saio, ces improvisations chantées en euskara. La Mauvaise troupe nous conte le quotidien d’un lieu trop peu commun, mais aussi sa rage contre les assauts d’un État aménageur et d’un nationalisme basque peu partageux. Le jumelage entre la ZAD et le quartier squatté de Gesteiz, officialisé en avril, paraît dès lors être la matérialisation de ce que souhaitent faire les auteurs de ce premier numéro : « c’est bien moins d’une convergence des luttes
dont nous avons besoin — qui suppose que celles-ci prennent une même direction pour se rejoindre en un point mystérieux — que de liens profonds et spécifiques entre chaque territoire, chaque situation singulière. » [R.B.]
Auto-édition, 2018
☰ Sexe, genre et sexualités, d’Elsa Dorlin
« Le sexe désigne communément trois choses : le sexe biologique, tel qu’il nous est assigné à la naissance — sexe mâle ou femelle —, le rôle ou le comportement sexuels qui sont censés lui correspondre — le genre, provisoirement défini comme les attributs du féminin et du masculin — que la socialisation et l’éducation différenciées des individus produisent et reproduisent ; enfin la sexualité, c’est-à-dire le fait d’avoir une sexualité, d’avoir
ou de faire
du sexe. » Les théories féministes s’attachent à problématiser ensemble ces trois dimensions. Comment démêler les significations de ces termes tellement imbriqués dans le langage parlé ? Comment penser les différences ayant rapport au sexe sans reconduire la normativité hétérosexuelle ? Et comment penser de manière matérialiste et militante tout en faisant de la science ? Ces questions trouvent leurs réponses dans ce petit livre d’Elsa Dorlin. Véritable mine d’informations et de références, cette introduction aux théories féministes guide le lecteur pas à pas dans le dédale des débats et controverses. Allant du rapport au savoir à la politique des corps, Dorlin fait la part belle aux épistémologies situées, aux théories post-coloniales et à la praxis queer, pour permettre d’éclairer les soubassements de la reproduction de l’ordre sexiste, tant dans nos pratiques que dans nos esprits. Cela implique de problématiser la question du rapport à la médecine mais aussi à la psychanalyse, et bien sûr à la politique. Écrit comme un manuel d’introduction, l’ouvrage offre une synthèse toujours actuelle des débats traversant les luttes féministes : on en (re)découvre la diversité et la richesse. [J.G.]
Éditions PUF, 2008
☰ Georges & Louise, de Michel Ragon
Ce n’est pas seulement parce que Michel Ragon est l’inoubliable auteur de l’épopée anarchiste du XXe siècle, La Mémoire des vaincus, qu’il faut lire ce livre qui hésite entre l’essai historique et le roman vrai. C’est d’abord parce que l’on y croise deux figures que tout semblait séparer mais dont l’amitié sans failles demeure bouleversante : celles de Georges Clemenceau, dont on réalise qu’il fut blanquiste avant de devenir « premier flic de France » et Louise Michel, directrice d’école sur la Butte-Montmartre quand elle rencontre Georges en pleine Commune. Certes, on ne peut s’empêcher de penser que leur amitié n’aurait pas survécu si Louise n’était pas morte en 1905, alors que Georges, seulement sénateur, n’avait pas encore eu le temps de renier, au pouvoir, l’essentiel de ce qu’il avait défendu quand il luttait contre le pouvoir. Bien plus, on se demande si ce n’est pas la disparition de cette amie capable de dire son fait à tous qui déverrouilla en lui les derniers scrupules, comme s’il n’avait plus de comptes à rendre aux fantômes de sa jeunesse. Demeure le mystère de cette conversion oublieuse, par laquelle le vieil homme s’assoit sur ses rêves libertaires et envoie la troupe briser les grèves. Ce qui marque pourtant le plus dans ce texte est la figure de Louise, fidèle par-delà toutes les vicissitudes de la vie et de la prison à quelques idées fixes. On l’aime dans sa fougue parfois suicidaire — quand elle prétend s’en aller assassiner Thiers ; on l’aime en Nouvelle-Calédonie se passionnant pour la culture kanak ; dans les meetings, blessée à la tête par un Chouan et refusant de porter plainte ; on l’aime solitaire, et finalement dure comme le sont ceux qui sacrifient tout à une cause. Louise, qui aurait pu cent fois choisir le confort procuré par sa notoriété, mourut miséreuse mais préserva la grandeur d’âme que Georges, devenu notable, aura foulée aux pieds au nom d’un pragmatisme assassin. Cette histoire d’amitié improbable est d’abord la preuve qu’aucun destin n’est écrit. Et qu’au tribunal de la grande Histoire, les petits gagnent souvent ce que les puissants perdent : dans notre mémoire, c’est Louise qui rit et Georges qui pleure. [A.B.]
Livre de Poche, 2002
☰ L’Express de Bénarès, de Frédéric Vitoux
Voici donc un curieux livre, dont on s’empare à cause du titre si prometteur et dans lequel on s’engouffre à la suite du personnage qui lui vaut son sous-titre : « À la recherche d’Henry J.-M Levet ». Qui fut-il, ce poète foutraque dont ne demeurent, dans les anthologies, que quelques poèmes en forme de « cartes postales », parmi lesquels on trouve ces vers joueurs dédiés à Rubén Darío : « Ni les attraits des plus aimables Argentines / Ni les courses à cheval dans la pampa, / N’ont le pouvoir de distraire de son spleen / Le Consul général de France à La Plata ! » ? C’est tout le problème : on ne sait pas, on ne sait plus. C’est pourquoi l’auteur se lance dans une quête très intime, entrelaçant sa propre histoire à celle du dandy malheureux, traquant les raisons de l’aimer autant que la vérité impossible. Il cherche des images de lui, des traces de sa famille et de ses amis, le roman perdu qui prête son titre au livre. Ce faisant, il nous donne à voir toute une galerie de personnages du Paris début de siècle. L’un des plus attachants se nomme Francis Jourdain, fils d’un architecte, lui-même peintre et anarchiste, organisateur d’une manifestation pour accueillir Louise Michel de retour à Paris en 1895, proche de Jean Grave et de Sébastien Faure, engagé auprès d’Octave Mirbeau, membre d’une bohème qui rêvait d’Art pour tous (titre d’une revue fondée par ce dernier) et défendant l’idéal de l’artisan-artiste ou de l’ouvrier d’art. Quant à Levet, cet anti-héros par excellence, poète maudit et chroniqueur impavide, on le suit jusqu’aux Indes, aux Philippines et aux Canaries, avant qu’il ne s’en revienne mourir de tuberculose à 33 ans dans le sud de la France. Il y a de la nostalgie et de l’inquiétude plus encore que de l’admiration dans ce livre qui se demande surtout ce que signifie la résurrection littéraire, et qui tente un pari fou, plus beau d’être sans illusions : celui de ranimer un instant la flamme vacillante d’une vie secrète, perdue dans les plis de l’Histoire. [A.B.]
Éditions Fayard, 2018
☰ L’Âme humaine sous le socialisme, d’Oscar Wilde
Belle preuve qu’il faut toujours aller chercher derrière les romanciers qu’on aime les hommes qu’on espère : il peut y avoir de bonnes surprises. Voici donc Oscar Wilde le réprouvé, père de l’inoubliable Dorian Gray, métaphore par excellence des vices de la société moderne, abîmé par les plaisirs sans tendresse, les mondanités stupides et l’appât du lucre. On l’aimait en raconteur d’histoires, on va l’adorer en pamphlétaire. Le texte est court mais salutaire et incroyablement visionnaire : il y défend l’idée d’un socialisme libertaire qui changerait le monde en supprimant la propriété privée tout en se méfiant des pièges de l’autoritarisme. « Le socialisme, le communisme — appelez comme vous voudrez le fait de convertir toute propriété privée en propriété publique, de substituer la coopération à la concurrence — rétablira la société dans son état d’organisation absolument sain, il assurera le bien-être matériel de chaque membre de la société. En fait, il donnera à la vie sa vraie base, le milieu qui lui convient. » Mais attention, tout cela ne marche qu’à condition de préserver l’individualisme, qui n’est jamais que le sommet de la liberté, allié au sens de la justice le plus aigu, sans quoi l’on sombre dans une barbarie pire que celle que l’on prétendait éviter : « Toute association doit être entièrement volontaire. » Ne nous leurrons pas : il manque un mode d’emploi dans ce livre, un résumé des étapes qu’il faudra franchir pour atteindre à l’harmonie parfaite, à la jubilation promise, à cette société qui rend la pauvreté impossible et donc la charité inutile. Le constat est implacable – il faut sortir de la confusion entre l’être et l’avoir, retrouver la vraie vie qui est celle du créateur, échapper à l’uniformité et récuser tous les opiums du peuple. Le chemin pour atteindre ce but est plus incertain. Mais qu’il est salutaire, ce rappel à l’ordre de la désobéissance ! « Partout où l’homme exerce l’autorité, il en est un qui résiste à l’autorité. » [A.B.]
Éditions de L’Herne, 2013
☰ Être le bien d’un autre, de Florence Burgat
Dans cet ouvrage, concis quoique dense, la philosophe Florence Burgat livre ses réflexions sur le statut de ceux qui sont notre bien, les animaux. Et constate un paradoxe : depuis la modification en 2015 du Code civil, les animaux sont reconnus comme « des êtres vivants doués de sensibilité » mais sont pourtant toujours soumis aux régimes des biens meubles. En d’autres termes, le législateur nous dit d’une part que l’animal n’est pas une chose mais continue de le traiter comme tel. Si cette modification officielle a permis de médiatiser la condition animale, la situation n’en reste pas moins juridiquement instable ; l’auteure explore dès lors les potentiels droits des animaux en s’attachant à clarifier les notions de droits moraux et droits juridiques. Tout en étant favorable à une extension des droits fondamentaux aux animaux, Burgat pointe les dangers et les limites de celles et ceux qui entendent l’appliquer sur des critères de ressemblances cognitives avec l’humain — voilà une forme d’anthropocentrisme. Elle souhaite également consacrer les animaux comme autant de personnes (lorsqu’un individu en est une, « il a une valeur morale qui impose de le traiter comme une fin et jamais simplement comme un moyen ») et procède à une étude comparée entre le statut juridique des esclaves dans le droit romain puis le Code noir et celui des animaux domestiques. Les esclaves avaient eux aussi été définis comme des « choses appropriables », des biens meubles sur lesquels le propriétaire avait la main : un dommage causé par quelqu’un d’autre que le maître était une atteinte à la propriété. Si l’on ne peut superposer l’esclavage des humains et la condition faite aux animaux — rappeler qu’ils ont intrinsèquement la même valeur, en tant qu’êtres sentients, ne saurait conduire à masquer les singularités historiques, anthropologiques et politiques —, leur inscription dans le droit n’en présente pas moins de nombreuses similitudes en ce que « les esclaves et les animaux domestiques ne s’appartiennent pas ». Un livre qui, par une méticuleuse approche juridique et philosophique, plaide pour changer le sort et le statut des animaux ici et maintenant. [M.B.]
Éditions Rivages, 2018
☰ La Prochaine fois, le feu, de James Baldwin
Un titre à valeur d’avertissement ; un texte de « querelle » lancé au visage des États-Unis au début des années 1960, quelques années après que Rosa Parks eut refusé de céder sa place dans un bus de Montgomery et quelques autres avant les assassinats de Malcolm X et Martin Luther King. Le natif d’Harlem ne romance rien, ici, mais compose deux lettres qui pourraient n’en faire qu’une, la première à son neveu et l’autre à son propre esprit. C’est qu’il est à chaque ligne question de racisme, des Blancs et des Noirs. « Le monde est blanc et ils sont noirs » : c’est à cet « indicible » constat, si simple de cruauté, que l’écrivain donne voix — avec éclat. Baldwin accuse autant qu’il tend la main ; condamne tout en cherchant à panser les plaies d’une nation qui s’aveugle sur son histoire et celles et ceux qui la firent et trop souvent la hantent. Baldwin en appelle à ce « passé de feu, de corde, de torture, de castration, d’infanticide, de viol » pour ne pas s’y noyer ; tance tour à tour les progressistes blancs et les nationalistes noirs pour mieux « mettre fin au cauchemar racial ». Baldwin dit le martyre « ignoble » des Juifs d’Europe mais s’étonne de l’étonnement de celle-ci face aux crimes qu’elle parvint à commettre sur son sol : les Noirs pourtant savaient de quoi le Vieux Monde était capable — la « seule originalité » des nazis fut affaire de méthodes. Baldwin invite, comme seul échappatoire, comme dernier recours à même de régler « le problème noir », comme ultime issue de secours, à « transcender les réalités raciales, nationales et religieuses ». À refuser l’emprisonnement « des totems, tabous, croix, sacrifices du sang, clochers, mosquées, races, armées ». À libérer de concert les Blancs et les Noirs, les premiers de leur suprématie et les seconds de leur statut. « Humainement, personnellement la couleur n’existe pas. Politiquement elle existe », lance en conclusion ce précurseur de l’antiracisme politique, avant d’appeler à l’action, celle des Blancs et des Noirs conscients qui, « tels des amants », pousseront le reste de la population à bâtir enfin un pays, un vrai. [E.C.]
Éditions Gallimard|Folio, 1963|2018
☰ L’Établi, de Robert Linhart
Septembre 1968, usine Citroën de la porte de Choisy. Les sensations plantent le décor et vous collent à la peau : l’odeur âpre de fer brûlé, celle écœurante du caoutchouc et les effluves toxiques de peinture ; le bruit assourdissant de la tôle martelée et des chalumeaux ; la grisaille qui envahit tout, des carcasses métalliques aux combinaisons des ouvriers ; la poussière et la chaleur écrasante. Et le rythme aliénant, surtout : cette chaîne qui avance, au ralenti croirait-on de prime abord, mais dont l’inéluctable avancée oppresse et noie ; c’est elle le maître ici, symbole roi du capitalisme industriel et moyen de domination des patrons sur les ouvriers. Rien ne doit l’arrêter. Ni Christian, breton, qui travaille vite mais « met un point d’honneur à ne jamais faire un siège de plus que les soixante-quinze de la norme » ; ni Mouloud, travailleur kabyle dont la famille est en Algérie, et dont la dextérité silencieuse semble être le paradigme de l’usage des travailleurs immigrés — attendus uniquement comme outils invisibles ; ni Georges, le Yougoslave aux allures de play-boy qui travaille en sifflotant et qui compose le trio d’entraide de choc du « carrousel des portières » avec ses comparses Pavel et Stepan. Non, rien ne doit arrêter cette chaîne de production infernale où les oppressions de classe et de race se cumulent, se superposent, et font la règle. Pourtant… Dans cette torpeur du néant qui engloutit et anesthésie, quelque chose va se produire. Un combat qui opposera ces hommes et femmes, outils jetables, à cette chaîne de petits chefs successifs qui ne lésinera sur aucune méthode de pression et d’intimidation pour briser la lutte collective que ces personnes décideront de mener. L’usine, ce monde où la lutte des classes, si l’ouvrier cherchait à l’oublier, lui sera de cesse rappelée par les patrons. Indispensable ouvrage autobiographique de ce sociologue et philosophe qui part s’établir plus d’un an comme ouvrier spécialisé — comme des centaines d’autres militants révolutionnaires à cette époque historique. [C.G.]
Éditions de Minuit, 1978
☰ La Tyrannie des droits, de Brewster Kneen
Brewster Kneen a été agriculteur puis consultant en politique agricole et alimentaire, le conduisant à s’intéresser aux biotechnologies et au « droit de cultiver ». C’est donc largement à partir de son expérience qu’il a écrit cet ouvrage au titre polémique : ce qui l’intéresse, c’est de montrer les mécanismes qui se retrouvent derrière les notions de « droits sociaux » — que ce soit le droit à l’alimentation, au logement, à l’eau, etc. Ceux-ci ne constituent en réalité que des justifications du système capitaliste en légitimant le droit de propriété, rejoignant ici la classique analyse marxiste. Là où Kneen devient plus intéressant, c’est lorsqu’il montre que ces droits supposent une vision du monde individualiste que l’on pourrait corriger en s’inspirant d’une conception davantage relationnelle de celui-ci. Le droit au territoire, par exemple, n’est pas un droit foncier mais le seul moyen d’obtenir une reconnaissance juridique sur un territoire. Or, pour les capitalistes, le seul type de relation possible est fondé sur le droit de propriété, convertissant ainsi le droit des gens et leur relation avec le territoire en droits fonciers. Pour les communautés « indigènes », le rapport au territoire ne se réduit pas à un droit mais concerne un tout : les relations entre les individus et les plantes, la forêt, la pluie ; tout est relié. C’est à partir d’une vision holistique qu’il deviendrait envisageable de réaliser une véritable autonomie politique, rompant avec les rapports capitalistes de propriété et les dépendances vis-à-vis de l’État comme seule institution à pouvoir reconnaître les droits. Il reprend dans cette perspective la déclaration des peuples indigènes des communautés autonomes du Mexique de 2003 : « Nous avons résolu que l’État mexicain a perdu toute légitimité, du fait de ses pratiques juridiques, et que nous devons exercer notre autonomie de facto, pour ainsi remédier à notre situation pénible et donner un meilleur avenir à nos enfants. » [E.J.]
Éditions Écosociété, 2014
Photographie de bannière : Circa, 1905, auteur inconnu
REBONDS
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