Au quotidien le sport


Texte inédit pour Ballast | Série « Au quotidien le sport »

En 2021, on dénom­brait plus de 14 mil­lions de Français et de Françaises licen­ciés d’une fédé­ra­tion spor­tive. Derrière le foot et ses près de 2 mil­lions de pra­ti­quants, viennent le ten­nis, l’é­qui­ta­tion, le golf, le bas­ket, le judo, le hand­ball. C’est sans comp­ter tous ceux, toutes celles qui marchent, courent et pédalent, qui sou­lèvent des poids et dansent dans une salle de leur com­mune ou de leur quar­tier sans qu’on ne les recense pour autant. En tout, deux tiers de la popu­la­tion natio­nale déclare avoir une acti­vi­té phy­sique régu­lière. Qu’on le pra­tique, qu’on le regarde ou qu’on en parle, le sport fait par­tie de notre quo­ti­dien. C’est ce que nous allons explo­rer dans ce dos­sier en huit volets : porte-voix du fémi­nisme ou creu­set du sexisme, vec­teur d’é­man­ci­pa­tion indi­vi­duelle ou relais du capi­ta­lisme, por­teur de valeurs heu­reuses ou bien trom­peuses. Mais d’a­bord, intro­duc­tion. ☰ Par Roméo Bondon


Un same­di d’hi­ver, dans une com­mune du Massif central.

Une jeune équipe fémi­nine de hand­ball, celle d’un bourg de moyenne mon­tagne, reçoit le club de la ville la plus proche, 20 000 habitant·es à peine, située 40 kilo­mètres plus au nord. Avant d’en­trer dans le gym­nase muni­ci­pal, le regard s’ar­rête sur la pelouse du stade voi­sin où tombe une neige qui ne tient pas. Là, des ado­les­cents dis­putent un match de foot sous le regard de parents ou d’ami·es tran­sis. Des flaques com­mencent à se for­mer dans les trous que laissent par­fois les cram­pons. Demain, la neige tien­dra mieux. La pelouse en sera cou­verte. L’affiche foot­bal­lis­tique du week-end, comp­tant pour le cham­pion­nat régio­nal de troi­sième divi­sion entre l’é­quipe sénior mas­cu­line local et un club du Cantal, vient d’être repor­tée. Elle devait se dérou­ler en même temps qu’un hui­tième de finale de coupe du Monde qui, lui, se joue loin, très loin, sur une petite pénin­sule déser­tique. Là-bas, on pro­fite d’un air cli­ma­ti­sé au beau milieu des dunes, ins­tal­lé par des tra­vailleurs migrants dont beau­coup sont morts pen­dant les tra­vaux ; ici, on plai­sante et regrette que per­sonne n’ait encore inven­té la pelouse chauf­fée, sachant très bien que, de toute manière, on n’au­rait pas eu les moyens de l’installer.

La météo n’af­fecte que peu les sports de salle. À l’in­té­rieur du gym­nase, les deux équipes sur le point de se ren­con­trer finissent de s’é­chauf­fer. Les joueuses locales ont une ota­rie pour emblème et portent un maillot jaune. Celles qui viennent de l’ex­té­rieur n’ont pas autant de fan­tai­sie : c’est un spon­sor du coin qui marque le rouge de leur t‑shirt. Des enfants courent dans les gra­dins, tan­dis que d’autres embêtent les deux jeunes hommes qui tiennent la table de marque. Au milieu du ter­rain, les capi­taines d’é­quipe sont en train de choi­sir auprès de l’ar­bitre le bal­lon avec lequel elles dis­pu­te­ront leur match. En fond, une musique sourde rythme les der­nières tra­ver­sées en sprint de leurs coéqui­pières. Le gym­nase est à l’i­mage de ce genre d’é­qui­pe­ment par­tout dans le pays. Il y a, bien sûr, les cages de hand­ball qui, de part et d’autre du ter­rain, s’ap­prêtent à encais­ser les buts. Ailleurs, sur les murs, des paniers de bas­ket sont repliés et se par­tagent l’es­pace avec une struc­ture d’es­ca­lade ain­si que ces échelles en bois, héri­tées d’une vieille gym­nas­tique, qui ne servent plus — des espa­liers. Dans un coin, on dis­tingue de gros tapis. Ils assurent les récep­tions en cas de chute et, par­fois, accueillent des enfants tou­jours prêts au cha­hut. Toutefois, ne l’ou­blions pas : selon l’INSEE, si les équi­pe­ments sont nom­breux et diver­si­fiés en France, leur répar­ti­tion révèle des inéga­li­tés réelles. C’est à La Réunion que l’on compte le plus de spor­tifs et de spor­tives par habitant·es mais c’est là, aus­si, que le nombre de ter­rains de foot est le plus faible par licencié·es. Par ailleurs, bien que l’ac­cès à un stade ou à une salle soit plus aisé en ville, leur nombre peine à suivre la démo­gra­phie des prin­ci­pales zones urbaines du pays. Dans ce dépar­te­ment, enfin, le moins peu­plé de France, il faut comp­ter en moyenne vingt minutes pour pas­ser d’une com­mune qui n’est pas équi­pée à celle la plus proche où se trouvent des ins­tal­la­tions spor­tives — faible den­si­té, mon­tagne et petites routes obligent.

Le bruit métal­lique du buz­zer a cou­pé la musique : la ren­contre commence.

« L’entrée des femmes dans le monde spor­tif, et plus par­ti­cu­liè­re­ment dans les sports his­to­ri­que­ment asso­ciés à une mas­cu­li­ni­té virile, a dû se faire sur le mode de l’effraction. »

Les joueuses entrent sur le ter­rain en file indienne, bifurquent vers le centre pour taper dans la main du jeune arbitre puis dans celles de leurs adver­saires. Elles se regroupent en cercle avec leurs entraî­neuses res­pec­tives et crient : « Ensemble ! » Tout en haut des tri­bunes, cinq gar­çons blaguent, dis­cutent, regardent dis­trai­te­ment leurs amies qui se mettent en place. Des casques posés der­rière eux indiquent qu’ils sont venus avec leur 50 cm3. Qu’ils craignent de repar­tir de nuit sous la neige qui, dehors, s’ac­cu­mule ou bien qu’ils savent le match déjà gagné, tou­jours est-il qu’ils repartent après seule­ment quinze minutes de jeu. Le score, alors, est déjà sans appel : dix buts d’é­cart, en faveur des joueuses locales. Après que l’une d’elles a mar­qué depuis l’aile droite dès la pre­mière offen­sive, les contre-attaques se sont enchaî­nées jus­qu’à ce pre­mier temps-mort, deman­dé par les visi­teuses. Dans les tri­bunes, les adultes qui les ont accom­pa­gnées depuis le dépar­te­ment voi­sin donnent des conseils — « Arrête ce dribble, fixe et donne ! » — ou bien com­mentent, avec de moins en moins de bien­veillance à mesure que l’é­cart gran­dit — « Mais il est pénible ce dribble à la fin ! ». On est loin des ren­contres qui se jouent au même âge entre les clubs les plus pres­ti­gieux du pays, c’est vrai, mais pour les joueuses comme pour celles et ceux qui les regardent, le moment n’a rien d’anodin. Que ce soit la joie, la rage ou le stress qui domine, les réac­tions sont vives. Tandis que le lycée se ter­mine ou que des appren­tis­sages sont en cours, les com­plexes sont nom­breux à cet âge : se dis­tin­guer sur le ter­rain ou, au contraire, pas­ser inaper­çu en limi­tant ses erreurs est impor­tant. Les visi­teuses sont venues sans rem­pla­çantes ; c’est aus­si ça, l’a­ma­teu­risme. Leur seule pré­sence est déjà heureuse.

Si les dif­fi­cul­tés ne sont pas les mêmes, les équipes qui évo­luent à l’é­che­lon natio­nal n’en sont pas exemptes : une cen­taine de kilo­mètres plus au sud, la com­mu­nau­té d’ag­glo­mé­ra­tion Nîmes Métropole a déci­dé en mai 2022 de cou­per ses aides finan­cières aux clubs spor­tifs fémi­nins de haut niveau que compte son ter­ri­toire. Parmi eux, un club de hand­ball impor­tant, situé dans la com­mune de Bouillargues, dont l’é­quipe sénior fémi­nine est en voie de pro­fes­sion­na­li­sa­tion. Cette der­nière a lan­cé une cagnotte pour ten­ter de pal­lier ces manques. Le conseil com­mu­nau­taire de l’ag­glo­mé­ra­tion per­siste néan­moins. Début novembre, elle a enté­ri­né sa déci­sion. Les jeunes femmes et les ins­tances du club ne lâchent pas l’af­faire. Derrière son micro, un jour­na­liste spor­tif local amor­çait timi­de­ment le sujet quelques jours plus tôt avec l’en­traî­neuse de l’une des équipes fémi­nines. Il n’est jamais facile, dit-il, d’a­bor­der l’ac­tua­li­té extra-spor­tive, car « celle-là, on aime­rait ne pas en par­ler ». L’entraîneuse, elle, ne semble pas de cet avis : l’ex­tra-spor­tif déter­mine lar­ge­ment les résul­tats par le simple fait que des déci­sions exté­rieures per­mettent ou empêchent la pour­suite de l’ac­ti­vi­té. Elle l’af­firme : « C’est un com­bat de tous les jours pour rap­pe­ler que le sport fémi­nin doit être l’é­gal avec le sport mas­cu­lin. » En témoigne, ajoute-t-elle, le dépôt de bilan auquel fait face le Fleury Loiret Handball, un club de deuxième divi­sion fémi­nine, à cause d’un fort endet­te­ment, certes, mais aus­si du retrait sou­dain d’une aide de l’ag­glo­mé­ra­tion d’Orléans. Dans la Drôme, l’é­quipe de Bourg-de-Péage a dû elle aus­si arrê­ter sa sai­son pour des rai­sons finan­cières : un vrai fléau dans le hand­ball fémi­nin, a rap­pe­lé le jour­nal régio­nal bre­ton Le Télégramme. Plus lar­ge­ment, ces situa­tions font écho au sta­tut du sport fémi­nin, his­to­ri­que­ment mar­gi­na­li­sé, comme nous l’ex­pli­quait la socio­logue et boxeuse Natacha Lapeyroux : « L’entrée des femmes dans le monde spor­tif, et plus par­ti­cu­liè­re­ment dans les sports his­to­ri­que­ment asso­ciés à une mas­cu­li­ni­té virile, a dû se faire sur le mode de l’effraction. »

[Robert Delaunay, Les coureurs, 1926]

Le buz­zer met fin au temps-mort et nous rap­pelle sur le ter­rain : les jeunes joueuses reprennent la par­tie. L’équipe locale finit par s’im­po­ser avec vingt buts d’a­vance et conserve la tête du clas­se­ment dépar­te­men­tal. Leurs aînées ont regar­dé la fin du match. Près d’elles, un filet est plein de bal­lons cou­verts de cette résine qu’on se met sur les mains pour que ça adhère mieux. Elles jouent aus­si ce soir, dans un dépar­te­ment proche : c’est l’heure de partir.

*

Même com­mune, un mois plus tôt.

Le local de la salle de sport asso­cia­tive se trouve dans un des bâti­ments de la muni­ci­pa­li­té, au pre­mier étage. Au-des­sus, c’est la salle des fêtes où se déroulent les concerts et spec­tacles de la sai­son cultu­relle ; en-des­sous, le dojo, une salle de danse où on dis­pense des cours de rock ou de chant, d’autres pièces afin que les asso­cia­tions de cette petite ville puissent se retrou­ver. Un esca­lier car­re­lé, un cou­loir et nous voi­ci par­mi les machines. Les ves­tiaires sont dans une pièce atte­nante. Là, on se change der­rière un simple rideau avant de ren­trer dans la salle, chaus­sé de bas­kets propres, une ser­viette sur l’é­paule. Les lieux sont étroits, les corps sont sou­vent proches et passent les uns après les autres sur les appa­reils. Au rameur, M. sur­veille les nou­velles arri­vées pour leur rap­pe­ler les règles au besoin. Elle nous explique briè­ve­ment le fonc­tion­ne­ment de la salle. C’est la secré­taire de l’as­so­cia­tion. Ce soir-là, elle tient la per­ma­nence admi­nis­tra­tive. Chaque semaine, un plan­ning est rem­pli, sur lequel des participant·es indiquent les cré­neaux qu’ils peuvent assu­rer pour que tout le monde puisse s’en­traî­ner. L’affluence est forte : certain·es des étudiant·es en méca­nique auto ou en arts appli­qués qui se forment dans le lycée pri­vé du bourg viennent après les cours. Il y a aus­si des habitué·es, qui se dis­tinguent par leur masse autant que par les conseils qu’ils donnent volon­tiers pour mieux réa­li­ser un geste ou bien uti­li­ser une machine.

« Pour A., pre­mière cein­ture noire du dépar­te­ment à concou­rir en sport adap­té et rési­dant d’un foyer pour les per­sonnes por­teuses d’un han­di­cap men­tal, c’est l’oc­ca­sion de trom­per l’ennui. »

Alors que la nuit tombe, on rejoint le dojo situé au rez-de-chaus­sée. Un cours pour des enfants de 7 à 10 ans est en train de se ter­mi­ner et un autre, pour des adultes por­teurs d’un han­di­cap men­tal, est sur le point de com­men­cer. Un jeune homme, F., cein­ture noire depuis peu, assure béné­vo­le­ment les deux séances. C’est sa pre­mière année à ce poste et, ça ne fait de doute pour per­sonne, il s’en sort bien. F. a pris la suite de son ancien pro­fes­seur qui a fon­dé le club il y a plus de cin­quante ans et conti­nue d’as­su­rer son ani­ma­tion. Après avoir salué, les enfants partent se rha­biller et une ving­taine d’a­dultes les rem­placent. Parmi elles et eux, les résident·es de plu­sieurs foyers spé­cia­li­sés du dépar­te­ment, mais pas seule­ment : se trouvent aus­si certain·es de leurs édu­ca­teurs et édu­ca­trices qui ont com­men­cé les arts mar­tiaux sur le tard, des adolescent·es qui ne manquent aucun des cours acces­sibles, d’ancien·nes pratiquant·es qui se remettent à l’ac­ti­vi­té de leur enfance, débarrassé·es des angoisses que pou­vaient, alors, pro­duire les compétitions.

Quelques-un·es se retrouvent le same­di sui­vant, à une soixan­taine de kilo­mètres du club. Le temps d’un week-end, ce sont plus de 200 judo­kas et judo­kates qui foulent le tata­mi dans une petite ville coin­cée entre les monts d’Aubrac, à l’ouest, et le pla­teau de la Margeride, à l’est. Les tapis dis­po­sés pour l’oc­ca­sion dans un gym­nase viennent de plu­sieurs clubs des alen­tours. À la fin de la deuxième jour­née, il fau­dra char­ger un vieux four­gon pour les rem­me­ner dans leurs salles d’o­ri­gine. Pour A., pra­ti­quant depuis une dizaine d’an­nées, pre­mière cein­ture noire du dépar­te­ment à concou­rir en sport adap­té et rési­dant d’un foyer pour les per­sonnes por­teuses d’un han­di­cap men­tal, c’est l’oc­ca­sion de trom­per l’en­nui. En fin de semaine, les acti­vi­tés sont moins nom­breuses dans son éta­blis­se­ment. Tandis que l’on apprend ensemble aux plus petits com­ment chu­ter en arrière, A. se demande s’il pour­ra venir aus­si le len­de­main. En guise d’ar­gu­ment, il rap­pelle : « Je tourne en rond au foyer. Là au moins je peux regar­der, m’oc­cu­per, aider. » Autour de nous, sur d’autres espaces, c’est vers l’a­vant que les enfants se jettent, roulent, se relèvent. Ailleurs, ils rampent, sautent et exé­cutent les pre­mières tech­niques qu’ils viennent d’apprendre.

[Robert Delaunay, Les coureurs, 1926]

Un bruit sec inter­rompt notre dis­cus­sion et l’a­ni­ma­tion : les orga­ni­sa­teurs et orga­ni­sa­trices de la jour­née frappent dans leurs mains pour appe­ler les enfants pré­sents à se mettre en ligne afin d’ef­fec­tuer le salut final. Au micro, un repré­sen­tant du comi­té dépar­te­men­tal remer­cie les adultes et les adolescent·es béné­voles présent·es pour assu­rer le dérou­le­ment de ces jour­nées. Ce même jour, de Compiègne à Bayonne, en pas­sant par Aubervilliers ou Selles-sur-Cher, com­bien de volon­taires ont per­mis la tenue d’un match, d’un ras­sem­ble­ment local, d’une ren­contre régio­nale ? Ils sont 3,5 mil­lions à s’in­ves­tir gra­tui­te­ment, voire à leur frais, chaque année en France. Comme l’a rap­pe­lé la socio­logue Maud Simonet, « dans le monde asso­cia­tif, béné­vole ou volon­taire, on retrouve cette idée que ce n’est pas du tra­vail mais de l’engagement », ce qui implique selon elle « un déni du tra­vail au nom de ces valeurs ». Certaines per­sonnes pré­sentes ce jours sont animateur·ices spor­tifs, arbitres à un niveau natio­nal ou euro­péen, professeur·es de judo le reste du temps. Difficile de savoir quand le tra­vail s’ar­rête et quand le volon­ta­riat com­mence. Le repré­sen­tant pour­suit son dis­cours et en pro­fite pour annon­cer les résul­tats des cham­pion­nats d’Europe qui se tiennent au même moment à l’autre bout de la France. À l’é­coute de ces mots, et bien que l’on soit loin des entraî­ne­ments effré­nés du haut niveau comme des cir­cuits com­pé­ti­tifs inter­na­tio­naux, on sent que sport pro­fes­sion­nel et ama­teur s’im­briquent durant un ins­tant — une dis­tinc­tion com­mode qui, tou­te­fois, comme deux socio­logues l’ont mon­tré, n’est tou­te­fois pas tou­jours aisée. Le salut ter­mi­né, on revient à l’or­ga­ni­sa­tion dans ce qu’elle a de plus concret : repas, ins­crip­tion, ges­tion des ves­tiaires et des enfants qui cherchent leurs san­dales ou leurs parents. Cet après-midi, ce sera à la caté­go­rie supé­rieure de concou­rir, avant que les plus vieux ne ter­minent. Le temps passe, la soi­rée arrive : voi­ci qu’a­vec A. et d’autres résident·es venus pour l’oc­ca­sion, on s’é­chauffe enfin, prêt·es à combattre.

*

Le sport popu­laire, c’est peut-être ça.

Peut-être, car ses aspects sont mul­tiples. On ne sau­rait réduire une telle défi­ni­tion au sport ama­teur ou au monde asso­cia­tif. Le sport popu­laire déborde sou­vent des cadres. Voilà donc seule­ment un de ses traits struc­tu­rants : des pratiquant·es aus­si divers que l’est le reste de la popu­la­tion, auquel s’a­joute l’en­thou­siasme, par­fois l’o­bli­ga­tion morale, de don­ner de son temps pour ani­mer un repas, un entraî­ne­ment, une équipe, un club. Les lignes qui pré­cèdent ont seule­ment valeur de pho­to­gra­phie : quelques acti­vi­tés dans un ter­ri­toire rural encla­vé. D’autres cli­chés, des cen­taines, auraient pu être sai­sis et décrits, tous dif­fé­rents. Dans un entre­tien, le jour­na­liste Mickaël Correia nous don­nait sa propre défi­ni­tion, mini­male mais effi­cace, du sport popu­laire. « Populaire com­porte deux sens : c’est ce qui a trait au peuple, en oppo­si­tion aux classes domi­nantes, mais c’est aus­si ce qui touche au plus grand monde. » Et lors­qu’on lui deman­dait si « popu­laire » vou­lait dire, aus­si, « poli­tique », il ajou­tait en pre­nant le foot pour exemple : « Sur un ter­rain, l’épanouissement indi­vi­duel de chaque joueur est tri­bu­taire du mou­ve­ment col­lec­tif de l’équipe ; le geste qua­li­fié de beau est par essence non ren­table, non pro­duc­tif. Pour résu­mer, je ne par­le­rais pas d’engagement poli­tique mais plu­tôt de lan­gage cor­po­rel popu­laire qui peut se parer d’une dimen­sion poli­tique. » Le jour­na­liste ne fai­sait pas men­tion d’a­ma­teu­risme ou de pro­fes­sion­na­lisme, de com­pé­ti­tion, ni même d’en­traî­ne­ment dans l’op­tique d’un pro­grès tech­nique ou phy­sique. Non, ce qui fait le socle, selon lui, d’un sport popu­laire, c’est sa gra­tui­té, son acces­si­bi­li­té et l’é­pa­nouis­se­ment que sa pra­tique procure.

*

Alors : popu­laire, le sport ? Et poli­tique ? Du rug­by au hand­ball, de la mus­cu­la­tion à la boxe, du centre de la France à l’Argentine en pas­sant par l’Italie, c’est ce que nous nous sommes deman­dés dans cette série en huit volets : la vice-pré­si­dente de la Fédération fran­çaise de hand­ball et socio­logue Béatrice Barbusse dia­logue avec la gar­dienne de hand­ball Amina Tounkara à pro­pos du fémi­nisme et du sexisme dans le sport ; Marina, jeune joueuse de rug­by argen­tine, revient en fémi­niste sur la pra­tique de son sport ; Miguel Ángel Ortiz Olivera retrace les ori­gines anti­fas­cistes du foot­ball fémi­nin ita­lien ; Loïc Artiaga com­mente, images à l’ap­pui, la série de films de boxe Rocky ; l’é­co­no­miste et socio­logue Guillaume Vallet ana­lyse la « fabrique du muscle » au cœur des salles de mus­cu­la­tion ; l’an­cien joueur de ten­nis Valentin Sansonetti décor­tique le ver­dis­se­ment appa­rent des com­pé­ti­tions spor­tives ; Igor Martinache explore enfin l’his­toire contras­tée, entre adhé­sion et refus, qui lie la gauche fran­çaise et la pra­tique spor­tive.


Illustration de ban­nière : Robert Delaunay, Les cou­reurs, 1926
Illustration de vignette : Robert Delaunay, L’Équipe de Cardiff, 1912–1913


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REBONDS

☰ Lire notre entre­tien avec Natacha Lapeyroux : « Boxer contre le genre », février 2020
☰ Lire notre entre­tien avec Mickaël Correia : « Le foot­ball : un ins­tru­ment d’émancipation », avril 2018


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Roméo Bondon

Doctorant en géographie. Il a récemment coordonné avec Elias Boisjean Cause animale, luttes sociales (Le Passager clandestin, 2021) et publié avec Raphaël Mathevet Sangliers - Géographies d'un animal politique (Actes Sud, 2022).

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