Aux origines antifascistes du foot féminin italien


Traduction d’un article de ctxt pour Ballast | Série « Au quotidien le sport »

En 2019, en plein mon­dial de foot fémi­nin, Federica Seneghini, jour­na­liste au Corriere del­la Serra, se lance sur les traces des pre­mières foot­bal­leuses ita­liennes. Elle ren­contre Marco Giani, spécia­liste de l’his­toire croi­sée du sport fémi­nin et du fas­cisme. Cet échange déborde lar­ge­ment les cadres d’un entre­tien clas­sique : Seneghini sait qu’il lui fau­dra plus qu’un papier pour rendre hom­mage aux foot­bal­leuses mila­naises qui, consti­tuées en équipe dès 1931, ont tenu tête à un monde spor­tif et média­tique sexiste, aux spec­ta­teurs et aux spec­ta­trices venus les décou­ra­ger (voire les insul­ter), et à Mussolini lui-même. Que les femmes pra­tiquent le sport dans l’Italie fas­ciste, soit, mais qu’elles choi­sissent au moins une dis­ci­pline olym­pique pour repré­sen­ter la nation et le Dulce aux jeux de Berlin ! Les Milanaises n’ont pas cédé, d’a­bord, jouant en jupe et chaus­sures de ville — faute d’é­qui­pe­ment —, jouant contre l’o­pi­nion publique et les pré­ju­gés. Cet article, publié ori­gi­nel­le­ment par le média espa­gnol ctxt, retrace l’his­toire de l’é­quipe mila­naise et de la jour­na­liste. « Au quo­ti­dien le sport », qua­trième volet de notre série. ☰ Par Miguel Ángel Ortiz Olivera


[lire le troi­sième volet | « Marina, sur la route du rugby »]


Tandis qu’elle se rend à son entre­vue, Federica Seneghini en est convain­cue : elle va écrire un court article sur la pre­mière équipe fémi­nine ita­lienne de foot­ball. Elle a don­né ren­dez-vous dans un bar de la place Abbiategrasso à Marco Giani, doc­teur en his­toire de la langue ita­lienne et auteur du très beau Historia de un pre­jui­cio y una lucha, à pro­pos de l’his­toire des pre­mières foot­bal­leuses ita­liennes. Federica sou­haite lui poser quelques ques­tions pour l’ar­ticle qu’elle pro­jette d’é­crire. Marco, lui, est arri­vé avec plu­sieurs pochettes pleines de docu­ments. Et avec une pro­po­si­tion : l’emmener chez Graziellina, la der­nière témoin encore en vie qui a vu jouer les fameuses foot­bal­leuses mila­naises. Une pro­po­si­tion que Federica ne peut pas refu­ser. Cette ren­contre se déroule quelques jours avant que ne débute le Mondial fémi­nin en France — et que ne com­mence l’é­cri­ture du futur ouvrage de Federica Seneghini. Quand elle ouvre la pre­mière che­mise, une pho­to­gra­phie en noir et blanc attire son atten­tion par­mi les docu­ments. Elle la prend et sou­rit en voyant com­ment rient les jeunes foot­bal­leuses qui y figurent. La pho­to, très nette, évoque un autre foot­ball : celui qui se jouait à cinq atta­quantes, trois milieux de ter­rain et seule­ment deux défen­seuses pour pro­té­ger la gar­dienne des tirs. Elle ne tarde pas à trou­ver leur nom : Mina Lang, Ester Dal Pan, Ninì Zanetti, Marta Boccalini, Nidia Glingani, Maria Lucchese, Augusta Salina, Luisa Boccanili et Navazzotti.

Les mois passent et Federica Seneghini découvre que ces mêmes femmes ont été les pro­ta­go­nistes de l’un des épi­sodes les plus repré­sen­ta­tifs de la lutte du foot­ball fémi­nin. Cette lutte, elles l’ont menée en jupes, sans craindre les coups reçus pour avoir ouvert une brèche dans un monde ter­ri­ble­ment machiste — celui, fas­ciste, de Mussolini. Il suf­fit de jeter un œil aux paru­tions de l’é­poque : « S’il y a un sport que la femme ne doit pas pra­ti­quer, c’est bien le foot­ball », affir­mait ain­si Lo Sport Fascista en décembre 1931. Ces jeunes femmes n’ont pas connu le monde d’a­vant le Duce. Elles sont habi­tuées au har­cè­le­ment des che­mises noires. À ce que les balil­la [de Opera Nazionale Balilla, l’or­ga­ni­sa­tion de jeu­nesse du régime fas­ciste ita­lien, ndlr], avec leurs fusils de paco­tille, s’en prennent à elles dans la rue. À entendre la Giovinezza [hymne offi­ciel du Parti natio­nal fas­ciste ita­lien, ndlr]. À la sévé­ri­té d’un régime reli­gieux, aux couvre-feux pas­sés chez soi. À ser­vir les hommes. Aux four­neaux et à l’ai­guille. Au mariage, à l’é­du­ca­tion des enfants et au bien-être de leur mari pour unique avenir. 

« Ces jeunes femmes n’ont pas connu le monde d’a­vant le Duce. Elles sont habi­tuées au har­cè­le­ment des che­mises noires. »

Seule Ninì Zanetti avait eu la chance de jouer au foot­ball. C’était à l’oc­ca­sion de vacances à Castiglionecello. Elle y pas­sait tous ses après-midi avec un groupe de jeunes romaines, pour s’en­traî­ner. Ce sport lui avait tant plu qu’elle a osé écrire à La Domenica Sportiva. Contre toute attente, sa lettre est publiée : « Pourquoi ne pour­rait-il y avoir d’é­quipe de foot­ball fémi­nin en Italie ? Ne serait-il pas inté­res­sant de voir que même dans ce genre de sport, la femme ita­lienne peut riva­li­ser avec les étran­gères, et peut-être même les sur­pas­ser ? » Un dimanche de l’an­née 1932, cette même Zanetti se rend au parc pour retrou­ver ses amies après avoir volé un bal­lon à son frère. Là, elle sort la balle et lance cette phrase qui allait chan­ger sa vie à jamais : « Alors quoi ? On essaye ? »

La lutte

La même année, le Duce annonce que le pro­chain Mondial se joue­ra en Italie. Le cal­cio [cham­pion­nat natio­nal de foot­ball ita­lien, ndlr], dès lors, devient l’un des prin­ci­paux outils de la pro­pa­gande de Mussolini, « le pre­mier des spor­tifs ita­liens », pour contrô­ler les masses. Des stades sont construits à Udine, Florence, Bologne, Trieste. Joyau de la cou­ronne : le fas­tueux Stadio Mussolini à Turin, ter­rain de la Juventus. Ce sont les « années du consen­sus », mais pas pour le foot­ball fémi­nin : le régime ordonne dans le même temps que la pra­tique reste modé­rée, tant dans les habits por­tés que dans les mou­ve­ments et les effu­sions des joueuses.

[DR]

Federica Seneghini découvre que la pos­si­bi­li­té de jouer en public est seule­ment per­mise à cer­taines femmes, dans des par­ties car­na­va­lesques, comme celle dis­pu­tée un an aupa­ra­vant, en jan­vier 1931, à Naples. Marco Giani raconte ain­si qu’« une foule immense s’est dépla­cée dans la ville pour voir les onze dan­seuses d’un spec­tacle de varié­tés, enga­gées dans un duel contre les employées de la manu­fac­ture tex­tile Giorgio Ascarelli ». Ces foot­bal­leuses ont même pu fou­ler la pelouse en pan­ta­lons courts — ce dont les Milanaises n’o­saient pas rêver. Alors que ces der­nières portent de pudiques jupes, les hommes les regardent avec dédain sur le ter­rain. Les femmes, elles, leur font des reproches : « Ça n’est pas bien que vous vous dépen­siez comme ça », « Nous sommes des femmes ! ». Les Milanaises apprennent néan­moins à se concen­trer sur le bal­lon : « Plus nous jouions, plus nous aimions ça et moins le reste nous impor­tait. […] Quel mal y avait-il à décou­vrir ce sport qui était sur le point de faire la gran­deur de notre pays ? »

Il faut cepen­dant plus qu’un bal­lon et de l’en­thou­siasme pour for­mer une véri­table équipe : il faut un entraî­neur. Elles réus­sissent à convaincre Piero Cardoso, un joueur du club de Littoria. Elles obtiennent « un ter­rain où s’en­traî­ner au calme le dimanche », ce qui consti­tue un pas déci­sif. Elles ont enfin une équipe, qu’elles bap­tisent « Groupe fémi­nin de foot­ball mila­nais ». Cerise sur le gâteau : elles engagent un pré­sident, Ugo Cardosi, le père de Piero, qui s’a­vè­re­ra être un diri­geant fier qui défen­dra tou­jours ses filles, quelles que soient les critiques.

« Alors que ces der­nières portent de pudiques jupes, les hommes les regardent avec dédain sur le terrain. »

Dans les sphères plus éle­vées du pou­voir, Mussolini aus­si veut être fier de ses gar­çons. Il met la azzur­ra [du nom de l’é­quipe natio­nale ita­lienne mas­cu­line, ndlr] entre les mains de Vittorio Pozzo, un lieu­te­nant des troupes alpines rom­pu à l’art de la dis­ci­pline. Pozzo par­court le pays à la recherche de joueurs talen­tueux, et les trouve : Meazza, Combi, Ferrari, Guaita et Orsi forment une squa­dra qui séduit le pays entier, jus­qu’aux foot­bal­leuses mila­naises, venues les encou­ra­ger lors d’un match ami­cal contre la Hongrie à San Siro [prin­ci­pal stade de Milan, ndlr]. À cette occa­sion, elles recon­naissent le pilote auto­mo­bile Nuvolari dans les gra­dins et n’hé­sitent pas à l’a­bor­der, pour lui dire : « Nous aus­si on joue au foot­ball. » Nuvolari leur répond d’un sou­rire embar­ras­sé. Mais, à côté de lui, son atta­ché de presse Carlo Brighenti leur demande, après avoir souf­flé un épais nuage de fumée : « Ce n’est pas vous qui avez écrit la lettre pour La Domenica Sportiva ? »

La flamme

Les Milanaises décident d’en­voyer un nou­veau cour­rier qui paraît plu­sieurs semaines après dans Guerin Sportivo. « Un groupe de pas­sion­nées a pris l’i­ni­tia­tive de créer une équipe de foot­bal­leuses » est-il écrit. « Tout sera en accord avec le sexe [fémi­nin] […]. L’idée des fon­da­trices est de pra­ti­quer le foot­ball comme un exer­cice phy­sique, sans plus d’am­bi­tion ». Comme s’il ne pou­vait s’en empê­cher, le jour­nal Il Littoriale ajoute un com­men­taire : « Lorsque saint Benoît de Nursie dit à ses moines Mens sana in cor­pore sano, il ne pou­vait ima­gi­ner que le temps vien­drait où de gen­tilles petites filles uti­li­se­raient sa devise pour jouer au foot­ball. »

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Ménagères, modistes, ensei­gnantes, cou­tu­rières et employées répondent à leur appel. Les foot­bal­leuses reçoivent le sou­tien de l’ac­trice Leda Gloria, sup­por­trice de la Roma, ain­si que des dizaines de télé­grammes de joueurs pro­fes­sion­nels. « Il y a seule­ment les jour­na­listes, tous des hommes, évi­dem­ment, qui ne nous lais­saient pas tran­quilles. » Et de nom­breuses femmes, aus­si, qui n’hé­sitent pas à aller à leur ren­contre pour les cri­ti­quer de vive voix. Mais c’est sans impor­tance : une flamme avait été allu­mée. « Nous avions le sen­ti­ment d’être invin­cibles quand nous voyions nos mots et nos noms écrits noir sur blanc. Invincibles et unies. Le foot­ball est un jeu mer­veilleux et nous allions être capables de nous en rendre compte en le pra­ti­quant. » Avant cela, chaque joueuse doit obte­nir la per­mis­sion de son père pour jouer. Aussi, les jeunes spor­tives doivent pas­ser entre les mains du gyné­co­logue Ruani pour qu’il puisse cer­ti­fier que le foot­ball n’af­fec­te­rait pas leur san­té, ni leur féminité.

L’étincelle d’es­poir qui avait éclai­ré leur che­min enflamme très vite les jour­naux. La Gazzetta défi­nit leur jeu comme étant « ni foot­bal­lis­tique, ni fémi­nin ». Il Regime Fascista écrit : « Espérons que le rideau tombe après le pre­mier acte et qu’on ne parle plus de foot­bal­leuses en jupes. » Lo Schermo Sportivo, pour sa part, qua­li­fie leur pra­tique d’« anti-sport », de « farce à l’a­mé­ri­caine ». Un dimanche, sous le regard atten­tif de Max David, un jour­na­liste d’Il Secolo Illustrado, elles doivent jouer en talons car il n’y a pas de chaus­sures pour toutes. Le jeu est arrê­té après qu’un coup de talon a man­qué de tou­cher la gar­dienne de but. Max David note tou­te­fois que « La fémi­ni­té des foot­bal­leuses n’a pas dimi­nué le moins du monde […]. Il faut créer et pré­ser­ver une men­ta­li­té foot­bal­lis­tique chez les femmes, qui, à coup sûr, sera dif­fé­rente de celle des hommes ». Elles reçoivent éga­le­ment le sou­tien de Carlo Brighenti, qui se pré­sente à une séance d’en­traî­ne­ment armé de ciga­rettes, d’un car­net et d’un sty­lo. « J’aimerais écrire, tôt ou tard, sur votre expé­rience du foot­ball », leur confie-t-il alors.

« Les filles ont trou­vé un spon­sor. Elles auront leur maillot. En jouant, elles se sentent libres, libérées. »

Les filles ont trou­vé un spon­sor : Cinzano. Elles auront leur maillot. En jouant, elles se sentent libres, libé­rées. Même s’il faut pra­ti­quer le sport en jupe. « Et c’est peut-être pour cette rai­son que, peu de temps après, les fas­cistes ont vou­lu nous faire com­prendre que, dans ce jeu aus­si mer­veilleux qu’est la vie, c’é­tait eux, tou­jours, qui fai­saient les règles. » La pre­mière d’entre elles : une femme ne peut pas être gar­dienne au motif qu’un tir pour­rait mettre en dan­ger sa fer­ti­li­té. Elles décident donc de jouer avec un gar­çon dans les buts. Mais, là encore, elles reçoivent des cri­tiques. « Seules, avec nos propres mains, nous fai­sions face au fas­cisme. Nous com­men­cions, à notre grand regret, à nous en rendre compte. » D’autres règles affectent leur manière de jouer : un bal­lon plus léger, l’o­bli­ga­tion de ne faire que des passes au sol. Et la pire de toutes : la néces­si­té d’une auto­ri­sa­tion de la Fédération pour pou­voir conti­nuer à pratiquer. 

La lumière

« Notre désir de jouer était si grand, si neuf et, d’une cer­taine manière, inop­por­tun, qu’il a impli­qué l’in­ter­ven­tion de l’un des hommes les plus puis­sants du régime de Benito Mussolini : le pré­sident du CONI [Comité olym­pique natio­nal ita­lien] et de la FIGC [Fédération ita­lienne de foot­ball], Leandro Arpinati. » Le grand chef du sport ita­lien a dès lors le des­tin de l’é­quipe entre ses mains. Il relit la lettre ini­tiale. Et, éton­nam­ment, il leur per­met de jouer. À une condi­tion cepen­dant : que l’« expé­ri­men­ta­tion » qu’est le foot­ball fémi­nin se déroule dans des stades fer­més, sans public.

[DR]

L’enthousiasme des joueuses mila­naises porte ses fruits. Le pre­mier d’entre eux : « Le plus beau repor­tage que nous n’ayons jamais eu ; un article qui, pour la pre­mière fois dans notre courte his­toire, nous a ren­du un peu de la digni­té et du res­pect que nous savions méri­ter. Deux pages signées par un jour­na­liste que nous connais­sions bien : Carlo Brighenti. » Et le second : l’op­por­tu­ni­té de jouer un pre­mier match. Quelques jours après que la Juventus est deve­nue cham­pionne d’Italie, le GS Cinzano affronte le GS Ambrosiano dans un match ami­cal. Plus d’un mil­lier de per­sonnes se rendent sur le ter­rain du groupe fas­ciste local Fabio Filzi. Cinzano s’im­pose un but à zéro. « Le len­de­main, Il Calcio Illustrato a fait quelque chose d’ex­tra­or­di­naire. Au lieu de publier son article habi­tuel sur le carac­tère soit équi­table, soit moral, soit dif­fé­rent du foot­ball fémi­nin, il a publié le rap­port du match […]. Un article spor­tif, tout sim­ple­ment. » Les joueuses ont non seule­ment gagné le res­pect de cer­tains jour­na­listes, mais aus­si celui des res­pon­sables de l’Ambrosiana-Inter [ancien nom de l’Inter Milan, ndlr], qui ont emme­né leurs joueurs et ceux du Sparta Prague, leur adver­saire en demi-finale de la Coupe d’Europe cen­trale, pour les voir jouer. À la fin du match, le capi­taine du Sparta Prague, Burgr, leur remet des billets pour assis­ter à leur match à San Siro. La jour­née ne pou­vait mieux se ter­mi­ner : les locaux l’emportent par quatre buts à un. 

L’approche des Jeux olym­piques de 1936 amé­liore la situa­tion des femmes dans le sport : elles aus­si peuvent appor­ter médailles et gloire à leur pays. Mais le foot­ball fémi­nin n’est pas une dis­ci­pline olym­pique, ce qui pro­voque de nou­velles attaques de la part de la presse. Cependant, une lumière brille dans l’obs­cu­ri­té : d’autres équipes fémi­nines voient le jour. Les Milanaises envoient une nou­velle note dans la presse pour pro­po­ser un match contre les joueuses d’Alessandria. Trois jours plus tard, elles reçoivent un appel. Les filles d’Alessandria ont déjà joué contre les jeunes de La Serenissima, et ont gagné par cinq buts à zéro. Mais elles veulent jouer contre une autre équipe fémi­nine. Elles veulent jouer contre les Milanaises. Ce match offi­ciel, exclu­si­ve­ment fémi­nin, res­te­rait dans l’his­toire ita­lienne comme le pre­mier ayant eu lieu entre deux villes. 

L’histoire d’un préjugé et d’un combat

« Elles n’ont jamais pu jouer ce match. Le régime les a obli­gées à se tour­ner vers d’autres sports. »

On se met d’ac­cord sur la date du 1er octobre. Ugo Cardone achète les billets de train direc­tion Alessandria pour toutes les joueuses. Pendant des semaines, elles s’en­traînent plus dur encore. Mais, étran­ge­ment, aucun média ne se fait l’é­cho de cette nou­velle. Pas un seul mot. Pas même pour s’en moquer. Un jour, elles reçoivent la visite de trois hommes offi­ciels du régime lors d’une séance d’en­traî­ne­ment. Ils veulent éva­luer les ver­tus phy­siques des joueuses. Ensuite, ils vont voir Ugo Cardosi pour le convaincre de réorien­ter l’es­prit spor­tif des filles vers un sport olym­pique. Les pro­tes­ta­tions de Cardosi ne servent à rien, pas plus que la révolte des joueuses contre les règles impo­sées : « Nous avons fini par essayer de frap­per le bal­lon avec notre tête et de l’ar­rê­ter avec notre poi­trine, nous avons écar­té les gar­diens de but mas­cu­lins […]. Maintenant que la fin appro­chait, nous vou­lions nous débar­ras­ser de l’é­pine qui nous empê­chait de faire les choses comme nous le vou­lions. »

Elles n’ont jamais pu jouer ce match. Le régime les a obli­gées à se tour­ner vers d’autres sports. Pendant des décen­nies, le récit de ces dis­cri­mi­na­tions et de ce com­bat a été enter­ré, jus­qu’à ce que l’his­to­rien Marco Giani l’ex­hume pour que cha­cun, par­tout dans le monde, puisse « réflé­chir à la façon dont Rosetta, Losanna, Ninì et Marta ont été, à Milan en 1933, les pre­mières com­bat­tantes cou­ra­geuses et mal­heu­reuses d’une longue lutte contre une pen­sée com­mune et inébran­lable dans l’es­prit de tant d’Italiens (et, mal­heu­reu­se­ment, inté­rio­ri­sée par les femmes ita­liennes). Cette idée selon laquelle le foot­ball n’est pas un sport pour les filles. »

[DR]

*

Federica Seneghini a refer­mé le der­nier dos­sier. Soudain, elle est de retour au XXIe siècle. On entend un match de la Coupe du monde de foot­ball fémi­nin en arrière-plan, mais elle ne sau­rait dire qui dis­pute la par­tie. Les échos de ce match oublié, qui n’a jamais eu lieu, il y a presque un siècle, et qui aurait sans doute chan­gé le cours de l’his­toire du sport fémi­nin en Italie, résonnent encore dans sa tête. Elle est prête. Elle s’as­sied devant son ordi­na­teur, prend une pro­fonde ins­pi­ra­tion et tape le titre de son futur livre : Les Footballeuses qui ont défié Mussolini.


[lire le cin­quième volet | Rocky Balboa ou la revanche de l’Amérique blanche]


Photographies de vignette et de ban­nière : DR 
Traduit de l’espagnol par la rédac­tion de Ballast | Miguel Ángel Ortiz Olivera, « La for­ja de un equi­po rebelde », ctxt, 27 août 2022


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REBONDS

☰ Lire notre entre­tien avec Valérie Rey-Robert : « Le pro­blème, c’est la manière dont les hommes deviennent des hommes », avril 2020
☰ Lire notre article « Boxer contre les sté­réo­types de genre », Yann Renoult, février 2020
☰ Lire notre entre­tien avec Mickaël Correia : « Le foot­ball : un ins­tru­ment d’é­man­ci­pa­tion », avril 2018


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