Nuit Debout : « Faire peur aux élites en prenant ensemble la rue »


Entretien inédit pour le site de Ballast

« Le pro­jet de loi Travail pour­ra bien être reti­ré, et Valls sau­ter, nous ne ren­tre­rons pas chez nous pour autant : ce monde qu’ils construisent avec achar­ne­ment pour nous mais contre nous, nous n’en vou­lons pas ! Un élan popu­laire est en train de naître », lance ce col­lec­tif né dans l’é­lan du film Merci patron !, de François Ruffin. Leur objec­tif ? Ne pas ren­trer chez soi après la mani­fes­ta­tion de demain, comme à chaque fois, mais occu­per une place, aux quatre coins du pays, afin de « débattre et construire concrè­te­ment la conver­gence ». Autrement dit : tout faire pour ras­sem­bler, sans sec­ta­risme ni divi­sions de clans et de clo­chers, les lycéens et les sala­riés, les chô­meurs et les syn­di­ca­listes, les éco­lo­gistes et tous ceux qui vivent la dis­cri­mi­na­tion au quo­ti­dien. Nous leur avons posé quelques questions.


nuitComment est née l’i­dée de la Nuit Debout ? Sur quelle base et quel appel les per­sonnes se sont-elles regroupées ?

Dans cer­tains réseaux mili­tants, ça fait un moment qu’on essaie de mettre en œuvre cette conver­gence, mais l’i­dée s’est vrai­ment cris­tal­li­sée avec la dyna­mique du film Merci patron ! de François Ruffin (du jour­nal Fakir). Partout en France, les gens sortent du film en se posant la même ques­tion : « On fait quoi, main­te­nant ? » L’équipe de Fakir a alors orga­ni­sé à Paris une soi­rée inti­tu­lée « Leur faire peur », ras­sem­blant des militant.e.s asso­cia­tifs du droit au loge­ment, des sans-papiers ou des migrant.e.s, des lycéen.ne.s, des étudiant.e.s, des syn­di­ca­listes d’Air France et de Goodyear, des intermittent.e.s du spec­tacle, des pré­caires, ain­si que des hommes et des femmes de tous hori­zons… Plusieurs ont pris la parole pour par­ler du com­bat qu’ils por­taient et tous ont été una­nimes sur le fait qu’on ne pou­vait plus lut­ter cha­cun de son côté : au contraire, c’est en nous ras­sem­blant que nous pour­rions exer­cer un vrai rap­port de force. La pre­mière déci­sion col­lec­tive fut de dire : « Le 31 mars, on ne ren­tre­ra pas chez nous ! » On a tous enten­du par­ler des grandes mobi­li­sa­tions au Québec, en Espagne (avec les Indignés) ou aux États-Unis (avec Occupy Wall Street) : il s’a­git de s’ins­pi­rer de ces actions d’ampleur où les citoyens eux-mêmes décident d’occuper un lieu, de se ren­con­trer et d’a­gir à tra­vers un mou­ve­ment trans­ver­sal. Durant la Nuit debout, nous sou­hai­tons donc orga­ni­ser des assem­blées popu­laires pour débattre et construire concrè­te­ment la conver­gence. Tout l’enjeu est de réus­sir à faire de ce moment un espace de libé­ra­tion de la parole, afin de don­ner écho à toutes les luttes mais aus­si aux « sans voix » — tous ceux qu’on n’en­tend jamais dans les grands médias.

Et, concrè­te­ment, com­ment s’or­ga­nise cette manifestation ?

Du mieux qu’on peut. Avec les com­pé­tences, les idées et les expé­riences de cha­cun, répar­ties dans plu­sieurs com­mis­sions consti­tuées de béné­voles motivé.e.s et venu.e.s de par­tout. Nous sou­hai­tons que la Nuit Debout mobi­lise éga­le­ment au-delà des habitué.e.s des mani­fes­ta­tions. Raison pour laquelle les com­mis­sions « ani­ma­tion » et « res­tau­ra­tion » s’oc­cupent de créer un espace « fes­ti­val » avec des groupes (HK, l’1consolable, la Rabia…), des fan­fares, et peut-être une pro­jec­tion en plein air du film Merci Patron ! — ain­si que quelques prises de parole. Quoi qu’il en soit, tout dépen­dra de nos moyens humains et maté­riels ! C’est pour­quoi nous espé­rons rece­voir l’aide d’un maxi­mum de béné­voles. Aussi, un pot com­mun a été ouvert, en ligne, afin de ras­sem­bler les fonds nécessaires.

Est-ce uni­que­ment un évé­ne­ment parisien ?

« Nous pou­vons blo­quer le pays et contraindre le gou­ver­ne­ment à entendre nos voix. »

Il a, en effet, été lan­cé à Paris. Nous y sommes nom­breux ; les res­sources et les forces vives y sont for­cé­ment les plus nom­breuses — mais il s’a­git avant tout d’un évé­ne­ment auto­gé­ré. À cha­cun de s’en empa­rer ! Il n’y a aucune volon­té de cen­tra­lisme pari­sien. Nous pen­sons au contraire qu’il s’a­git là d’une per­cep­tion faus­sée de la réa­li­té, du fait d’une sous-repré­sen­ta­tion média­tique des luttes locales. Aujourd’hui, nous sommes heu­reux d’être débor­dés et de voir qu’à Aubenas, Caen, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon, Le Mans, Nantes, Nice, Rennes, Reims et Toulouse, des Nuits Debout s’organisent.

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Occupation de place en Espagne (EFE/Chema Moya)

En quoi la conver­gence des luttes est-elle capable de « faire peur », comme vous dites ?

L’idée n’est pas neuve. Nous lut­tons cha­cun de notre côté et, pour­tant, en remon­tant à la racine de nos maux, nous dési­gnons tous le même enne­mi : l’o­li­gar­chie, affer­mie depuis 30 ans, qui ne s’oc­cupe que de pro­té­ger les inté­rêts de la classe domi­nante. Ce n’est pas com­pli­qué à com­prendre dès lors que l’on voit l’i­né­gale répar­ti­tion des richesses dans le monde ! D’après une étude de l’Observatoire des inéga­li­tés, les 10 % les plus riches du monde détiennent 86 % de la richesse mon­diale, alors que la moi­tié de la popu­la­tion mon­diale ne dis­pose que de 0,5 % de cette richesse. Le mil­liar­daire Warren Buffett a bien rai­son de décla­rer : « Il existe bel et bien une guerre des classes mais c’est ma classe, celle des riches, qui fait cette guerre et nous sommes en train de la gagner ! » Opposer à leurs pri­vi­lèges nos voix et nos actions, mais aus­si nos rêves, c’est le pari qu’on se lance pour la Nuit Debout. Si on par­vient à asso­cier la déter­mi­na­tion et le nombre, nous pou­vons blo­quer le pays et contraindre le gou­ver­ne­ment à entendre nos voix. Nous pou­vons faire peur aux élites en pre­nant ensemble la rue. C’est en nous ras­sem­blant que nous inver­se­rons le rap­port de force, alors à nous de « faire classe » !

Et quels résul­tats attendez-vous ?

Pour le moment, on se consi­dère comme une grosse équipe logis­tique qui s’est défi­nie comme objec­tif de per­mettre l’oc­cu­pa­tion de la place de la République, à Paris, le 31 mars à par­tir de 18 heures — après la mani­fes­ta­tion et pour les trois jours qui sui­vront, comme cela a été décla­ré en pré­fec­ture. La suite ne dépend pas de nous mais de ceux qui se recon­naî­tront dans le mou­ve­ment et qui le pren­dront en main. On consi­dère que la machine doit se lan­cer. Ensuite, on espère qu’elle vivra ! Pour nous, la Nuit Debout n’est pas la fin de quelque chose mais le début d’un mou­ve­ment ; c’est avant tout cela, la conver­gence. On veut ras­sem­bler le plus lar­ge­ment pos­sible ceux qui se recon­naissent dans notre constat, et avan­cer ensemble à tra­vers une nou­velle façon de faire : c’est-à-dire faire sens et faire com­mun.


Si vous vou­lez sou­te­nir ou par­ti­ci­per à la Nuit Debout : contactconvergencedesluttes@lists.riseup.net

http://www.convergence-des-luttes.org


Ont répon­du à nos ques­tions : « tou.te.s les Camille du col­lec­tif Convergence des luttes ».


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