Winstanley, chrétien et précurseur du socialisme


Traduction d’un article de Tribune pour Ballast

« Je vous le dis encore, il est plus facile à un cha­meau de pas­ser par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’en­trer dans le royaume de Dieu », rap­por­tait en son temps le pre­mier des quatre Évangiles — celui de Matthieu. Du chris­tia­nisme au socia­lisme, il n’é­tait donc qu’un pas à fran­chir. Le Britannique Gerrard Winstanley a fait, avec d’autres, office de trait d’u­nion. Né au début du XVIIe siècle, ce pro­tes­tant s’est ins­pi­ré du Nouveau Testament pour cofon­der les Diggers en l’an­née 1649. En fran­çais, les Bêcheux. En rup­ture avec l’i­déo­lo­gie de la pro­prié­té indi­vi­duelle, le groupe a prô­né le par­tage des terres, l’ex­pro­pria­tion des sei­gneurs et la construc­tion d’une socié­té démo­cra­tique et éga­li­taire. Les pro­prié­taires ter­riens locaux ont, bien sûr, mis un terme à l’ex­pé­rience. La révo­lu­tion bol­che­vik gra­ve­ra le nom de Winstanley sur un obé­lisque afin de saluer le pré­cur­seur qu’il a été, puis, au mitan des années 1960, un col­lec­tif anar­chiste repren­dra à son compte celui des Diggers aux États-Unis. L’historien John Gurney revient sur la dif­fu­sion de la pen­sée de Winstanley au sein du mou­ve­ment pour l’émancipation.


Été 1918 : alors qu’ap­proche le pre­mier anni­ver­saire de la révo­lu­tion d’Octobre, des mesures sont prises à Moscou pour mettre en œuvre l’un des pro­jets phares de Lénine, son plan de pro­pa­gande de masse. D’après un décret daté du 12 avril, tout sym­bole encore exis­tant du régime tsa­riste doit être sys­té­ma­ti­que­ment sup­pri­mé, tan­dis que l’on éri­ge­ra des monu­ments dédiés aux pen­seurs et mili­tants révo­lu­tion­naires du pas­sé le long des grands axes de la métro­pole. Des plans simi­laires sont éla­bo­rés pour Petrograd. Parmi les anciens sym­boles tsa­ristes mena­cés de des­truc­tion, un grand obé­lisque de gra­nit récem­ment éri­gé — en 1913, pour com­mé­mo­rer les trois cents ans du règne des Romanov — se dresse dans les jar­dins d’Alexandre, près du Kremlin. C’est Lénine qui a pris la déci­sion de sau­ver l’o­bé­lisque : lui confé­rer un nou­vel usage pou­vait fina­le­ment s’es­ti­mer pré­fé­rable à sa démolition.

« L’aigle à deux têtes des Romanov est reti­ré de l’o­bé­lisque des jar­dins d’Alexandre et les noms des tsars sont effa­cés ; on ins­crit à leur place les noms de dix-neuf grands pen­seurs révolutionnaires. »

Alors que la guerre civile s’in­ten­si­fie en Russie, la construc­tion de nou­veaux monu­ments semble chaque jour une tâche plus dif­fi­cile. Il s’a­vère que très peu d’entre eux seront ache­vés à temps pour les célé­bra­tions dudit anni­ver­saire. Il paraît alors logique de réuti­li­ser un monu­ment plus ancien, quitte à sus­ci­ter l’a­ga­ce­ment des artistes et des sculp­teurs de l’a­vant-garde mos­co­vite. L’aigle à deux têtes des Romanov est reti­ré de l’o­bé­lisque des jar­dins d’Alexandre et les noms des tsars sont effa­cés ; on ins­crit à leur place les noms de dix-neuf grands pen­seurs révo­lu­tion­naires. Comme on peut s’y attendre, ceux de Karl Marx et de Friedrich Engels figurent en tête de liste, mais le hui­tième nom est celui de « Uinstenli », ou Gerrard Winstanley (1609–1676), mieux connu comme le chef des Diggers anglais du XVIIe siècle. En avril 1649, ils avaient occu­pé des ter­rains en friche à St George’s Hill, dans le Surrey, et semé des panais, des carottes et des hari­cots ; ils avaient éga­le­ment décla­ré qu’ils espé­raient que la Terre devien­drait bien­tôt « un tré­sor com­mun pour tous, qui que l’on soit ».

Pourquoi Lénine et ses par­ti­sans choi­sissent-ils Winstanley comme l’un des pen­seurs dont les tra­vaux ont pu contri­buer à ouvrir la voie aux sou­lè­ve­ments mas­sifs d’oc­tobre 1917 ? Qu’est-ce qui fait entrer Winstanley dans ce Panthéon des grands révo­lu­tion­naires et peut tis­ser un lien, même ténu, entre les révo­lu­tions anglaise et russe ? À pre­mière vue, la men­tion de son nom peut dérou­ter. Winstanley n’a pas été par­ti­cu­liè­re­ment connu de son vivant, pas plus qu’il n’a été une figure domi­nante de son époque.

[Manisha Parekh, Tangled Foot, 2016]

Winstanley n’a guère mili­té publi­que­ment que pen­dant quatre ans, de 1648 à 1652, tan­dis que les Diggers ont été actifs durant un peu plus d’un an, avant que leurs colo­nies du Surrey et d’ailleurs ne soient déman­te­lées, leurs récoltes pié­ti­nées et leurs mai­sons incen­diées. Au cours des deux siècles qui ont sui­vi la mort de Winstanley, ses écrits ne seront lus que par un petit nombre. Ce ne fut qu’aux alen­tours de 1890 que l’on connut mieux sa vie et ses œuvres, et que les socia­listes redé­cou­vrirent une figure qui sem­blait anti­ci­per bon nombre de leurs propres convic­tions. Si les char­tistes du milieu du siècle connais­saient et louaient le lea­der des Levellers [Niveleurs, en fran­çais, ndlr] John Lilburne, ils étaient pas­sés à côté de Winstanley. La redé­cou­verte de ses idées est arri­vée très tar­di­ve­ment ; trop, même, pour Marx et Engels qui en igno­raient tout. Quant à William Morris, le socia­liste anglais dont l’ou­vrage News from Nowhere parais­sait pour­tant indi­quer une connais­sance des écrits de Winstanley, rien ne prouve qu’il en ait jamais lu un seul mot. Ce fut Eduard Bernstein qui, en 1895, four­nit la pre­mière ana­lyse sys­té­ma­tique des pen­sées de Winstanley dans sa contri­bu­tion aux Précurseurs du socia­lisme moderne de Karl Kautsky, per­met­tant ain­si aux intel­lec­tuels mar­xistes d’en appré­cier pour la pre­mière fois la portée.

« Il y avait un monde entre lui et les mar­xistes de la fin du XIXe siècle. On peut néan­moins com­prendre que ces der­niers se soient inté­res­sés à Winstanley et aient vu en lui un pré­cur­seur, même loin­tain, de Marx. »

Winstanley a été un pen­seur reli­gieux, un vision­naire for­te­ment influen­cé par les écrits mys­tiques, par­ti­cu­liè­re­ment popu­laires par­mi les per­son­nages les plus radi­caux de la Révolution anglaise. Son œuvre était lar­ge­ment impré­gnée de cita­tions bibliques et il par­ta­geait plei­ne­ment l’en­thou­siasme mil­lé­na­riste de l’é­poque. À bien des égards, il y avait un monde entre lui et les mar­xistes de la fin du XIXe siècle. On peut néan­moins com­prendre que ces der­niers se soient inté­res­sés à Winstanley et aient vu en lui un pré­cur­seur, même loin­tain, de Marx. Les idées défen­dues par Winstanley avaient cela d’u­nique qu’il choi­sit d’u­ti­li­ser le mot « Raison » à la place de « Dieu » ; qu’il insis­ta sur ce qui avait cor­rom­pu la créa­tion dans son entier — la convoi­tise, la mise en com­pé­ti­tion et les rap­ports (de pou­voir) ins­tru­men­ta­li­sés. Il a éga­le­ment anti­ci­pé un futur où beau­coup en vien­draient à recon­naître ce qu’il y a de ver­tueux dans l’a­ban­don de la pro­prié­té pri­vée et dans le tra­vail collectif. 

Les mar­xistes pour­raient trou­ver dans les écrits de Winstanley cer­taines des cri­tiques les plus acerbes à l’en­contre des rela­tions sociales contem­po­raines qui furent rédi­gées par un auteur du XVIIe siècle. Ils pour­raient aus­si saluer la per­ti­nence de son intui­tion, selon laquelle seule une trans­for­ma­tion pro­fonde de la socié­té — por­tée par des indi­vi­dus bien infor­més, tra­vaillant main dans la main — débar­ras­se­rait l’hu­ma­ni­té de la souf­france et de l’ex­ploi­ta­tion. Tous les pro­blèmes aux­quels la Terre et la socié­té devaient faire face étaient liés, semble-t-il, à l’es­sor de la pro­prié­té pri­vée et des échanges moné­taires ; la créa­tion d’une socié­té sans argent et sans pro­prié­té était non seule­ment sou­hai­table, mais inévi­table. La trans­for­ma­tion à venir — la « res­tau­ra­tion de toutes choses » — serait libé­ra­trice pour tous, riches comme pauvres.

[Manisha Parekh, Tangled Foot, 2016]

Pour les lec­teurs de Marx de la fin du XIXe siècle, la vision de la « com­mu­nau­té » éta­blie par Winstanley pou­vait sem­bler cohé­rente avec leur com­pré­hen­sion du com­mu­nisme, un mot tout juste inven­té au cours de leur propre siècle. En lisant atten­ti­ve­ment Winstanley, ils pou­vaient éga­le­ment, comme Eduard Bernstein et Georgi Plekhanov, repé­rer des ten­ta­tives rudi­men­taires de for­mu­la­tion de concepts mar­xistes qui devien­draient fami­liers, tels que l’a­lié­na­tion et la théo­rie de la valeur-tra­vail. Il n’est pas éton­nant que Bernstein, qui a tant œuvré pour faire connaître les écrits de Winstanley, ait décrit dès 1895 l’a­vance qu’a­vait ce der­nier sur ses contem­po­rains, et qu’il ait loué l’ha­bi­le­té avec laquelle celui-ci avait éta­bli des liens entre les condi­tions sociales de son temps et leurs causes. L’attrait des mar­xistes pour Winstanley réside non seule­ment dans l’a­cui­té de sa cri­tique sociale, mais aus­si dans sa recon­nais­sance de l’im­por­tance de la capa­ci­té d’a­gir de cha­cun et de l’auto-émancipation.

« Alors que cer­tains radi­caux pré­co­ni­saient une assis­tance cha­ri­table pour les pauvres, Winstanley insis­tait pour que ce soient ces der­niers qui prennent la res­pon­sa­bi­li­té de la libé­ra­tion de leur fardeau. »

Comme de nom­breux pen­seurs radi­caux du XVIIe siècle, Winstanley affir­mait sa pré­fé­rence pour l’ac­tion plu­tôt que pour les dis­cours. Mais alors que cer­tains radi­caux pré­co­ni­saient une assis­tance cha­ri­table pour les pauvres, Winstanley insis­tait pour que ce soient ces der­niers qui prennent la res­pon­sa­bi­li­té de la libé­ra­tion de leur far­deau. C’est en tra­vaillant la terre en com­mun et en refu­sant de tra­vailler pour le compte d’au­trui qu’ils pour­raient mar­quer des chan­ge­ments sociaux immi­nents, et seraient à même de les accom­pa­gner. Les lec­teurs mar­xistes de Winstanley, enga­gés dans les luttes poli­tiques de leur époque, n’ont eu sans doute aucune dif­fi­cul­té à sous­crire à l’ob­ser­va­tion de Winstanley selon laquelle « l’ac­tion est au cœur de la vie, et si vous n’a­gis­sez pas, vous ne faites rien ». Dans ses écrits reli­gieux, on peut consi­dé­rer que, là aus­si, Winstanley est allé plus loin que nombre de ses contem­po­rains. Son pro­fond anti­clé­ri­ca­lisme était diri­gé non seule­ment contre les ins­ti­tu­tions et le per­son­nel de l’Église angli­cane, mais aus­si contre toutes les reli­gions orga­ni­sées, y com­pris les sectes radi­cales. Les mar­xistes ren­con­trant la pen­sée de Winstanley pour la pre­mière fois ont accueilli favo­ra­ble­ment sa cri­tique féroce des fonc­tions sociales de la reli­gion, et celle d’une chré­tien­té uni­que­ment tour­née vers le salut indi­vi­duel. Pour Winstanley, ce sont les actions ici-bas, plus que la pro­messe d’un salut futur, qui consti­tuent l’es­sence de la vraie reli­gion ; la ques­tion de l’exis­tence du Ciel ou de l’Enfer l’in­té­resse donc moins.

Alors que la plu­part des his­to­riens asso­cie­raient aujourd’­hui la pos­ture reli­gieuse de Winstanley à l’exemple extrême d’une croyance basée prio­ri­tai­re­ment sur les agis­se­ments, on com­prend aisé­ment pour­quoi les mar­xistes du tour­nant du siècle ont pu le per­ce­voir — ain­si que beau­coup de ses contem­po­rains — comme un athée dans l’âme qui uti­li­sait un lan­gage reli­gieux pour mas­quer des posi­tions laïques. En cela, comme de tant d’autres manières, Winstanley a pu appa­raître comme l’un des pré­cur­seurs les plus inté­res­sants du socia­lisme scien­ti­fique moderne. Le véri­table tableau est, bien sûr, plus com­plexe. Même dans les pre­mières années qui ont sui­vi sa redé­cou­verte popu­laire, l’at­trait de Winstanley semble avoir été aus­si grand pour les anar­chistes et les liber­taires que pour les mar­xistes orthodoxes.

[Manisha Parekh, Tangled Foot, 2016]

Dès 1899, le jour­na­liste radi­cal et mili­tant agrarien1 Morrison Davidson décri­vait Winstanley comme « notre Tolstoï du XVIIe siècle ». Il n’a été que le pre­mier de ceux qui ont cher­ché à asso­cier le Digger à une tra­di­tion anar­chiste plu­tôt que mar­xiste. La lutte entre mar­xistes et anar­chistes pour reven­di­quer l’hé­ri­tage de Winstanley s’est pour­sui­vie durant une grande par­tie du XXe siècle. Alors qu’à la fin des années 1940, les intel­lec­tuels du Parti com­mu­niste défen­daient Winstanley en tant que maté­ria­liste et par­ti­san de l’ac­tion de l’État, George Woodcock l’i­den­ti­fia, dès 1944, comme le pen­seur qui avait anti­ci­pé l’i­dée de Kropotkine sur l’aide mutuelle « comme il anti­ci­pait l’a­nar­chisme de tant d’autres manières ». George Orwell esti­mait lui aus­si que la pen­sée de Winstanley « se rat­tache à l’a­nar­chisme plu­tôt qu’au socia­lisme ».

« La lutte entre mar­xistes et anar­chistes pour reven­di­quer l’hé­ri­tage de Winstanley s’est pour­sui­vie durant une grande par­tie du XXe siècle. »

Rapidement, les uni­ver­si­taires en sont éga­le­ment venus à le consi­dé­rer comme une figure d’une impor­tance par­ti­cu­lière. L’intérêt aca­dé­mique crois­sant pour Winstanley, à l’é­poque moderne, est sou­vent asso­cié, à juste titre, aux tra­vaux du mar­xiste et his­to­rien d’Oxford Christopher Hill (1912–2003), dont la contri­bu­tion à notre com­pré­hen­sion du phé­no­mène Digger demeure pour le moins influente. Mais de nom­breux autres his­to­riens pro­fes­sion­nels, aux opi­nions poli­tiques très diverses, ont enri­chi au fil des ans notre connais­sance de la vie et des idées de Winstanley — comme l’ont fait d’é­mi­nents spé­cia­listes en lit­té­ra­ture, en théo­lo­gie et en his­toire du droit en poli­tique. Des voix dis­si­dentes se font encore entendre de temps à autre, et l’at­ten­tion accor­dée par les uni­ver­si­taires aux Diggers ain­si qu’aux autres radi­caux de la guerre civile est encore par­fois qua­li­fiée d’« extrê­me­ment dis­pro­por­tion­née ». De tels com­men­taires peuvent sem­bler plu­tôt étranges et démo­dés aujourd’­hui ; ils ren­voient aux années 1950, lors­qu’il était encore pos­sible d’é­tu­dier, au niveau uni­ver­si­taire, l’his­toire bri­tan­nique du milieu du XVIIe siècle sans jamais men­tion­ner le nom de Winstanley. Mais il appa­raît clai­re­ment que dans les cercles uni­ver­si­taires, l’in­té­rêt pour Winstanley n’a jamais été l’a­pa­nage de la gauche. Les grands his­to­riens de l’é­poque vic­to­rienne, S.R. Gardiner et C.H. Firth, ont tous deux prê­té atten­tion aux écrits de Winstanley, tan­dis que Perez Zagorin, qu’on ne pour­rait en aucun cas qua­li­fier de mar­xiste, pou­vait dans les années 1950 dire de Winstanley qu’il était un « génie » et l’un « des plus émi­nents pen­seurs poli­tiques de son temps ». Même le redou­table G.M. Trevelyan n’a pu s’empêcher de décla­rer que Winstanley comp­tait par­mi les « types les plus attrayants et les plus nobles jamais pro­duits par notre île » et était une figure qui valait d’être sau­vée de l’obs­cu­ri­té dans laquelle les pré­ju­gés du pas­sé l’a­vaient scan­da­leu­se­ment jeté.

Winstanley était deve­nu écri­vain et mili­tant à la fin des années 1640, au len­de­main des guerres civiles en Angleterre ; il ne peut être cor­rec­te­ment com­pris que dans le contexte de la crise poli­tique, éco­no­mique et reli­gieuse de l’a­près-guerre. La période de 1640 à 1660 — qui englobe la guerre civile entre le roi et le Parlement, la défaite et l’exé­cu­tion de Charles Ier et les expé­riences de règne sans roi qui ont sui­vi — est le plus com­mu­né­ment appe­lée aujourd’­hui la Révolution anglaise. Christopher Hill a défen­du l’i­dée que ces deux décen­nies ont été les témoins de la révo­lu­tion bour­geoise la plus impor­tante de l’Angleterre ; il a axé une grande par­tie de ses tra­vaux sur la nature et la dyna­mique de cette révo­lu­tion. Très tôt, cepen­dant, il a éga­le­ment recon­nu l’exis­tence d’une révo­lu­tion radi­cale inache­vée, laquelle pour­rait être pla­cée à côté de celle qui avait réus­si : celle, donc, que Winstanley a ten­té de mener.

[Manisha Parekh, Tangled Foot, 2016]

Quand Hill en est venu à écrire son livre révo­lu­tion­naire Le Monde à l’en­vers, publié en 1972, son inté­rêt s’é­tait réso­lu­ment tour­né vers cette « révolte au sein de la Révolution ». Parmi la mul­ti­tude de figures radi­cales abor­dées dans le livre, Winstanley se démar­quait comme le véri­table héros, l’au­then­tique révo­lu­tion­naire. Le Monde à l’en­vers a été réédi­té en livre de poche en 1975, ce qui a per­mis que les idées de Winstanley, issues de l’ef­fer­ves­cence radi­cale des décen­nies révo­lu­tion­naires, atteignent un lec­to­rat plus large que jamais. Les tra­vaux de Winstanley eux-mêmes sont éga­le­ment deve­nus dis­po­nibles pour la pre­mière fois sous une forme rela­ti­ve­ment bon mar­ché et acces­sible, via la réédi­tion, par Hill, de son livre The Law of Freedom and Other Writings — ceci en 1973, chez Pelican Classics. Ces deux ouvrages ont eu une influence consi­dé­rable, et c’est en par­tie à eux que l’on peut attri­buer la renom­mée excep­tion­nelle dont Winstanley a fini par jouir. L’auteur-com­po­si­teur-inter­prète Leon Rosselson se sou­vient avoir été « rem­pli d’en­thou­siasme en décou­vrant Winstanley » dans Le Monde à l’en­vers ; après l’a­voir lu et avoir fait d’autres recherches à son sujet, il a écrit sa chan­son « The World Turned Upside Down : Part 2 », deve­nue, depuis, l’un des hymnes des mani­fes­ta­tions les plus connus de ces der­nières années. Les livres de Hill ont éga­le­ment été lar­ge­ment lus par les étu­diants des nou­velles uni­ver­si­tés bri­tan­niques créées dans les années 1960 — où les idées radi­cales figu­raient en bonne place dans les ensei­gne­ments option­nels de la Révolution anglaise mis en place par des admi­ra­teurs et d’an­ciens étu­diants de Hill — et à Oxford, où son influence est res­tée impor­tante même après sa retraite.

« Ses idées comme ses suc­cès sont désor­mais consi­dé­rés comme par­ti­cu­liè­re­ment per­ti­nents pour les mili­tants modernes. »

À l’u­ni­ver­si­té de Sussex, qui s’est rapi­de­ment impo­sée comme un centre de pre­mier plan pour les études sur la Révolution anglaise, deux étu­diants issus de ces spé­cia­li­tés, dans les années 1970, auraient cher­ché à suivre l’exemple de Winstanley et seraient par­tis fon­der leur propre com­mu­nau­té. C’est en dehors du milieu uni­ver­si­taire que les livres de Hill ont eu l’im­pact le plus direct et que l’in­té­rêt pour Winstanley s’est déve­lop­pé le plus rapi­de­ment. Au cours des der­nières décen­nies, Winstanley est deve­nu l’une des figures les plus célé­brées de la période de la Révolution anglaise — peut-être plus célèbre encore aujourd’­hui que les lea­ders des Levellers. Des pièces de théâtre, des séries télé­vi­sées, des romans, des chan­sons lui ont été consa­crés, ain­si que Winstanley, un film impor­tant de Kevin Brownlow et Andrew Mollo [en 1975, ndlr]. Et les poli­ti­ciens de gauche de le citer volon­tiers comme une figure inspirante.

Ses idées comme ses suc­cès sont désor­mais consi­dé­rés comme par­ti­cu­liè­re­ment per­ti­nents pour les mili­tants modernes et les Diggers sont l’un des groupes his­to­riques aux­quels ceux-ci sont les plus sus­cep­tibles de s’i­den­ti­fier. Des Haight-Ashbury Diggers des années 1960 aux Hyde Park Diggers et au Digger Action Movement bri­tan­niques, des mili­tants pour la terre du XXIe siècle aux mani­fes­tants du G20 Meltdown, en pas­sant par les acti­vistes du mou­ve­ment Occupy, tous ces mou­ve­ments sociaux modernes font écho aux écrits de Winstanley. Nous ne savons pas com­ment les géné­ra­tions futures consi­dé­re­ront les Diggers, pas plus que nous ne savons si Winstanley res­te­ra l’ob­jet d’é­loges comme c’est le cas de nos jours dans la tra­di­tion radi­cale et révo­lu­tion­naire. Mais, pour le moment du moins, les paroles de la chan­son de Leon Rosselson (dans la plus opti­miste de ses nom­breuses ver­sions) tiennent bon : les Diggers « ont été dis­per­sés — mais la vision per­siste ».


Traduit de l’anglais par la rédac­tion de Ballast | John Gurney, « Gerrard Winstanley’s Christian Communism », Tribune, 25 décembre 2020.
Illustrations de ban­nière : Willi Baumeister

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  1. Partisan du par­tage des terres entre ceux qui les cultivent.

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