Texte inédit pour le site de Ballast
C’est sous la forme habituelle des communiqués que les communautés autonomes du Chiapas nous ont fait savoir que « différentes délégations zapatistes, hommes, femmes et autres de la couleur de notre terre », traverseront bientôt les mers. Avec un départ prévu pour le mois d’avril 2021, ils partiront à la rencontre de celles et ceux qui luttent en bas à gauche — et commenceront par les terres européennes. Le Congrès national indigène (CNI)1 a fait savoir qu’il tiendrait sa cinquième assemblée nationale au mois de janvier 2021 afin de convenir de sa participation au voyage. Pour le moment, la seule étape établie dans leur calendrier est celle de Madrid, en date du 13 août, autrement dit « 500 ans après la soi-disant conquête de ce qui est aujourd’hui le Mexique ». Signé par le sous-commandant Moisés, porte-parole de l’EZLN, le premier texte fait le bilan des observations et des discussions qui ont eu lieu ces derniers mois dans les communautés autonomes, lesquelles ont conduit à la prise de la présente décision.
« Les zapatistes affirment que les notions de
progrèset demodernitésont entièrement faussées. »
Le texte s’ouvre en faisant état d’« un monde malade dans sa vie sociale, fragmenté en des millions de personnes étrangères les unes aux autres, accrochées à leur survie individuelle, mais unies sous l’oppression d’un système prêt à tout pour assouvir sa soif de profit, même lorsqu’il est clair que sa voie va à l’encontre de l’existence de la planète Terre ». Et c’est en partant de la réalité mondiale des féminicides, perpétués « avec l’aval de l’impunité structurelle », que les zapatistes affirment que les notions de « progrès » et de « modernité » sont entièrement faussées, qu’un massacre à l’encontre des femmes et de la Terre est en cours, et qu’il est orchestré sous l’étendard du « développement » et de la « civilisation ». Cette dernière dirait, non sans ironie, aux peuples autochtones : « La preuve de votre sous-développement réside dans votre faible taux de féminicides. Ayez vos mégaprojets, vos trains, vos centrales thermoélectriques, vos mines, vos barrages, vos centres commerciaux, vos magasins d’électroménager — avec une chaîne de télévision incluse — et apprenez à consommer. Soyez comme nous. Pour payer la dette de cette aide progressiste, vos terres, vos eaux, vos cultures, vos dignités ne suffisent pas. Il faut y ajouter la vie des femmes. » Et les zapatistes de poursuivre sur le danger que représentent les nationalismes et les fascismes renaissants, ceux-là mêmes qui, en construisant des murs et en ravivant la haine, font craindre de nouvelles guerres.
Ils dénoncent également l’attitude des différents gouvernements quant à la gestion de la crise du COVID-19 : ils ont préféré rentrer dans une compétition morbide « entre nationalismes ridicules », pariant sur le fait que « la pandémie serait de courte durée », plutôt que d’appliquer des mesures élémentaires relevant du bon sens. Au printemps dernier, bien avant que le reste du Mexique ne prenne au sérieux la pandémie, l’EZLN avait déclaré l’alerte rouge dans ses territoires, annoncé la fermeture des caracoles2 jusqu’à nouvel ordre et demandé aux communautés de suivre les mesures qui allaient leur être transmises : suspension des réunions, mise en quarantaine des personnes revenant d’autres régions, hygiène renforcée. Une réaction rapide, organisée et autonome, qui s’était accompagnée d’un appel à poursuivre les luttes en changeant temporairement les modes d’action. Le communiqué du mois de mars 2020 dénonçait déjà « la frivole irresponsabilité » des pouvoirs face à « la menace réelle, prouvée scientifiquement », encourageant l’ensemble des populations, « face à l’absence des gouvernements », à adopter les mesures sanitaires nécessaires.
Enfin, en cet automne 2020, les zapatistes saluent et remercient les luttes de résistances et les rébellions nationales et internationales, qui, « bien qu’elles soient tues et oubliées, n’en demeurent pas moins essentielles, traçant des pistes pour une humanité qui se refuse à suivre le système dans sa marche forcée vers l’effondrement ». Autant de mobilisations qui rappellent que la seule issue possible est planétaire, et qu’elle a le visage, multiple, du monde du « travail qui vit et qui meurt » — face à ceux d’en haut. Le décor est campé. Et ils indiquent la voie qu’ils continuent de faire leur : la lutte pour la vie, la résistance et l’autonomie, et ce malgré les menaces incessantes, les paramilitaires et les tentatives de privatisation.
Le droit de vivre leur vie
« Depuis l’arrivée au pouvoir de López Obrador (dit AMLO) en décembre 2018, la guerre de contre-insurrection s’est ravivée et intensifiée. »
C’est que, depuis l’arrivée au pouvoir de López Obrador (dit AMLO) en décembre 2018, la guerre de contre-insurrection s’est ravivée et intensifiée. Lors de l’anniversaire des 25 ans de leur soulèvement, les zapatistes avaient averti quiconque voulait bien les entendre ; la suite leur donne raison : on compte, depuis, plusieurs agressions du groupe paramilitaire ORCAO3 contre des bases d’appui zapatistes (incendie d’une réserve de café, séquestration d’un compañero zapatiste, achat d’armement lourd avec fonds publics) ; des tirs d’armes lourdes de la part d’un groupe paramilitaire issu de la communauté de Santa Martha à l’encontre des populations du village d’Aldama (déjà plus de 30 morts, plusieurs dizaines de blessés et des milliers de déplacés). Le 18 novembre dernier, un pas de plus était franchi : une brigade humanitaire était attaquée. Une religieuse, membre de l’association caritative Caritas, a été blessée — sous les yeux de la Garde nationale, le nouvel organe de « sécurité » créé par le nouveau président AMLO. En faisant passer ces conflits pour des désaccords entre communautés voisines et en permettant l’armement de ces groupes criminels, le gouvernement, dit « de la 4T« 4, ne montre aucune volonté de faire cesser la violence. Bien au contraire. Une déstabilisation de la zone est tout à son avantage ; elle permettra d’entériner ses mégaprojets5 d’autant plus facilement. Autant de raisons qui poussent les zapatistes à sortir prochainement du Chiapas.
Il y a bientôt deux décennies, la Marcha del Color de la Tierra (Marche de la couleur de la Terre) avait parcouru le Mexique jusqu’à la capitale, pour s’achever, en mars 2001, par l’interlocution des délégués du Conseil national indigène et du commandement général de l’EZLN, par la voix de la commandante Esther, face à la Chambre des députés6. Le mois suivant, les partis trahissaient les accords de San Andrés en votant une loi allant à l’encontre des droits des peuples indigènes7. Depuis, l’EZLN a refusé tout dialogue avec les gouvernements successifs et s’est attachée à la construction de l’autonomie de manière unilatérale. Aujourd’hui, ils décident donc de porter leur parole et leur lutte aux cinq continents.
En se rendant en Espagne, ils n’exigeront pas de quelconques excuses de la part de l’État pour les crimes de la conquête commis contre les peuples originaires, comme en réclame hypocritement l’actuel président mexicain : non, leur obectif n’est pas de solder des comptes vieux de cinq siècles. Ce qu’ils revendiquent, c’est leur droit, aujourd’hui comme hier, à vivre sur les territoires qui sont les leurs. À vivre sans que leur vie et leur autonomie ne soient perpétuellement attaquées par la colonisation désormais néolibérale. Les zapatistes partiront dès lors « à la recherche de ce qui nous rend égaux, […] à la recherche de la liberté, qui a animé ce premier pas… et qui continue depuis à faire son chemin ».
Le système tout entier
« Cherchons ensuite les noms des entreprises, leurs activités internationales, les armes vendues. »
Deux autres textes de l’EZLN n’ont pas tardé à suivre, signés, cette fois, du sous-commandant Galeano (Marcos). Il s’agit d’abord d’une invitation : changer notre regard, faire un pas de côté. Vérifions, pour commencer, que nous ne sommes pas l’une de ces machines informatiques, automatiques, puis regardons celles et ceux d’en bas. Par exemple, dit-il, les sans-papiers en France. Leurs pas, convergeant vers Paris le samedi 17 octobre dernier, se font l’écho de cette lutte planétaire pour une vie digne. Interrogeons-nous sur leurs histoires, sur ce qui les a poussés à traverser terres et mers en bravant frontières et dangers. En changeant de point de vue, le sous-commandant Galeano enjoint à remonter aux origines : pourquoi ont-ils entamé ce voyage, fatal pour beaucoup ? « [L]a guerre, où ça ? Ou encore mieux, pourquoi cette guerre ? » Cherchons ensuite les noms des entreprises, leurs activités internationales, les armes vendues. Alors ne tarderons-nous pas à découvrir que « c’est un système tout entier » qui est en jeu, lequel jette sur la route tant de gens. Ce système est mondial, ses administrateurs tout autant, et il a pour credo : « argent versus vie« .
Galeano poursuit : « Et il se trouve que ceux8 qui demanderaient pardon pour la centrale thermoélectrique9, sont les mêmes qui sont impliqués dans le mal nommé Train Maya
10, les mêmes pour le couloir trans-isthmique
11, les mêmes pour les barrages, les mines à ciel ouvert et les centrales électriques, les mêmes qui ferment les frontières pour empêcher la migration provoquée par les guerres qu’eux-mêmes nourrissent, les mêmes qui pourchassent les Mapuches, les mêmes qui massacrent les Kurdes, les mêmes qui détruisent la Palestine, les mêmes qui tirent sur les Afro-Américains, les mêmes qui exploitent (directement ou indirectement) des travailleurs un peu partout sur la planète, les mêmes qui cultivent et vénèrent la violence de genre, les mêmes qui vouent l’enfance à la prostitution, les mêmes qui vous espionnent pour connaître vos goûts et vous vendre ceci ou cela — et si rien n’est à votre goût, et bien on fera en sorte que cela vous plaise quand même —, les mêmes qui détruisent la nature. »
Galeano convoque également ces hommes et ces femmes qui, depuis maintenant plusieurs décennies, ont cherché à allonger la distance qui nous sépare tous de la porte qui mène à la mort. « [T]out notre effort a consisté, et consiste, à éloigner la porte le plus possible. » Une image, comme souvent sous sa plume. C’est-à-dire à augmenter le temps de vie, d’une vie digne et libre où plus personne ne disparaîtrait de maladies curables, de faim, de soif, de maltraitance, d’exploitation… Et, de fait, dans les communautés zapatistes du Chiapas, la situation n’est plus la même qu’avant le soulèvement de 1994 et la récupération de leurs terres. Les communautés autonomes ont mis en place leurs propres gouvernements, ont construit des écoles et des hôpitaux, ont développé les travaux communautaires (travail collectif des terres, coopératives agricoles, d’artisanat ou encore de café…). Résultat : dans un pays capitaliste où le racisme envers les populations indigènes n’est pas un fait du passé, la situation de tous — et plus particulièrement des femmes et des enfants — est incomparable tant avec leur situation antérieure qu’avec celle de la majorité des communautés peuplant le territoire mexicain.
« Les populations zapatistes déclarent qu’au cours de ces dernières années, aucune femme n’a trouvé la mort pour le fait d’être une femme. »
En territoire zapatiste, tous les enfants ont en effet accès à l’éducation ; ils savent lire, écrire et parler leur langue maternelle, ainsi que la castilla (l’espagnol) ; les soins médicaux élémentaires sont assurés dans les communautés les plus reculées et les savoirs traditionnels — tels que l’utilisation des plantes médicinales, les soins du corps et des os, l’accompagnement des accouchements — sont transmis12. Au reste, alors que les violences contre les femmes et les féminicides sont des fléaux qui sévissent partout dans le pays, les populations zapatistes déclarent qu’au cours de ces dernières années, aucune femme n’a trouvé la mort pour le fait d’être une femme13. La justice, rendue de manière communautaire, se veut réparatrice : au lieu de punir, ils et elles recherchent le dialogue et la réparation du tort causé. Il n’est d’ailleurs pas rare que les habitants non-zapatistes s’en remettent aux autorités autonomes pour régler un conflit, ou qu’ils se rendent dans une de leurs cliniques afin de bénéficier des soins que l’hôpital public leur refuse souvent — pour des raisons économiques ou par discrimination pure et simple.
Retour sur le « combo pour la vie«
Pour que ce voyage réussisse, le porte-parole souligne enfin l’importance des liens : ceux de l’entraide et de l’organisation. C’est qu’il s’agira de construire un radeau et de lancer les cordes qui, mises bout à bout, permettront de le faire avancer sur les eaux depuis chaque côté de la rive — le faisant ainsi arriver à bon port… Dans le troisième communiqué, Galeano convoque « la mémoire de ce qui adviendra ». Il y rappelle les mots laissés par le vieil Antonio il y a 35 ans de cela : l’homme fut son guide et son ami ; il le mena à l’écoute et à la compréhension de la cosmovisión maya. Il lui parla, alors, du soulèvement inéluctable de la Terre-Mère et de celui des êtres vivants qui l’habitent pour, ensemble, faire face au pouvoir assassin et insatiable qui s’effondrera en contemplant sa vanité. « Et, dit en ce temps le vieil homme à celui qui deviendrait Marcos puis Galeano, le jaguar marchera à nouveau sur ses pistes ancestrales, régnant à nouveau là où l’argent et ses laquais avaient voulu régner. » Une fois de plus, les communiqués s’imbriquent et nous donnent de nouvelles pièces du puzzle : ce que le sous-commandant Galeano se plaît à nommer « le casse-tête zapatiste ». Nous en avions eu, déjà, un aperçu il y a exactement un an.
Décembre 2019. Un énigmatique communiqué titré « Une baleine dans les montagnes du sud-est mexicain (créateurs et créatures) » nous avait convié à venir découvrir quelques pièces de ce « casse-tête » au sein d’un des nouveaux caracoles. Au mois d’août de la même année, leur nombre était passé de cinq à douze, rompant ainsi l’encerclement militaire et étendant officiellement les zones d’influence zapatiste du Chiapas. Le porte-parole avertissait : « Vous vous êtes arrêtés parce que vous avez vu de loin une étoile rouge à cinq branches au sommet d’une colline, puis une sorte de pancarte monumentale avec tant de lettres que vous n’êtes pas arrivés à lire de quoi il s’agissait. » Alors, nous, membres et sympathisant·es de la Sexta14, avions répondu à l’appel. Pour s’y rendre, nul besoin d’adresse en effet : le nouveau caracol s’imposait tel un immense restaurant de bord de route. Une grande fête semblait y avoir lieu. Au loin, avait précisé le sous-commandant, « une silhouette bleutée d’un cheval hennissant et quelques grosses lettres qui, dans la lumière, composent les mots : TULAN KAW ZAPATISTA [cheval fort zapatiste] ».
« Au loin, la fumée du café s’échappait par la fenêtre du grand restaurant nouvellement construit — les vitres n’étaient pas encore posées. »
En arrivant, ce dimanche 7 décembre 2019, pour l’ouverture de leur festival de cinéma, la commission d’inscription nous avait demandé une pièce d’identité et nous avait remis un badge avec nos noms, prénoms, lieu d’origine et organisation. Nous avions alors pénétré dans le caracol ; l’esplanade s’ouvrait devant nous. Au loin, la fumée du café s’échappait par la fenêtre du grand restaurant nouvellement construit — les vitres n’étaient pas encore posées. Unissant leurs efforts et se relayant, les zapatistes avaient réussi le défi de bâtir ce nouveau centre culturel et politique en deux mois et demi. Ils étaient fiers de pouvoir accueillir les festivals de cinéma et de danse. Nous poursuivîmes notre chemin : des petites scènes bricolées, de drôles de créatures prenant vie au milieu de décors chaotiques et surréalistes. Plus loin, une maquette avec pour seule information : « Projet de théâtre« . À côté, une tirelire pour les dons anonymes. Puis, comme annoncé dans le communiqué de Galeano, « un chemin pavé de lumière et la silhouette d’une grande étoile rouge, et, au milieu de décombres apparemment placés à cet effet, des images changeantes d’un décor dystopique« .
La vaste salle de cinéma, fraîchement construite de bois, s’accrochait à la montagne, « défiant les lois de la physique » — semblable, poursuivait-il, à « une baleine errante qui, s’efforçant de nager à contre-courant et en montée, repose maintenant entre les arbres et les gens« . À l’entrée, on pouvait lire ce mot peint en grosses lettres rouges : « Maricheweu« . Littéralement, « Nous vaincrons 100 fois », en mapundungun, la langue du peuple mapuche originaire de l’extrême sud du continent. « Ici, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, vous rencontrez ce cri de résistance et de rébellion mapuche. Pourquoi le zapatisme salue-t-il ainsi et ici les indigènes ? Pourquoi cette volonté d’invoquer une histoire ancestrale de résistance et de rébellion du sud le plus profond du continent et de venir la semer dans cette montagne qu’on appelle aussi Tulan Kaw et ainsi réunir, de manière irrationnelle, anachronique, deux résistances et rébellions ayant le même objectif : défendre la Terre-Mère ?« , ajoutait le zapatiste.
Cet appel — le « combo pour la vie » — se poursuivit tout au long du mois de décembre. Nous avions ainsi assisté à la deuxième édition du Festival de cinéma Puy Ta Cuxlejatltic (« Escargot de notre vie »), lors duquel plus de 50 longs et courts métrages d’horizons très divers ont été présentés (la majorité en présence de leur réalisateur ou de certains de leurs acteurs). Le caracol s’était transformé en un immense espace de réunion et de dialogue. « Ici le cinéma se vit comme une expérience de créer une communauté, de créer une collectivité », avait déclaré l’acteur Daniel Jimenéz Cacho à Radio Pozol. Puis, dans le froid et le vent de l’hiver, le cinéma de céder place à la danse. « Est-il possible d’imaginer la bande-son d’un nouveau monde qui, insoumis, naît des décombres d’un autre monde qui se craquelle déjà imperceptiblement ? » Plus de 80 danseurs et danseuses avaient répondu à l’appel zapatiste : danse arabe, africaine, contemporaine, classique, hip-hop, butoh… Et, comme toujours, les journées se terminaient par de grands bals où, au son des rythmes populaires, les visiteurs, les membres des communautés, les miliciens et les miliciennes de l’EZLN dansaient jusque tard dans la nuit.
« C’est transformées, perturbées, mais plus fortes, que nous sommes revenues de cette rencontre. »
Sous la forme d’un forum en défense de la Terre et du territoire, rassemblant près d’un millier de personnes, les différents peuples qui forment le CNI s’étaient ensuite rencontrés. Des représentants des peuples kurde et mapuche en étaient également. Conclusion des échanges : par-delà les disparités géographiques, partout le même responsable : le système capitaliste. Puis vint le moment pour les femmes de se rencontrer. Originaires du monde entier (49 pays des cinq continents), elles étaient près de 4 000 à être venues partager leurs douleurs et leurs luttes, dans un programme en trois parties : un jour pour dénoncer, un autre pour trouver des solutions, un troisième pour célébrer. C’est transformées, perturbées, mais plus fortes, que nous sommes revenues de cette rencontre.
Le « combo pour la vie » s’était achevé par la célébration des 26 ans du soulèvement de l’EZLN. Les 26 ans « du début de la guerre contre l’oubli ». Sur le site qui accueillait quelques jours plus tôt ces milliers de femmes, ce furent essentiellement des membres des communautés et de l’armée zapatiste qui se réunirent. L’EZLN, plus organisée que jamais, a réitéré son engagement à défendre la Terre — « jusqu’à mourir s’il le faut ». Le sous-commandant insurgé Moisés avait alors demandé : « Les mauvais gouvernements sont-ils prêts à essayer de nous détruire À TOUT PRIX, à nous battre, à nous emprisonner, à nous faire disparaître et à nous assassiner ? » Puis, s’adressant aux peuples : « À quoi êtes-vous prêts, prêtes et prêt·es pour arrêter la guerre menée contre l’humanité ? » Un an plus tard, la baleine s’apprête à mettre le cap vers l’Ouest — soucieuse de continuer de réunir celles et ceux qui luttent « sans se rendre, sans se vendre, ni abandonner ».
Photographie de bannière : Apolline Anor
- Réseau regroupant les peuples indigènes en résistance.[↩]
- Centres politico-culturels des différentes zones zapatistes où siègent les Conseils de bon gouvernement.[↩]
- Organisation régionale des producteurs de café d’Ocosingo.[↩]
- C’est ainsi que se fait appeler le gouvernement de López Obrador. Il proclame qu’il serait la « quatrième transformation », prenant la suite de trois moments historiques du Mexique : l’Indépendance de 1810, la Réforme de la fin des années 1850 et la Révolution de 1910.[↩]
- Au nombre desquels on compte le Train Maya, la raffinerie pétrolière du port de Dos Bocas dans le Tabasco, le couloir trans-isthme ou encore le Plan intégral Morelos.[↩]
- Tous et toutes s’attendaient alors à voir le sous-commandant Marcos à la tribune.[↩]
- Le 25 avril 2001, l’ensemble des partis politiques représentés au Sénat ont ainsi approuvé une réforme qui n’intégrait qu’une partie desdits accords, laissant de côté plusieurs aspects fondamentaux. Au lieu, par exemple, de reconnaître les communautés comme des « entités de droit public » (« entidades de derecho público« ), elles se voyaient désignées comme « d’intérêt public » (« interés público« ). L’expression « utilisation et jouissance des ressources naturelles » (« uso y disfrute de los recursos naturales« ) se voyait également modifiée en « utilisation préférentielle » (« uso preferente« ). Les notions d’« autonomie » et de « territoire » étaient également désapprouvées par les sénateurs. L’EZLN rejeta ces réformes, arguant qu’« elles ne répondent pas du tout aux demandes des peuples indigènes du Mexique, du Congrès national indigène, de l’EZLN ou de la société civile nationale et internationale ».[↩]
- Entendre : les gouvernements à la solde des multinationales telles que Elecnor, Enagasa, Bonatti, Abengoa, Saint-Gobain, Nissan, Burlington ou encore Continental.[↩]
- En février 2019, Samir Flores Soberanes, membre du CNI, était assassiné après avoir manifesté son opposition au Projet intégral Morelos, visant à installer deux centrales thermoélectriques, un gazoduc et un aqueduc. Ceci malgré les recommandations scientifiques, lesquelles pointent du doigt les dangers que représente un tel projet dans cette zone du centre du Mexique, où l’activité sismique est particulièrement intense.[↩]
- Boucle ferroviaire présentée comme un projet de développement touristique. Le train relierait des sites archéologiques et des stations balnéaires dans le sud-est du pays, alors que la région souffre déjà des conséquences du tourisme de masse.[↩]
- Train de fret qui reliera la côte atlantique (où sont prévues deux raffineries pétrolières) et la côte pacifique (où les peuples résistent depuis plusieurs années, notamment contre EDF). Autour de ce nouveau canal commercial, qui entend rivaliser avec celui du Panama, seront déclarées des « zones franches » pour l’installation d’usines multinationales exonérées d’impôts.[↩]
- Souvent par des femmes appelées respectivement hierberas, hueseras et parteras.[↩]
- « […] Florinda dit que dans les territoires zapatistes, il n’y a pas de femmes assassinées pour des raisons de genre, mais qu’il existe encore diverses formes de machisme qu’elles cherchent à éliminer.
Dans les caracoles, il n’y a pas de femmes maltraitées par leur mari, ni assassinées, car nous nous soutenons toutes
, dit la jeune fille en espagnol.Il est interdit de boire dans notre organisation. Et dans le cas où il y aurait des femmes zapatistes violées, les compas sont punis car nous ne pouvons pas être violées, violentées, ou quoi que ce soit d’autre
, confie-t-elle à la journaliste. Florinda est issue d’une génération de zapatistes qui ont été éduquées selon les principes d’horizontalité et d’égalité entre les hommes et les femmes. » , « Mujeres zapatistas enseñan que otro mundo sin feminicidios es posible », Proceso, 28 décembre 2019.[↩] - La Sexta nationale et internationale rassemble les adhérents à la Sixième déclaration de la Selva Lacandona, prononcée en 2005. Ce texte clé est une analyse politique de la situation locale et globale ; il propose de marcher ensemble contre l’ennemi commun.[↩]
REBONDS
☰ Lire notre série « Nouvelles zapatistes », Julia Arnaud et Espoir Chiapas
☰ Lire notre article « 25 ans plus tard : le zapatisme poursuit sa lutte », Julia Arnaud, mai 2019
☰ Lire notre abécédaire du sous-commandant Marcos, mai 2017
☰ Lire « Ne vous sentez pas seuls et isolés — par le sous-commandant Marcos », avril 2015
☰ Lire notre entretien avec Guillaume Goutte : « Que deviennent les zapatistes, loin des grands médias ? », novembre 2014
☰ Lire notre dossier sur le Rojava