Entretien inédit pour le site de Ballast
Samedi 7 Janvier 2017 : des manifestations ont lieu dans plusieurs grandes villes africaines et européennes. De Dakar à Paris, en passant par Abidjan, Bamako, Kinshasa ou Bruxelles, un front commun se mobilise pour exiger la fin du franc CFA. Un fait inédit qui questionne de nouveau les enjeux politiques et économiques autour de cette monnaie : les billets du franc CFA sont imprimés en France, à Chamalières, petite ville du Puy-de-Dôme ; son cours est fixé sur celui de l’euro ; 50 % des réserves de change des Banques centrales des États de l’Afrique de l’Ouest et Centrale sont déposées sur un compte du Trésor français. Le franc CFA — qui signifiait, à son origine en 1945, franc des colonies françaises d’Afrique — est le nom des deux monnaies communes à plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale. Pour l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, le franc CFA demeure une « monnaie coloniale ». Nous le rencontrons pour discuter répression monétaire, Françafrique et pistes de sortie de la zone franc.
Allons droit au but : vous affirmez que le franc CFA est un instrument de répression monétaire qui freine le développement des pays concernés. Pouvez-vous exposer les grandes lignes de votre argument ?
D’abord il est important d’expliquer brièvement ce qu’est le franc CFA et d’exposer l’argument de base de ses partisans. Le franc CFA est une monnaie qui a été créée officiellement en 1945. C’est un mécanisme de coopération monétaire entre la France et ses anciennes colonies qui repose sur quatre piliers : 1) la fixité de la parité entre le franc CFA et le franc puis, plus tard, l’euro ; 2) la centralisation des réserves de change au niveau d’un compte spécial du Trésor français ; 3) la garantie de la convertibilité du franc CFA en euro de manière « illimitée » — on y reviendra ; et enfin 4) la libre circulation des capitaux au sein de la zone franc, dont la France fait partie. L’argument principal avancé en faveur du franc CFA est celui de la stabilité monétaire : il est lié à l’euro par une parité fixe — un euro est échangé contre 655,956 francs CFA et cela ne change pas —, ce qui permet de stabiliser les anticipations économiques du fait de l’absence de risque de change pour ceux qui commercent en euro. Avec une inflation relativement faible au sein de la zone franc, le franc CFA est perçu comme étant une monnaie stable et crédible. L’environnement macroéconomique s’en voit renforcé et serait alors favorable à l’investissement, donc à la croissance, donc à l’emploi.
« Malgré sa stabilité et sa crédibilité supposées, le franc CFA n’a en aucun cas permis le développement économique et social de la zone. »
Ce que nous constatons cependant, c’est que sur les quinze pays africains de la zone franc — les huit de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), les six de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) ainsi que les Comores — aucun n’a pu se développer sur le plan économique. Généralement, l’indicateur standard que les économistes emploient pour mesurer le développement de manière très sommaire est la croissance du PIB par habitant. C’est un indicateur qui a ses limites mais force est de constater que les pays les plus riches ont le PIB par habitant le plus élevé tandis que les pays qui se développent rapidement ont tendance à avoir un taux de croissance du PIB par habitant élevé. Dans le cas des pays de la zone franc, aucun pays, à part la Guinée Équatoriale, n’a pu atteindre un taux de croissance du PIB par habitant supérieur à 2 % par an sur le long terme. Or, se situer aux alentours des 1,5 % de croissance annuelle du PIB par habitant implique un décrochage vis-à-vis de la moyenne mondiale. Les pays qui partent d’un peu plus bas doivent être généralement plus dynamiques, doivent donc avoir des taux de croissance beaucoup plus élevés, comme on a pu le voir dans le cas du développement des pays de l’Asie du Sud-Est. Si on prend maintenant l’Indice de Développement Humain (IDH), un indicateur phare du Rapport sur le développement humain du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), on constate que sur les douze pays qui sont en bas du classement, six font partie de la zone franc. Malgré sa stabilité et sa crédibilité supposées, le franc CFA n’a en aucun cas permis le développement économique et social de la zone.
Quels sont les principaux éléments que vous avancez pour expliquer cela ?
Ils sont nombreux et sont liés aux quatre piliers dont j’ai parlé. Un aspect important a trait à la politique de change et au fait que le franc CFA est lié à l’euro par une parité fixe. Le problème est que l’euro est une monnaie forte, gérée par la Banque Centrale Européenne avec pour mandat la lutte contre l’inflation. Lorsque des pays pauvres, comme ceux de la zone franc, voient leur monnaie être liée de manière fixe à une monnaie aussi forte que l’euro, ils se privent du même coup de toute autonomie du point de vue de la politique monétaire et de la politique de change. Ce qui tient chez nous de politique monétaire ou de politique de change répond principalement aux signaux envoyés par la conjoncture économique de la zone euro ; c’est extrêmement pénalisant. Pour exporter de manière aussi compétitive que les pays asiatiques, les pays de la zone franc ont besoin d’une monnaie compétitive, surtout dans les secteurs à forte concurrence comme le textile. Ce n’est malheureusement pas du tout le cas, l’euro étant, depuis sa création, généralement plus fort que le dollar, monnaie dans laquelle la plupart des exportations sont libellées, ce qui signifie que vendre en francs CFA plutôt qu’en dollars est beaucoup plus coûteux pour l’acheteur. Du coup, comme les produits extérieurs sont bon marché, les pays de la zone ont tendance à importer énormément, ce qui empêche l’industrie de transformation locale de se développer. Si on met de côté les ressources comme le pétrole qui nous permettent d’engranger des réserves de change importantes, la plupart de nos balances commerciales sont déficitaires sur les autres postes du commerce international. Ce manque de compétitivité n’est bien évidemment pas exclusivement dû à la monnaie, mais on aurait tort de penser qu’elle ne joue pas un rôle crucial.
Un autre inconvénient du franc CFA concerne le financement bancaire des économies. Comparativement à ce qu’il se passe ailleurs sur le continent et dans le reste du monde, ce financement est très minimaliste. Dans la zone UEMOA, les crédits bancaires à l’économie se chiffrent à moins de 25 % du PIB. Dans la zone CEMAC, le ratio tourne autour de 13 %. Dans le reste de l’Afrique Sub-saharienne, c’est un peu plus de 60 % tandis que dans les pays riches, le ratio dépasse les 100 %. Comme les banques ne financent pas l’économie, il est difficile de développer des PME ou des PMI compétitives. Dans ce contexte de rationnement du crédit, la plupart de ceux alloués à l’économie sont de court et moyen terme, type crédits à la consommation. Les prêts à long terme représentent moins de 5 % des crédits bancaires. Or, les entreprises qui veulent émerger ont besoin de crédits à long terme. Un secteur prioritaire comme l’agriculture n’est pas financé par les banques ; les crédits accordés à l’agriculture représentent d’ordinaire moins de 5 % du total des crédits accordés à l’économie. On assiste à ce qu’on appelle une réelle répression financière au sein de la zone.
« Lorsqu’on emprunte à des taux d’intérêt de 6 % ou 7 %, la dynamique d’endettement n’est pas soutenable à long terme. »
La raison principale de ce rationnement est à aller chercher du côté des banques centrales de la zone et de leur volonté de défendre la parité du franc vis-à-vis de l’euro coûte que coûte. La logique est la suivante : comme nous ne produisons rien — ou si peu —, les crédits octroyés aux entreprises ont tendance à nourrir les importations, ne serait-ce que pour acheter les matériaux dont les entreprises locales ont besoin pour leurs activités. L’augmentation des importations crée à son tour une certaine tension par rapport aux réserves de change. En effet, lorsque les réserves de change diminuent, la défense de la parité du franc par rapport à l’euro est rendue plus difficile. En plus de cela, le dogme répandu au sein des banques centrales de la zone est que davantage de crédits favorise l’inflation ; c’est vraiment absurde dans le cas de pays pauvres car ces derniers ont justement besoin d’un peu d’inflation pour inciter les entreprises à prendre des risques, et à relancer l’activité économique. Ce raisonnement justifie un plafonnement du crédit. Par exemple, au niveau des pays de l’UEMOA, nous savons qu’il y a des montants de crédit qui ne peuvent pas être dépassés dans chaque pays de cet espace économique. Ces limites sont imposées par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) dont le mandat est la défense de la parité franc CFA-euro et de lutter contre l’inflation. Ainsi, dans le cas de l’Afrique de l’Ouest, nous nous retrouvons dans une situation absurde où les banques sont surliquides (elles ont des réserves en excès auprès de la BCEAO) dans un contexte de faible financement bancaire de l’économie.
Jusqu’en 2010, la BCEAO acceptait de financer les États à hauteur de 20 % de leurs recettes fiscales de l’année précédente. Ce n’est plus le cas désormais. Donc, lorsque les États de la zone ont besoin de financements, ils sont obligés de s’endetter sur les marchés internationaux et sous régionaux ou bien auprès des banques. On perçoit ici un raisonnement typiquement néolibéral qui permet de créer des opportunités de profit aux banques. Plutôt que de prêter de l’argent aux États à des taux abordables, la banque centrale prête l’argent sollicité par les États à des banques qui à leur tour prêtent aux États, avec la différence significative qu’elles facturent des taux d’intérêt bien plus élevés. C’est ce qui explique qu’actuellement, nous émettons de plus en plus d’obligations sur les marchés internationaux, souvent à des taux d’intérêt vraiment élevés, eu égard aux faibles taux de croissance économique que nous connaissons. Lorsqu’on emprunte à des taux d’intérêt de 6 % ou 7 %, la dynamique d’endettement n’est pas soutenable à long terme.
Pouvez-vous nous parler du rôle des banque centrales de la zone par rapport à la défense de la parité monétaire et de leur soi-disant indépendance. Quels sont les rapports qui existent entre ces dernières et la France ?
Au moment des indépendances, les pays de la zone franc devaient tous verser 100 % de leurs réserves de change dans un compte spécial du Trésor public français, dit « compte d’opérations ». C’est passé à 65 % en 1973, puis à 50 % en 2005. Aujourd’hui, à chaque fois que des devises entrent dans la zone, la moitié doit être placée dans un compte spécial du Trésor français. Ce sont les banques centrales qui sont chargées de collecter puis de déposer ces réserves dans ce compte spécial du Trésor français. Cette centralisation des réserves est un pilier important du système franc CFA. Il y a un ratio que la Banque de France surveille de très près : le taux de couverture de l’émission monétaire. Pour chaque franc CFA en circulation, combien dispose-t-on de réserves dans le compte d’opérations ? En ce qui concerne la BCEAO, c’est au niveau du Comité de politique monétaire, mis en place depuis 2010 pour prendre le relais du Conseil des ministres, que se prennent les décisions de politique monétaire. La France a un représentant au sein de ce comité ; aucune décision majeure ne peut être prise sans son aval. La gestion du franc CFA et de la politique monétaire de la BCEAO est donc en réalité sous tutelle française et européenne. Étant donné que la France accepte de « garantir » la convertibilité du franc CFA, il semble, pour certains, tout à fait normal qu’elle soit présente lorsque des décisions sont prises. Près de 60 ans après les indépendances, que la France soit toujours là à nous dire quelle est la meilleure façon de gérer notre monnaie, c’est un anachronisme. La BCEAO est peut-être indépendante vis-à-vis des États africains mais elle ne l’est pas vis-à-vis de la France. On se doit de dépasser cette époque. C’est la raison pour laquelle on doit ajouter une autre dimension plus politique aux arguments techniques et économiques dont je parle depuis le début : même si le franc CFA était la monnaie la mieux gérée au monde, la monnaie aux mille vertus, les Africains devraient quand même réclamer leur indépendance monétaire. Nous n’avons pas besoin de la France pour nous dire de quelle manière on doit gérer notre monnaie, ni d’avoir des représentants français dans les conseils d’administration des banques centrales.
Vous avez bien fait attention à mettre des guillemets en parlant de la garantie de la convertibilité illimitée du franc CFA en euro. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
« La gestion du franc CFA est en réalité sous tutelle française et européenne : nous n’avons pas besoin de la France pour nous dire de quelle manière nous devons gérer notre monnaie. »
Normalement, si quelqu’un vous assure, il doit pouvoir vous dépanner lorsque vous avez des problèmes. Mais le Trésor français est un assureur assez spécial. Il nous dit : « Je garde votre argent mais dès que je m’aperçois que vous n’en avez plus assez dans le compte, notamment parce que vous n’accumulez plus assez de réserves, je décide de dévaluer. » Le Trésor français n’est pas un assureur, il n’est qu’un surveillant monétaire qui veille au respect des règles de la coopération monétaire entre les pays africains et la France. Le Trésor français ne garantit rien : ce sont les Africains eux-mêmes qui, de fait, garantissent leur monnaie tant qu’ils parviennent à accumuler des réserves de change. Quand il n’y a pas assez de réserves de change, comme cela est arrivé en 1993, la France a décidé unilatéralement en janvier 1994 de dévaluer de moitié la valeur en francs de l’époque du franc CFA. Du coup, avec cette dévaluation, le taux de couverture de l’émission monétaire s’est amélioré… Généralement, le taux de couverture de l’émission monétaire est considéré critique lorsqu’il passe en dessous des 20 % ; si un pays possède moins que l’équivalent en devises de 20 centimes de francs CFA pour chaque franc CFA, la situation devient préoccupante, comme c’est actuellement le cas dans les pays de la zone CEMAC. Avant l’effondrement des cours pétroliers, ce taux était de l’ordre de 90 % ; pour chaque franc CFA en circulation, presque l’équivalent en devises était présent dans le compte spécial au niveau du Trésor français. La parité pouvait ainsi être défendue sans problème. Avec l’effondrement des cours pétroliers dans les pays de la CEMAC, ce n’est plus le cas. Les réserves disponibles au Trésor français pour les pays de la zone CEMAC sont équivalentes à seulement deux mois d’importations. À ce niveau, la parité semble difficilement défendable. La dévaluation semble une option probable.
Face à cette situation, ce n’est évidemment pas au contribuable français qu’on va demander de l’argent afin d’aider nos amis d’Afrique Centrale. La solution que la France, le FMI et les pays de la CEMAC ont trouvée temporairement, c’est l’austérité. C’était le choix entre dévaluation — l’austérité brutale à la puissance deux — et austérité. C’est un choix qui, je pense, n’est pas soutenable mais qui était prévisible. Si on se rappelle ce qu’il s’est passé en 1994, c’est bien la France qui a décidé unilatéralement de dévaluer. Cette dévaluation a eu des conséquences catastrophiques pour les classes populaires de la zone franc dont le niveau de vie s’est gravement détérioré. Comme la plupart des produits que nous consommons sont importés, lorsque le franc a perdu la moitié de sa valeur, les prix ont plus que doublé. C’est à partir de là que le micro-détail a pénétré les mœurs commerciales. Faute de moyens, la plupart n’achetait plus de pot de café ou de lait, mais de minuscules sachets de café et de lait au détail… et je parle des membres des classes moyennes qui en avaient les moyens ! En Afrique Centrale, les régimes en place n’ont pas encore vraiment effectué leur « mue démocratique ». S’il y a une dévaluation, la probabilité est grande que les classes populaires, suite à l’effondrement de leur pouvoir d’achat, se lèvent et demandent le départ d’un Paul Biya au Cameroun — qui est au pouvoir depuis 1982 —, d’un Denis Sassou-Nguesso en République du Congo ou bien d’un Idriss Deby au Tchad. L’inflation peut être un motif de rébellion des classes populaires pour chasser les despotes de l’Afrique Centrale.
Le quatrième pilier que vous avez mentionné est la libre circulation des capitaux au sein de la zone franc. Concrètement, que permet cette libre circulation des capitaux et à qui profite-t-elle ?
Le franc CFA, de par sa vocation et son histoire, est une monnaie coloniale extractive qui a été conçue pour permettre l’exportation du surplus économique créé dans les pays africains vers la métropole. C’est toujours le cas aujourd’hui. Les rapatriements de profits atteignent une ampleur considérable dans les pays de la zone franc comparativement aux autres pays africains. Prenons le cas de la Guinée Équatoriale, un petit pays pétrolier qui a eu des performances économiques assez remarquables durant les années 2000 : chaque année, l’équivalent de la moitié de son PIB est transféré vers l’étranger sous forme de rémunération du capital étranger. Récemment, un procès a été intenté en France contre un fils du président Teodoro Obiang Nguema pour une histoire de biens mal acquis. Ces histoires ne sont certes pas spécifiques aux pays de la zone franc mais il serait naïf de penser que le mécanisme de libre transfert des capitaux entre les pays de la zone franc n’encourage pas cela. Un autre indicateur permet de continuer l’analyse : les flux financiers illicites. Ces flux saignent la plupart des pays en développement — en Afrique particulièrement les pays de la zone franc. Le franc CFA est un instrument d’extraction.
Le franc CFA a survécu à plusieurs ordres monétaires, aux indépendances, aux multiples crises bancaires et financières, aux chocs sur les prix, à la disparition de la monnaie dont elle était le sous-multiple, le franc français. Comment expliquez-vous la survivance du franc CFA ?
« L’inflation peut être un motif de rébellion des classes populaires pour chasser les despotes de l’Afrique Centrale. »
Dans le livre, on parle de « servitude volontaire » pour montrer que le franc CFA est un mécanisme de soumission mais que cette soumission est dans une certaine mesure acceptée. La question est : acceptée par qui ? Elle est acceptée par ceux qui dirigent nos pays. Elle est acceptée par les économistes qui pilotent la conduite de la politique économique. Elle est aussi acceptée par les élites africaines qui peuvent rapatrier sans aucun problème leurs capitaux acquis de manière licite ou illicite. Cette soumission bénéficie également aux grands groupes français. Il y a donc toute une constellation d’intérêts autour du franc CFA qui fait que, jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’évolution sur cette question. Les inconvénients de cette monnaie sont bien évidemment connus de nos chefs d’États et de nos économistes. Mais ils n’ont pas envie de sortir du système franc CFA car il correspond plus ou moins à leurs intérêts. Il y a quelque chose d’assez ironique à ce propos : sortir du franc CFA est plus difficile dans le cas d’un régime dit démocratique que dans celui d’un régime perçu comme moins démocratique. Dans le cas de l’Afrique de l’Ouest, les régimes sont mus par l’électoralisme. Ils sont là pour un mandat ou deux. Ces gens-là ne sont pas intéressés à remuer une question aussi complexe que le franc CFA. Ils préfèrent juste gérer pendant un ou deux mandats, ne pas faire de vagues et s’en aller. Quelqu’un comme Macky Sall au Sénégal, je pense que c’est sa position. Il sait qu’il y a peut-être des choses à revoir du côté du franc CFA mais il n’a pas envie d’avoir de problèmes avec la France. Donc il préfère dire que c’est une bonne monnaie et on n’en parle plus. Quant à la zone CEMAC, ce sont des régimes typiquement françafricains qui sont là depuis longtemps et qui n’entendent pas remettre en question les piliers de la Françafrique.
Vous plaidez pour une souveraineté monétaire nationale et étatique. Pourquoi ne pas aller plus loin et parler de souveraineté monétaire citoyenne ou même populaire où il serait question, par exemple, de remettre en cause la création monétaire par des établissements privés, ou de débattre de la possibilité de socialiser les banques et les placer sous contrôle démocratique ?
J’accepte la critique, elle est fondée. Généralement, les économistes et les techniciens du développement ne sont pas des démocrates. C’est un biais, un pêché des économistes de penser que ce sont eux les techniciens, que ce sont eux qui savent, et que donc ce sont eux qui doivent conseiller les États afin que ces derniers appliquent les bonnes politiques économiques. Cela vaut également pour les économistes les plus hétérodoxes. Cela étant dit, la plupart, par pragmatisme, ne veulent pas aborder ces questions de souveraineté monétaire populaire, se disant : réglons d’abord la question de la souveraineté monétaire tout court, ensuite nous pourrons éventuellement nous pencher sur son appropriation et contrôle démocratiques et populaires. Le franc CFA est une question complexe sur laquelle beaucoup de personnes n’ont pas tous les éléments en main. Dans ce contexte, avancer des propositions radicales telles que la souveraineté populaire sur la question de la monnaie peut paraître, pour certains, prématuré, en tout cas pas très stratégique, dans la façon d’aborder et d’avancer sur le combat contre le franc CFA. Personnellement, je suis vraiment sensible à cet aspect de souveraineté démocratique. Le pouvoir appartient véritablement aux citoyens ordinaires et aux organisations qu’ils créent pour l’exercer. Contrairement à ce que disait le président Ouattara [président de la Côte d’Ivoire, ndlr] sur le fait que la monnaie est soi-disant une question de techniciens et qu’il n’y a pas de débat public à avoir, il en faut un. Il faut voir dans quelles mesures tous ceux qui peuvent être affectés par les décisions monétaires peuvent se réunir pour en parler et avoir un pouvoir législatif sur ce sujet.
Sur la question du franc CFA s’opposent « les réformistes » aux « abolitionnistes » (ou « panafricanistes »). Les termes et enjeux du débat semblent parfois similaires à ce qui se passe en Europe et aux débats sur une éventuelle sortie de la zone euro. Peut-on, selon vous, se risquer au jeu des analogies ?
C’est difficile de faire cette analogie. Le franc CFA est une relique coloniale tandis que l’euro a été un symbole de la poursuite en avant d’une Europe plus intégrée, fidèle à ce que voulaient des gens comme Jean Monnet. Alors que l’euro était un projet commun des États européens, le franc CFA n’est pas né d’un désir mutuel des États africains : il a été imposé par la France et les États africains ont dû s’en accommoder.
Les soutiens au franc CFA ont souvent tendance à rappeler les tentatives d’indépendances monétaires ratées de la Guinée sous Sékou Touré ou du Mali sous Modibo Keita. D’autres insistent sur le fait que la situation économique dans les pays africains hors zone franc est loin d’être plus enviable que celle des pays appartenant à la zone franc. Que répondez-vous ?
Ce type d’argument souffre de ce qu’on appelle en économétrie un biais de sélection. Les partisans du maintien du franc CFA choisissent des exemples qui permettent de conforter leur position. Lorsqu’on prend des pays comme le Nigéria, la Guinée, voire la Gambie, qui ne sont pas forcément des modèles en termes de gestion monétaire — ou même des modèles démocratiques —, il est aisé d’affirmer que la gestion de la monnaie est plus performante au sein de la zone franc qu’ailleurs. Actuellement au Nigéria, le taux d’inflation atteint les 8 ou 9 %. Les évolutions du taux de change sont très erratiques : depuis deux ans, le Naira continue de se déprécier vis-à-vis du dollar et n’inspire aucune confiance. Mais personne parmi les opposants au franc CFA n’aspire à avoir une monnaie comme le Naira. Les partisans du maintien du franc CFA choisissent des pays qui ne sont pas des modèles. Ce n’est pas une logique d’argumentation solide. Pourquoi ne citent-ils pas les cas de pays comme l’Algérie, la Tunisie et le Maroc qui faisaient partie de la zone franc, l’ont quittée très tôt et ont connu des performances bien plus remarquables que n’importe quel pays de la zone franc ? De la même manière, les pays d’Asie du Sud-Est ont pu se développer notamment grâce à une gestion pragmatique de leur monnaie. En pratiquant des dévaluations ou des dépréciations, ils ont réussi à rester compétitifs, leur permettant ainsi de s’industrialiser.
« Est-ce qu’on a déjà vu un pays sous tutelle néocoloniale sur le plan monétaire se développer ? La réponse est non. »
On ne peut pas avoir la même politique monétaire et de change pendant 60 ans, ce n’est pas possible. Généralement, quand un pays commence à se développer sur le plan industriel, les salaires augmentent. Lorsque les salaires augmentent, il est difficile de maintenir le niveau des exportations, notamment pour les secteurs très concurrentiels au niveau international. C’est pourquoi les dépréciations stratégiques des taux de change sont si importantes lorsque les salaires réels augmentent dans ces secteurs où la compétitivité-prix est le maître mot. Ce type de stratégie permet de concilier la croissance des salaires réels et la compétitivité extérieure. Avec un mécanisme comme la zone franc, cette option est hors de portée. De plus, il faut comprendre que la critique contre le franc CFA se déploie dans le cadre d’une critique plus générale de l’absence de souveraineté économique des pays de cette zone. La souveraineté monétaire est un aspect important de la souveraineté économique mais ce n’est pas le seul. Il y en a d’autres — comme la politique budgétaire, la politique commerciale et industrielle, la gestion des ressources naturelles, la politique de défense, etc. — qui entrent dans la définition de la souveraineté économique. Des pays comme le Nigéria et la Guinée ont certes leur propre monnaie — souveraineté monétaire de jure — mais on ne peut pas pour autant les qualifier de pays souverains sur le plan économique, ne serait-ce que parce qu’ils n’ont, de fait, aucune souveraineté sur la gestion de leurs ressources naturelles. L’expérience monétaire de ces pays ne peut donc pas être opposée aux adversaires du franc CFA pour la bonne raison que ces pays ne disposent pas de « projet souverain », pour parler comme Samir Amin. C’est un drôle de raisonnement que de défendre le franc CFA en convoquant l’expérience monétaire de pays qui ont fait très peu d’avancées pour sortir du joug de l’impérialisme économique. Donc, aux cas de mauvaise gestion monétaire comme en Guinée ou au Nigéria, on peut rappeler la gestion monétaire pragmatique qui a permis à d’autres pays de se développer. Mais l’enjeu est ailleurs : est-ce qu’on a déjà vu un pays sous tutelle néocoloniale sur le plan monétaire se développer ? La réponse est non.
Imaginons une sortie de la zone franc : quelles sont les ébauches d’alternatives les plus prometteuses ?
Pour l’instant, l’une des alternatives importantes à considérer et qui me semble la plus concrète est le projet de monnaie unique CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Elle est concrète dans le sens où elle est censée être portée par les quinze chefs d’États de la CEDEAO. Une telle intégration communautaire sur le plan monétaire nécessitera une sortie du franc CFA. Mais de nombreuses questions se posent quant aux modalités de cette monnaie unique : va-t-elle prendre la forme d’un franc CFA élargi ou bien de nouveaux arrangements monétaires vont-ils être créés ? D’un côté, un pays comme le Nigéria ne va évidemment pas vouloir être sous la tutelle de la France. De l’autre, lorsqu’on voit que nos chefs d’États, en tout cas ceux des pays de la zone franc (comme Alassane Ouattara et Macky Sall), ne veulent pas parler du franc CFA — ou pire trouvent des avantages au franc CFA —, on peut se demander si cette monnaie unique aboutira un jour. Un certain nombre de dates ont été avancées pour son entrée en vigueur : 2015, maintenant 2020. Même si le projet de monnaie unique tarde, aucun des dirigeants de la zone franc pris individuellement ne va prendre le risque de créer sa propre monnaie pour s’émanciper de la France.
Dans les pays d’Afrique Centrale, ce sont des présidents qui sont là depuis 20 ou 30 ans et qui sont intégrés au système de la Françafrique : ils n’ont aucun intérêt à sortir de la zone franc. Les pays de l’Afrique de l’Ouest sont, comme je l’ai dit, des pays plus démocratiques mais pris dans des cycles électoraux courts. Les élites politiques ne vont pas prendre le risque de sortir. Ce qu’il faudrait, c’est qu’un groupe de chefs d’États courageux accepte de faire autre chose, de proposer d’autres arrangements monétaires. C’est pourquoi nous avons besoin d’un débat démocratique sur ce projet. Pour l’instant, le débat est confiné aux cénacles technocratiques de la CEDEAO où il est question de critères de convergence dans la perspective d’une zone monétaire optimale. La plupart des économistes qui s’élèvent contre le franc CFA, ainsi que certains en sa faveur, ne rejettent pas l’idée de monnaie commune. Mais ce qui compte, c’est la finalité que nous voulons donner à cette monnaie. Comment va-t-elle être gérée ? Par qui ? Taux de change fixe ou taux de change flottant ? Priorité à la lutte contre l’inflation ou priorité à la croissance ? C’est ce genre de questions qu’il faudrait poser. En l’état actuel, la tendance dominante est réformiste. C’est ce que prône par exemple François Hollande quand il a déclaré que les pays de la zone devraient utiliser leurs réserves de change de manière plus active pour financer leurs économies. Mais cela ne suffirait pas. Pour sortir du franc CFA et assumer notre souveraineté monétaire, nous avons besoin de rapatrier nos réserves, nous devons imprimer nous-mêmes nos billets et fabriquer nous-mêmes nos pièces. En dehors de la zone franc, de nombreux autres pays africains « souverains » sur le plan monétaire ont leurs billets de banque imprimés en France ou à Londres. Dans cette perspective post-franc CFA, il faudra donner d’autres objectifs à la banque centrale — comme la priorité à la croissance — et adopter des politiques monétaires et de change qui accroissent significativement les crédits bancaires à l’économie. Ce sont des préalables sur lesquels les Africains doivent être prêts. Je suis contre le franc CFA mais je ne dis pas qu’il faille une sortie précipitée de la zone franc : en sortir le plus tôt possible mais avec méthode.
« Pour la première fois, les Africains se lèvent non pas pour parler de droits humains ou de bonne gouvernance, mais pour affirmer :
on veut sortir du franc CFA. »
Il faut reconnaître que les divergences économiques sont nombreuses entre les pays. Les cycles sont souvent asymétriques : par exemple, quand les cours du pétrole augmentent, c’est une bonne nouvelle pour le Nigéria car ses caisses se remplissent. C’est en revanche plus difficile pour le Sénégal car le prix des importations de pétrole brut augmente. Il faut donc trouver des mécanismes qui permettent de gommer ces asymétries. Quand on parle d’intégration monétaire entre des pays dont les situations économiques divergent, la question du fédéralisme budgétaire est primordiale. Les débats publics sur ces questions n’existent pas encore en Afrique. Il ne s’agit pas de reproduire le modèle européen car ça ne va pas marcher. Il y a également ce projet de monnaie unique à l’échelle du continent. Je ne suis pas un dogmatique, je préfère qu’on discute de toutes les options pour voir ce qui peut être fait mais, à ce stade, je ne suis pas forcément un adepte d’une monnaie unique pour toute l’Afrique, au vu de la diversité des économies africaines et des divergences entre elles. Un certain pluralisme monétaire avec une banque centrale ou bien un fonds monétaire qui veilleraient aux déséquilibres entre les différentes zones monétaires ne serait pas une mauvaise chose. Un tel modèle me paraît plus approprié.
Suite aux manifestations qui se sont déroulées dans plusieurs villes africaines et européennes, quel est votre sentiment sur ce front anti-CFA qui prend forme et votre avis général sur le dynamisme des mouvements sociaux en Afrique par rapport à cette question ?
Le 7 janvier 2017 est une date historique. Dans un grand nombre de pays, des manifestations ont été organisées contre le franc CFA. Il est certain que dans certains endroits, notamment à Dakar, peu de personnes se sont mobilisées. Mais sur le plan symbolique, c’était très important. De plus en plus, les gens, et notamment les jeunes, se rendent compte que la monnaie est un enjeu important et qu’il faut se battre pour des systèmes monétaires plus émancipateurs. Jusqu’à maintenant, on n’avait pas connu de mouvements sociaux sur cette question, et plus généralement sur les questions de souveraineté économique et nationale, comme sur les bases militaires, par exemple. Sur les accords de libre-échange entre l’Europe et l’Afrique — les Accords de partenariat économique — il y a certes une coalition mais pas vraiment de mobilisation massive. Pour la première fois, les Africains se lèvent non pas pour parler de droits humains ou de bonne gouvernance, mais pour affirmer : « on veut sortir du franc CFA ». Ces mobilisations marquent une certaine rupture par rapport à ce qui se faisait jusque-là : les mouvements sociaux commencent à se rendre compte que les questions de gouvernance, de droits humains, même si elles sont importantes et légitimes en soi, ne peuvent pas être dissociées des questions économiques et de souveraineté.
Malgré une faible mobilisation, l’événement a été beaucoup médiatisé, notamment grâce aux nombreux partages d’articles sur les réseaux sociaux. Tout ça a contribué à l’éveil des citoyens ordinaires sur les questions monétaires. Dans mon entourage, de nombreux groupes WhatsApp s’étaient créés pour l’occasion et les gens débattaient vraiment du franc CFA. On assiste également à de plus en plus de débats sur les plateaux télé. Une réelle prise de conscience est en train de prendre forme. Savoir si ça va déboucher sur quelque chose qui réponde aux attentes des militants anti-franc CFA, c’est une autre histoire. L’essentiel aujourd’hui, c’est que, pour la première fois, on peut dire qu’un débat public global sur le franc CFA a lieu : c’est un acquis très important.
En France, les politiques du franc CFA restent mal connues, les critiques demeurent très fébriles, même au sein des mouvements progressistes. Comment expliquez-vous cela ?
« Dans le cas des pays africains, le nationalisme signifie, avant tout autre chose, que nous voulons et devons être souverains. »
L’opinion publique française ne s’intéresse pas vraiment à l’Afrique. Son image de l’Afrique se réduit souvent aux clichés sur la corruption, les dictateurs, les maladies, la famine, etc. Elle a donc généralement tendance à voir l’Afrique sous un prisme déformateur. Le propos est malheureusement valable pour une large partie de la gauche française, une gauche pour qui deux termes paraissent choquants : impérialisme et nationalisme. Lorsqu’on évoque le terme d’impérialisme, on nous rétorque que l’impérialisme n’existe plus ou bien que nous avons toujours à la tête de nos États des dictateurs, des élites corrompues qu’on laisse nous tyranniser. Ce n’est plus l’impérialisme en tant que tel qui serait la cause de notre misère mais nos dictateurs. C’est ce qu’on entend souvent d’une certaine frange de la gauche.
De quelle gauche parlez-vous ?
Il m’est difficile de qualifier cette frange de la gauche en question. Mais je dirais, pour aller vite, la gauche pour qui l’impérialisme est une chose du passé. Quand on parle d’impérialisme, on nous reproche de trouver une excuse pour nos propres turpitudes, de tout mettre sur le dos de la colonisation. L’impérialisme prend différentes formes et ce qu’on nous décrit généralement comme des aspects anti-démocratiques n’est justement pas sans lien avec l’impérialisme. Des gens comme Paul Biya au Cameroun, Denis Sassou Nguesso en République du Congo, pourquoi sont-ils au pouvoir depuis plus de 30 ans ? Ce n’est pas parce que les Camerounais ou les Congolais les veulent au pouvoir mais parce qu’ils jouent un rôle stratégique dans le maintien des liens néocoloniaux avec la France et les grands groupes français. Peut-être en effet que ce n’est plus l’impérialisme ou le colonialisme passé, mais ce sont de nouvelles formes de domination qui existent et qui sont compatibles avec le maintien de régimes dits démocratiques. Le franc CFA est d’ailleurs la preuve la plus manifeste de la survivance de liens coloniaux.
Maintenant, le deuxième terme : nationalisme. Lorsqu’on revendique notre droit à la souveraineté monétaire, les gens ont tendance à voir en ces revendications l’expression d’une attitude de fermeture sur soi, à la limite de la xénophobie. Le rapport que les pays Africains et les pays du Sud ont au nationalisme est différent du nationalisme tel qu’il a pu être pratiqué en Europe. En Europe, lorsqu’on parle de nationalisme, on pense xénophobie, totalitarisme, racisme. Dans le cas des pays africains, le nationalisme signifie, avant tout autre chose, que nous voulons et devons être souverains. C’est une réaction face à la permanence de l’impérialisme et son caractère totalitaire. Être souverain, ce n’est pas seulement entendre dire que nous sommes indépendants, que la France ne nous gouverne plus directement. Non, être souverain, c’est avoir la main mise, le dernier mot sur l’utilisation de nos ressources et sur notre politique économique. Le nationalisme africain, qui est la revendication d’un internationalisme réciproque, part du constat que ce n’est pas nous qui décidons des questions économiques et stratégiques. Il faudrait qu’un jour ou l’autre les Africains, les citoyens ordinaires africains, puissent eux-mêmes s’émanciper de la tutelle française ou occidentale. Le nationalisme, que suscite cet impérialisme, n’est pas un nationalisme agressif à l’européenne mais est un moyen d’affirmer que les pays africains ont un droit à s’autodéterminer.
Portrait et bannière : © Vincent Guermond
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