Catherine Couturier (LFI) : « La porte d’entrée du service public est la commune »


Entretien inédit | Ballast

L’Assemblée natio­nale, per­sonne ne l’i­gnore, ne repré­sente pas la France. Les cadres et pro­fes­sions intel­lec­tuelles supé­rieures repré­sentent moins de 10 % de popu­la­tion : ils sont près de 60 % des dépu­tés élus. Les ouvriers repré­sentent 20 % de l’emploi : ils sont moins d’1 % au palais Bourbon. Dans l’hé­mi­cycle, on admi­nistre donc, le plus sou­vent, un pays qu’on ne connaît que vu d’en haut. Nous sommes entrés en contact avec l’une de ses hôtes : une ancienne tech­ni­cienne chez France Télécom. Elle se nomme Catherine Couturier et offi­cie comme dépu­tée de la Creuse, son dépar­te­ment d’o­ri­gine. Celle qui a fré­quen­té la CGT et mili­té pour le Parti com­mu­niste avance désor­mais sous les cou­leurs de La France insou­mise. Elle pré­side aujourd’­hui une mis­sion d’in­for­ma­tion par­le­men­taire sur la forêt et son adap­ta­tion face au chan­ge­ment cli­ma­tique, dont le rap­port est atten­du dans les jours à venir. Services publics, monde rural, agri­cul­ture, forêt : autant d’en­jeux dont nous avons dis­cu­té avec elle.


Vous avez été élue dépu­tée à 62 ans, après une car­rière com­plète à France Télécom puis dans des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Comment s’est construite votre poli­ti­sa­tion jus­qu’à votre arri­vée à l’Assemblée nationale ?

Je suis issue d’une famille où le débat poli­tique était quo­ti­dien. Mon père était un mili­tant socia­liste et mes sœurs enga­gées syn­di­ca­le­ment. Ça par­lait beau­coup à la mai­son. C’était la période Mitterrand-Giscard, le Programme com­mun… J’ai eu la chance, lycéenne, de ren­con­trer des profs impli­qués poli­ti­que­ment et syn­di­ca­le­ment. Mes pre­miers enga­ge­ments datent des années 1974–1975, quand j’é­tais lycéenne, à Limoges, contre la loi Haby. Ça remonte donc à loin. J’ai aus­si adhé­ré très tôt aux Jeunesses communistes.

Vous n’a­vez d’ailleurs quit­té le PCF que récem­ment, en 2015, pour rejoindre La France insoumise.

Oui. Mais si je ne suis plus adhé­rente au PCF, je reste com­mu­niste et je suis membre de l’Association des com­mu­nistes insou­mis. J’ai tou­jours été pour une démarche de ras­sem­ble­ment, pour por­ter un pro­gramme de rup­ture. Donc je me suis retrou­vée dans la pro­po­si­tion qu’a por­tée Jean-Luc Mélenchon. J’ai d’a­bord fait ses cam­pagnes tout en res­tant au PCF. Je consi­dé­rais que c’é­tait la bonne solu­tion pour créer une majo­ri­té. Qu’il fal­lait arrê­ter des accords poli­tiques pour sau­ver des places. Je dis sou­vent que ça n’est pas moi qui ai quit­té le Parti mais que c’est le Parti qui m’a quit­tée, sur des ques­tions de stra­té­gie, sur les enjeux envi­ron­ne­men­taux — l’éner­gie et le nucléaire, notam­ment. On doit ques­tion­ner le pro­duc­ti­visme à outrance, qui veut sau­ver à tout prix des emplois indus­triels néfastes à l’en­vi­ron­ne­ment, plu­tôt que de se deman­der com­ment réorien­ter l’in­dus­trie vers les enjeux écologiques.

Vous êtes donc tech­ni­cienne, et votre pre­mier man­dat de dépu­tée n’in­ter­vient qu’a­près une longue car­rière. Vous faites par­tie d’une mino­ri­té à l’Assemblée nationale !

« J’ai pas­sé le concours de tech­ni­cien des PTT. J’étais l’une des pre­mières femmes à le faire : c’é­tait seule­ment la deuxième fois que ce concours était ouvert aux femmes. »

Je ne suis pas arri­vée dépu­tée comme ça, sans car­rière poli­tique aupa­ra­vant. Mais, pour tout dire, j’ai pris ma retraite en 2019 en me disant que je pou­vais enfin reve­nir en Creuse après qua­rante-et-un ans en région pari­sienne, pour pro­fi­ter, aller aux cham­pi­gnons et me bala­der en forêt… Forcément, je ne comp­tais pas cou­per avec le syn­di­ca­lisme et la vie poli­tique locale, mais seule­ment appor­ter mon expé­rience. Les cir­cons­tances ont fait que le col­lec­tif a pro­po­sé ma can­di­da­ture, ce que j’ai accep­té. Et on a fait col­lec­ti­ve­ment ce qu’il fal­lait pour que je sois élue. Mais aupa­ra­vant, j’ai eu des res­pon­sa­bi­li­tés syn­di­cales à la CGT en tant que secré­taire géné­rale de l’u­nion locale de Mantes-la-Jolie, et aus­si des res­pon­sa­bi­li­tés poli­tiques avec le PCF, en tant que membre du Conseil natio­nal et membre active de la Fédération des Yvelines. J’ai tou­jours consi­dé­ré qu’il ne fal­lait jamais cou­per avec l’ac­ti­vi­té pro­fes­sion­nelle. On se rend vite compte que c’est dif­fi­cile de mener les deux en même temps : avoir une acti­vi­té pro­fes­sion­nelle et avoir une res­pon­sa­bi­li­té poli­tique ou syn­di­cale de pre­mier niveau. Toutefois, j’ai tou­jours eu des périodes où je retour­nais au boulot.

Quel est le rôle du tra­vail, jus­te­ment, dans ce parcours ?

J’ai pas­sé le concours de tech­ni­cien des PTT. J’étais l’une des pre­mières femmes à le faire : c’é­tait seule­ment la deuxième fois que ce concours était ouvert aux femmes. J’ai été reçue dans les pre­mières et j’ai été nom­mée en région pari­sienne. J’y ai ren­con­tré des mili­tants de la CGT que j’ai rejoints rapi­de­ment. Étant une des pre­mières femmes dans ce métier, on m’a tout de suite don­né une place dans la bataille syn­di­cale qu’on menait, jus­te­ment, sur la place des femmes. C’était l’é­poque d’Antoinette, le jour­nal fémi­niste de la CGT. Si j’ai d’a­bord consa­cré beau­coup de temps à l’en­ga­ge­ment syn­di­cal, j’ai tou­jours consi­dé­ré que„ pour avan­cer, il fal­lait deux jambes — syn­di­cale et poli­tique. L’action syn­di­cale doit trou­ver un débou­ché politique.

Vous avez donc vécu la pri­va­ti­sa­tion d’un ser­vice public, puis les pre­mières vagues de sui­cides dans l’en­tre­prise. Est-ce que ça a pesé sur votre politisation ?

Oui, for­cé­ment, puisque ça a fait que je suis par­tie de l’en­tre­prise. Quand les sui­cides ont eu un écho média­tique, ça fai­sait déjà des années qu’on tirait la son­nette d’a­larme. Les restruc­tu­ra­tions, la sous-trai­tance à outrance, on les subis­sait déjà. C’est sor­ti quand ceux qui ont été tou­chés ont été les cadres, les tech­ni­ciens inter­mé­diaires. Quand on a fini de lami­ner tous ceux qui étaient en bas, il a fal­lu pas­ser à ceux qui étaient au-des­sus. L’évolution tech­no­lo­gique fai­sait qu’on avait besoin de moins de monde. L’entreprise n’é­tait déjà plus un ser­vice public au sens où je l’en­ten­dais. Il fal­lait se tour­ner vers plus de com­mer­ciaux à cause de l’ou­ver­ture à la concur­rence. Je n’y trou­vais plus du tout de sens. Ce qui a beau­coup pesé pour ces vagues de sui­cides, ce sont les mises au pla­card. Le fait qu’on ne trou­vait plus de sens dans notre tra­vail. Je l’ai bien vu pour les tech­ni­ciens et les ingé­nieurs qui ont été confron­tés à ces pro­blé­ma­tiques — j’ai été per­ma­nente syn­di­cale de 1996 à 2002. En 2001, j’a­vais été élue maire adjointe dans la ville où j’ha­bi­tais et j’ai fait le choix de lais­ser ma res­pon­sa­bi­li­té syn­di­cale pour me consa­crer à mon enga­ge­ment d’é­lue. J’ai alors deman­dé ma réin­té­gra­tion à France Télécom, qui m’a lais­sée trois ans sans poste. C’était l’é­poque où il fal­lait déga­ger du monde et ils voyaient d’un mau­vais œil le retour d’une syn­di­ca­liste sur le ter­rain. Un beau jour, ils se sont réveillés et ils m’ont pro­po­sé un poste dans un pla­card. J’ai cra­qué. J’ai cher­ché à par­tir. Et je suis par­tie dans une col­lec­ti­vi­té, sur un poste de char­gée de mis­sion sur l’hy­giène et la sécu­ri­té au tra­vail. Je me suis beau­coup consa­crée aux risques psy­cho-sociaux. Pour m’oc­cu­per de l’humain.

Venons-en au ter­ri­toire que vous repré­sen­tez, la Creuse. La den­si­té de popu­la­tion y est très faible et un tiers des 115 000 habi­tants vit loin d’une ville. En quoi cela a‑t-il nour­ri vos prises de posi­tion au niveau national ?

Un dépu­té ne fait pas les lois que pour son dépar­te­ment. Par contre, il doit s’im­pré­gner du ter­ri­toire dont il est issu pour pou­voir por­ter les argu­ments au moment de défendre un pro­jet de loi ou un dos­sier, comme celui que je mène sur les forêts. Je siège dans la délé­ga­tion aux col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Dans notre pro­gramme, il est écrit que la com­mune doit être au cœur de l’exer­cice démo­cra­tique, et que c’est l’élé­ment essen­tiel de nos ins­ti­tu­tions. Dans un ter­ri­toire rural comme la Creuse, il y a 256 com­munes. Si demain cet éche­lon venait à dis­pa­raître, ce serait une catas­trophe pour un dépar­te­ment comme celui-là. La com­mune per­met du lien social. C’est le seul point de réfé­rence des citoyens quand ils ont un pro­blème. Alors ils vont voir le maire, l’é­lu, la secré­taire de mai­rie. La porte d’en­trée du pre­mier ser­vice public est la com­mune. C’est ce que je porte à l’Assemblée : que ces ter­ri­toires aient plus de moyens finan­ciers pour qu’ils puissent mener à bien ce qu’il est en leur pou­voir de faire. Ce qui m’im­pres­sionne dans ce dépar­te­ment, c’est sa richesse en termes de milieux asso­cia­tifs — grâce à la soli­da­ri­té locale. Le pro­blème c’est qu’au­jourd’­hui, les com­munes qui accom­pa­gnaient ces ini­tia­tives n’ont plus la capa­ci­té finan­cière de pour­suivre ce tra­vail. Et le ral­lon­ge­ment de l’âge de départ à la retraite à 64 ans va amoin­drir ce tis­su de béné­voles. Ça va être un drame pour notre dépar­te­ment ! Deux ans de plus, ce sont les deux meilleures années où on se disait, bien sou­vent, qu’on avait encore de l’éner­gie pour faire quelque chose dans son vil­lage. Ça va être aus­si très com­pli­qué aux pro­chaines muni­ci­pales de consti­tuer les listes…

« Deux ans de plus, ce sont les deux meilleures années où on se disait, bien sou­vent, qu’on avait encore de l’éner­gie pour faire quelque chose dans son village. »

Ce matin, je dis­cu­tais avec le maire d’une com­mune qui doit refaire l’é­glise de son vil­lage, qui tombe en ruine. Il y en a pour 700 000 euros de tra­vaux. Il n’a pas les capa­ci­tés finan­cières de les faire. Même si les gens ne vont pas à l’é­glise, ils sont atta­chés au patri­moine. Aujourd’hui, les petites com­munes sont étran­glées finan­ciè­re­ment, les dota­tions sont une misère. Elles n’ar­rivent plus qu’à faire des choses par prin­cipe de dota­tion — d’où une mise en concur­rence des petites com­munes entre elles. Je ne suis pas contre l’in­ter­com­mu­na­li­té : je suis pour une inter­com­mu­na­li­té de pro­jet. Je consi­dère que les élus sont des gens intel­li­gents, qui veulent bien faire ce qu’ils entre­prennent et sont capables de se regrou­per pour pou­voir mener des pro­jets en com­mun dans l’in­té­rêt géné­ral. Aujourd’hui, l’in­ter­com­mu­na­li­té telle qu’elle est impo­sée par la loi a notam­ment pour consé­quence qu’on les dépos­sède de leur pou­voir. Et ça, les élus ne sup­portent plus.

Vous men­tion­nez une des réper­cus­sions de la réforme des retraites sur ce dépar­te­ment. Comment a été la mobi­li­sa­tion localement ?

Ce dépar­te­ment a été très sui­vi par tous les médias natio­naux parce qu’ils ont été sur­pris par le niveau des mobi­li­sa­tions. Ce matin [jeu­di 13 avril, ndlr], à Guéret, il y avait encore 2 000 per­sonnes dans la rue. Pourquoi ? D’abord, parce qu’on est un ter­ri­toire où la Résistance a été très pré­sente pen­dant la guerre. La soli­da­ri­té est res­tée très forte. C’est un dépar­te­ment d’ac­cueil des réfu­giés, des Ukrainiens. Ensuite, la moyenne d’âge est très éle­vée, il y a beau­coup d’ha­bi­tants de plus de 60 ans. La déser­ti­fi­ca­tion des ser­vices publics a tou­jours repré­sen­té un com­bat ici. La lutte pour la défense des ser­vices publics en 2004, quand les élus avaient ren­du leurs écharpes, est res­tée dans la tête des gens. La déser­ti­fi­ca­tion médi­cale est géné­rale en France, mais elle est plus pré­gnante dans ce dépar­te­ment. En Île-de-France, vous faites 20 kilo­mètres et vous trou­vez une solu­tion. Là, c’est 150 kilo­mètres qu’il faut faire par­fois, pour rejoindre Clermont-Ferrand ou Limoges. De la même manière, il n’y a pas de trans­ports en com­mun. Il faut batailler, comme on l’a fait avec mes col­lègues du Cher et de la Haute-Vienne sur la ligne POLT, par exemple, la ligne fer­ro­viaire qui va de Paris à Toulouse en pas­sant par Orléans et Limoges. Ce sont autant d’élé­ments qui font qu’i­ci, la réforme des retraites a été la goutte d’eau qui a fait débor­der le vase. J’ai été sur­prise, moi aus­si : encore ce matin, j’ai revu deux sala­riés d’une petite entre­prise de char­pente que je connais, ils ont fait toutes les manifs ! Même des arti­sans ont par­ti­ci­pé, parce que la baisse du pou­voir d’a­chat est une catas­trophe pour tout le monde. Sans comp­ter qu’on a le taux de pau­vre­té de la jeu­nesse le plus fort de France.

Pourquoi ?

Il n’y a pas d’u­ni­ver­si­té, on a très peu de débou­chés pour des acti­vi­tés pro­fes­sion­nelles. Les jeunes partent faire leurs études dans les grandes villes et ne reviennent pas, ou seule­ment pour voir leurs parents. Ils n’ha­bitent plus le dépar­te­ment. La jeu­nesse qui vit sur le dépar­te­ment pré­sente un niveau d’é­tudes très faible, et a donc for­cé­ment des dif­fi­cul­tés à trou­ver de l’emploi pro­po­sant un reve­nu décent.

À l’Assemblée natio­nale comme dans votre cir­cons­crip­tion, vous vous dis­tin­guez sur deux thèmes : l’a­gri­cul­ture et, sur­tout, la forêt. Deux domaines qui ont en com­mun d’in­ter­ro­ger le par­tage de la terre et l’u­sage des sols. 

On a la chance d’a­voir un dépar­te­ment où les sur­faces agri­coles sont plu­tôt petites. 70 % des terres sont des prai­ries pour l’é­le­vage, avec beau­coup d’a­gri­cul­ture bio­lo­gique et pas mal de jeunes agri­cul­teurs qui com­mencent à s’in­ter­ro­ger sur le fait d’a­voir des trou­peaux plus petits et en auto­suf­fi­sance. Je pense que ce dépar­te­ment pour­rait être une vitrine.

Tout le monde ne semble pas de cet avis ! Le modèle agri­cole pro­duc­ti­viste que vous met­tez en cause vous l’a fait savoir : il s’est atta­qué à votre per­ma­nence par­le­men­taire, à plu­sieurs reprises, suite à vos décla­ra­tions sur les métha­ni­seurs à l’Assemblée nationale.

Oui. J’ai eu affaire à quelques agri­cul­teurs qui appliquent un modèle inten­sif et pensent que le com­plé­ment de reve­nu peut se faire avec de l’éner­gie — pho­to­vol­taïque, métha­ni­sa­tion (ce qu’on pour­rait com­pa­rer à cer­tains pro­prié­taires fores­tiers qui ne voient dans leur forêt qu’un gain poten­tiel, sans se sou­cier de sa pré­ser­va­tion en matière de bio­di­ver­si­té, de puits de car­bone). Agriculture et forêt sont confron­tés à des enjeux très proches. On voit s’im­plan­ter des usines à pel­lets [gra­nu­lés de bois qui servent de com­bus­tible pour ali­men­ter des chau­dières ou des poêles, ndlr], des scie­ries qui n’ont pour objec­tif que de faire du par­quet ou de la palette, ce qui fait qu’on va cher­cher des bois qui ne sont pas for­cé­ment arri­vés à matu­ra­tion. Les grosses scie­ries ne sont plus en capa­ci­té de faire du bois d’œuvre. Et les petites scie­ries qui, elles, le peuvent, ont du mal à exis­ter. Je suis en train de tra­vailler sur un pro­jet pour qu’on déve­loppe des scie­ries en capa­ci­té de faire du bois d’œuvre.

Vous pré­si­dez une mis­sion d’in­for­ma­tion sur l’a­dap­ta­tion de la poli­tique fores­tière au chan­ge­ment cli­ma­tique. Vos prises de posi­tion vous situent à l’op­po­sé des déci­sions prises en matière de forêt depuis des dizaines d’an­nées. Comment réus­sir à ame­ner des pro­po­si­tions de réforme dans ce contexte ?

« Le ministre de la Transition éco­lo­gique Christophe Béchu a été odieux, minable. On assiste à une atti­tude du gou­ver­ne­ment très agressive. »

Le rap­port issu de cette mis­sion par­le­men­taire sera dévoi­lé début mai. Mais pour vous répondre : je pense que si on prend cette ques­tion sous l’angle de l’a­dap­ta­tion au chan­ge­ment cli­ma­tique, on devrait pou­voir y arri­ver. Il y a une réelle prise de conscience : si on ne veut pas tous cre­ver ou brû­ler au milieu des forêts, il va fal­loir faire quelque chose. Je ne suis pas rap­por­teuse, seule­ment pré­si­dente de la mis­sion. Même si les pro­po­si­tions ne vont pas aus­si loin que je l’au­rais aimé, il y a des avan­cées, des pistes, qui vont nous per­mettre d’en­vi­sa­ger une pro­po­si­tion de loi trans­par­ti­sane qui amé­lio­re­ra les choses et tra­ce­ra, peut-être, des pers­pec­tives. Ceci dit, c’est vrai qu’on est face à un gou­ver­ne­ment qui a besoin d’un ORL. Pour prendre un exemple récent : Sylvain Carrière a fait état à l’Assemblée des sur­faces fores­tières qui ont bru­lé depuis le début de l’an­née pour inter­ro­ger le gou­ver­ne­ment sur la séche­resse et les incen­dies. Le chiffre qu’il a don­né vient d’ins­ti­tuts euro­péens. Le ministre de la Transition éco­lo­gique Christophe Béchu a été odieux, minable : il lui a répon­du qu’il fal­lait maî­tri­ser le sujet avant de poser une ques­tion, arguant de chiffres dif­fé­rents, avant d’en­chaî­ner sans répondre à sa ques­tion. On assiste à une atti­tude du gou­ver­ne­ment très agres­sive. Moi, ils me donnent l’im­pres­sion de perdre pied. Leur objec­tif, c’est une ges­tion par la peur, auto­ri­taire, monar­chique. On n’est plus dans une démo­cra­tie. Autre exemple : les dis­cus­sions autour de la pro­po­si­tion de loi « Bien vieillir », issu des rap­ports que Caroline Fiat et Monique Iborra avaient pré­sen­tés lors du man­dat pré­cé­dent. Le groupe Renaissance a jugé que le pro­jet de loi ini­tial allait trop loin. Ils ont donc déga­gé Monique Iborra qui était rap­por­teuse, pour vider le texte de tout son conte­nu inté­res­sant. On a dépo­sé une motion de ren­voi préa­lable, pour ajour­ner l’exa­men du texte qui, à quelques voix près, n’est pas pas­sée, à cause de l’op­po­si­tion du RN. Toute la droite l’a votée, toute la NUPES aus­si, et c’est le RN, une fois de plus, qui a sau­vé la macronie.

On voit donc le sort réser­vé à l’Assemblée natio­nale aux rap­ports issus de mis­sions d’in­for­ma­tion telles que celle que vous avez menée sur la forêt. Que peut-on attendre alors ?

L’objectif que je me suis fixée, c’est d’a­van­cer une pro­po­si­tion de loi qui soit la plus trans­par­ti­sane pos­sible, sans remettre en cause le pro­gramme sur lequel on a été élus. Je ne sais pas jus­qu’où cette exi­gence ren­dra ces objec­tifs com­pa­tibles. Mais aujourd’­hui, si on veut que cer­tains textes passent, il faut créer les condi­tions pour qu’ils soient par­ta­gés par le plus grand nombre. Sur les ques­tions envi­ron­ne­men­tales, éco­lo­giques, c’est fai­sable. Par contre, c’est beau­coup plus com­pli­qué, dans un second temps, pour que les membres Renaissance de la com­mis­sion le fassent vali­der par leur groupe.

On vous a vue le mois der­nier au bois du Chat, à Tarnac, dans la Corrèze, ten­ter une média­tion sur un conflit oppo­sant des col­lec­tifs contre une coupe rase et l’in­ter­pro­fes­sion fores­tière qui la recom­mande et la sou­tient. Il s’a­git d’une par­celle de six hec­tares de feuillus, une sur­face minus­cule par rap­port à ce qui est exploi­té chaque jour dans votre région. Pourquoi être intervenue ?

J’ai d’a­bord été aler­tée par un des col­lec­tifs et je suis inter­ve­nue pour essayer de trou­ver une issue à ce conflit entre eux et un exploi­tant. C’est un exemple concret de ce qu’on aborde dans le rap­port. Il s’a­git d’une par­celle avec un plan de ges­tion qui date de quinze ans, qui n’a pas été revu ni rééva­lué. La par­celle avait été décla­rée comme un taillis1 alors qu’au­jourd’­hui c’est une futaie2. On se trouve dans un Parc natu­rel régio­nal [PNR], avec des pentes de plus de 30 % et des zones humides : autant de condi­tions qui indiquent qu’une coupe rase n’a aucun sens éco­lo­gique. Au contraire ! C’est l’exemple même d’un lieu où devrait s’ap­pli­quer une ges­tion dif­fé­rente, avec des pré­lè­ve­ments de bois arri­vés à matu­ra­tion, ou en pro­cé­dant à des éclair­cies pour qu’en pro­fitent des arbres qui ont voca­tion à deve­nir des bois d’œuvre de qua­li­té. Les défen­seurs de la coupe ont eux aus­si pris ce conflit comme un modèle afin de com­mu­ni­quer en leur faveur et de dire : « C’est une forêt pri­vée, on fait ce qu’on veut sur une forêt pri­vée. » Non. Il y a une régle­men­ta­tion, des choses à res­pec­ter. C’est l’exemple même du pro­prié­taire fores­tier qui n’ha­bite pas à côté de sa forêt. Je ne sais pas depuis com­bien de temps la pro­prié­taire n’a pas mis les pieds dans ses bois, mais c’est pour elle l’oc­ca­sion d’empocher une cer­taine somme. Elle subit aus­si cer­tai­ne­ment la pres­sion de l’ex­ploi­tant fores­tier pour ne pas remettre en cause l’ac­cord d’ex­ploi­ta­tion qui avait été signé. Car der­rière il y a les gros acteurs de la filière, comme Argil, qui appar­tient au groupe Bois et Dérivés ou Fibois, qui est l’in­ter­pro­fes­sion forêt, bois et papier sur la région. Tous ces acteurs vou­laient faire du pro­jet por­tant sur cette petite par­celle un exemple pour affir­mer : « Les asso­cia­tions envi­ron­ne­men­tales, les pro­tec­teurs de la forêt, ça n’est pas vous qui allez nous dire com­ment on exploite la forêt ! » En inter­ve­nant sur place, je me suis posi­tion­née pour essayer de trou­ver une forme de média­tion. J’ai pris la parole alors qu’on ne vou­lait pas me la don­ner — et ça les ennuie, aus­si, de voir une femme qui résiste dans un milieu fores­tier très mas­cu­lin. Pour l’ins­tant, la coupe est inter­rom­pue, le plan de ges­tion sera peut-être revu, la région et le PNR ont fait des pro­po­si­tions pour rache­ter les par­celles… Je pense que j’ai à peu près réussi.

À une échelle moindre, c’est une mobi­li­sa­tion qui fait écho à celle contre les méga­bas­sines : des par­ti­ci­pants qui excèdent les cercles habi­tuels des mili­tants, la défense d’un bien qui est consi­dé­ré par beau­coup comme commun…

Je suis tout à fait d’ac­cord. Ce sont deux mondes qui s’af­frontent : le sys­tème éco­no­mique capi­ta­liste et un sys­tème où on remet l’être humain et le vivant au cœur de nos choix. C’est sim­ple­ment une autre échelle. Considérer l’eau comme un bien com­mun, je crois que c’est dans toutes les têtes. C’est acquis. Pour la forêt, non. J’ai par­lé de la forêt dans ces termes d’ailleurs — et pour les exploi­tants fores­tiers, c’est une outrance ! Les gens sont scan­da­li­sés par les coupes rases ou celles qui détruisent les pay­sages, qui défoncent les che­mins. Quand une coupe est sani­taire3, ce qu’on ne sait pas for­cé­ment, il faut l’ex­pli­quer, le dire. Mais sur le dépar­te­ment de la Creuse, c’est une part infime des coupes. Par ailleurs, on ne peut pas par­ler de la ges­tion de l’eau sans par­ler de la pré­ser­va­tion des forêts. Des coupes rases comme celle que j’ai consta­tée à Meymac, en Corrèze, sur près de 100 hec­tares, sont une catas­trophe. On va avoir des pluies d’o­rage de plus en plus vio­lentes, la terre sur le haut des pentes ne sera pas rete­nue, tout se retrou­ve­ra en bas. En plus c’est replan­té en mono­cul­ture… Dans qua­rante ans, il y aura des forêts qui pour­ront peut-être se déve­lop­per en bas des pentes, mais pas en haut, faute de sol. Les pay­sages ont tou­jours évo­lué au cours du temps : qu’ils changent, ce n’est pas un drame, mais fai­sons atten­tion à ce qu’on fait. On se dirige vers des chan­ge­ments catastrophiques.

On constate un dés­équi­libre énorme entre des alter­na­tives fores­tières pro­mues ici et là, et un modèle domi­nant, extrac­ti­viste, indus­triel. Quelques cen­taines d’hec­tares d’un côté, des cen­taines de mil­liers de l’autre. Quelle devrait être l’ac­tion de la puis­sance publique pour peser dans le bon sens ?

« Considérer l’eau comme un bien com­mun, je crois que c’est dans toutes les têtes. C’est acquis. Pour la forêt, non. »

Mon objec­tif est une pro­po­si­tion de loi qui donne plus de pou­voir aux élus locaux, plus de moyens à l’Office natio­nal des forêts [ONF], à l’Office fran­çais de la bio­di­ver­si­té [OFB] et aux centres régio­naux de la pro­prié­té fores­tière [CRPF]. Ces éta­blis­se­ments publics pour­raient notam­ment per­mettre une meilleure connais­sance car­to­gra­phique d’une forêt pri­vée extrê­me­ment mor­ce­lée en France. Et il faut qu’on régle­mente les plans de ges­tion et les coupes rases.

La dépu­tée Mathilde Panot a déjà pro­po­sé une loi à ce pro­pos, il y a quelques années…

Qui n’est pas pas­sée, oui. C’est aus­si mon objec­tif, ce sur quoi je veux tra­vailler dans la fou­lée. Cette pro­po­si­tion serait déjà un pre­mier pas.

À l’aune de votre expé­rience à France Télécom, un ser­vice public qui, il y a une ving­taine d’an­nées, s’est pri­va­ti­sé, quel regard por­tez-vous sur l’é­vo­lu­tion de cet autre ser­vice public qu’est l’ONF, dont le per­son­nel tend à dimi­nuer chaque année ?

On subit les consé­quences de la révi­sion des poli­tiques publiques. Quand on voit que l’ONF est obli­gé, pour équi­li­brer son propre bud­get, de vendre encore plus de bois… Je ne dis pas que l’ONF ne doive pas cou­per de bois, mais ça n’est pas sa voca­tion pre­mière : sa voca­tion, c’est d’être un véri­table ges­tion­naire des forêts publiques, d’a­voir assez de moyens pour être un appui tech­nique et de conseiller les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Aujourd’hui, ses moyens sont insi­gni­fiants par rap­port aux sur­faces à gérer. Et c’est la même chose pour l’OFB. Si on veut que les enjeux de la bio­di­ver­si­té soient pris au sérieux, il faut qu’on réus­sisse à ren­for­cer l’en­semble des ser­vices publics concernés.


Illustration de ban­nière : Creuse, 2008 | Camille Hervouet
Photographie de vignette :  Tarnac, 2023 | Céline Levain


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  1. Méthode de ges­tion fores­tière qui consis­ter à cou­per régu­liè­re­ment des jeunes arbres en lais­sant leur souche en place, afin que des rejets poussent sur celle-ci et soient cou­pés à leur tour. Ce régime d’a­mé­na­ge­ment fores­tier est sur­tout uti­li­sé pour faire du bois de chauf­fage avec des feuillus [ndlr].[]
  2. Méthode de ges­tion fores­tière qui consiste à pri­vi­lé­gier les grands arbres issus de semis, natu­rels ou plan­tés, en les lais­sant matu­rer afin qu’on puisse en tirer du bois d’œuvre après exploi­ta­tion. On dis­tingue les futaies régu­lières, sou­vent plan­tées, où tous les âges des essences prin­ci­pales sont d’âge proche, des futaies irré­gu­lières, issues le plus sou­vent de la régé­né­ra­tion natu­relle, où on vise une plus grande diver­si­té d’es­sences ain­si que dans l’âge et la taille des arbres, [ndlr].[]
  3. Ces coupes visent les arbres en mau­vais état, qu’ils soient atta­qués par des para­sites ou qu’ils aient été abi­més au cours de l’ex­ploi­ta­tion de la par­celle ou par des phé­no­mènes météo­ro­lo­giques. La coupe rase est la méthode la plus employée dans le cas des peu­ple­ments tou­chés par des sco­lytes, des insectes qui creusent des gale­ries et pondent sous l’é­corce de cer­taines essences, notam­ment les épi­céas [ndlr].[]

REBONDS

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