Refuser, que ce soit un système axé sur la compétition ou de servir dans l’armée israélienne qui commet un génocide à Gaza ; réfléchir à une cosmopolitique des communs et à la possibilité d’une voix collective ; débattre de la place des images dans l’imaginaire révolutionnaire et dépasser les clichés sur les femmes kurdes en découvrant les fondements idéologiques de leur combat ; raconter les massacres commis par les phalangistes à Beyrouth dans les années 70 et la construction des marges à Paris ; enquêter sur la santé à Sainté et repenser la notion de constitution : nos chroniques de mai 2025.
☰ Refuser de parvenir, du CIRA
« [L]a révolution n’a de sens que si les chemins empruntés pour y tendre correspondent à l’idéal émancipateur. » C’est dans cette perspective que Nada a réédité, en actualisant son contenu, l’ouvrage Refuser de parvenir, coordonné par le Centre international de recherches du l’anarchisme (CIRA) de Lausanne. L’expression « refus de parvenir » apparaît d’abord sous la plume de l’instituteur et syndicaliste Albert Thierry au début du XXe siècle. Très présent dans le syndicalisme révolutionnaire, le refus de parvenir « se traduit également par une critique virulente du pouvoir et de la représentation », par le refus des « galons » y compris dans les structures syndicales et par le fait, comme le dit Élisée Reclus, « de ne pas sortir des rangs » et d’éviter l’avant-gardisme. Tombé en désuétude après la Première Guerre mondiale, « le refus de parvenir voit une sorte de renouveau dans le sillage de mai 1968 ». L’équipe du CIRA a essayé d’illustrer ce que pourrait signifier aujourd’hui ce concept, dans une perspective qui évite l’individualisme et les écueils de la désertion individuelle, mettant en avant la dimension collective. Sans non plus se voiler la face sur le fait que « pour refuser de parvenir, il faut être en mesure de parvenir » et que cela n’a pas le même sens « selon la (ou les) position(s) que nous occupons dans la complexe superposition des hiérarchies sociales et des mécanismes de domination, qui transcendent la conception historique de classes ». Ainsi par exemple, Anne Steiner propose une réflexion sur l’université, la méritocratie et le besoin de « reprendre à l’État et au marché le monopole de l’instruction et de la formation ». Alors que la gauche dans son ensemble peine à de défaire du culte de la personne, du leader, sans parler de celui de la « méritocratie républicaine », la lecture de ce livre apporte une fraîcheur bienvenue aux réflexions politiques. Replacer le refus de parvenir, de la compétition et de la course au mérite au cœur de nos engagements nous permettrait de nous concentrer sur la dimension collective du travail militant et d’inscrire celui-ci dans le long terme, sans attente de gratification autre que celle de se tenir aux côtés de ses camarades dans la lutte. [L.]
Nada, 2024
☰ Nous refusons. Dire non à l’armée en Israël, de Martin Barzilai
La société israélienne, l’une des plus militarisées du monde, compte 178 000 soldats de métier et un demi-million de réservistes sur une population totale de près de dix millions d’habitants. L’armée constitue un pilier de l’ordre social israélien. Le service national est obligatoire à partir de 18 ans : trois ans pour les hommes, deux ans pour les femmes, « à l’exception des Palestiniens citoyens d’Israël […] et de la plupart des Juifs haredim qui se consacrent à l’étude religieuse ». C’est dans ce contexte que depuis 2008 Martin Barzilai va à la rencontre des refuznik, celles et ceux qui refusent de prendre les armes et qui « incarnent un point de rupture, une discontinuité dans une société pensée comme un bloc militariste monolithique où le service est pratiquement constitutif de la citoyenneté », dans la mesure où celui-ci conditionne l’accès au permis de conduire, à la sortie du territoire, etc. Leurs courts témoignages donnent à voir le regard de la société israélienne sur le processus de la colonisation de la Palestine — ou son absence de regard, comme l’explique Einat Gerlitz : « L’occupation ne peut exister que parce que nous vivons séparés des Palestiniens. Si vous vivez comme un Juif israélien normal, vous ne la sentez pas […] tant qu’on ne la voit pas de ses propres yeux, l’occupation semble très lointaine. » Les points de vue des refuznik sont variés : certain·es ne rejettent pas le projet sioniste tout en dénonçant les crimes commis par l’armée israélienne, quand d’autres critiquent ouvertement l’occupation des territoires palestiniens et s’engagent aux côtés des Palestiniens contre les destructions de maisons, les exactions des colons. La plupart alertent toutefois sur les dangers de la dérive du gouvernement et du poids des fondamentalistes en son sein. Refuser le service se paie cher : outre la prison, de quelques mois à deux ans, il faut aussi être prêt à subir le regard de la société et des proches. Et depuis le 7 octobre 2023, refuser le service militaire obligatoire est plus que jamais un affront. [L.]
Libertalia, 2025
☰ Instituer les mondes — Pour une cosmopolitique des communs, de Pierre Dardot et Christian Laval
Poursuivant leur ample travail critique du néolibéralisme et de la souveraineté étatique, le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval proposent une nouvelle somme, dont le but est de proposer des formes d’organisation collective susceptibles d’instituer du commun — ce qu’ils définissaient dans un ouvrage précédent comme « le principe politique d’une co-obligation pour tous ceux qui sont engagés dans une même activité ». Leur démarche s’étoffe cette fois-ci d’une série de propositions stratégiques à l’échelle mondiale. Il ne s’agit plus simplement de circonvenir des initiatives localisées, auto-gouvernées par des communautés décidant d’un ensemble de règles pour agir dans une même direction ; : les deux auteurs souhaitent également faire muer le vieil internationalisme socialiste vers une « cosmopolitique des communs », en s’appuyant sur les réseaux transnationaux créés autour de luttes écologistes, féministes, autochtones et paysannes. Actant aussi bien l’échec d’un internationalisme fondé sur la rencontre de mouvements ouvriers nationaux que celui d’un altermondialisme qui n’a pas su se doter d’institutions à même de pérenniser un mouvement populaire mondial, Pierre Dardot et Christian Laval avancent un cadre conceptuel original à même de saisir un foisonnement d’initiatives éparses à l’échelle de la Terre. Postulant que « la révolution comme réalisation de la démocratie d’autogouvernement est affaire […] d’actes collectifs d’institution », ils présentent un ensemble de « tracés » stratégiques s’appuyant sur de telles expériences anciennes et contemporaines. Sont ainsi abordés diverses expériences de fédéralisme ou de communalisme et les relations que ces modèles entretiennent avec l’État, les luttes ou les milieux de vie. Une telle exploration, nourrie de nombreux exemples, est réjouissante, mais ne manque pas de laisser perplexe sur son adéquation avec le moment dramatique que nous vivons. Agir en commun, ici et maintenant, puis mettre en réseau un ensemble d’institutions autonomes, requiert des efforts gigantesques. Si Instituer les mondes paraît être à la mesure de l’époque sur le plan théorique, comment l’être, en retour, sur le plan pratique et politique ? [R.B.]
La Découverte, 2025
☰ Le Rêve d’un langage commun, d’Adrienne Rich (trad. Shira Abramovich et Lénaïg Cariou)
« Si dans ce sommeil je parle / c’est dans une voix qui n’est plus personnelle / (je voudrais dire avec des voix) » : c’est ainsi qu’Adrienne Rich fait parler Elvira Shataeva, meneuse d’une cordée d’alpinistes soviétiques dont les membres perdirent la vie dans leur ascension du pic Lénine en 1974. Cette voix venue du sommeil, c’est celle de femmes qui, dans leur mort commune, ont accédé à l’indistinction : « nous ruisselons / dans l’inachevé l’incommencé / le possible ». La question de la voix collective traverse dans son entier Le Rêve d’un langage commun, premier recueil complet de la poétesse à être publié en France (après la parution de Plonger dans l’épave au Québec en 2024), dans une traduction à quatre mains, plus de quarante-cinq ans après sa parution. Une réception tardive d’autant plus étonnante que son essai fondateur, « La contrainte à l’hétérosexualité et l’existence lesbienne », a été traduit dans Nouvelles Questions Féministes dès 1981. Lorsqu’elle écrit Le Rêve d’un langage commun, Adrienne Rich a mis fin à son mariage, et la superbe séquence des « Vingt-et-un poèmes d’amour » est elle aussi marquée par « l’incommencé / le possible » que lui confère la découverte des relations lesbiennes : « Personne ne nous a imaginées. Nous voulons vivre comme les arbres, / sycomores flambant à travers l’air sulfuré, / tachetées de cicatrices, bourgeonnant encore avec exubérance, / notre passion animale enracinée dans la ville ». Sans cesse reviennent la nécessité d’avancer sans repères (« nous sommes dans un pays qui n’a pas de langue, / pas de lois[…] / tout ce que nous faisons ensemble est pure invention ») et de se créer en commun (« Nous l’avons fait. Nous nous sommes imaginées / l’une l’autre, conçues l’une l’autre dans une obscurité, / dans mon souvenir, baignée de lumière »). Avec pour seule ligne directrice, et malgré la difficulté du « nous », un constat : « Jusqu’à ce que nous nous trouvions, nous sommes seules ». [A.B.]
L’Arche, 2025
☰ Images de la politique, politique des images. Un débat, de Georges Didi-Huberman, Enzo Traverso et Guillaume Blanc-Marianne
Dos tournés, deux jeunes hommes sont saisis en plein mouvement, dans un geste quasi-symétrique, alors qu’ils lancent ce qu’on suppose être des pierres, au vu de celles qui jonchent la rue vers une ligne de silhouettes sombres, noyées dans la fumée. Gilles Caron a pris cette photographie en août 1969 à Derry, en Irlande du Nord. L’image a été choisie pour la couverture du catalogue de l’exposition Soulèvements présentée en 2016 à la galerie du Jeu de Paume. Elle va devenir le départ d’un débat animé entre le commissaire de l’exposition et historien de l’art Georges Didi-Huberman et le philosophe Enzo Traverso. Ce dernier, s’appuyant sur la légende proposée dans l’ouvrage, a critiqué dans un passage de son livre Révolution. Une histoire culturelle, publié en 2022, le fait que l’exposition « privilégiait les aspects esthétiques des soulèvements au point d’en oublier la nature politique ». Piqué au vif, Georges Didi-Huberman lui a répondu dans une longue lettre. Outre le plaisir de lire un échange qui n’a rien à envier au clash Booba-Kaaris, celui-ci met en discussion un certain nombre d’arguments sur le fond et la forme, l’esthétique et le politique, ainsi que sur le rôle et la place des légendes qui accompagnent les images. Car, en effet, alors que la légende citée par Enzo Traverso affirme que les deux personnes de l’image « participent à une émeute anti-catholique », Georges Didi-Huberman soutient lui qu’il s’agit au contraire de deux catholiques lançant des pierres sur une ligne de policiers. Alors que l’échange se clôt sur des mots peu amènes, un an plus tard, l’intervention d’une troisième personne permettra de mettre un terme à une partie du débat. Docteur en histoire de l’art et commissaire d’une exposition consacrée à Gilles Caron, Guillaume Blanc-Marianne retrace l’histoire de l’image et la replace dans le contexte du travail du photographe, délivrant le fin mot de la légende au cœur de cette polémique. Cette riche contribution permet notamment d’interroger le rôle de la presse et la place du photographe dans la chaîne de l’information. [L.]
Éditions de l’EHESS, 2025
☰ Femmes en armes, savoirs en révolte. Du militantisme kurde à la jineolojî, de Somayeh Rostampour
Avec ce livre inspiré de sa thèse, Somayeh Rostampour, sociologue spécialisée dans les mouvements sociaux et les études de genre originaire du Kurdistan occupé iranien, vient combler un manque important dans la bibliographie francophone des études kurdes. Son travail de recherche sur le mouvement des femmes kurdes au sein du PKK prend sa source dans « une expérience intime, nourrie par le conflit kurde et une curiosité féministe et militante ». Pendant plusieurs années, la chercheuse s’est rendue dans les différentes parties du Kurdistan à la rencontre des militantes kurdes — jusque dans les montagnes de Qandîl où elle a pu échanger avec des cadres des unités combattantes de femmes. Ces nombreux témoignages de première main nourrissent et appuient son analyse théorique. Elle revient sur les conditions ayant mené à la naissance du PKK, puis la lutte au sein du parti qui conduira, avec l’appui de son fondateur et dirigeant Abdullah Öcalan, à la création de structures indépendantes d’auto-organisation des femmes. Plus que l’aspect historique, c’est l’évolution de la pensée politique du mouvement des femmes que développe l’autrice. Depuis les premiers écrits d’Öcalan sur la question des femmes, elle nous montre le chemin parcouru par le mouvement des femmes kurdes pour parvenir dans les années 2010 à la création de la jineolojî, un cadre théorique et pratique permettant de structurer leur lutte et leurs revendications — que les courants féministes ne suffisent pas à englober. Dans la jineolojî, la « théorie renforce et nourrit la pratique. Ce dialogue constant entre réflexion intellectuelle et action militante est un pilier de la résilience du mouvement face aux défis contemporains. » La chercheuse adopte ce paradigme. « [D]éfi à la fois intellectuel et éthique », elle revendique une approche nuancée, qui maintienne « une distance critique » capable de pointer les contradictions de la jineolojî, tout en « rendant hommage aux sacrifices de ces femmes, sans pour autant trahir leurs luttes ni alimenter des narratifs hostiles » — comme ceux qui visent à discréditer les savoirs produits en dehors du cadre universitaire occidental. Une lecture précieuse qui, au-delà de la lutte kurde, intéressera tout·es les militant·es anti-coloniaux. [L.]
Agone, 2025
☰ L’Apocalypse arabe, d’Etel Adnan
« [U]n soleil jaune un soleil hurlant un soleil bleu un soleil suintant des électrodes » : L’Apocalypse arabe, écrit par la poétesse et plasticienne libano-américaine Etel Adnan, est un texte hanté par le soleil. Ce qui débute en janvier 1975 comme un poème de peintre où s’entrechoquent les couleurs (« Un autre soleil jaloux du jaune amoureux du rouge épouvanté de bleu et horizontal ») bascule dans le cauchemar quand la guerre civile s’empare du texte : le 13 avril 1975, un groupe de miliciens des phalanges libanaises ouvre le feu sur un autobus transportant des civils palestiniens et fait 27 morts. L’astre omniprésent se fait alors « soleil lac de sang », « soleil militant [qui] braque son kalachnikov sur la terre », élargissant la guerre civile à des dimensions cosmiques : « Beyrouth est mangée par la guerre civile les enfants écoutent le canon / la matière en furie tourne sur elle-même dans le grand vide des planètes ». Les 59 chants du poème font écho aux 59 jours du siège du camp palestinien de Tell Al-Zaatar (« Ô camp du thym et de la verveine / Tell Zaatar à l’odeur de charogne ») pendant l’été 1976, siège à l’issue duquel 2 000 des « 7 mille Arabes assiégés assoiffés aveuglés » seront massacrés par les phalangistes. Il semble alors que « l’Histoire a poussé l’accélérateur de sa puissance à l’infini » : en réaction, une longue incantation hallucinée (« le soleil a des songes d’acide sulfurique »), rythmée de STOP télégraphiques et trouée de dessins, de glyphes, par lesquels l’autrice signale un « trop-plein », une « pensée non aboutie, imprononçable ». Dans cette « écriture brûlée au soufre », à la grande densité sensorielle, se succèdent en rafale les images du « soleil sac de pus le soleil hôpital ouvert fleur cosmique et cadavérique » ou du « disque de métal tranchant la membrane du ciel pour une pluie de sang ». Et dans ce déferlement vertigineux perce parfois une prière qui ne peut que résonner aujourd’hui : « ô camarade céleste brise l’étau du siège et fais entrer les camions ». [A.B.]
Galerie Lelong & Co., 2021
☰ La Zone, une histoire alternative de Paris, de Justinien Tribillon
Après Les sauvages de la civilisation de Jérôme Beauchez, Justinien Tribillon s’est à son tour attaqué à l’histoire de la Zone et de ses évolutions. « Paris et sa banlieue sont deux espaces mythiques et géographiques mais construits en opposition réciproque. Leurs histoires s’enchevêtrent pour former un amalgame complexe de choix urbanistiques, de politiques sociales, de colonialisme, d’immigration, de décisions administratives, de stratégies de maintien de l’ordre, de peur et de haines. » Entre les deux, la Zone est un « espace intermédiaire » où « se cristallise » l’opposition entre Paris et sa banlieue. De la ceinture noire des remparts de Paris à la ceinture de béton des logements sociaux, en passant par la ceinture verte, la ceinture rose et rouge, l’auteur retrace de manière vivante un siècle d’histoire des politiques d’urbanisme des marges de Paris, une ville qui jusqu’en 1977 était administrée par un préfet d’État et non pas un·e maire élu·e. Au fil de ses balades, il ancre son récit dans le Paris actuel et l’enrichit d’histoires de ses habitant·es. Il montre comment les politiques hygiénistes et modernistes ont très tôt servi de prétexte à chasser de la ville ses classes populaires et à les placer, jusqu’aux cités d’aujourd’hui, dans des espaces où elles puissent facilement être contrôlées. La continuité avec les politiques coloniales est particulièrement visible, par exemple à travers la figure du maréchal Lyautey, qui implémenta à Paris un modèle contre-insurrectionnel développé au Maroc. La construction dans les années 1960 du périphérique cette « ceinture d’asphalte » qui entoure la ville, fournit un exemple éclairant des inégalités face aux grands projets. « Imaginé par Vichy entre 1940 et 1944, voté par la Quatrième République mais construit par la Cinquième, il est le fruit de trois régimes et d’une idéologie : la technocratie française. » Ce chantier devient un révélateur des inégalités sociales : quand les riches et les puissants peuvent détourner son tracé ou l’accommoder, on refuse aux pauvres tout recours et ces derniers doivent supporter la pollution atmosphérique et sonore. [L.]
B42, 2025
☰ Saint-Étienne — Soigner la santé, revue Z, n° 17
Un lieu, un thème : depuis 2009, le « collectif à géométrie variable » de la revue Z « s’organise chaque année pour partir en itinérance pendant un mois » et « s’immerger dans la réalité d’un territoire, enquêter collectivement, prendre part aux luttes ». L’avant-dernière mouture de la revue avait vu un renouvellement du collectif ; en préambule de ce numéro, l’équipe explique comment comment elle a pensé le soin parmi ses membres et propose quelques outils. Et justement, c’est le thème de la santé et la ville de Saint-Étienne qui sont cette fois-ci les fils directeurs autour duquel se compose le contenu travaillé collectivement de ce numéro 17 — viennent s’y ajouter deux entretiens autour du projet Alarm Phone et de la répression en Kanaky, ainsi qu’une histoire de la lutte des travailleur·ses immigré·es turques du Sentier dans les années 1970. Si la plupart des articles du dossier prennent leur source à Sainté, au fil des rencontres du collectif, la plupart des sujets prennent une portée plus large et pointent les dérives et dysfonctionnements du système de santé. Si celui-ci est mis à mal par les coups de boutoir du néolibéralisme, il est également le lieu de nombreuses oppressions. Comme l’explique Myriam Dergham, interne en médecine générale et doctorante en sociologie, « on se rend compte qu’on soigne tout le monde, mais pas de la même façon ». La médecin a co-fondé un diplôme universitaire unique en France : « Accès à la santé et lutte contre les discriminations ». Une initiative qui mériterait pourtant d’être étendue : les articles de Z mettent en lumière le racisme du système de santé ou encore les violences exercées sur les personnes ne rentrant pas dans les normes psy. En s’ancrant à Saint-Étienne, le travail du collectif ne pouvait manquer de faire le lien entre la santé publique et celles des mineurs de fonds, qui ont une place importante dans l’histoire industrielle de la ville. Si les mines ont fermé, une autre industrie est toujours florissante, qui impacte la santé de nombreux humains : celle de l’armement. Z nous emmène ainsi parcourir la ville sur les traces des usines de mort. [L.]
Éditions de la dernière lettre, 2025
☰ Constitution, d’Eugénie Mérieau
La constitution et « l’État de droit » font partie de ces significations imaginaires quasi-naturalisées dans la vie politique contemporaine, y compris au sein d’une grande partie de la gauche contestataire. Pourtant, elles posent une foule de problèmes théoriques et politiques : si la constitution est supposée fonder la légitimité du pouvoir républicain, qu’est-ce qui fonde la constitution elle-même ? Ainsi Eugénie Mérieau rappelle-t-elle que la constitution de la Ve République est née d’un viol de la constitution précédente, et qu’elle comporte de profonds accents schmittiens : dans la théorie de Carl Schmitt, nous dit-elle, « la norme juridique se fonde toujours sur une décision politique qui, elle, ne répond à aucune norme, est pur rapport de force ». Or ce moment fondateur, auquel se réfère explicitement Emmanuel Macron, constitue dans l’imaginaire politique de notre époque la réalisation d’un long processus vers la démocratie libérale — téléologie dont on peut sonder la source dans la pensée hégélienne, promue sans cesse depuis un demi-siècle par des philosophes politiques libéraux, et qui décrète l’État de droit garant ultime de la démocratie. Mais c’est précisément la vertu de cette suite de leçons de Mérieau que de défaire « l’idée folle selon laquelle on peut créer la démocratie par le droit », que celle-ci pourrait être garantie par quelque texte que ce soit. Elle propose alors une généalogie de l’autoritarisme macronien, qui s’inscrit dans une longue tradition de domination étatique faisant du droit l’instrument de l’exécutif contre le peuple. La réflexion de l’autrice, enrichie de mises au point historiques et théoriques et de comparaisons (avec la constitution chinoise par exemple), s’achève sur une suite de questions qui remettent au centre la question politique et démocratique et, au lieu de détruire l’idée de constitution, invitent à penser une constitution par-delà l’État. [A.C.]
Anamosa, 2025
Photographie de bannière : Bain News Service, Publisher, Strike Pickets, février 1910 | Library of Congress
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