Cédric Durand : « Les peuples, contre les bureaucrates et l’ordre européen »


Entretien inédit pour le site de Ballast

Dimanche 5 juillet 2015. Nous retrou­vons l’é­co­no­miste Cédric Durand, auteur du Capital fic­tif et direc­teur de l’ou­vrage col­lec­tif En finir avec l’Europe, dans l’a­près-midi. Les pre­miers résul­tats tombent durant notre entre­tien. La soi­rée confir­me­ra ces chiffres : les Grecs balaient d’un écra­sant revers de la main (61,31 %) les oukases de leurs créan­ciers. « Le non au réfé­ren­dum est un grand oui à la démo­cra­tie », s’empressera d’a­van­cer le ministre Varoufákis avant de « don­ner » sa démis­sion. Si ce résul­tat appa­raît aux yeux de Cohn-Bendit comme « une catas­trophe », si Laurence Parisot lâche un « Aïe » his­to­rique, si Éric Brunet, auteur fameux d’Être riche, un tabou fran­çais, peste aus­si­tôt contre « l’im­ma­tu­ri­té » pro­fonde des Grecs, Durand lance et tranche : « Les Grecs s’apprêtent à écrire une nou­velle page de l’histoire de l’émancipation humaine. Leurs vic­toires seront nos vic­toires. » Décryptage. 


Après le « non » au réfé­ren­dum, quelles sont les pers­pec­tives pour la Grèce, dans les jours et les semaines à venir ?

Cette vic­toire extrê­me­ment large est un évé­ne­ment poli­tique majeur : c’est la pre­mière fois qu’un gou­ver­ne­ment dénonce la légi­ti­mi­té de l’Europe et en appelle à son peuple. Ce pré­cé­dent démontre qu’on peut se réfé­rer à la légi­ti­mi­té des peuples contre la légi­ti­mi­té des bureau­crates et de l’ordre euro­péen. Les consé­quences de ce « non » sont avant tout poli­tiques : un « oui » aurait ren­du très dif­fi­cile pour Tsipras de res­ter Premier ministre et aurait repré­sen­té une cas­sure de sa majo­ri­té. Lorsqu’il a déci­dé d’annoncer ce réfé­ren­dum, son par­ti était qua­si­ment cou­pé en deux : l’aile gauche était vent debout, refu­sant d’endosser l’accord pro­po­sé aux créan­ciers le 23 juin [2015] (il com­por­tait des conces­sions impor­tantes sur la TVA et les retraites). Dans ces condi­tions, Tsipras ris­quait de se retrou­ver devant l’alternative sui­vante : démis­sion­ner ou s’allier avec Potami, le Pasok et des forces du centre-gauche néo­li­bé­ral. Le réfé­ren­dum a per­mis de sor­tir de cette impasse et de réuni­fier son camp face à un adver­saire com­mun. C’était très habile. Aujourd’hui, son capi­tal poli­tique est plus fort que jamais ; il a res­sou­dé son camp et dis­pose d’une légi­ti­mi­té popu­laire immense.

« Aujourd’hui, le capi­tal poli­tique de Tsipras est plus fort que jamais. Il a res­sou­dé son camp et dis­pose d’une légi­ti­mi­té popu­laire immense. »

Toutefois, les désac­cords qui pré­exis­taient ne sont pas réso­lus. Beaucoup de choses ne dépendent pas de la Grèce et l’on peut se deman­der jusqu’à quel point les Européens vont accep­ter de don­ner satis­fac­tion à Athènes — il ne faut pas se faire d’illusions à ce sujet. S’il y a des conces­sions en faveur des Grecs, elles seront mini­males. L’accord esquis­sé sera un accord de restruc­tu­ra­tion de la dette (même le FMI et les États-Unis sont pour) en échange des réformes que Tsipras avait accep­tées. La vic­toire poli­tique de ce der­nier serait alors d’obtenir une restruc­tu­ra­tion par­tielle de la dette, tan­dis que les Allemands pour­ront dire que les Grecs ont pris des enga­ge­ments très fermes dans le sens de l’austérité… La vic­toire du « non » aurait un goût amer si elle devait se tra­duire par la pour­suite des poli­tiques d’austérité. Ce sur quoi Tsipras était prêt à s’engager avant le réfé­ren­dum, ce sont 8 mil­liards d’euros de coupes bud­gé­taires et de taxes sup­plé­men­taires — ce qui ne man­que­rait pas d’aggraver de la dépres­sion et d’accroître le niveau de chômage.

Que rete­nez-vous du rap­port de force qui a oppo­sé la Grèce à ses créan­ciers au cours des der­nières semaines ?

Ce que les Grecs sont par­ve­nus à faire est spec­ta­cu­laire. La Grèce ne repré­sente rien en termes de poids éco­no­mique pour l’Union euro­péenne : c’est 2 % du PIB euro­péen. Et c’est le seul pôle de gauche radi­cale dans une Europe majo­ri­tai­re­ment à droite. Les dif­fé­rents pays d’Europe sont gou­ver­nés par une grande coa­li­tion per­ma­nente — comme en en Allemagne ou, impli­ci­te­ment, en France, puisque les cadres de la poli­tique éco­no­mique du gou­ver­ne­ment entrent dans une matrice défi­nie en com­mun avec la droite, par le biais de l’échelon euro­péen. En cela, la Grèce est spé­ci­fique : ce tout petit pays ne rentre pas dans cette grande coa­li­tion, ne sou­haite pas y entrer et dis­pose même d’un gou­ver­ne­ment élu pour ne pas y ren­trer. Dès lors, la situa­tion est extrê­me­ment dif­fi­cile. Ces der­niers mois, le gou­ver­ne­ment grec a adop­té un posi­tion­ne­ment assez ambi­va­lent. D’un côté, une pos­ture de com­bat, en per­ma­nence, avec un dis­cours sur lequel il n’a jamais cédé : l’austérité ne marche pas et la dette grecque est insou­te­nable, il faut la restruc­tu­rer. De l’autre, le gou­ver­ne­ment Tsipras a tou­jours adop­té une pos­ture de négo­cia­tion qui l’a ame­né à recu­ler sur des ques­tions essen­tielles. Si on fait le bilan, les Européens ont recu­lé sur le niveau d’excé­dent pri­maire qu’ils exi­geaient — c’est un recul sub­stan­tiel, mais qui a été effec­tué très tôt et qui, par ailleurs, tenait à l’insoutenabilité des objec­tifs fixés. Pour le reste, les Grecs se sont petit à petit ali­gnés sur les exi­gences des créan­ciers, jusqu’à la fin du mois de juin, où Tsipras était prêt à signer ce qu’il avait refu­sé la semaine d’avant, grillant toutes ses lignes rouges — notam­ment sur la réforme des retraites et les privatisations.

Les reculs du gou­ver­ne­ment grec reflètent la puis­sance du chan­tage auquel celui-ci est sou­mis. La Banque cen­trale euro­péenne [BCE] a, ces der­niers mois, res­ser­ré à deux reprises le nœud cou­lant finan­cier. D’abord, lors de l’accord du 20 février : elle a fer­mé l’accès aux méca­nismes stan­dards de refi­nan­ce­ment, ne leur lais­sant l’accès aux pro­cé­dures d’urgences plus coû­teuses. Le gou­ver­ne­ment grec s’est alors réso­lu à signer un agen­da de négo­cia­tions plus qu’éloigné de son man­dat élec­to­ral. Néanmoins, dans la période qui sui­vit, il a tem­po­ri­sé, n’ayant de cesse de remettre la ques­tion de la restruc­tu­ra­tion de la dette et du niveau d’excédent pri­maire sur la table… mais finis­sant par lâcher sur l’essentiel. Jusqu’au coup de ton­nerre de la convo­ca­tion du réfé­ren­dum ! Une déci­sion prise, rap­pe­lons-le, par le fait que bien que le niveau d’austérité exi­gé soit accep­té par la par­tie grecque, le conte­nu de celle-ci (notam­ment une taxe excep­tion­nelle sur les gros béné­fices) ne leur conve­nait pas. Ensuite, le 30 juin, Tsipras recu­la une nou­velle fois. Il crai­gnait que la BCE ne ren­dît encore plus dif­fi­cile l’accès au refi­nan­ce­ment d’urgence. Ces der­niers étaient déjà pla­fon­nés — ce qui a conduit à la fer­me­ture des banques —, mais, là, la BCE ris­quait d’appliquer une décote sur les titres qu’elle accep­tait pour don­ner accès au refi­nan­ce­ment d’urgence. Cela signi­fie que dans les deux jours qui allaient suivre, une banque fer­me­rait : ima­gi­nez une banque qui ferme à la veille du référendum…

Quelle est la posi­tion du gou­ver­ne­ment Tsipras sur l’euro ? Faut-il d’ailleurs sou­hai­ter une sor­tie de la mon­naie unique pour la Grèce ?

« Sans sor­tie de l’euro, il n’y a pas de marge de manœuvre pour une poli­tique de gauche. C’était vrai avant le réfé­ren­dum ; cela le res­te­ra après. » 

D’après les enquêtes d’opinion, les Grecs ne sont majo­ri­tai­re­ment pas favo­rables à une sor­tie de l’euro. Cependant, le résul­tat du refe­ren­dum montre que cette pers­pec­tive ne les effraie pas. La posi­tion la plus par­ta­gée est sans doute celle d’un « oui à l’euro » à condi­tion de sor­tir de l’austérité. Tsipras fait de la poli­tique et conserve à ce sujet une ambi­guï­té qui recoupe celle de la gauche de la gauche sur la ques­tion euro­péenne. Il défend l’idée que, mal­gré tout, il faut se battre au sein des struc­tures euro­péennes pour faire chan­ger l’Europe. D’autres per­sonnes, dont je suis, pensent que la pers­pec­tive inter­na­tio­na­liste ne doit bien évi­dem­ment pas être aban­don­née, que même la pers­pec­tive euro­péenne peut, tou­jours, être une pers­pec­tive, mais que celle-ci ne peut se faire que par une déso­béis­sance aux ins­ti­tu­tions euro­péennes, et en par­ti­cu­lier par une sor­tie de l’euro. Sans sor­tie de l’euro, il n’y a pas de marge de manœuvre pour une poli­tique de gauche. C’était vrai avant le réfé­ren­dum ; cela le res­te­ra après. Dans la bataille menée en Grèce, il est inté­res­sant d’observer un cli­vage très net entre l’élite (qui s’est uni­for­mé­ment mobi­li­sée en faveur du « oui », en par­ti­cu­lier via les orga­ni­sa­tions patro­nales et les médias pri­vés) et le reste de la popu­la­tion, majo­ri­tai­re­ment du côté du « non ». Dans l’Union euro­péenne, le grand capi­tal trans­na­tio­nal et finan­cier est du côté de l’euro. Refuser les règles du jeu de cette mon­naie unique, c’est se don­ner les moyens de les chan­ger et, en par­ti­cu­lier, d’en finir avec une poli­tique éco­no­mique dont les marges de manœuvre se limitent à bais­ser le coût du tra­vail et à réduire la dépense publique. En tant qu’économiste hété­ro­doxe, je n’ai pas de doute sur le fait que reprendre la main sur leur mon­naie per­met­trait aux Grecs d’obtenir de meilleurs résul­tats socio-éco­no­miques, à moyen terme. C’est une sor­tie qui devrait être négo­ciée, pour limi­ter le choc ini­tial : ils pour­raient en par­ti­cu­lier négo­cier un régime de change contrô­lé avec la BCE afin d’empêcher un effon­dre­ment de la mon­naie au cours des pre­miers mois. N’oublions pas que la par­tie grecque a une carte maî­tresse en main : leur dette, qui pour­rait être pure­ment et sim­ple­ment annulée.

Une restruc­tu­ra­tion de la dette per­met­trait-elle à la Grèce de res­ter dans l’euro ?

Oui. Pour res­ter dans l’euro, il faut que la BCE conti­nue à finan­cer le sys­tème ban­caire grec. Et pour qu’elle accepte de le faire, la BCE pose comme condi­tion que les Grecs béné­fi­cient d’un pro­gramme d’assistance finan­cière. La ques­tion qui se pose aujourd’hui concerne les mesures qui s’imposeront aux Grecs pour qu’ils puissent béné­fi­cier d’un tel programme.

Quels seraient, plus pré­ci­sé­ment et à courts termes, les effets d’une sor­tie de l’euro sur l’économie grecque ? 

Une déva­lua­tion se tra­duit par un appau­vris­se­ment du pou­voir d’achat en biens pro­duits à l’étranger ; il y aurait donc un ren­ché­ris­se­ment sur les pro­duits impor­tés. Mais l’économie grecque est l’une des éco­no­mies les plus fer­mées d’Europe : elle est très lar­ge­ment auto­cen­trée. Décrocher de la mon­naie unique serait la pos­si­bi­li­té d’avoir une poli­tique de relance key­né­sienne, qui s’avérerait plu­tôt effi­cace. Ensuite, cela res­tau­re­rait bru­ta­le­ment la com­pé­ti­ti­vi­té de l’économie, per­met­tant de réuti­li­ser des capa­ci­tés de pro­duc­tion aujourd’hui oisives. De nom­breuses per­sonnes n’ont pas de tra­vail, des usines et des éta­blis­se­ments ne fonc­tionnent pas, des agri­cul­teurs ne peuvent culti­ver leurs champs. Il y a ici un vivier qui peut se remettre en ordre de marche très vite. Dans les cas de la Russie, en 1998, et de l’Argentine en 2001, la reprise s’est jouée en l’espace de quelques mois : cinq à six mois pour la Russie, un peu plus pour l’Argentine — dans le contexte d’un chaos poli­tique. Dans ces deux cas, les déva­lua­tions ont un effet très puis­sant, remet­tant les pays sur une tra­jec­toire de crois­sance forte pour une dizaine d’années (même si d’autres fac­teurs ont, bien enten­du, joué un rôle). Le plus impor­tant demeure qu’une sor­tie de l’euro repré­sente la pos­si­bi­li­té de sor­tir d’un agen­da d’austérité, d’un côté, et de réformes struc­tu­relles, de l’autre. Le pari que l’on peut faire, c’est qu’une Grèce sor­tant de l’euro, avec une poli­tique inter­na­tio­na­liste et menant une poli­tique alter­na­tive, ferait une démons­tra­tion poli­tique. Dans deux ou trois ans, une Grèce recons­truite avec un chô­mage qui a dimi­nué, ima­gi­nez l’impact que cela aurait sur les débats euro­péens ! À l’inverse, si la Grèce, après avoir gagné ce réfé­ren­dum, consent fina­le­ment à des mesures d’austérité, cela pèse­ra sur l’ensemble de la gauche radi­cale européenne.

Mais la Grèce a‑t-elle des struc­tures éco­no­miques et indus­trielles sur les­quelles une relance de l’économie pour­rait s’appuyer en cas de dévaluation ?

Elle a une base indus­trielle très faible, mais qui existe et qui pour­rait jouer un rôle. Elle a un poten­tiel d’export et le tou­risme béné­fi­cie­rait mas­si­ve­ment d’une déva­lua­tion. Elle a un sec­teur agri­cole qui pour­rait se recons­truire et jouer un rôle plus impor­tant — d’abord en satis­fai­sant la demande interne et, secon­dai­re­ment, en contri­buant aux exports. En ce qui concerne les machines et les équi­pe­ments, les Grecs n’ont pas inves­ti pen­dant cinq ou six ans, mais, même si une « vieille » machine s’a­vère moins per­for­mante, elle rede­vient ren­table face aux impor­ta­tions lorsque la mon­naie est dévaluée.

Quel pour­rait être le nou­veau régime de change de la Grèce si elle sor­tait de l’euro ?

« Dans deux ou trois ans, une Grèce recons­truite avec un chô­mage qui a dimi­nué, ima­gi­nez l’impact que cela aurait sur les débats européens ! »

Ce qui serait sou­hai­table serait un régime de change fixe ajus­table. Un accord avec l’Union euro­péenne pour­rait per­mettre de s’ancrer sur la valeur de l’eu­ro afin d’é­chap­per aux vents de la spé­cu­la­tion sur les mar­chés des changes, mais aus­si de pro­cé­der poli­ti­que­ment à des réajus­te­ments en cas de néces­si­té. Les mar­chés ne déter­mi­ne­raient pas les taux de change et il fau­drait déter­mi­ner un niveau com­pa­tible avec l’équilibre exté­rieur de la Grèce. Cela consti­tue­rait une expé­rience pour l’ensemble de la gauche radi­cale. Si l’on veut mener une poli­tique de gauche, il faut une auto­no­mie finan­cière, il faut donc des comptes équi­li­brés ; c’est une ques­tion cen­trale. La dif­fi­cul­té que ren­contre, par exemple, le Venezuela ren­voie à une stra­té­gie éco­no­mique entiè­re­ment dépen­dante des exports de pétrole (une stra­té­gie à pré­sent très vul­né­rable). La Bolivie, à l’inverse, a réus­si à avoir des comptes plus équi­li­brés, avec une poli­tique un peu plus conser­va­trice, mais qui lui donne des marges de manœuvre pour tenir.

Est-il vrai­ment impos­sible, comme cer­tains le pro­posent encore à gauche, d’i­ma­gi­ner une reprise en main de la BCE avec pour objec­tif la lutte contre le chô­mage et la pres­sion sur l’Allemagne afin de l’ex­traire de son obses­sion moné­taire autour de l’euro fort et de la lutte contre l’inflation ?

Sur le papier, rien n’interdit les États-Unis socia­listes d’Europe. Cela serait for­mi­dable. Mais cela n’aura pas lieu — pour deux rai­sons prin­ci­pales. La pre­mière, c’est qu’il y a aujourd’­hui des gagnants et des per­dants de la zone euro. À com­men­cer par le capi­tal alle­mand, qui béné­fi­cie de la zone euro sous forme d’un taux de change sous-éva­lué par rap­port à la com­pé­ti­ti­vi­té du pays gagnée sur l’écrasement des salaires, dans les décen­nies 1990 et 2000. Cette sous-éva­lua­tion équi­vaut à une sub­ven­tion mas­sive à l’industrie du pays. Bref, l’économie de ce pays béné­fi­cie très lar­ge­ment de l’euro tel qu’il existe et ses classes domi­nantes feront tout pour ne pas en chan­ger les règles. La posi­tion du ministre des Finances alle­mand Schaüble est cohé­rente et consiste à dire qu’il est hors de ques­tion que l’Union moné­taire devienne une union de trans­ferts entre dif­fé­rents pays, c’est-à-dire une zone où des flux finan­ciers d’une région à une autre per­mettent de faire tenir l’entité poli­tique (comme il en existe, par exemple, entre Paris et la Corrèze).

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La deuxième rai­son est plus his­to­rique, plus longue, et c’est celle qui est explo­rée dans En finir avec l’Europe. Au fur et à mesure du temps, il y a une cris­tal­li­sa­tion de cer­tains types de rap­ports sociaux au niveau des struc­tures éta­tiques. La zone euro est un pro­to-État dont la construc­tion s’est faite au moment où le mou­ve­ment ouvrier était en pleine décon­fi­ture, dans les années 1980, avec le choc du chô­mage et le bloc de l’Est qui se fis­sure. Les forces du mou­ve­ment ouvrier sont com­plè­te­ment absentes de ce pro­ces­sus. De la même manière que la Sécurité sociale est un héri­tage des grandes grèves de l’après-guerre et de la Résistance (dans les­quelles il y avait un Parti com­mu­niste extrê­me­ment fort), la zone euro cris­tal­lise l’absence d’un mou­ve­ment ouvrier. Quatre champs sont des domaines exclu­sifs de l’UE : la pêche, le com­merce, la concur­rence et la mon­naie. Ces trois der­nières ques­tions sont cen­trales pour l’organisation du Capital, mais le mou­ve­ment ouvrier n’intervient pas des­sus, ou seule­ment de manière subor­don­née (il aborde les sujets de la pro­tec­tion sociale, de la qua­li­té des pro­duits, de la struc­ture du mar­ché du tra­vail, de l’emploi et des ser­vices publics). Par consé­quent, l’intégration euro­péenne se fait en posi­tif sur les pre­mières ques­tions, qui déter­minent les pro­blèmes légi­times à trai­ter. Les secondes ques­tions sont uni­que­ment subor­don­nées aux pre­mières : c’est ce que Hayek appelle, de manière assez lucide, l’« inté­gra­tion néga­tive ». Ce concept très puis­sant per­met d’expliquer com­ment l’Europe, aujourd’hui, s’occupe en réa­li­té de poli­tique sociale. Tout le temps. Des poli­tiques de réformes struc­tu­relles menées en France et ailleurs, comme la loi Macron, sont bel et bien éla­bo­rées au niveau euro­péen — mais elles ne sont pas éla­bo­rées en tant que telles, elles le sont au nom d’autre chose : les prin­cipes de com­pé­ti­ti­vi­té et de concur­rence libre et non faussée.

Et quid de la via­bi­li­té de la zone euro, à long terme ?

« C’est un peuple qui tra­vaille pour un autre — et, en disant cela, je n’ef­face pas les rap­ports de classes : sous régimes colo­niaux, il y a bien sûr une bour­geoi­sie locale. »

Les pro­nos­tics sont tou­jours très dan­ge­reux, mais il existe bel et bien un mou­ve­ment his­to­rique long, en matière d’in­té­gra­tion euro­péenne. Et la Grèce est inté­res­sante en cela. Au début des années 1980, lors­qu’elle rentre dans l’UE, elle a valeur de modèle pour tous les États post-auto­ri­taires et post-fas­cistes (le Portugal, l’Espagne…). L’UE leur pro­pose alors une cer­taine sta­bi­li­té poli­tique, celle de la démo­cra­tie libé­rale. Et, actuel­le­ment, ce qu’il se passe en Grèce — et qui se dérou­le­ra, peut-être, en Espagne — marque le refus des corps sociaux de se sou­mettre aux lois comme aux prin­cipes éta­blis et orches­trés par Bruxelles. Il existe un para­doxe : les classes domi­nantes ont à ce point réus­si dans leur pro­jet qu’elles vont échouer dans sa mise en œuvre. Je m’ex­plique. Les ins­ti­tu­tions euro­péennes sont une grande vic­toire pour les classes domi­nantes et le capi­tal finan­cier trans­na­tio­nal, en ce qu’elles contournent les com­pro­mis sociaux réa­li­sés dans le cadre des États. Mais cet espace euro­péen ne per­met plus d’en­cais­ser les chocs sociaux comme le per­met­taient encore les États : il existe, dans ces der­niers, toute une série de micro-couches et de micro-ins­ti­tu­tions (à com­men­cer par l’ad­mi­nis­tra­tion) qui amor­tissent et digèrent les conflits, per­met­tant de main­te­nir l’é­di­fice poli­tique en garan­tis­sant une cer­taine cohé­sion. Au niveau euro­péen, en revanche, il n’y a pas d’a­mor­tis­seurs puisque l’Union est une pure struc­ture au ser­vice des classes domi­nantes : lors­qu’un refus fort se mani­feste, il n’existe donc rien pour négo­cier la cohé­sion du corps social. C’est ce que l’on voit actuel­le­ment en Grèce. Je ne dis pas qu’elle va sor­tir, demain, de la zone euro, mais cela fait par­tie des pos­si­bi­li­tés — en tout cas, ce n’est pas exclu (si le sys­tème ban­caire tombe et que la BCE refuse de refi­nan­cer, cela peut aller très vite). En revanche, c’est très clair, pour moi, qu’une ten­dance longue à la dis­lo­ca­tion est aujourd’hui à l’œuvre.

Vous par­lez de la situa­tion de « qua­si-pro­tec­to­rat » que l’UE impose à cer­tains pays, dans une logique presque coloniale.

Vous avez tout à fait rai­son d’in­sis­ter sur ce point. On a beau­coup dit, ces der­niers jours, qu’un conflit entre démo­cra­tie et non-démo­cra­tie se jouait en Grèce : c’est abso­lu­ment vrai, mais ce n’est pas que cela. Il y a un autre conflit : celui des créan­ciers face aux débi­teurs — ceux qui sont en droit d’exi­ger des autres qu’ils tra­vaillent pour eux pen­dant X temps. Que demande-t-on aux Grecs ? De déga­ger un excé­dant pri­maire de 3,5 % à par­tir de 2018. En clair, cela induit qu’il doit y avoir 3,5 % du PIB grec des­ti­né à l’é­tran­ger. Cela ins­taure un rap­port fon­da­men­ta­le­ment inégal. C’est un peuple qui tra­vaille pour un autre — et, en disant cela, je n’ef­face pas les rap­ports de classes : sous régimes colo­niaux, il y a bien sûr une bour­geoi­sie locale, comme en Grèce. La zone euro per­met à l’Allemagne de déga­ger des excé­dents consi­dé­rables (de 7 à 9 % du PIB par an). Chaque année, elle accu­mule donc des droits de tirages sur la pro­duc­tion future du reste du monde sous la forme d’in­ves­tis­se­ments ou de prêts : cette dyna­mique, lorsqu’elle devient aus­si impor­tante, génère des rap­ports inégaux struc­tu­rels — et, en réac­tion, une demande de libération.

Lorsque Frédéric Lordon affirme que l’eu­ro n’est pas un simple ins­tru­ment d’é­change mais un ins­tru­ment de coer­ci­tion, dou­blé d’une clé de l’ar­chi­tec­ture ins­ti­tu­tion­nelle du néo­li­bé­ra­lisme, êtes-vous d’accord ?

Absolument. L’euro est une mon­naie sans bud­get. Donc sans poli­tique. Seules les règles uni­formes du Capital s’y imposent — avec deux variables d’a­jus­te­ment en fonc­tion des pays : le prix du tra­vail et le niveau de pré­lè­ve­ment des impôts. Dans les années 2000, on a eu une Europe à deux vitesses : un centre, où le pro­lé­ta­riat alle­mand a subi une grande défaite (ce sont les années Gerhard Schröder, avec une stag­na­tion totale des salaires et l’apparition d’une masse de tra­vailleurs pauvres), et une péri­phé­rie au sein de laquelle exis­tait une hausse des salaires modé­rée mais réelle (et même une conso­li­da­tion de l’État social dans cer­tains cas : le Portugal, la Grèce ou l’Espagne). Mais la pro­gres­sion et le rat­tra­page de ces der­niers se sont avé­rés être un trompe-l’œil : ils ont été ren­dus pos­sibles par des flux finan­ciers mas­sifs (essen­tiel­le­ment des prêts au sec­teur pri­vé, un peu au public) qui ont sou­te­nu une demande en par­tie satis­faite par les impor­ta­tions, tan­dis que le sec­teur indus­triel se déli­tait. La crise a mis à nu ce méca­nisme : une fois que les mar­chés finan­ciers en ont pris acte, les dettes et les exi­gences de rem­bour­se­ment ont sur­gi. Regardez les courbes de PIB par habi­tant : c’est spec­ta­cu­laire. Rattrapage dans les années 2000 et tout se casse la figure juste après la crise. Aujourd’hui, la Grèce et l’Italie sont deux pays dans les­quels le PIB par habi­tant est infé­rieur à celui de 1999. Pour ces pays, c’est une crise extrê­me­ment forte : pire que celle de 1929. En Europe, la dette publique ne devrait pas être un pro­blème. Au Japon et aux États-Unis, elle est, en pro­por­tion du PIB, bien plus impor­tante que dans la zone euro prise dans son ensemble.

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Au sein de la gauche cri­tique, un argu­ment par­fois avan­cé contre la sor­tie de l’euro est celui du « coût du capi­tal » : en France, les reve­nus dis­tri­bués par les entre­prises à leurs action­naires seraient tel­le­ment impor­tants qu’ils péna­li­se­raient les PME et entra­ve­raient l’innovation. Cette prise de pou­voir du capi­tal empê­che­rait l’augmentation des salaires et une déva­lua­tion ne chan­ge­rait rien de ce point de vue. La ques­tion de l’euro ne serait pas l’enjeu cen­tral. Qu’en pensez-vous ?

Tout dépend de l’ho­ri­zon dans lequel on se place. Si on regarde ce qu’il se passe depuis les années 1980, on assiste en effet à la mon­tée en puis­sance de la créa­tion de valeur pour l’actionnaire, l’af­fir­ma­tion du pou­voir de la finance — mais il faut sai­sir que tout ceci n’est pas décon­nec­té de la construc­tion euro­péenne. L’unification des mar­chés bour­siers euro­péens, dans les années 1990, va per­mettre au capi­tal finan­cier de ren­for­cer son emprise en accrois­sant sa liqui­di­té. La consti­tu­tion de la zone euro éga­le­ment. Il fau­drait exa­mi­ner cette ques­tion pays par pays et sec­teur par sec­teur, mais concen­trons-nous donc sur la France : on observe depuis le lan­ce­ment de l’eu­ro un recul de l’in­dus­trie et des défi­cits crois­sants liés à cette perte de com­pé­ti­ti­vi­té, du fait d’un taux de change réel trop éle­vé pour notre éco­no­mie. À l’inverse, dans des sec­teurs comme les télé­com­mu­ni­ca­tions ou la grande dis­tri­bu­tion, la logique de la finan­cia­ri­sa­tion joue à plein. Ce ne sont donc pas des argu­ments contradictoires.

Le Royaume-Uni a déva­lué de manière signi­fi­ca­tive depuis 2008 : ça a per­mis de relan­cer son éco­no­mie, mais la condi­tion des sala­riés reste la même…

« La dette publique ne devrait pas être un pro­blème. Au Japon et aux États-Unis, elle est, en pro­por­tion du PIB, bien plus impor­tante que dans la zone euro. »

Ils ont un gou­ver­ne­ment de droite qui mène une poli­tique de droite, donc défa­vo­rable aux sala­riés et finan­çant mas­si­ve­ment une bulle immo­bi­lière. Il n’empêche que la déva­lua­tion a per­mis au pays d’obtenir une cer­taine crois­sance. Sortir de l’eu­ro ne signi­fie pas entre­prendre une poli­tique de gauche : il peut y avoir des sor­ties de droite et de gauche. Mais ce qui est cer­tain, c’est qu’il ne peut y avoir de poli­tique de gauche au sein de l’euro.

On parle tou­jours de « saut dans l’in­con­nu » pour évo­quer cette sor­tie. Comment abor­der la phase de transition ? 

À court terme, il y aurait des coûts de tran­si­tion (de la même façon qu’il y en eut pour ren­trer dans l’eu­ro). Tout dépend du contexte dans lequel cela s’ef­fec­tue­rait : en cas de grande conflic­tua­li­té et de pro­fonds désac­cords entre les dif­fé­rents par­te­naires, cela peut en effet créer un choc violent ; si c’est pré­pa­ré et négo­cié, la tran­si­tion, en terme de coûts, serait tout à fait envi­sa­geable. L’essentiel est de mettre en place des méca­nismes de garan­tie pour les ménages les plus modestes (en terme d’accès aux ser­vices publics et de biens de consom­ma­tion cou­rante), de manière à s’assurer qu’ils ne payent pas le coût de la déva­lua­tion. Il faut aus­si prio­ri­ser les impor­ta­tions pour s’assurer que les besoins essen­tiels du pays passent avant les pro­duits de luxe. Une sor­tie de l’eu­ro, outre les gains de com­pé­ti­ti­vi­té qui en décou­le­raient, per­met­trait, et c’est le plus impor­tant, de rega­gner en auto­no­mie poli­tique : avoir sa propre mon­naie, finan­cer ses défi­cits publics en interne, etc. Il faut vrai­ment se rendre compte de la fonc­tion, à l’heure qu’il est, de la BCE. Depuis la crise, elle a mobi­li­sé plus de 2 000 mil­liards en faveur de la finance (via, en 2012, des prêts aux banques à taux par­ti­cu­liè­re­ment réduits, et, cette année, le pro­gramme de rachats de titres). 2 000 mil­liards ! C’est-à-dire 70 mil­lions d’emplois au SMIC durant un an. On pour­rait très bien embau­cher ces per­sonnes pour, par exemple, enta­mer la tran­si­tion éner­gé­tique. Il faut éga­le­ment mettre les choses en pers­pec­tive poli­tique — admet­tons que Podemos l’emporte cette année et que Tsipras se main­tienne : cela va chan­ger les rap­ports de force. Constituer un pro­jet à deux et sor­tir de l’eu­ro à deux, ce n’est pas pareil que d’a­van­cer en soli­taire. En France, mal­heu­reu­se­ment, la ques­tion ne se pose pas…

Sauf si vous pre­nez le pou­voir avec Lordon.

(rires) Il y a peu de signes qui l’in­diquent ! Imaginons que le champ poli­tique voie émer­ger une orien­ta­tion de gauche d’affrontement à l’euro-libéralisme ; vu la posi­tion de la France dans l’Europe, le pays serait en mesure de faire des pro­po­si­tions à l’en­semble des autres Européens afin de refon­der les bases d’une inté­gra­tion euro­péenne et, pro­ba­ble­ment, serait ame­né à mettre en œuvre ce pro­jet avec seule­ment cer­tains d’entre eux… Que l’on se com­prenne bien : je n’exalte en rien un espace natio­nal par­ti­cu­lier qui, en tant que tel, serait le mieux à même de déve­lop­per la démocratie.

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Justement, Philippe Corcuff estime que votre pen­sée désarme la gauche cri­tique en ce qu’elle prête le flanc aux dérives nationalistes.

Corcuff, et la mou­vance poli­tique de gauche dans laquelle il s’ins­crit, ne se rend pas compte que l’Europe n’est pas seule­ment un espace mais un appa­reil poli­tique. Et cet appa­reil cris­tal­lise les rap­ports de force sociaux. On ne peut pas le regar­der in abs­trac­to. Il y a un inter­na­tio­na­lisme du Capital et l’Union euro­péenne en est l’une de ses éma­na­tions : on ne peut pas dire que « C’est bien » car ça relève de l’in­ter­na­tio­na­lisme et « C’est mal » car ça tient du Capital. On ne peut pas dis­so­cier les deux. Il ne faut pas accep­ter ce cadre, au pré­texte qu’il dépas­se­rait les nations. Si Bernier et Sapir font de l’État un fétiche, ce n’est pas ma posi­tion. Je n’ai pas cette volon­té ni cette pré­oc­cu­pa­tion. J’estime seule­ment que c’est une posi­tion de repli néces­saire dans la mesure où un pays en a, contex­tuel­le­ment, les moyens : par nos temps, c’est la Grèce. Au len­de­main d’un réfé­ren­dum gagné et por­té par un gou­ver­ne­ment de gauche, il fau­dra m’ex­pli­quer en quoi ce serait « natio­na­liste » de défendre la sor­tie de l’eu­ro. Je dirais même que ce serait authen­ti­que­ment inter­na­tio­na­liste puisque cela pro­po­se­rait à l’en­semble des peuples euro­péens une nou­velle voie.

Vous aviez débat­tu avec Étienne Balibar dans Regards : il sou­te­nait que la réflexion que vous déve­lop­piez dans votre ouvrage En finir avec l’Europe était « au mieux équi­voque, au pire cri­mi­nelle ». Vous avez pour­tant en com­mun le même héri­tage mar­xiste. Comment expli­quer un tel décalage ?

J’ai beau­coup d’es­time pour lui — c’est un grand théo­ri­cien —, mais il voit l’Europe, là encore, comme une idée. Negri est sur la même posi­tion, à la per­ce­voir comme la pos­si­bi­li­té de dépas­ser les États-Nations. Je par­tage avec eux cet affect mais je ne vois vrai­ment pas com­ment on peut livrer une bataille de classe en inves­tis­sant de nos dési­rs de gauche l’es­pace de l’ennemi.

Vous écri­vez, en rebon­dis­sant sur Lénine, que le pro­ces­sus d’in­té­gra­tion euro­péenne est très pro­ba­ble­ment « contre-révo­lu­tion­naire » dans sa « nature » même. Concluons là-dessus ?

Lénine expli­quait en effet que l’Europe ne se fera pas, à moins de se faire contre les peuples. C’est ce que l’on observe aujourd’­hui. Depuis les années 1980, les auto­ri­tés euro­péennes ne sont plus mues par la peur des États socia­listes mais, de façon très nette, par le contour­ne­ment des com­pro­mis sociaux : voi­là com­ment Mario Draghi, pré­sident de la BCE, a pu décla­rer que « le modèle social euro­péen est mort ».


Toutes les pho­to­gra­phies en Grèce sont de Stéphane Burlot.
Photographie de ban­nière : Tobias Schwarz/AFP via Getty Images


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