Une histoire politique de la musique classique — discussion avec Convergence des Luths [2/2]


Entretien inédit pour le site de Ballast

La musique et les musi­ciens clas­siques vivent aus­si de débats et de dis­sen­sions, por­tant tant sur les condi­tions maté­rielles de leur acti­vi­té que les enga­ge­ments esthé­tiques. À vrai dire, les deux sont intrin­sè­que­ment liés à tra­vers l’Histoire. Le pre­mier volet de notre entre­tien avec le col­lec­tif Convergence des Luths ques­tion­nait la situa­tion sociale des tra­vailleurs de la culture, inféo­dés au mar­ché de l’emploi, et pro­po­sait une issue de secours anti­ca­pi­ta­liste. Ce second volet fait état des réflexions poli­tiques et esthé­tiques du col­lec­tif, fon­dé au moment des grèves contre la réforme des retraites en décembre 2019, quant à l’his­toire de l’in­ter­pré­ta­tion musi­cale, entre mou­ve­ments réac­tion­naires et élans révo­lu­tion­naires. L’occasion d’une mise au point cri­tique, aus­si dense que rare, quant à l’un des cou­rants d’in­ter­pré­ta­tion les plus féconds des cin­quante der­nières années : la redé­cou­verte de la musique ancienne.


[lire la pre­mière partie]


Vos articles sou­lignent com­bien les dis­cours et les repré­sen­ta­tions ont pris le pas sur la musique elle-même. On pour­rait prendre l’exemple d’un « cou­rant » par­ti­cu­lier : celui de la musique dite « his­to­ri­que­ment infor­mée » qui, entre autres choses, entend retrou­ver les inten­tions ori­gi­nelles des com­po­si­teurs et recou­rir aux ins­tru­ments d’é­poque1. Au fil des décen­nies, on a l’impres­sion que cette der­nière est deve­nue un label com­mode et ren­table pour les mai­sons de disque, mais aus­si pour les musi­ciens eux-mêmes. N’est-ce pas lié au fait que les musi­ciens doivent se sou­cier de leur image davan­tage que de leur « travail » ? 

Rémy Cardinale : Cette ques­tion est peut-être la plus com­plexe à trai­ter car elle ren­voie à une bataille esthé­tique menée tout au long du XIXe siècle, qui s’articule entre les modernes et les réac­tion­naires. J’aime citer la phrase du phi­lo­sophe Dominique Pagani : « la moder­ni­té a tou­jours eu peur d’elle-même ». Nous sommes aujourd’hui au cœur d’un mou­ve­ment réac­tion­naire qui dure depuis plus d’un siècle. Le néo­clas­si­cisme a pris le pas sur les idées révo­lu­tion­naires des roman­tiques. Il a repris la main devant le risque de voir les pas­sions roman­tiques ren­ver­ser l’ordre éta­bli. Après un siècle de révo­lu­tions, il a fal­lu cal­mer le jeu des pas­sions, des mou­ve­ments anar­chistes et com­mu­nistes qui récla­maient le pou­voir de déci­der de leur condi­tion sociale. Les bour­geois, ayant œuvré pen­dant plu­sieurs siècles à chan­ger le mode de pro­duc­tion féo­dal en un mode capi­ta­liste, se trans­forment peu à peu, après avoir pris le pou­voir, en gar­diens du temple. Le roman­tisme, qui a été l’œuvre d’une cer­taine aris­to­cra­tie bour­geoise à la fin du XVIIIe siècle, est deve­nu, un siècle plus tard, l’esthétique à abattre. Dans la pré­face du Chemin de Paradis, Charles Maurras se déchaîne : « Le roman­tisme est condam­nable parce qu’il a pour­sui­vi l’œuvre de la Réforme et de la Révolution, parce qu’il a ser­vi de relais entre elles et la République hon­nie. [Il atta­quait] les lois ou l’État, la dis­ci­pline publique et pri­vée, la patrie, la famille et la pro­prié­té ; une condi­tion presque unique de leur suc­cès parut être de plaire à l’opposition, de tra­vailler à l’anarchie. » On peut aus­si citer le com­po­si­teur et cri­tique musi­cal François-Joseph Fétis, qui estime que « la musique occi­den­tale s’est lais­sée conta­mi­ner par le virus roman­tique du pathé­tique et de l’inouï… elle doit se res­sai­sir. Elle doit en reve­nir à l’élément objec­tif carac­té­ris­tique du clas­si­cisme grec ou moderne. Il faut que le sen­sible, le vague, le fémi­nin soient viri­le­ment muse­lés ». On pour­rait mul­ti­plier les exemples qui sou­lignent le besoin de reve­nir à la rai­son clas­sique contre les affects roman­tiques, sources de tumultes incontrôlables.

« Une nou­velle aris­to­cra­tie voit le jour. Elle impose son esthé­tique et nous fait croire à son propre récit du réel historique. »

Le mou­ve­ment baroque, dont vous par­lez sous la déno­mi­na­tion « his­to­ri­que­ment infor­mée », s’inscrit dans cette esthé­tique néo­clas­sique réac­tion­naire. Il démarre para­doxa­le­ment au XIXe siècle. Le retour à la musique ancienne, jouée sur ins­tru­ments anciens, s’ap­puie sur une musi­co­lo­gie toute nou­velle qui prend le pou­voir sur les musi­ciens pra­ti­ciens. Dorénavant, il fau­dra être « his­to­ri­que­ment infor­mé » ! Une nou­velle aris­to­cra­tie voit le jour. Elle impose son esthé­tique et nous fait croire à son propre récit du réel his­to­rique. L’Histoire est tou­jours écrite par les vain­queurs : ce n’est pas nou­veau. Évidemment, le pas­sé est fan­tas­mé, tota­le­ment idéa­li­sé. La musique devient « retour aux sources », authen­tique, comme si le pré­sent ne pou­vait rien appor­ter de bon. Les artistes-inter­prètes se sou­mettent à ce dik­tat et jouent le jeu. On glo­ri­fie le texte, les sources, les ins­tru­ments ori­gi­naux. Sur scène, on va même jusqu’à dres­ser la par­ti­tion — édi­tion urtext, évi­dem­ment — au-des­sus de sa tête pour saluer le public. Le créa­teur est tout, le musi­cien n’est qu’un ser­vi­teur. Ça ne vous rap­pelle rien ?

Pourtant, le roman­tisme lui-même est par­fois asso­cié, du moins sur le plan phi­lo­so­phique, à une forme de conser­va­tisme — contre l’universalisme abs­trait des Lumières, notam­ment. Pouvez-vous expli­ci­ter cet aspect révo­lu­tion­naire du roman­tisme sur lequel vous insis­tez ? Et quel serait, du reste, son pen­dant « réactionnaire » ?

Rémy Cardinale : Je ne suis ni his­to­rien, ni musi­co­logue. Ce que je sais me vient de ma pra­tique de musi­cien et de mili­tant poli­tique, qui m’aide à voir le monde et à lire l’Histoire selon un cer­tain prisme — la défi­ni­tion même de l’idéologie. L’arrivée de la classe bour­geoise comme classe domi­nante à la fin du XVIIIe siècle a une inci­dence sur la pra­tique musi­cale. La musique, objet d’apparat pour la noblesse, devient peu à peu un objet domes­tique. Le cla­ve­cin est détrô­né au béné­fice du pia­no­forte, qui devient l’attribut ins­tru­men­tal de la nou­velle bour­geoi­sie. Et, pour cette nou­velle pra­tique musi­cale, il faut un nou­veau réper­toire qui se concentre autour de petites pièces de pia­no­forte ou de musique de chambre, faci­le­ment acces­sibles pour un genre de pra­ti­cien inédit : « l’amateur ». Contre ces nou­velles pra­tiques cultu­relles qui mettent en exergue une forme de dilet­tan­tisme dans la pra­tique musi­cale, l’aristocratie ne tarde pas à réagir d’une manière conser­va­trice, à l’image des socié­tés musi­cales indé­pen­dantes des cours et à carac­tère pri­vé, qui visent « à pro­mou­voir l’art en pri­vi­lé­giant la musique sérieuse, autre­ment dit reli­gieuse, et la pra­tique des œuvres cho­rales » — comme nous le rap­pelle l’historien Patrice Veit. La Sig-Akademie de Berlin, dans laquelle Mendelssohn diri­ge­ra en 1829 La Passion selon Saint Matthieu de Bach, reflète par­fai­te­ment la résis­tance à bas bruit d’une cer­taine élite qui n’accepte pas de céder aux nou­velles modes de la musique. Ces socié­tés musi­cales sont de l’ordre de l’entre-soi. On y pra­tique la musique dite « sérieuse » dans un cadre pri­vé, les concerts ne sont la plu­part du temps ouverts qu’aux socié­taires, et très rare­ment au public. La musique « ancienne » y est glo­ri­fiée afin de se tenir à l’écart de la vogue de l’opéra et de la musique instrumentale.

[Marc Vaux]

Emmanuel Balssa : Quant au mou­ve­ment réac­tion­naire, il semble appa­raître véri­ta­ble­ment en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle. En 1784 a lieu à Londres la grande com­mé­mo­ra­tion de Westminster à la mémoire de Haendel. Cet évé­ne­ment entre­pris à l’initiative de la socié­té des Concerts of Antient Music est célé­bré en grande pompe et en pré­sence de toute la famille royale. Son arrière-plan poli­tique est clair : à tra­vers la célé­bra­tion d’une musique « ancienne » et uni­ver­sel­le­ment recon­nue, il tente de réunir la nation autour de la cou­ronne royale fra­gi­li­sée par la perte récente des colo­nies amé­ri­caines et par l’annonce de troubles poli­tiques sans pré­cé­dent en France. Rien « d’historiquement infor­mé » d’ailleurs, dans cette per­for­mance qui réunit plus de cinq cents exé­cu­tants. Les socié­tés de musique ancienne fleu­rissent, à l’époque. Le plus sou­vent fon­dées par des membres émi­nents de l’aristocratie, elles sont éli­tistes, refu­sant par­fois de manière sta­tu­taire leur accès à cer­taines caté­go­ries sociales. Toutes défendent la musique ancienne comme un rem­part contre la cor­rup­tion du goût et la dépra­va­tion des mœurs soi-disant véhi­cu­lée par la musique moderne — en par­ti­cu­lier ita­lienne. Elles repré­sentent donc un mou­ve­ment réac­tion­naire for­te­ment mar­qué dans son aspect poli­tique et social. La socié­té des Concerts of Antient Music res­te­ra active jusqu’en 1848, fai­sant entrer pro­gres­si­ve­ment de nou­veaux com­po­si­teurs au pan­théon des « anciens » : Mozart, Beethoven, etc. — ceux-ci per­dant peut-être au fil des années leur aspect trop révo­lu­tion­naire, ou bien alors cédant à l’inévitable marche de l’Histoire. On peut dire cepen­dant que l’idée d’une musique clas­sique « bien-pen­sante » oppo­sée à une musique contem­po­raine est née.

Et qu’en est-il du roman­tisme à pro­pre­ment parler ?

« De valet, l’in­ter­prète devient artiste, donc créa­teur — avec toutes les ambi­guï­tés qui vont avec. Sous cet aspect-là, le roman­tisme est bien un acte révolutionnaire.. »

Rémy Cardinale : Il doit être appré­hen­dé dans sa tota­li­té, avec ses com­plexi­tés pro­gres­sistes et réac­tion­naires, à l’image de la pro­duc­tion musi­cale. Je me sou­viens que le pia­niste et musi­co­logue Charles Rosen disait en sub­stance que le roman­tisme ne pou­vait être enfer­mé dans un style déter­mi­né, à l’image du style clas­sique ou du style baroque, dont la for­mule « Chaque chose à sa place et chaque place a sa chose » incarne par­fai­te­ment l’Ancien Régime. Rosen était inca­pable d’en défi­nir des contours propres. Son ouvrage Génération roman­tique montre le carac­tère poly­morphe et contra­dic­toire du roman­tisme. La période de 1809 à 1813 a vu naître Robert Schumann, Félix Mendelssohn, Frédéric Chopin, Franz Liszt, Giuseppe Verdi ou Richard Wagner, pour ne citer que les plus emblé­ma­tiques. Dans cette liste ver­ti­gi­neuse de génies se côtoient une mul­ti­tude d’es­thé­tiques musi­cales, tant sur le plan de la forme, de l’écriture, de l’harmonie, voire même du contre­point. Dans cette géné­ra­tion, vous avez le clas­si­cisme défen­du par Mendelssohn, qui s’op­pose à « la musique de l’avenir » qu’incarnent Liszt et Wagner ; l’innovation expres­sive de Chopin, qui s’appuie sur la maî­trise abso­lue du contre­point — science la plus com­plexe et la plus abou­tie de l’écriture musi­cale du XVIIIe siècle —, qu’il réus­sit à moder­ni­ser et à per­son­na­li­ser ; ou le sens poé­tique d’un Schumann, dont cer­taines for­mules ryth­miques sont issues du style baroque. Sans par­ler d’un Verdi, qui ose­ra en 1853 mettre en musique avec pas­sion et élo­quence, la vie d’une cour­ti­sane, « Violetta » (La Traviata), dans un contexte contem­po­rain : chose impen­sable à l’époque ! La cen­sure lui impose de res­ti­tuer l’action dans les années 1700. Le contexte his­to­rique ori­gi­nal pen­sé par l’auteur, c’est-à-dire 1850, n’a été pré­sen­té pour la pre­mière fois que cinq ans après la dis­pa­ri­tion de Verdi, en 1906 !

Toutes ces contra­dic­tions sont donc intrin­sèques au romantisme ?

Rémy Cardinale : Oui. Le bou­le­ver­se­ment d’un tel chan­ge­ment de régime à par­tir de la Révolution, avec son lot de guerres napo­léo­niennes et de coa­li­tions mul­tiples à des fins de résis­tance, n’ont pu qu’engendrer des sen­ti­ments contra­dic­toires. L’art ne pou­vait que reflé­ter de tels sen­ti­ments. L’exaltation de nou­velles liber­tés éman­ci­pa­trices fai­sant aus­si­tôt place à des peurs réflexes en l’avenir, le mal du siècle. Ce qu’il semble tou­te­fois impor­tant de rete­nir du roman­tisme, au-delà de ses contra­dic­tions, c’est que pour la pre­mière fois le musi­cien devient un « indi­vi­du libre » qui s’impose dans le pay­sage social. Un musi­cien qu’on appe­lait autre­fois « exé­cu­tant » et qu’on qua­li­fie peu à peu d’interprète. Ce mot ne doit pas être pris à la légère.

Pourquoi ?

Rémy Cardinale : Car il incarne par­fai­te­ment l’esprit même du roman­tisme. Un inter­prète objet de dési­rs qui est com­men­té, cri­ti­qué, glo­ri­fié. Un inter­prète qui s’exprime, qui dit quelque chose du monde en mou­ve­ment. De valet, il devient artiste, donc créa­teur — avec toutes les ambi­guï­tés qui vont avec. Sous cet aspect-là, le roman­tisme est bien un acte révolutionnaire.

[Marc Vaux]

Le mou­ve­ment que vous décri­vez est donc aus­si celui de la sépa­ra­tion pro­gres­sive entre l’interprète et le com­po­si­teur. Comment expli­quer cette disjonction ?

Emmanuel Balssa : Le néo­clas­si­cisme, appa­ru à la fin du XIXe siècle — en par­tie comme réac­tion au mou­ve­ment roman­tique —, enté­rine l’importance prise par cette musique clas­sique dans la vie musi­cale du XXe siècle. Cette époque voit dis­pa­raître pro­gres­si­ve­ment les inter­prètes-com­po­si­teurs encore bien pré­sents au XIXe siècle (rares étaient en effet les ins­tru­men­tistes qui ne com­po­saient pas au moins quelques pièces ou études pour leur ins­tru­ment) et naître pro­gres­si­ve­ment un divorce avec la musique contem­po­raine, deve­nue de plus en plus incom­pré­hen­sible pour une majo­ri­té de per­sonnes. Cette nou­velle donne trans­forme en pro­fon­deur le posi­tion­ne­ment de l’interprète. Lorsqu’un musi­cien défend sa propre musique, l’idée de res­pect du texte ou de la volon­té d’autrui n’est pas pré­sente, non plus que l’absence d’ego puisque l’œuvre est jus­te­ment l’expression de son moi propre. En revanche, il va sol­li­ci­ter toutes les forces vives de son élo­quence pour faire adhé­rer l’auditoire à ses idées et empor­ter les suf­frages. L’interprète du XIXe siècle, habi­tué à cette manière de s’exprimer (comme devaient l’être d’ailleurs tout autant les musi­ciens des siècles pré­cé­dents), incluait dans ce dyna­misme les œuvres qui lui étaient contem­po­raines, mais éga­le­ment les œuvres du pas­sé qu’il n’hésitait pas à mettre au goût du jour. C’était une forme d’authenticité bien dif­fé­rente de celle que nous enten­dons aujourd’hui : une authen­ti­ci­té basée davan­tage sur la pro­fon­deur et la per­son­na­li­sa­tion du dis­cours que sur le ren­du de l’œuvre. L’interprète musi­cal clas­sique du XXe siècle, deve­nu exclu­si­ve­ment cela, perd ain­si peu à peu cette force de convic­tion pour n’en gar­der que les aspects exté­rieurs et super­fi­ciels, pathos et expres­si­vi­té quelque peu conve­nue qui n’inspirent ni le sen­ti­ment d’authenticité d’autrefois, ni l’authenticité his­to­ri­que­ment infor­mée à venir. Devant cette perte de vitesse de la moder­ni­té, la venue d’une réforme était donc logique, et sans doute néces­saire. Mais le fait que cette réforme ait choi­si la musique ancienne comme vec­teur de son expres­sion n’est sûre­ment pas ano­din. Face à un monde moderne effrayant à bien des égards, le retour à l’ancien est une réac­tion natu­relle et habituelle.

Tout ça nous amène au mou­ve­ment de redé­cou­verte de la musique ancienne. Il a connu un essor par­ti­cu­lier à par­tir des années 1960, et s’est fait, à l’o­ri­gine, à l’écart des ins­ti­tu­tions. Il pou­vait même revê­tir un aspect révo­lu­tion­naire, sur le plan musi­cal. Ne faites-vous pas un mau­vais pro­cès à ce mou­ve­ment lorsque vous le qua­li­fiez de « réac­tion­naire » ? D’autant que cette pra­tique sur ins­tru­ments his­to­riques s’est éten­due au fil des décen­nies jusqu’au réper­toire roman­tique — ce dont semble même avoir béné­fi­cié votre Armée des Romantiques !

« Il est amu­sant de voir que ceux qui ont connu cette période de renais­sance du mou­ve­ment baroque sont plus que cri­tiques envers cette démocratisation. »

Rémy Cardinale : Il est vrai qu’à pre­mière vue, ça pour­rait paraître contra­dic­toire. Je ne nie pas que les pro­ta­go­nistes du renou­veau « baroque » se soient sen­tis l’âme révo­lu­tion­naire en par­ti­ci­pant à ce mou­ve­ment. Mais cette « révo­lu­tion » doit être rela­ti­vi­sée. S’il y a eu un sen­ti­ment de révo­lu­tion, c’est parce que, d’un coup, il y a eu une mode du « baroque » qui a ouvert un « mar­ché » du baroque. La demande de pro­duc­tion baroque a consi­dé­ra­ble­ment gran­di. Concerts, fes­ti­vals, disques, aca­dé­mies ont fleu­ri un peu par­tout, jusqu’au mer­veilleux film d’Alain Corneau Tous les matins du monde, qui a défi­ni­ti­ve­ment révé­lé ce style au plus grand nombre. Ce qu’on croit être une révo­lu­tion s’ap­puie sou­vent sur un déjà-là bien réel, un monde qui exis­tait depuis long­temps mais qui était tapi dans l’ombre, réser­vé à une élite, une aris­to­cra­tie. D’ailleurs, il est amu­sant de voir que ceux qui ont connu cette période de renais­sance du mou­ve­ment baroque sont plus que cri­tiques envers cette démo­cra­ti­sa­tion. Les aris­to­crates n’aiment pas beau­coup que leurs valeurs soient par­ta­gées par le plus grand nombre. Ils consi­dèrent que les musi­ciens baroques d’aujourd’hui sont quelque part per­ver­tis par ce grand mar­ché — à juste titre, peut-être. Ils res­tent en géné­ral assez nos­tal­giques des années 1960–70, où tout se pas­sait encore dans la dis­si­dence et l’entre-soi. Cela dit, je ne sous-estime pas que ce mou­ve­ment du « renou­veau baroque » ait appor­té un plus grand savoir sur la pra­tique de cette musique et une plus grande maî­trise à jouer des ins­tru­ments anciens, dont la tech­ni­ci­té n’allait pas de soi. Quant à l’organologie2 à laquelle vous faites réfé­rence, là aus­si, ça remonte à bien plus long­temps3. S’il y a eu nou­veau­té, c’est seule­ment dans l’ampleur du mou­ve­ment et l’élargissement consi­dé­rable des pra­ti­ciens et du public. Mais encore une fois, tout était là. Nous pou­vons donc dire que ce mou­ve­ment de redé­cou­verte baroque, qui s’étend sur deux siècles envi­ron, est la réac­tion au mou­ve­ment roman­tique. Le néo­clas­si­cisme est bien la consé­quence de ce der­nier. Le « néo­ro­man­tisme » dont se réclame l’Armée des Romantiques est une consé­quence du néo­clas­si­cisme d’aujourd’hui.

Emmanuel Balssa : Le mou­ve­ment baroque né dans les années 1960 tient beau­coup plus d’une réforme que d’un cou­rant révo­lu­tion­naire. S’opposant à une inter­pré­ta­tion moderne jugée cor­rom­pue et déca­dente, cette réforme a ten­té, à l’instar d’une réforme reli­gieuse, de retrou­ver une foi pri­mi­tive et une authen­ti­ci­té per­due. Elle s’est appuyée sur un retour à la règle et sur l’étude des sources et trai­tés anciens qui ont alors revê­tu un aspect presque sacré. Dès le départ elle repose sur des valeurs morales fortes : rai­son, objec­ti­vi­té, humi­li­té, rejet de tout ego — en réac­tion avec les excès sup­po­sés des « modernes ». Des débuts de cette réforme on peut rete­nir éga­le­ment l’aspect éli­tiste, voire sec­taire, en tous cas réser­vé à des ini­tiés, qui nous ramène à l’idée de reli­gion. Il est indé­niable que les pre­mières inter­pré­ta­tions baroques étaient toutes impré­gnées d’une foi nou­velle, sou­le­vées par la convic­tion que ce qu’on fai­sait était juste. La nou­velle lec­ture pro­po­sée par le mou­ve­ment baroque, s’appuyant sur un ins­tru­men­ta­rium4 inédit et sur la com­pré­hen­sion musi­co­lo­gique des œuvres et de leur contexte, a véri­ta­ble­ment appor­té un souffle nou­veau. La recherche de tech­niques oubliées et suf­fi­sam­ment dif­fé­rentes remet­tait en ques­tion une pra­tique deve­nue un peu rou­ti­nière, en main­te­nant une réflexion constante. La redé­cou­verte d’un réper­toire jamais enten­du par le public d’aujourd’hui et la réin­ter­pré­ta­tion des œuvres clas­siques sous le prisme de la réforme a com­blé le désir de nou­veau­té des musi­ciens et du public, et per­mis d’occuper l’espace lais­sé vacant par une musique contem­po­raine ne par­ve­nant pas à ral­lier la majo­ri­té à sa moder­ni­té. Les débuts du mou­ve­ment ont eu, il est vrai, un aspect assez révo­lu­tion­naire. Ils ont vu appa­raître de grandes per­son­na­li­tés emblé­ma­tiques5. Mais pas­sés l’é­bran­le­ment des pre­mières décou­vertes, le mou­ve­ment s’est rapi­de­ment assa­gi en même temps qu’il pre­nait de l’ampleur. Les sons trop rugueux ou les accents trop viru­lents de l’éloquence ont été adou­cis par les géné­ra­tions sui­vantes, qui les jugeaient trop caricaturaux.

[Marc Vaux]

Dans Vous avez dit baroque, le musi­co­logue Philippe Beaussant, qui est l’un des pion­niers de cette redé­cou­verte, exprime ses craintes quant à l’introduction de la musique ancienne dans les conser­va­toires : ça ris­que­rait, dit-il, d’atrophier la recherche et d’institutionnaliser la pra­tique. Maintenant que nous sommes arri­vés à la troi­sième, voire qua­trième géné­ra­tion d’interprètes héri­tiers de ce mou­ve­ment, l’Histoire semble lui avoir don­né rai­son. N’est-ce pas la preuve que le mou­ve­ment était ani­mé, à l’origine, et pour une part encore aujourd’hui, par un authen­tique esprit de recherche ?

Emmanuel Balssa : On peut peut-être accu­ser l’institution d’avoir fait perdre l’esprit authen­tique des pion­niers — c’est effec­ti­ve­ment un juge­ment qu’on a sou­vent enten­du —, mais je crois que ce sont plu­tôt les valeurs por­tées dès le départ qui ont elles-mêmes engen­dré cette perte. La recherche, qui avait repré­sen­té un élé­ment déclen­cheur d’une nou­velle réflexion, est deve­nue fina­li­té. La musi­co­lo­gie, méti­cu­leuse et scien­ti­fique, a pour­sui­vi l’effort de clas­si­fi­ca­tion et de rai­son des Lumières dans son envie illi­mi­tée de tout connaître et de tout expli­quer. Le fait his­to­rique, objec­tif et incon­tes­table, est deve­nu le seul garant d’authenticité, relé­guant l’interprétation à un ensemble de règles et de codes à res­pec­ter pour que le ren­du soit le plus juste, le plus « authen­tique » pos­sible. Lorsqu’on regrette « l’authentique esprit baroque » des débuts, que regrette-t-on exac­te­ment ? Est-ce un esprit révo­lu­tion­naire per­du, une foi per­due ou bien est-ce cette situa­tion un peu pri­vi­lé­giée des musi­ciens baroques libres de concur­rence ? Aujourd’hui « l’historiquement infor­mé », dans son aspect rai­son­né et garant d’authenticité, a gagné le milieu clas­sique et, même si une des moti­va­tions pour s’engager dans la pra­tique de la musique ancienne de la part des jeunes musi­ciens reste encore très sou­vent le rejet de l’interprétation moderne, on peut dire que la dif­fé­ren­cia­tion entre les deux mondes s’est lar­ge­ment estom­pée et que le mou­ve­ment réac­tion­naire a gagné. On peut dès lors com­prendre que les pion­niers aient craint l’institution. Cette der­nière n’a pas réduit l’esprit de recherche : au contraire, elle l’a orga­ni­sé et pla­cé au cœur de son ensei­gne­ment ! Jamais la recherche n’a été aus­si pré­sente qu’aujourd’hui, ni le niveau de connais­sances dans le domaine de la musique ancienne aus­si haut. En per­met­tant en revanche de for­mer de plus en plus de musi­ciens baroques, en per­met­tant aux modernes de s’initier sérieu­se­ment aux tech­niques et styles anciens, elle a fait perdre le carac­tère exclu­sif et éli­tiste du mou­ve­ment en le démo­cra­ti­sant quelque peu — démo­cra­ti­ser au sein du grand mou­ve­ment clas­sique, il s’entend : on ne parle pas d’une démo­cra­ti­sa­tion populaire…

« Nous n’en voyons pas la puis­sance tant nos esprits sont colo­ni­sés par l’idéologie néo­clas­sique, laquelle repose sur le retour au patri­moine, sur les valeurs de l’authenticité et sur l’injonction à l’humilité devant l’Histoire. »

Rémy Cardinale : Votre ques­tion démontre par­fai­te­ment ce que j’essaie de décrire : une élite qui craint d’être dépos­sé­dée de sa supé­rio­ri­té de classe. D’un savoir, d’une culture qu’elle pos­sède et qu’elle tente de pré­ser­ver à tout prix depuis l’ar­ri­vée des roman­tiques qui osaient faire autre­ment. Sans vou­loir trop jouer avec les sym­boles, je rap­pelle que le Centre de musique baroque (CMBV) est à Versailles ! Et Philippe Beaussant en est le cocréa­teur, en 1987. La mis­sion de cette belle ins­ti­tu­tion est de « retrou­ver » et de « res­tau­rer » le « patri­moine musi­cal fran­çais de l’époque baroque ». Voilà qui exprime le mou­ve­ment réac­tion­naire dont je parle. Nous n’en voyons pas la puis­sance tant nos esprits sont colo­ni­sés par l’idéologie néo­clas­sique, laquelle repose sur le retour au « patri­moine », sur les valeurs de l’authenticité et sur l’injonction à l’humilité devant l’Histoire. Celle de l’Ancien Régime, bien enten­du ! Malheureusement, le néo­clas­sique est à ce point hégé­mo­nique que nous lisons même le roman­tisme sous le prisme du néoclassicisme.

Qu’entendez-vous par là ?

Rémy Cardinale : Eh bien, j’en veux pour preuve deux ins­ti­tu­tions contem­po­raines : Bru Zane et, tout récem­ment, La Nouvelle Athènes6. Elles traitent le sujet roman­tique avec les méthodes du mou­ve­ment baroque. À mes yeux, c’est une contra­dic­tion : si on peut com­prendre la logique des néo­clas­siques avec leur véné­ra­tion du pas­sé, du patri­moine et le retour aux sources, pour­quoi vou­loir l’appliquer sur le roman­tisme, qui s’est construit contre ça7 ? Ceci donne ce qu’on observe en ce moment : des études his­to­riques qui veulent remon­ter aux sources, voire à la source même. Comment ça son­nait à l’époque, que disaient les acteurs de l’époque, que jouaient-ils et com­ment ? Voilà qui démontre le mépris total d’une culture empi­rique col­por­tée par des géné­ra­tions entières de musi­ciens qui ont fait vivre les œuvres au cours du temps. Croire que la source est le réel ou qu’elle dit quelque chose de l’époque ou des œuvres elles-mêmes, c’est pen­ser que les idées pré­cèdent les actes. Il n’en est évi­dem­ment rien. Les com­po­si­teurs n’ont que peu conscience de ce qu’ils créent réel­le­ment et du futur de leur créa­tion. Ce qui m’amène main­te­nant aux peurs de Philippe Beaussant… Il est contra­dic­toire d’œuvrer comme il a fait pour la musique baroque, avec autant de talent, et d’a­voir peur qu’un jour elle soit ins­ti­tu­tion­na­li­sée. Le CMBV est bien une ins­ti­tu­tion, non ? Ça prouve que les néo­clas­siques sont deve­nus plus que domi­nants, et même hégé­mo­niques. Il est donc nor­mal que les valeurs de la musique « ancienne » soient défen­dues dans des conser­va­toires. Et que, par consé­quent, le roman­tisme soit com­bat­tu par une déna­tu­ra­li­sa­tion de son sens propre. Une idéo­lo­gie contre une autre : rien de nouveau !

[Marc Vaux]

Si l’interprétation musi­cale ne doit pas par­tir à la recherche d’une authen­ti­ci­té uni­que­ment his­to­rique, c’est qu’elle doit mettre au cœur de sa démarche une autre forme d’authenticité, qu’on pour­rait qua­li­fier de sen­sible. N’y a‑t-il pas moyen de conci­lier le ver­sant his­to­rique avec cette forme d’authenticité plus spon­ta­née, avant tout sen­sible et intérieure ?

Emmanuel Balssa : L’Armée des Romantiques naît bien sûr au sein du mou­ve­ment his­to­ri­que­ment infor­mé. Suivant les traces mar­quées par les pré­dé­ces­seurs, les ensembles qui ont com­men­cé à s’intéresser au réper­toire du XIXe siècle ont recher­ché, comme leurs aînés, les sources, méthodes, par­ti­tions, ins­tru­ments anciens et tech­niques de jeu qui pou­vaient venir éclai­rer une inter­pré­ta­tion his­to­rique. Très vite, pour­tant, l’Armée des Romantiques s’est aper­çue que le côté réac­tion­naire du mou­ve­ment ne convient pas à l’appréhension de l’esprit roman­tique — et même qu’il l’entrave pro­fon­dé­ment. La mise en avant d’un tra­vail de recherche musi­co­lo­gique métho­dique ten­tant de déga­ger une inter­pré­ta­tion « authen­tique » ne pou­vait conve­nir à une époque qui recher­chait avant tout l’expression de l’individualité, non plus que le retrait de l’interprète der­rière un ren­du objec­tif ne pou­vait expri­mer l’esprit roman­tique. Avec le temps, on en vien­dra peut-être même à dire que la ratio­na­li­sa­tion extrême de la démarche a pu nuire à « l’esprit baroque », le pri­vant de son aspect sans doute le plus créa­tif. Reconnaître l’aspect réac­tion­naire du mou­ve­ment per­met de com­prendre qu’il ne révo­lu­tionne pas en pro­fon­deur le vaste mou­ve­ment néo­clas­sique, mais qu’il s’inscrit mal­gré les appa­rences dans sa conti­nui­té. Il me semble que l’esprit néo­ro­man­tique ini­tié par l’Armée des Romantiques, en pro­po­sant une autre forme d’authenticité, peut révo­lu­tion­ner notre manière de lire et com­prendre la musique. C’est de cette nou­velle incar­na­tion de l’œuvre musi­cale, lais­sant plus de liber­té dans son ren­du et son expres­sion, que pour­raient s’emparer les musi­ciens modernes et même baroques d’aujourd’hui en retrou­vant la liber­té de pro­po­ser une inter­pré­ta­tion riche et variée.

« L’analogie avec le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste devient évi­dente. Si tu ne te sou­mets pas aux forces du mar­ché, tu seras écrasé. »

Rémy Cardinale : Je crois que la démarche de ceux qu’on appelle « les pion­niers du baroque » était bien plus ins­tinc­tive que réflé­chie. Ils ont tiré le fil de la pelote du long che­min de la redé­cou­verte de la musique ancienne. Et c’est en toute logique qu’ils se sont inté­res­sés à la pra­tique des ins­tru­ments anciens et de son réper­toire oublié. Il y avait bien plus de spon­ta­néi­té chez eux que chez nos musi­ciens d’aujourd’hui. Les livres et les théo­ries qui découlent de la recherche sont venus bien après : au moment où les « modernes » pas­saient à la contre-attaque, quand ils ont com­pris le dan­ger que repré­sen­tait un public gran­dis­sant et séduit par ce style. Il fal­lait bien se jus­ti­fier, répondre aux ques­tions : mais pour­quoi faites-vous cela ? Je rap­pelle que la publi­ca­tion du livre d’Harnoncourt, Le Discours musi­cal, qui théo­rise en quelque sorte le style baroque, date de 1984. Soit presque un quart de siècle après le début du mou­ve­ment baroque. S’en est sui­vi le CMBV et son centre de recherche. Encore une fois, les actes pré­cé­dent les idées ! La réponse don­née aux ques­tions posées a été l’historicisme et non le besoin intrin­sèque d’interpréter cette sublime musique comme on l’entend. En ça, le mou­ve­ment baroque des années 1960 s’est ins­crit au fil du temps dans le sillage du néo­clas­si­cisme et non du néo­ro­man­tisme. Or le néo­clas­si­cisme est en passe de nier la pro­duc­tion même de la musique.

En quel sens ?

Rémy Cardinale : Les musi­ciens, qui avaient réus­si au XIXe siècle à se sor­tir de leur état de subor­di­na­tion en se trans­for­mant peu à peu en inter­prètes, c’est-à-dire en indi­vi­dus libres à même de s’exprimer dans le champ artis­tique en expo­sant leur tra­vail au monde — réa­li­sant de fait une véri­table révo­lu­tion anthro­po­lo­gique —, se voient aujourd’hui relé­gués au rang de ser­vi­teurs de la musique. L’injonction à l’humilité est de mise ! L’analogie avec le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste devient évi­dente. Si tu ne te sou­mets pas aux forces du mar­ché, tu seras écra­sé. Pas de liber­té sans ton maître ! Voilà pour­quoi les musi­ciens clas­siques doivent conti­nuer leur route vers l’émancipation, afin de réa­li­ser le rêve d’un des plus grands com­po­si­teurs révo­lu­tion­naires du roman­tisme, Ludwig van Beethoven : un salaire à la qua­li­fi­ca­tion per­son­nelle pour tra­vailler, donc créer, libre­ment et sans maître !


Illustrations de ban­nière et de vignette : Marc Vaux


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  1. Se fon­dant sur la recherche his­to­rique, l’étude des trai­tés et le retour aux ins­tru­ments anciens, le mou­ve­ment dit « his­to­ri­que­ment infor­mé » connaît un essor ful­gu­rant dans la seconde moi­tié du XXe siècle, jusqu’à consti­tuer aujourd’hui une part impor­tante de l’industrie de la musique clas­sique. Initialement can­ton­né à la musique baroque, son réper­toire s’est élar­gi de la musique du Moyen Âge jusqu’à celle du début du XXe siècle.[]
  2. Étude des ins­tru­ments de musique et de leur his­toire [ndlr].[]
  3. Dès 1901 La Société des Concerts d’instruments anciens dont le pré­sident d’honneur n’était autre que Camille Saint-Saëns, fai­sait entendre une musique oubliée du grand public sur des ins­tru­ments d’époques. Henri Casadesus à la viole d’a­mour, Marius Casadesus au quin­ton, Régina Casadesus au cla­ve­cin, Lucette Laffite-Casadesus à la viole de gambe, Maurice Devilliers à la basse de viole et Édouard Nanny à la contre­basse, étaient les prin­ci­paux ani­ma­teurs. Cette nou­velle « Société » s’inscrivait dans le mou­ve­ment de redé­cou­verte de la musique ancienne pour un large public. L’éditeur Durand prit en main en 1894 une édi­tion cri­tique de l’œuvre com­plète de Rameau dont il confia la direc­tion édi­to­riale à Camille Saint-Saëns. Tout cela, sans doute en réac­tion tar­dive envers les « enne­mis » d’outre-Rhin qui avaient entre­pris dès 1850 d’honorer la mémoire de Jean-Sébastien Bach avec la Bach-Gesellschaft (la Société Bach). Les Anglais firent la même chose en 1843 avec la Haendel-Society. J’arrête ici la remon­tée his­to­rique de la pré­ten­due redé­cou­verte de la musique ancienne, que nous devons donc rela­ti­vi­ser.[]
  4. Ensemble des ins­tru­ments uti­li­sés pour une œuvre [ndlr].[]
  5. Parmi les­quelles nous retrou­vons le cla­ve­ci­niste Gustav Leonhardt, le vio­lo­niste Sigiswald Kuijken, le chef d’or­chestre Nikolaus Harnoncourt, ou encore le flû­tiste à bec Frans Brüggen.[]
  6. Le Palazzetto Bru Zane, fon­dé en 2009 à Venise, est une ins­ti­tu­tion consa­crée à la dif­fu­sion de la musique roman­tique. La Nouvelle Athènes, fon­dée en 2017 à Paris, est quant à elle une asso­cia­tion plus spé­ci­fi­que­ment dédiée aux pia­nos his­to­riques.[]
  7. La phrase de Brahms à ses cama­rades musi­ciens lors d’une répé­ti­tion musi­cale, « Faites-le comme vous vou­lez mais faites-le beau », incarne à elle seule l’idéologie sub­ver­sive du roman­tisme. Brahms, dans cette séquence peu connue, tra­vaille son trio op.101 en com­pa­gnie du vio­lo­niste Joseph Joachim et du vio­lon­cel­liste Robert Haussmann. Des ques­tions se posent quant à la façon de jouer un pas­sage de l’œuvre du maître ; la nota­tion de la par­ti­tion semble faire débat entre eux. La réponse de Brahms va à l’encontre de ce que dicte la doxa néo­clas­sique : « Le texte, les sources sont sacrés ! » Au contraire, Brahms invite ses col­lègues musi­ciens à faire comme ils l’entendent, à inter­pré­ter le texte comme ils le sentent à condi­tion que cela soit « beau ». Il faut poser les bonnes ques­tions aux sources his­to­riques. Si vous leur deman­dez de répondre à des ques­tions néo­clas­siques, ne vous éton­nez pas du résul­tat. J’aime cette for­mule : « Un docu­ment ne répond qu’aux ques­tions qu’on lui pose ! »[]

REBONDS

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