Texte inédit | Ballast
Depuis vingt ans, l’Agence nationale pour le renouvellement urbain (ANRU) fait s’écrouler les grands ensembles HLM des quartiers populaires. « Renouvellement urbain » : si l’expression est policée, la réalité qu’elle recouvre l’est moins. À la place des immeubles existants, des habitats plus petits et, surtout, moins accessibles, sont construits. C’est le fer de lance des politiques publiques visant, dans des métropoles où l’habitat est saturé, à chasser les pauvres pour faire place nette aux classes moyennes et aisées. C’est le cas à Toulouse, dans le quartier de la Reynerie. La collaboration de l’ANRU avec les pouvoirs publics locaux y conduit, au nom d’une soi-disant « mixité sociale », à la mise en place d’une politique de démolition systématique et au déplacement des personnes résidant dans le quartier. Contactés, ni la mairie de Toulouse ni le Conseil départemental n’ont donné suite à nos demandes d’entretiens. La population, elle, nous a répondu. ☰ Par Loez
L’automne à Toulouse ressemble à un été qui s’étirerait paresseusement. Le bleu du ciel refuse de se laisser engrisailler par de gros nuages. À la sortie du métro Reynerie, au sud-ouest de la ville, le goudron noir de la place Abbal est écrasé de lumière. Les eaux du lac artificiel scintillent. À l’autre bout de la place, des biffins ont étalé leurs marchandises à même le sol, à proximité du centre social et des logements dont les façades neuves signalent la première étape du projet de reconstruction du quartier, achevée quelques années plus tôt. Près de la bouche du métro, une cinquantaine de personnes se sont rassemblées autour d’un barnum blanc installé entre deux hauts sapins, que le vent agite mollement. Des banderoles ont été accrochées : « Partir ou rester, à nous de décider » clame l’une d’elle en lettres bleues et rouges. Une autre demande « un moratoire pour la réhabilitation » et appelle à stopper « la casse des HLMs ». Le rassemblement est organisé par l’Assemblée des habitant·es de la Reynerie, qui se mobilise depuis plusieurs années pour tenter de stopper le projet de démolition du quartier impulsé localement par la Mairie de Toulouse et le Conseil départemental de la Haute-Garonne, et soutenu au niveau de l’État par l’Agence nationale pour le renouvellement urbain (ANRU). Le collectif, constitué de personnes qui refusent de quitter les lieux dans lesquels ils ont vécu parfois plusieurs dizaines d’années, multiplie les interpellations des pouvoirs publics, et assiste les habitant·es dans leurs démarches.
Des ombres sur le sol : une nuée de pigeons. Les témoignages relatant des vies bouleversées par les projets de destruction s’enchaînent au micro. Chacun des immeubles porte un nom qui, plus que celui des rues, sert ici de repère. Messager, Grand d’Indy, Poulenc, Cambert et Gluck sont les bâtiments promis aux pelles voraces des bulldozers. Sur un côté de la place, derrière les commerces, les planches de bois jaunes qui obstruent les fenêtres de Gluck sont autant de plaies dans la façade grise d’un géant de béton agonisant sous les coups des politiques de la ville. À l’intérieur, des portes blindées condamnent l’accès aux logements abandonnés.
De l’utopie sociale au quartier stigmatisé
« Imaginez socialement le fait d’être dans son séjour et qu’à 50 centimètres, l’appartement et les gens que vous connaissez et qui étaient là disparaissent brutalement. »
Lorsque le projet du Mirail a été lancé au début des années 1960, les architectes n’imaginaient pas seulement bâtir une ville nouvelle censée accueillir près de 100 000 habitant·es sur plus de 200 hectares. Portés par une vision humaniste, c’est tout un univers que proposaient Candilis, Josic et Woods dans les trois quartiers concernés, ceux de Reynerie, Bellefontaine et celui de l’université. Un système de dalles, sortes de grandes places surélevées, devait permettre la circulation piétonne des habitant·es, le long de grands immeubles, au pied desquels se trouvaient tous les équipements publics nécessaires à la vie quotidienne. Des coursives courant au niveau des 5e et 9e étages projetaient en hauteur l’idée de la rue. Protégée de la circulation, celle-ci redeviendrait un espace de sociabilité. Au cœur des bâtiments en forme de tripode, des écoles et des espaces verts. Mais le projet ne verra jamais entièrement le jour. Dès 1974, il subit les attaques de plusieurs politiciens qui en font un champ de bataille électoral. Et ce qui faisait la particularité du projet, les dalles, les coursives, les bâtiments communicants, est démoli petit à petit. « Le Mirail, dans les années 1970-1980, était très classe moyenne. La ségrégation s’est construite petit à petit », nous explique Pascal, qui y a enseigné de longues années. La paupérisation, le chômage et les difficultés sociales ont fini par dégrader les conditions de vie dans le quartier, et son image vis-à-vis des pouvoirs publics.
En 2013, la Reynerie est l’objet d’une première vague de démolitions de bâtiments qui touche cette fois-ci les bâtiments eux-mêmes. Nadia*1, qui habite le quartier depuis son mariage il y a plus de trente ans, a été durement affectée par celles-ci. Certains des immeubles sont alors coupés en deux, au prétexte de recréer de l’espace et de l’aérer — rendant en même temps caduque l’ingénieux système de circulation par les coursives. « La première destruction a brisé mon réseau social. Tu vois, l’appartement où tu as passé ta vie, tout est sur mesure, c’est brisé d’un seul coup. Ils détruisent ta vie petit à petit. Recommencer ça en 2022, non. » Nadia est alors « entrée en bataille » et a rejoint l’Assemblée des habitant·es. « Changer le quartier pour qui, pour quoi ? reprend-elle. Moi je le voyais pas pire. Si chacun avait fait ce qu’il devait on n’en serait pas là. Ils sont comme des marchands de sommeil. Les terrains publics sont vendus au privé avec des subventions du public. » L’architecte Jean-Philippe Vassal confirme son appréciation : « Il y a une tour, une barre, on en coupe une moitié. C’est presque encore plus violent. Au lieu de vous tuer complètement on vous enlève un bras. Imaginez socialement le fait d’être dans son séjour et qu’à 50 centimètres, l’appartement et les gens que vous connaissez et qui étaient là disparaissent brutalement. C’est odieux. À Toulouse le Mirail c’est du déchiquetage qui s’est effectué depuis dix-vingt ans. Démolir partiellement c’est ce qui occupe la majorité du budget. Puisqu’on démolit cette partie-là, on aura d’autant moins d’argent pour réhabiliter le reste du projet, et c’est ça qui est incohérent. »
Si le projet de reconstruction du quartier Reynerie est à l’état d’ébauche depuis déjà vingt ans, il connaît une brusque accélération en 2015 avec l’arrivée de George Méric à la présidence du Conseil départemental. Son prédécesseur, Pierre Izard avait juré que tant qu’il serait là, il n’y aurait pas de démolition du collège de Reynerie. Mais le ton change avec le nouveau pouvoir local, dont les choix idéologiques s’alignent avec les décisions prises au sommet de l’État. Georges Méric, ancien médecin de campagne, est issu d’une dynastie socialiste — le grand-père fut proche de Jaurès et le père de Mitterrand. Il est décrit par ceux qui le connaissent comme animé d’une profonde conviction républicaine et laïque2. Il n’est également pas étranger au monde des affaires : il gère en effet plusieurs sociétés immobilières, ce qui ne peut manquer d’attirer l’attention3. En octobre 2016, il publiait sur son compte Twitter : « Jaurès a dit N’ayant pas la force d’agir, ils dissertent.
Nous n’allons pas disserter mais agir. » C’est le début du projet de mixité sociale, une expression bien floue qui permet de lancer un véritable plan d’ingénierie sociale, et sert de justification au projet de reconstruction du quartier — et d’éviction de ses habitant·es. Celui-ci se décline à la fois à travers les destructions des bâtiments d’habitation, mais aussi au niveau éducatif avec celle des deux collèges du Mirail et la dispersion de leurs élèves. « La mixité sociale pour nous c’est faire vivre la République », affirme Georges Méric. Il renchérit : « L’enjeu majeur, c’est montrer l’égalité des chances et l’inclusion républicaine dans les quartiers ghettoïsés de Toulouse. »
De fait, Méric s’inscrit bien dans la droite ligne d’une certaine tradition républicaine. Celle qui veut mettre au pas des provinces rétives en les présentant comme arriérées. Ou celle, encore, d’un certain Ferry, Jules, qui décrétait l’instruction publique en même temps qu’il justifiait la colonisation, affirmant que les « races supérieures » ont le « devoir de civiliser les races inférieures ». La République bourgeoise aime justifier ses volontés de conquête par un discours civilisateur. Et ce n’est sans doute pas un hasard si les habitant·es des quartiers voués à démolition sont pour beaucoup les descendant·es de celles et ceux que la République de Ferry a voulu coloniser avant d’en exploiter la main d’œuvre.
« À Toulouse, le discours de la Mairie et Département tient en quelques mots matraqués sur des années au fil d’articles complaisants : ségrégation, ghetto et mixité sociale. »
Le chercheur Jérôme Beauchez a montré, dans son étude sur la Zone de Paris4, le processus par lequel on se débarrasse d’un quartier et de ses habitant·es devenu·es gênant·es. Fin XIXe, cette bande de terre située au pied des fortifications de Paris, coincée entre la capitale et les banlieues ouvrières, est faite de constructions de bric et de broc. « Cet inframonde parisien, fruit amer d’une modernité qui aurait déposé là toutes ses misères, passait pour une sorte de capitale des classes dangereuses » qui aurait engendré des « sauvages de la civilisation », selon le regard surplombant que portent sur ses habitant·es les classes dominantes. Alors qu’il n’existe finalement quasiment pas de témoignages directs des zoniers, les discours de politiques, de journalistes, d’artistes extérieurs à la Zone ont construit la représentation d’un territoire de non-droit, abritant une menace pour la société. En lisière de Paris, il s’agit pour les classes dominantes d’y remettre de l’ordre, à la fois dans l’espace en rasant les constructions illégales pour les remplacer par des immeubles, et chez les individus en leur imposant les normes du travail, de la religion, de la famille… À Toulouse, le discours de la mairie et du département tient lui en quelques mots matraqués sur des années au fil d’articles complaisants : « ségrégation », « ghetto » et « mixité sociale ».
Un fort sentiment d’appartenance
Jacques, cheveux blancs et visage affable, habite le Grand d’Indy depuis plus de quarante ans. Il se souvient avoir vu les arbres, dont les branches atteignent désormais le 5e étage, alors qu’ils n’étaient encore que des arbustes. Au milieu des tripodes, ils forment des îlots de verdure au centre desquels les écoles sont protégées de la circulation. « Au début, la population était mélangée. Lors des émeutes en 2005, on est allés discuter avec les jeunes. Ils disaient, on traverse le parking de Casino, il y a de belles entreprises, mais nous on ne peut pas y aller. Mais d’autres font 50 km pour venir y travailler.
C’est aussi pour ça qu’il y a du trafic. » Assise à l’ombre du barnum sur la place où a lieu le rassemblement, Marie-Odile, retraitée, montre fièrement son badge siglé Nathalie Arthaud. « La vie de quartier ça me concerne », dit-elle, déterminée. « C’est pas parce qu’on est pauvres ou pas bien français qu’on n’a pas le droit de s’exprimer. Pour payer des impôts ça ne pose de problèmes à personne après tout. Des chasses à l’homme et des lacrymos, j’en ai vues. Il faut autre chose pour les jeunes que d’essayer de sauver sa peau. Chacun a droit à une place digne. »
Marcel, sa casquette vissée sur la tête, a pris le micro pour s’adresser à la foule. Il est lui aussi membre de l’Assemblée des habitant·es. « Ce ne sont pas des immeubles dont il s’agit ici, mais des habitants et des habitantes. Pour la Mairie, la population qui habite ici doit partir. Ils sont en trop. Qui est ici est d’ici, et a le droit de rester et d’y vivre. » Le courrier indigné écrit par trois membres de l’Assemblée suite à une rencontre le 29 avril 2021 avec Gaëtan Cognard, élu en charge de la politique de la ville et « maire » du quartier, va dans le sens de ses propos. Les trois femmes y témoignent d’« une sortie plutôt surprenante et inquiétante de la part de l’élu : il nous a dit que le projet urbain permettait de changer les têtes
. Nous lui avons demandé de préciser, il nous a dit : changer les gens, changer la population
. » Pour Brigitte, retraitée active dans l’Assemblée des habitant·es, « suite aux attentats, il y a eu la volonté de disperser les habitants du quartier, considéré comme communautariste. Pour eux, la Reynerie était une bombe à retardement
, qui fabriquait en masse de futurs petits terroristes. Il fallait donc immerger de force les enfants d’ici dans d’autres milieux, d’autres quartiers. Comme ils ne peuvent pas ouvertement parler de mixité ethnique, ils parlent de mixité sociale, un argument qui fait consensus au niveau politique. »
Les projets de démolition brisent les liens sociaux. Un homme âgé raconte : « Une dame qui est maintenant à Muret m’a dit : J’ai un beau jardin… Mais je ne parle pas avec le jardin
». Malik, qui habite le quartier depuis une trentaine d’années, est venu avec sa femme. Il renchérit : « Je connais un Comorien, il revient régulièrement. Il a les boules là où il est. » Nombreux et nombreuses sont les habitant·es du quartier qui, après avoir déménagé, y passent régulièrement. Ils ne trouvent pas sur leur nouveau lieu d’habitation les commerces bons marchés, les services publics et surtout le tissu social : ami·es, voisin·es, associations… Les femmes en particulier sont affectées. « Il y a le coût psychologique, l’isolement des femmes », affirme Brigitte. « Il n’y a plus la famille, les voisines. On perd en solidarité. Si une maman doit se déplacer en urgence, ici elle peut trouver une amie, une voisine pour aider avec les enfants. »
« Ils sont en train de nous dégager un par un et je pense pas qu’ils vont ramener les mêmes personnes. »
Malgré les difficultés, l’attachement au quartier est bien réel, chez les ancien·nes comme chez les jeunes. Le court métrage Splendides tourné en 2021 par la réalisatrice Meriem-Bahia Arfaoui le montre bien. Une jeune femme, Fatima, y déclare : « Pendant le ramadan, au moment de la rupture du jeûne, quand tu descends y a tout le monde dehors. […] Ça dans vingt ans il n’y aura plus. Tu descends, t’as tout le monde, t’as la famille, t’as les voisins, la famille de tes voisins… Cette mixité, ça va partir, ça va disparaître. » Pessimiste face aux changements qui s’annoncent, Fatima ajoute : « Ils sont en train de nous dégager un par un et je pense pas qu’ils vont ramener les mêmes personnes. »
Disperser et isoler en relogeant
La politique de relogement, en plus de disperser les habitant·es, les isole. « Ici j’ai tout : magasins, métro, bus… », explique Malik. Son appartement se trouve dans l’un des bâtiments condamnés à devenir gravats et poussière. Les propositions de relogement qu’on lui a fait ne le satisfont pas : « On veut m’envoyer dans des endroits où il n’y a même pas un tram qui passe, tu es obligé d’utiliser la voiture. »
Outre le loyer et surtout les charges plus élevées que dans l’ancien logement, le nouvel environnement a un impact sur le budget des personnes et contribue à les paupériser. Difficile de trouver des commerces dont les prix rivalisent avec ceux de ce quartier populaire. Les logements proposés sont souvent situés en périphérie de la ville, il faut alors inclure dans les frais supplémentaires les coûts de transport pour se rendre à son travail ou en ville. Et pour les familles relogées en dehors de Toulouse, les frais de cantine, de transport scolaire, d’activités périscolaires peuvent s’avérer plus élevés. Malik reprend : « Il faut respecter la loi d’équivalence. Les appartements proposés ont un loyer plus cher, mais surtout la surface n’est pas la même et les charges sont plus élevées. Je connais une dame qui est partie, elle paie 150 euros de plus de loyer. Mon appartement est traversant. Si je pars dans un logement neuf, qu’est-ce que ça me va me coûter en clim l’été par exemple ? Et puis le nouveau bâti est de mauvaise qualité. Certaines personnes ont honte de dire qu’elles se sont fait avoir. Il y avait une vie de quartier : on se connaissait tous. Maintenant la plupart des gens que je connaissais cheminement d’Indy ont déménagé. Dans mon bloc il reste Jacques, et une vieille dame. Une autre a déménagé il n’y a pas longtemps. Elle avait les larmes aux yeux. Les gens ont abdiqué à cause des pressions. Des personnes âgées s’accrochent, mais les familles sont parties. »
Rencontrée un lundi de septembre lors d’une réunion de l’Assemblée, dans les locaux exigus mais chaleureux de l’association La Barre à Palabres, au pied du Grand d’Indy, une femme affirmait que beaucoup de demandes de relogement ne sont pas satisfaites : familles qui s’agrandissent, personnes à mobilité réduite… Les personnes âgées installées là depuis longtemps, les précaires et les familles nombreuses sont les plus pénalisés par le projet. Elle ajoute néanmoins au sujet des jeunes qu’ils « veulent bouger, c’est normal. Il y a aussi l’effet sur le CV d’habiter à la Reynerie« .
Les locataires reçoivent normalement trois propositions de relogement. Ensuite ils doivent se débrouiller par leurs propres moyens. « C’est illégal car les propositions doivent correspondre aux besoins des gens. Mais il faut un courrier de refus qui l’explique pour que l’argument soit valide », raconte Jean-Louis, habitant de la Reynerie depuis une quarantaine d’années et membre actif de l’Assemblée. De fait, la plupart des logements proposés sont plus petits et plus chers que ceux d’origine. Pourtant, Jean-Louis le rappelle, la loi et la convention de relogement stipulent bien « prix et surface équivalente ». Les bailleurs sociaux jouent sur la fragilité des personnes âgées ou précaires, qui ne maîtrisent pas suffisamment les procédures administratives, pour les forcer à accepter au plus vite les offres qui leur sont faites. Malik confirme : « Quand on ne sait pas lire où écrire, difficile de réagir et de s’opposer aux propositions. » Et il y a les idées reçues, aussi, comme nous le dit Jean-Louis : « Les gens se disent : On n’a pas le droit, on n’est pas propriétaires
. »
« Entre avoir vraiment envie de partir et se sentir obligé, ce n’est pas pareil »
L’ensemble du processus se fait dans la tension, constate Nadia : « La peur des huissiers occasionne du stress. Les personnes en situation précaire, sans papiers, ont peur, elles n’ouvrent pas leurs portes. Là ils veulent m’envoyer aux Tintorets, à Bellefontaine, mais ça va être démoli dans deux ans ! On me propose plus petit et plus cher, ça ne me convenait pas, j’aurais dû sacrifier des choses. J’ai une super vue, pas de vis-à-vis. » Dans l’immeuble Messager où s’étaient installés des squatteurs, la police a brisé les fenêtres en plein hiver pour rendre les logements inhabitables. Mais cela a impacté la quinzaine de foyers qui y vivaient encore, faisant chuter la température dans tout le bâtiment, comme le raconte une habitante. Éreintée par sa lutte contre le syndic, elle se dit lassée par le fait qu’on leur « impose des choses. Ce qui se passe dans le quartier de la Reynerie touche tout le monde. Ma vie a changé, ma famille a été impactée car j’ai dû passer mon temps à aller lutter contre ce projet et défendre mes droits ».
Pour pousser les habitant·es au départ, en particulier les propriétaires qui ne veulent pas vendre, tous les moyens sont bons. À une réunion du collectif mi-décembre, une femme venue demander conseil avoue avoir peur la nuit, car elle est la seule qui habite encore à son étage. « Il y a le deal, l’absence d’entretien, et les ascenseurs. Les ascenseurs, c’est un flux important, c’est un lieu de rencontre car tout le monde est obligé de passer par là. Quand ils ne marchent pas, ça veut dire que des personnes âgées ne peuvent plus sortir de chez elles, et se retrouvent isolées », poursuit Jean-Louis. Et d’ajouter : « Entre avoir vraiment envie de partir et se sentir obligé, ce n’est pas pareil. » Face aux pressions des bailleurs sociaux et des pouvoirs publics, l’Assemblée revendique le libre choix des habitant·es de partir ou de rester.
Enfin, démolir un quartier, c’est aussi enterrer un morceau d’histoire. « C’est dommage de voir le patrimoine partir en miettes ! Ces bâtiments ont résisté à AZF5 » regrette Nadia. « C’est toute une vie qu’ils cassent, des générations qui se sont succédé. Parfois, les grands-parents ont construit le quartier » analyse Jean-Louis. « La destruction du quartier, ce n’est pas que la gentrification, c’est la destruction de leur inscription dans l’histoire du pays. Si tu rases régulièrement les lieux où les gens créent leur histoire, c’est facile de dire qu’ils n’en ont pas. Il y a la volonté d’empêcher un certain nombre de gens de dire : on est d’ici. On fait comme si ça n’avait pas existé. C’est une décision politique et pas économique (mais qui va quand même enrichir les promoteurs). Une métropole riche comme Toulouse, vitrine des industries de pointe, n’a pas de place pour les pauvres. »
Discipliner la jeunesse des quartiers populaires
Disperser et isoler une population qu’on ne veut plus voir ne suffit pas. Pour qu’elle disparaisse non seulement physiquement mais aussi symboliquement, il faut aussi discipliner et normaliser les enfants de celles et ceux qu’on soupçonne de n’avoir pas suffisamment prêté allégeance à la République. Souvent, les descendant·es de celles et ceux qu’elle a colonisé·es. Dans cette optique, le deuxième volet du projet dit de « mixité sociale » prend tout son sens. À la manœuvre, la même idée républicaine que celle qui, de la Bretagne au Sénégal, pour mieux assimiler les populations, faisait pendre au cou des élèves des objets humiliants quand ils parlaient une autre langue que le français.
« L’idée de mixité a remplacé celle d’intégration car ils ont échoué. »
Pour annoncer la fermeture des deux collèges du Mirail, Bellefontaine et Raymond Badiou, le Conseil départemental organise en octobre 2016 une grande réunion. La citation choisie sur la première diapositive de la présentation ne manque pas d’interpeller parents et habitant·es du quartier présent·es. Alors que le souvenir des attentats de 2015 est très présent, ils voient s’afficher sur l’écran du vidéoprojecteur ces mots qui font mal : « La ségrégation sociale est une bombe à retardement pour la société française6… » Les expressions « cocotte-minute », « situation explosive », « collège-ghetto » sont également employées. « On te traite de ghetto, tes enfants de bombe à retardement, de danger pour la République » s’emporte Nadia. « Il est bien le quartier, c’est convivial. Il y a beaucoup d’activités, de centres sociaux. Les gens s’entraident. La mixité est déjà là. L’idée de mixité a remplacé celle d’intégration car ils ont échoué. Mais ce n’est pas de la vraie mixité, c’est je décide pour toi
. »
Samira* aussi s’indigne : « Les gens pensent la mixité en fonction de ce qui les arrange. C’est quoi ? selon les revenus ? selon la culture ? Mais le Karim de Cugnaux7, ce n’est pas le Karim de la Reynerie. Ici on a une forme de mixité déjà. J’aimerais bien savoir quel est l’objectif de cette mixité dont ils parlent. Ça marchait bien, ce qu’il y avait, toutes les structures nécessaires étaient à proximité ». La quarantenaire précise que parmi sa vingtaine de nièces et neveux, seul·es trois habitent encore en HLM. Certain·es sont devenu·es médecins, fonctionnaires… Parlant de ses enfants, elle ajoute : « Moi j’ai deux pépites à la maison, mais on m’a aidé à les faire émerger, c’est tous les gens autour, à l’école, à la bibliothèque, au centre de loisirs… On entend que des choses négatives, on a l’impression que ce qui fonctionne on ne veut pas en parler. Mais pour 90 % ça marche, c’est sur les 10 % qu’il reste qu’il aurait fallu concentrer les moyens. »
Le projet du département pour les collèges se déroule en deux étapes. D’abord, une fermeture progressive des établissements. Le millier d’élèves qui aurait dû y être affecté est envoyé en bus scolaire dans onze collèges plus « favorisés » de la ville. Pascal, ancien enseignant du collège de la Reynerie, renommé Raymond Badiou en 2012 pour le « détacher » du quartier, explique : « Jusqu’en 2016, date de la fermeture annoncée de Badiou, c’était dans ce collège qu’il y avait le moins de demandes de dérogations. Les gens restaient. Cette décision politique est arrivée après les attentats. Ils ont voulu créer un ennemi : les quartiers et les établissements dits fortement ségrégués. »
C’est une stratégie de dilution : les pouvoirs publics font le pari que, coupés de leurs pairs et de leur ancrage territorial, les élèves du Mirail adopteront par « ruissellement » les habitus des enfants de milieux sociaux davantage privilégiés — ou en tout cas, plus conformes à l’idée que la République se fait de sa jeunesse. Bien que le département comme l’Éducation nationale vantent la réussite de leur projet, aucune étude sérieuse n’a encore été menée sur l’impact de ce dispositif. Du côté des opposants, on considère que les progrès scolaires des enfants n’ont rien de spectaculaire. Surtout, un certain nombre de celles et ceux qui n’ont pas su se plier assez aux nouveaux codes de leurs établissements d’accueil se sont retrouvés exclus. Les conséquences sur les rythmes des enfants sont par contre assez simples à observer : obligés de se lever beaucoup plus tôt pour prendre le bus, ils rentrent souvent trop tard pour pouvoir pratiquer des activités extra-scolaires. De ce fait, la socialisation avec d’autres enfants du quartier se réduit fortement, tandis que celle avec les enfants des collèges d’accueil n’a lieu que de 8 heures à 17 heures les jours de semaine.
« Au début il y a eu le logement, puis ça a été le collège. »
Dans un même temps, deux nouveaux collèges ont été construits en périphérie sud du quartier. Ils ont ouvert leurs doubles grilles à la peinture grise flambant neuve à la rentrée 2022. La carte scolaire a été pensée pour y mélanger quelques enfants du Mirail avec les enfants des quartiers pavillonnaires du sud de Toulouse. Mais la mayonnaise a du mal à prendre, notamment parce que l’Éducation nationale, au-delà des discours de façade, n’a pas mis les moyens suffisants, et que le brassage social repose sur des dynamiques bien plus complexes que le simple Indice de positionnement social (IPS) dont on croit qu’il peut servir d’indicateur sur le niveau de difficulté des élèves — il sert désormais aussi à classer les établissements, renforçant les phénomènes d’évitement de certaines écoles. Le sociologue Bernard Lahire l’a bien montré dans son livre Enfance de classe : capital économique et capital culturel ne forgent pas les mêmes habitus, notamment en termes d’adaptation aux normes scolaires8
Si certains parents soutiennent l’action du département, pensant que cela pourra favoriser la réussite individuelle de leur enfant, d’autres, comme Nadia, n’ont guère eu de difficulté à faire le lien entre les différents projets dans le quartier. « Au début il y a eu le logement, puis ça a été le collège. Ils ne nous ont pas dit tout de suite à nous parents du primaire que nos enfants devraient se lever à 6h du matin pour partir à Balma9. Ils ont dit, on va vous envoyer un bus place du souk. Moi je ne connais pas ce lieu, place du souk. Ils voulaient parler du marché. Ils ont dit, il faut arrêter de côtoyer Fatima et Mohammed, il faut côtoyer Jean et Paul. On nous a imposé cette décision. On nous a dit que c’était à nous de nous déplacer, que les gens ne veulent pas venir ici. »
Un collectif s’est monté pour tenter de faire abandonner le projet. À la Reynerie, la lutte pour conserver le collège se croise avec celle pour empêcher les destructions d’immeubles. « On a mené une belle bataille en 2017. C’était magnifique. On était sans repos, sans répit. Juste parce qu’ils nous ont traité de bombes à retardement
. Quand j’entends ça, ça me donne le sentiment que je ne suis rien. On décide du sort de mes enfants. C’est une façon de nous rabaisser, de nous dire : Vous n’êtes que des Arabes.
Ils plaquent sur nous des schémas. Moi je m’intègre comme je veux, avec ce que je fais dans ma vie ». À l’ouverture des deux nouveaux collèges, 70 habitant·es du Mirail ont demandé une dérogation pour que leurs enfants puissent y être scolarisés, plus près de chez eux. Parmi ces demandes, 68 ont été refusées par l’Éducation nationale, au prétexte que cela déséquilibrerait la « mixité sociale ». Le collège de la Reynerie, le premier à avoir été vidé de ses élèves, sera finalement démoli en septembre 2022.
Des habitant·es déterminé·es à lutter
La lutte de l’Assemblée des habitant·es de la Reynerie est efficace. Elle se mobilise en 2017 contre la destruction annoncée de l’immeuble Messager, où vivent encore aujourd’hui 17 foyers. Après une enquête d’utilité publique, Michel Jones, commissaire chargé de l’enquête, retoque le projet cette même année. La lecture de son rapport laisse apparaître un dossier bâclé sur de nombreux aspects, notamment celui de l’impact humain où les études menées s’avèrent particulièrement lacunaires. Le commissaire enquêteur pointe du doigt la contradiction entre l’objectif affiché de mixité sociale et le fait que les travaux effectués jusque là se sont avérés peu concluants. Pire, pour lui, la fermeture des collèges du quartier le rendra encore moins attractif. Le rapport est émaillé de constats édifiants. Il souligne notamment le fait que les habitant·es ne sont pas convaincus par le projet, et que l’argument de l’insécurité ne justifie en rien qu’on démolisse les bâtiments, mais devrait plutôt être réglé par un plus grand engagement des autorités. Le commissaire enquêteur pointe également que l’alternative de la réhabilitation n’a pas été suffisamment étudiée. Il « juge que de ramener la part de logements sociaux à 50 % en utilisant des démolitions c’est le rejet de l’aspect humain, signalé par les habitants, sur un quartier dont les caractéristiques socioéconomiques n’ont pas évolué depuis la mise en œuvre des politiques de la ville ». Il « constate que la mixité recherchée conduit à isoler les familles de tout leur réseau relationnel qu’elles peuvent avoir sur le quartier ». Et le commissaire enquêteur de conclure sur ces mots : « Les études sur le projet de renouvellement urbain ont malheureusement négligé les aspects socio-économiques de l’habitat pour privilégier l’urbanisme et l’environnement qui sembleraient les seules options pour une requalification du quartier. »
« Les démolitions coûtent cher, avec l’argent qui y est consacré on pourrait construire des logements qui correspondent à cette mixité dont tout le monde parle. »
Face à ce camouflet, les pouvoirs publics se sont empressés de commander une nouvelle étude plus complaisante, qui, cette fois, a émis un avis positif en 2021. Les nouvelles démolitions sont donc imminentes. Les habitant·es du quartier voisin, Bellefontaine, voient eux aussi ces échéances se rapprocher. Les mêmes plans de reconstruction sont en train d’être mis en œuvre, avec les mêmes acteurs, bailleurs sociaux et pouvoirs publics. Rebecca y habite depuis 2001. Elle nous explique que les démolitions prévues pour 2024-2025 ont été reportées à 2028. Mais depuis quelque temps, dans sa résidence, tout se dégrade. Les ascenseurs sont systématiquement en panne, depuis des années pour l’un d’eux. Leur fonctionnement est aléatoire et ils ne desservent pas les étages, ce qui cause des problèmes pour les personnes à mobilité réduite. L’hygiène est un réel souci : les nuisibles, insectes et rats, commencent à proliférer. « Même si ils prévoient de démolir, ceux qui restent devraient pouvoir vivre dans de bonnes conditions » affirme la jeune femme. « En plus, on change les enfants d’école comme des pions dans un jeu d’échec. »
Les espoirs de l’Assemblée des habitant·es reposent désormais sur le travail du « Collectif des Architectes en défense du patrimoine architectural de l’équipe Candilis-Josic-Woods au Mirail ». Ce groupe d’architectes, dont le soutien « leur a donné de la force », estime que les politiques de démolition sont obsolètes. Il rejoint en cela le point de vue du sociologue Renaud Epstein : « Pour la rénovation urbaine on a investi 50 milliards d’euros. Il fallait démolir de façon ambitieuse, avec l’idée qu’en transformant la forme urbaine on allait transformer l’image et en transformant l’image on allait attirer d’autres populations moins pauvres, moins colorées, et que la production de cette mixité sociale tant désirée allait résoudre tous les problèmes. Au bout de vingt ans de cette politique la transformation urbaine a transformé l’urbanisme de près de 500 quartiers à coup de démolitions et de reconstructions plus ou moins réussies. Mais ça n’a pas changé l’image de ces quartiers, ça n’a pas changé leur peuplement. »
Le collectif a élaboré un contre-projet de réhabilitation en montrant que les démolitions constituaient une aberration économique, écologique, architecturale et sociale. Ils ont reçu le soutien du conseil régional de l’ordre des architectes mais aussi de la présidente de région, la socialiste Carole Delga10 et du député de la NUPES François Piquemal11. Des architectes de renom comme Jean-Philippe Vassal, Anne Lacaton, Frédéric Borel pointent eux aussi ce qu’il y a d’aberrant à détruire un tel patrimoine architectural. « Nous voulons obtenir un moratoire sur les démolitions et lancer un concours d’architecture et d’urbanisme pour la requalification urbaine et la réhabilitation du quartier de La Reynerie et de Bellefontaine sans démolition. Les appartements sont spacieux, ventilés et éclairés de part et d’autres des façades, bien distribués et insonorisés. Il y a des arbres qui ont plus de soixante ans pour faire baisser la température. C’est le quartier le mieux étudié sur un plan environnemental à Toulouse », déclare en ce sens l’architecte Michel Retbi. Il est temps que la ville se fasse par ses habitant·es12.
Si les pouvoirs publics savent discréditer leurs opposant·es quand ils appartiennent au groupe même qu’ils stigmatisent, il est plus difficile pour eux d’étouffer les voix de professionnel·les adoubé·es par l’institution. Encore plus quand ils reçoivent le soutien du prix Pritzker (l’équivalent du Nobel en architecture) Jean-Philippe Vassal. Lors d’une encontre autour de la question de l’héritage des grands ensembles, le manque de logements et la perspective de démolitions programmées à la cité de Saige de Pessac, celui-ci résumait le bilan de la politique de l’ANRU : « Globalement, on a dépensé 50 milliards pour perdre 20 000 logements. 160 000 démolis, 140 000 reconstruits. C’est un gâchis considérable. Les démolitions coûtent cher, avec l’argent qui y est consacré on pourrait construire des logements qui correspondent à cette mixité dont tout le monde parle. En réalité la mixité dont les gens parlent c’est une mixité qui consiste à dire on fait partir ceux-là et on met ceux-là à la place
. C’est tout à fait l’inverse de la mixité. » Pour Jean-Louis du collectif d’habitant·es, cette mixité sociale tant vantée est une chimère : « Au nom de la mixité sociale ils détruisent quartiers et bâtiments, ils piétinent la vie des gens. Quand quelqu’un a peu de moyens, il doit accéder à un certain nombre de choses, et ça, ça ne changera pas. Les gens qui ont de l’argent, même involontairement, impactent leur quartier et font partir les plus pauvres. La mixité sociale n’a jamais existé et n’existera jamais. Les communes suivent l’offre et la demande. Dans les quartiers riches personne ne demande la mixité sociale. »
Photographie de bannière : Loez | Ballast
- Les prénoms suivis de * ont été modifiés pour protéger l’anonymat des personnes.[↩]
- Voir sur le site du magazine Boudu ici et là.[↩]
- Le 29 novembre 2022, il démissionne de toutes ses fonctions d’élu, confiant « être un peu fatigué et ressentir une certaine usure du pouvoir ».[↩]
- Jérôme Beauchez, Les Sauvages de la civilisation, Regards sur la zone d’hier à aujourd’hui, Amsterdam, 2022.[↩]
- En référence à l’explosion de l’usine de production d’engrais azotés AZF, située à Toulouse, le 21 septembre 2021, entraînant la mort de 31 personnes et faisant 2 500 blessés.[↩]
- Source de cette expression : « Constats sur la mixité sociale en France », juin 2015 Nathalie Mons, Présidente du Cnesco (Conseil national de l’évaluation du système scolaire).[↩]
- Commune de l’agglomération de Toulouse, où vivent des classes aisées.[↩]
- Lahire B. (dir.), Enfances de classe. De l’inégalité parmi les enfants, Seuil, 2019.[↩]
- Quartier aisé à l’est de la ville. Temps de trajet estimé entre la Reynerie et Balma : 30 minutes en voiture.[↩]
- Carole Delga se situe à la droite du PS. Elle a par exemple refusé un accord avec la NUPES aux élections législatives de 2022, qui aurait permis de contrer l’extrême droite.[↩]
- Auparavant figure active de l’association Droit au logement (DAL), qui soutient les habitant·es dans leur lutte.[↩]
- Lutter pour la cité — Habitant·es face à la démolition urbaine, Éditions de la dernière lettre, 2022.[↩]
REBONDS
☰ Lire notre article « Le triangle — une marche dans Aubervilliers », Loez, juin 2022
☰ Lire notre article « Misery business, à qui profite l’économie sociale et solidaire », Jérémie Rochas, mars 2022
☰ Lire notre entretien avec le DAL : « Encadrer à la baisse les loyers sur tout le territoire », novembre 2017
☰ Lire notre entretien avec Tactikollectif : « Les anticapitalistes n’ont pas fait le travail dans nos quartiers », octobre 2017