Traduction d’un article de Sun Miu | Ballast
4 juin 1989 : sous les ordres du Parti communiste chinois, l’armée ouvrait le feu sur les étudiants, les travailleurs et les autres citoyens rassemblés sur la place Tian’anmen, à Pékin. Le nombre de victimes demeure inconnu, mais il s’est vraisemblablement élevé à plusieurs milliers de morts (le pouvoir chinois dénombre 241 décès et les estimations étrangères autour de 10 000). La chasse répressive avait commencé depuis plusieurs jours déjà, matant celles et ceux qui avaient participé à l’éclosion d’un ample mouvement de démocratie spontanée. « Porte de la paix céleste » : tel est le nom ironique de ce haut lieu de l’Empire chinois qui a accueilli cet épisode dont le spectre n’a cessé de hanter, en Chine, les bureaucrates du Parti. En ce jour de « commémoration », le récit du 4 juin est souvent recouvert, en Occident, d’un épais brouillard libéral, quand, en Chine, il est enfoui sous un silence assassin. Mais le mouvement démocratique de 1989 gagnerait en intelligibilité si nous interrogions à nouveaux frais sa portée révolutionnaire et ses faiblesses. Pour engager un pas en ce sens, nous traduisons du chinois ce texte d’analyse écrit l’année des faits par le militant socialiste Au Loong-Yu, alors membre du collectif Sun Miu. L’optimisme et les erreurs de diagnostic qui achèvent ses lignes, portées par l’espoir et l’illusion d’une histoire linéaire, sonnent pour le moins tristement aujourd’hui ; elles témoignent cependant des possibles non advenus que le mouvement couvait.
Le mouvement de 19891 qui vient de déferler sur la Chine a peut-être échoué, mais sa signification historique est immense. Il a réveillé le peuple chinois, et tout particulièrement la classe des travailleurs ; ce faisant, il a pavé la voie à un futur mouvement démocratique qui sera encore plus puissant.
Jusqu’en 1976, la pensée de Mao Zedong, qui incarnait l’orthodoxie du Parti, dominait toute la Chine — innombrables étaient ses partisans et adeptes. Les événements de la place Tian’anmen survenus en 19762 inaugurèrent l’éveil populaire : elles représentaient l’anéantissement de l’illusion maoïste. Cependant, aussitôt les anciennes illusions défaites, de nouvelles furent forgées, d’abord autour de Zhou Enlai, puis de Deng Xiaoping3. Au lieu de mener la lutte indépendamment et en s’appuyant sur leurs propres forces, beaucoup reportèrent leurs espoirs sur la « réforme interne du Parti ». Raison pour laquelle le mouvement démocratique de 19784 ne trouva d’écho véritable ni chez les travailleurs, ni chez les étudiants, et demeura extrêmement limité. Cela étant, l’autorité de Deng Xiaoping était incomparable à celle de Mao Zedong. L’un tirait son autorité de son statut de guide révolutionnaire, tandis que l’autre s’en était forgé une au milieu de crises politiques multiples sur la base d’une « restauration » (zhongxing 中興). Si même l’autorité de Mao pouvait être brisée, celle de Deng devait l’être à plus forte raison. Le mouvement étudiant de 19865 avait déjà un caractère autonome très marqué. Certes, les étudiants s’écriaient encore « Xiaoping, bonjour ! » (« xiaoping, ninhao 小平,您好 »), mais leurs revendications étaient animées par un profond élan contestataire. Ils réclamaient la liberté de la presse et la divulgation de documents personnels d’officiels [du Parti] ; certains allaient même jusqu’à revendiquer l’institution d’un système multipartite. C’est à travers l’action concrète qu’ils ont exprimé ces revendications, et non en plaçant naïvement leurs espoirs en la personne de Deng.
« Osons l’affirmer : le mouvement démocratique de 1989 a inauguré une nouvelle ère en Chine, le peuple s’était idéologiquement émancipé du contrôle du Parti. »
Quant au mouvement de 1989, la lutte qu’il menait avait été dès le départ portée par un puissant esprit d’indépendance. De fait, il s’était tôt débarrassé de l’illusion Deng Xiaoping, et était même implicitement dirigé contre lui, sans par ailleurs nourrir d’illusions manifestes à l’égard de la soi-disant « tendance réformiste » portée par Zhao Ziyang6 au sein du Parti. Les acteurs du mouvement ne s’appuyaient sur aucune tendance interne au Parti, tout en poussant ce dernier, à travers l’action concrète, à faire des concessions. Voilà ce qui était nouveau. Mao Zedong, Zhou Enlai et Deng Xiaoping furent à tour de rôle les idoles du peuple — idoles dont le Parti communiste s’est servi pour tromper le peuple. Désormais, le Parti ne disposerait plus jamais de telles idoles ! Le peuple n’avait plus aucune confiance en lui. Le succès authentique de tout mouvement démocratique révolutionnaire repose avant tout sur la destruction des vieilles orthodoxies et des vieilles idoles, sur la dissipation des illusions dont se nourrissait le peuple. Aujourd’hui, les masses populaires chinoises ont d’ores et déjà franchi cette étape. Le 20 mai, le Parti proclamait la loi martiale tandis que le mouvement réclamait la destitution de Li Peng [Premier ministre depuis 1987, ndlr] ; après le massacre du 4 juin, il appelait au renversement du gouvernement par le peuple. Un pas supplémentaire était franchi dans l’anéantissement des anciennes illusions. Osons l’affirmer : le mouvement démocratique de 1989 a inauguré une nouvelle ère en Chine, le peuple s’était idéologiquement émancipé du contrôle du Parti et ne ferait désormais plus confiance qu’en ses propres forces. Il va sans dire que, sans une stratégie de lutte pertinente, cela ne saurait suffire. Mais, quoi qu’il en soit, saluons déjà l’avancée décisive qu’à constituée ce mouvement.
Maturation de l’esprit démocratique
À considérer les premières revendications formulées le 27 avril, les étudiants ne demandaient guère de manière directe l’institution de la démocratie. Même lorsque le mouvement s’est radicalisé jusqu’à appeler à la destitution de Li Peng, il s’agissait tout au plus de chasser individuellement un dirigeant et non de destituer le gouvernement dans son entièreté — on ne parlait pas encore d’instituer la démocratie. Arriva le 4 juin : les étudiants voulaient alors effectivement renverser le gouvernement, mais étaient sur le point d’être écrasés. Outre la répression qui s’en est suivi, le mouvement a indéniablement révélé combien la conscience démocratique du peuple était profonde. « L’époque où l’on pouvait s’en remettre à un Bao Zheng [fonctionnaire impérial de la dynastie Song (XIe siècle) connu pour son intégrité et sa sagesse, ndlr] est d’ores et déjà révolue » : voilà ce qu’ils proclamaient à haute voix. D’un côté, ils voulaient instituer un système démocratique et non pas simplement placer tel dirigeant au pouvoir pour en démettre un autre ; de l’autre, ils affirmaient que la démocratie et la liberté étaient leur droit naturel et non des bienfaits octroyés par les plus hautes autorités. Enfin, c’est par l’action concrète qu’ils s’opposaient à l’interdiction de manifester et à la proclamation par les autorités de la loi martiale, en en montrant le caractère profondément illégal.
[Sit-in face à l'armée devant l'un des QG du Parti communiste, le 1er juin 1989 | Peter Charlesworth | LightRicket]
Si les slogans anti-Deng ne sont pas devenus les slogans officiels de la Fédération autonome des étudiants (gaoxiao lian 高校聯)7 ou de la Fédération autonome des travailleurs (gongzi lian 工自聯)8, on pouvait les entendre résonner dans toutes les manifestations. Ces quarante dernières années, la politique en Chine a connu de terribles régressions — à tel point que de nombreux réflexes féodaux ont refait surface. L’opposition frontale aux plus hauts dirigeants n’était autre que l’interdit suprême. Pourtant, le mouvement a dès le début été dirigé de manière non officielle contre Deng Xiaoping, en lui demandant de prendre sa retraite. Ce fait est sans précédent dans l’histoire de la République populaire de Chine, comme est sans précédent l’audace qui a porté les étudiants à demander un dialogue public avec les dirigeants.
À l’évidence, leur connaissance du contexte historique et de la substance concrète du système démocratique est demeurée superficielle, mais leur esprit démocratique a considérablement mûri. Ce qui est d’autant plus précieux, c’est qu’ils ont déjà fait eux-mêmes l’expérience de l’autonomie démocratique. Les étudiants et les travailleurs ont, les uns après les autres, mis en place des assemblées autonomes. Dans cet interstice où le gouvernement communiste s’est trouvé dans l’impasse et momentanément paralysé, ils ont réellement mis en pratique l’autonomie : ils se chargeaient eux-mêmes de l’approvisionnement en aliments et en eau, ils dirigeaient eux-mêmes la circulation. Que les choses aient été faites dans la précipitation des événements a fatalement induit de nombreuses imperfections dans le fonctionnement de ces organisations, mais le fait que le peuple institue ses propres organisations constitue en soi un geste pionnier.
« Le fait que le peuple institue ses propres organisations constitue en soi un geste pionnier. »
Avant le 27 avril, les étudiants étaient les acteurs principaux du mouvement. Si l’éditorial [du Quotidien du Peuple] du 26 avril9 provoqua leur fureur, il suscita une indignation encore plus forte du côté des travailleurs et des citadins qui ne faisaient jusqu’alors que sympathiser passivement avec les étudiants. Des millions d’habitants de la capitale descendirent dans la rue pour fraterniser avec les étudiants et les aider à briser la ligne de blocus. Les travailleurs, eux, quoique cantonnés provisoirement à un rôle secondaire, faisaient enfin leur entrée sur la scène de l’histoire : le mouvement démocratique de 1978 n’avait ni le soutien des étudiants, ni celui des travailleurs ; celui de 1986 ne comprenait que les étudiants et n’était pas soutenu par les travailleurs — le 27 avril constitua donc, à ce titre, un véritable tournant. Le 13 mai, les étudiants proclamèrent le début de la grève de la faim. Au bout de cinq jours leur vie était en jeu. En demeurant ferme et impassible jusqu’au bout, la réaction du Parti communiste provoqua la manifestation massive du 17 mai — trois millions de personnes y participèrent. Cette fois les travailleurs étaient entrés dans l’action de masse ! Ils étaient désormais l’un des acteurs principaux du mouvement.
Étant donné le poids décisif des travailleurs dans la production industrielle, la pire crainte du Parti était qu’ils s’unissent aux étudiants. Et c’est ce qui advint. N’oublions pas que la conscience politique des travailleurs chinois, et à plus forte raison leur conscience démocratique, étaient jusqu’alors fort superficielles. S’ils n’étaient depuis longtemps plus satisfaits du gouvernement du Parti communiste, ils ne pratiquaient que des formes de résistance individuelles fondées sur le sabotage ouvrier. De telles pratiques ont certes renforcé les menaces pesant sur le Parti, mais ont aussi contribué à l’érosion d’une conscience collective de lutte qui était déjà très embryonnaire.
[Intervention de soldats sur la place Tian'anmen, le 4 juin 1989 | Catherine Henriette | AFP]
Heureusement, les étudiants ont progressivement réussi à réveiller les travailleurs de leur torpeur et, ces derniers, dès l’instant où ils sont entrés en scène, se sont appuyés sur leur propre qualité de producteurs pour apporter une contribution décisive au mouvement. La grève condamnait la ville de Pékin à une paralysie partielle et accroissait la crise qui affectait le Parti ; les salariés du transport avaient conduit leurs bus sur place pour bloquer les véhicules militaires ; certains ouvriers d’usine s’étaient emparés des moyens de production pour fabriquer des armes de protection en bois destinées aux étudiants et aux travailleurs ; les employés du métro refusaient de transporter les militaires. Fait d’autant plus remarquable, la classe des travailleurs commençait à formuler ses propres revendications. Les tracts de la Fédération autonome des travailleurs accusaient le Parti d’avoir usurpé sa prérogative quant à la gestion des richesses nationales ; ils réclamaient le droit pour les travailleurs de prendre en charge les entreprises d’État ; ils clamaient, enfin, qu’il était nécessaire de chasser les bureaucrates parasites. Ainsi les fondements de la domination du Parti communiste étaient mis à nu.
Une révolution qui commence…
On peut dire que le 17 mai inaugura la Révolution chinoise, et que la proclamation de la loi martiale du 20 mai constitua un pas supplémentaire au sein du processus révolutionnaire. Certes, à ne s’en tenir qu’aux objectifs déterminés par ses leaders, le mouvement était toujours, à ce moment-là, réformiste. Il ne demandait pas encore le renversement du Parti communiste mais simplement la destitution de Li Peng du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale10. Toutes les revendications se faisaient encore sur la base de la législation du système existant. Mais du point de vue de la situation globale, surtout à considérer l’opposition frontale entre le Parti et le mouvement démocratique, la révolution avait indubitablement commencé. D’un côté, les travailleurs et les étudiants s’étaient unis, avaient leurs organisations autonomes et étaient déterminés à faire reculer les autorités (après le 20 mai, ils menèrent des initiatives extraordinaires telles que le blocage des véhicules militaires) ; de l’autre, le Parti, face à la radicalisation du mouvement, devait affronter des dissensions internes, qui se propagèrent d’ailleurs rapidement de la base jusqu’au sommet. À ce stade, Zhao Ziyang n’était déjà plus derrière Deng Xiaoping.
« Du point de vue de la situation globale, surtout à considérer l’opposition frontale entre le Parti et le mouvement démocratique, la révolution avait indubitablement commencé. »
Le Parti faisait face à une crise d’une gravité extrême : toute tentative d’apaisement mais aussi toute tentative d’intimidation était désormais sans effet. Le mouvement respectait encore la légitimité du gouvernement mais en reniait l’autorité — toutefois, à l’évidence, qu’une révolution commence ne signifie pas nécessairement qu’elle sera poursuivie et menée jusqu’à son terme. Quoi qu’il en soit, les dirigeants avaient compris qu’il n’était plus possible de continuer à gouverner en suivant les anciennes méthodes, tandis que les sujets du pouvoir sentaient de leur côté que la situation ne pouvait perdurer. Ainsi, si le peuple n’appelait pas encore explicitement à la révolution, l’opposition radicale entre les deux parties allait tôt ou tard mettre la question révolutionnaire à l’ordre du jour : ou bien le peuple se levait immédiatement pour faire la révolution, ou bien il devait subir une répression sanglante.
… et sa fin inéluctable
En dépit de ses nombreuses faiblesses, le mouvement démocratique de 1989 est devenu un mouvement héroïque. Mais nul ne peut se dérober au tribunal de l’Histoire : il faut regarder ses faiblesses en face. Si celles-ci n’ont pas été importantes au point de faire avorter le mouvement prématurément, il n’en reste pas moins qu’elles rendaient son échec inévitable ; pire encore : plus le mouvement gagnait en puissance, plus sa défaite allait être cruelle.
Comme nous l’avons déjà suggéré, le mouvement inauguré le 27 avril était dès le départ réformiste. D’un point de vue stratégique, il reprenait un pacifisme et un gandhisme consubstantiels au réformisme : il clamait qu’il n’allait jamais recourir à la force et s’opposait même fermement à l’autodéfense. Ainsi demandait-il aux participants du mouvement de « ne pas répondre aux insultes, ne pas riposter contre les coups ». À suivre les explications des leaders étudiants, il fallait qu’il persévère dans le pacifisme, or « la règle cardinale de la paix, c’est le sacrifice ». Si l’on suit une telle injonction, le sacrifice devient l’objectif ultime et n’est plus un moyen. Leur gandhisme était si tenace que le 3 juin, lorsque le Parti ne se contenta plus d’« insulter » ou de « donner des coups » mais sortit les tanks, une grande partie des étudiants s’opposaient encore aux travailleurs et aux citadins qui voulaient lutter contre le massacre avec les armes — les armes dont ceux-ci s’étaient emparés avaient été brûlées. Certains étudiants tenaient même ardemment à protéger ces conducteurs de tanks qui avaient déjà fait tant de victimes. Bien sûr, d’autres étudiants, aux côtés des travailleurs, prirent les armes et s’engagèrent dans une lutte à mort avec l’armée. Ainsi, dès le début du massacre, le mouvement était sans le savoir divisé quant à la stratégie de lutte à adopter. Certains restèrent campés sur leur gandhisme, d’autres l’abandonnèrent.
[Place Tian'anmen, le 1er juin 1989 | Peter Charlesworth | LightRocket]
Dès le 23 mai, nous [la rédaction de Sun Miu] avions publié un article dénonçant ce gandhisme comme une aberration : il pouvait certes susciter la sympathie des gens mais conduisait inéluctablement à la défaite. D’un côté nous avions la brutalité nue de dirigeants armés jusqu’aux dents ; de l’autre, un peuple sans défense. Un peuple qui à la fois demandait au gouvernement de reculer et proclamait qu’il n’userait en aucun cas de la force, y compris comme autodéfense : comment était-il possible, dans ces conditions, qu’il l’emporte ? Comment pouvait-on croire qu’il était possible de faire reculer ainsi les dirigeants ? Les faits ont montré non seulement que le peuple ne pouvait pas triompher, qu’il était condamné à la défaite, mais aussi que sa défaite allait s’avérer profondément tragique.
Bien sûr, même si le mouvement avait très tôt adopté la bonne stratégie et s’était préparé à l’autodéfense armée, la défaite aurait peut-être été difficilement évitée. Mais mieux vaut être défait en ayant combattu que sans avoir combattu du tout. Si la lutte armée ne conduit pas nécessairement à la victoire, elle la rend néanmoins possible, même à une échelle infime ; quant à la posture pacifiste, elle conduit fatalement à la défaite. Ces deux alternatives impliquent toutes deux de grands sacrifices, mais le sacrifice du pacifiste est une mort vaine. Il est sans effet.
En réalité, le 4 juin, à l’heure où le massacre s’achevait, même la Fédération étudiante était sur le point d’abandonner le gandhisme et d’appeler officiellement au renversement du gouvernement de Li Peng. Autrement dit le mouvement était en train d’emprunter explicitement une voie révolutionnaire — mais cette mue venait trop tard. Le renversement du gouvernent requérait une préparation de longue haleine, or c’est contre une telle préparation que l’action de la Fédération étudiante s’était entièrement engagée durant tous ces mois ; ses illusions pacifistes ont conduit le peuple à baisser sa garde, à paralyser sa pensée. Quand le peuple se réveilla enfin et voulut renverser le régime par les armes, il ne disposait ni des moyens matériels ni de la préparation mentale nécessaires à la bataille.
*
Le mouvement populaire de 1989 a provisoirement échoué mais il a brisé toutes sortes d’illusions réformistes : désormais, le peuple est déterminé à devenir son propre maître. Tous ceux qui auront traversé cette expérience continueront certainement à lutter, tout en tâchant de surmonter les faiblesses qui ont été les leurs au cours de ce mouvement. Chaque échec les rendra plus fort — la lutte continue.
Traduit du chinois par la rédaction de Ballast |« 八九民運的成就和弱點 », Sun Miu 新苗社, n° 12 (1989), republié et traduit en anglais par Lausan le 4 juin 2022.
Photographie de bannière : arrivée des chars du régime sur l’avenue Changan, le 4 juin 1989 | Peter Charlesworth | LightRocket
Photographie de vignette : évacuation d’un manifestant blessé le 4 juin 1989 | Peter Charlesworth | LightRocket
- Ce mouvement est né dans un contexte de contestations protéiformes. L’année 1988 voit s’ajouter de mauvaises récoltes agricoles et la menace d’une hyper-inflation au problème irrésolu de la corruption des cadres du Parti. Des émeutes éclatent également au Tibet en mars, suivies de la proclamation de la loi martiale dans la région. S’agissant des étudiants, on se prépare à célébrer le centenaire du grand mouvement du 4 mai 1919. C’est la mort de Hu Yaobang, figure réformiste du gouvernement, le 8 avril 1989, qui agit comme catalyseur. Du 15 avril au 4 juin, le mouvement prend de l’ampleur et la population s’allie aux étudiants contestataires. Parmi ces derniers, plusieurs milliers entament une grève de la faim le 13 mai ; des centaines d’entre eux seront hospitalisés avant que le Parti ne déclare la loi martiale et ne vide par la force la place Tian’anmen, dans la nuit du 3 au 4 juin [ndlr].↑
- En avril 1976, quelques mois avant la mort de Mao et la fin officielle de la Révolution culturelle, de nombreuses manifestations ont lieu partout en Chine pour critiquer l’aile gauche du Parti, c’est-à-dire l’aile maoïste radicale. Ce mouvement, nullement révolutionnaire, a d’abord émergé comme un hommage au Premier ministre Zhou Enlai, décédé le 8 janvier, et à son programme des « Quatre modernisations », que Deng Xiaoping mettra en œuvre dans les années 1980 avec l’ouverture économique du pays. Le mouvement a été réprimé [ndlr].↑
- Deng Xiaoping, victime politique de la Révolution culturelle maoïste, a opéré un retour en force à partir de 1978. Pendant une quinzaine d’années, il bâtira une ligne dite « pragmatique » et constituera la tête de proue des réformes économiques que la Chine a connues, avec l’ouverture de Zones Économiques Spéciales et une décollectivisation progressive des moyens de production. On lui doit le concept saugrenu d’« économie socialiste de marché » et l’érection d’une croissance à deux chiffres comme principe politique cardinal. On lui doit aussi la répression du printemps de Pékin en décembre 1979 [ndlr].↑
- Un vent démocratique souffle sur la Chine des années 1977–1979 : en novembre 1978 commence le mouvement du « Mur de la démocratie », aussi appelé « Printemps de Pékin », qui permettra l’expression de multiples points de vue, du marxisme antibureaucratique jusqu’au libéralisme orthodoxe. Mais ce mouvement sera lui aussi réprimé sévèrement, avec de multiples arrestations ordonnées dès mars 1979. Wei Jingsheng, dissident devenu célèbre, fut condamné à quinze ans de prison en décembre 1979 pour avoir prôné une « cinquième modernisation » : la démocratie [ndlr].↑
- Ce mouvement s’est inscrit dans une période de bouillonnement intellectuel, appelé « courant du Double Cent ». Des intellectuels de renom, comme Fang Lizhi ou Yan Jiaqi, ont mené des discussions et des débats avec certains des cadres les plus réformistes de l’appareil central. On évoquait, dans des cercles universitaires ou littéraires, les politiques de perestroïka et de glasnost tentées par Gorbatchev en URSS, ainsi que la fédération syndicale polonaise Solidarnosc, qui avait mené une lutte massive en 1980. Dans ce contexte de discussions animées, les étudiants ont manifesté dans plusieurs villes de Chine, notamment à Hefei et à Shanghai [ndlr].↑
- Zhao Ziyang, Deng Xiaoping et Hu Yaobang ont été les trois figures réformatrices majeures des années 1980 en Chine, après la mise en retrait progressive de la ligne radicale néo-maoïste. Zhao Ziyang était partisan d’une réforme « ouverte », qui agirait non seulement au niveau économique, mais aussi au niveau politique et administratif – toute proportion gardée, le rôle dirigeant du PCC n’étant pas sujet à débat. Zhao Ziyang a été Premier ministre de 1980 à 1987 puis Secrétaire général du Parti pendant deux ans, avant que les événements de la place Tian’anmen ne précipitent sa chute [ndlr].↑
- Fondée le 21 avril et regroupant de nombreuses universités pékinoises, cette coordination avait pour objectif de nouer un dialogue avec le gouvernement et d’être reconnue comme une organisation légitime. Parmi ses dirigeants, on comptait notamment Wang Dan et Wu’er Kaixi (Örkesh Dölet de son nom ouïghour) [ndlr].↑
- Organisation fondée à la mi-avril 1989, après la mort de Hu Yaobang [ndlr].↑
- Le 26 avril 1989, le Quotidien du Peuple, organe de presse officiel du Parti communiste chinois, publie un texte appelant le Parti et le peuple à s’unir contre le mouvement démocratique, et à s’opposer au « chaos » politique qu’il sème. Le retrait de cet éditorial figurera par la suite dans la liste des douze revendications avancées par les occupants de la place Tian’anmen, aux côtés d’exigences de liberté d’expression, de réhabilitation de Hu Yaobang ou, bien sûr, de démocratisation [ndlr].↑
- Ce Comité se réunit régulièrement, entre les différentes sessions plénières de l’Assemblée populaire nationale, pour décider des réformes du pays [ndlr].↑
REBONDS
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