Les arts martiaux et l’extrême droite


Traduction d’un article de Jacobin | Ballast

« Chez nous, il y a du Rassemblement natio­nal, des les­que­nistes, de l’Action fran­çaise, de la Dissidence fran­çaise », explique un membre d’un grou­pus­cule fas­ciste fran­çais à un jour­na­liste du média d’in­ves­ti­ga­tion StreetPress. Le « com­bat libre » est une de leurs pra­tiques favo­rites. Il auto­rise tous les coups, où presque, et tolère tout type de bles­sure. D’autres mili­tants fas­cistes fran­çais aiment à se retrou­ver dans des « stages » d’en­traî­ne­ment : « Au pro­gramme : boxe anglaise, muay thaï, lutte, grap­pling et MMA. » On y célèbre aus­si le col­la­bo­ra­teur Brasillach ou le bataillon nazi ukrai­nien Azov. De l’autre côté de l’o­céan, aux États-Unis, les arts mar­tiaux mixtes (le MMA, donc) ont conquis un public plus nom­breux que celui de la boxe ou du catch. Ils se sont dotés d’une ligue, l’UFC, dont l’un des plus proches sym­pa­thi­sants n’est autre que l’an­cien pré­sident Donald Trump. Les arts mar­tiaux his­to­riques, très codi­fiés, pro­meuvent des codes moraux stricts — et ont pu faire office de pra­tiques éman­ci­pa­trices ; il n’en est rien, bien sûr, de ces pra­tiques ultra-vio­lentes en essor. Surtout lors­qu’elles influencent les pra­tiques des forces de police. La revue Jacobin en a retra­cé l’his­toire — un texte signé Kurt Hollander, écri­vain et pho­to­graphe étasunien.


Les arts mar­tiaux ont tou­jours été uti­li­sés pour oppri­mer, de façon sys­té­mique, des nations et des peuples. Mais ils ont éga­le­ment joué un rôle déter­mi­nant dans la lutte contre cette oppres­sion, en tant que moyen de défense pour les per­sonnes qui n’a­vaient pas d’autre recours. Les arts mar­tiaux asia­tiques tra­di­tion­nels, tels que le kung-fu, le judo, le kara­té et le taek­won­do, ont tous été ima­gi­nés comme des sys­tèmes d’au­to­dé­fense pour les oppri­més et ont été ensei­gnés, à l’o­ri­gine, comme des dis­ci­plines spi­ri­tuelles. Bien que ces arts mar­tiaux aient occu­pé une place domi­nante aux États-Unis et en Europe entre les années 1950 et la fin du XXe siècle, ils ont récem­ment été sup­plan­tés par des sys­tèmes de com­bat ultra-agres­sifs, sur le ring et en dehors, venus d’autres régions du monde, dépouillés de tout élé­ment spi­ri­tuel et sou­vent ali­gnés sur les posi­tions les plus réac­tion­naires de la socié­té. Ce n’est pas un hasard si cer­tains des États contem­po­rains les plus agres­sifs et répres­sifs, comme la Russie, Israël, le Brésil et les États-Unis, sont aus­si les plus grands pro­mo­teurs de com­bats selon les règles du figh­ting sys­tems [sys­tème de com­bat alliant les tech­niques de pré­hen­sion et de per­cus­sion issues de dif­fé­rents sports, ndlr] et de tour­nois d’arts mar­tiaux mixtes [mixed mar­tial arts ou MMA, ndlr].

Les origines d’un sport sanglant

Après la Révolution russe, l’Union sovié­tique a com­men­cé à for­mer les forces d’é­lite de l’Armée rouge et les forces de l’ordre au sam­bo, une tech­nique de com­bat à mains nues créée au début des années 1920 par le Commissariat du peuple aux affaires inté­rieures (NKVD), le minis­tère char­gé de la police, des camps de tra­vail et des pri­sons. Développé à par­tir des tech­niques les plus effi­caces des autres arts mar­tiaux, dont le judo et le ju-jit­su, le sam­bo est aujourd’­hui encore ensei­gné à la police russe, aux bri­gades anti-émeutes, aux gardes-fron­tières, à la police secrète, au per­son­nel des hôpi­taux psy­chia­triques, aux mili­taires et aux com­man­dos. Vladimir Poutine s’est entraî­né au sam­bo et l’ac­tuel cham­pion du monde n’est autre que le pré­sident de la Mongolie.

« Vladimir Poutine s’est entraî­né au sam­bo et l’ac­tuel cham­pion du monde n’est autre que le pré­sident de la Mongolie. »

Le krav-maga israé­lien, l’un des sys­tèmes de com­bat les plus récents, intègre quant à lui des tech­niques issues de l’aï­ki­do, de la boxe, de la lutte, du judo et du kara­té, mais il s’en dis­tingue en encou­ra­geant une agres­si­vi­té pous­sée à l’ex­trême. En pra­tique, il s’a­git de viser les yeux, le cou et la gorge, les organes géni­taux ou le foie, et d’u­ti­li­ser comme arme tout objet conton­dant à por­tée de main. Cet art mar­tial mixte puise ses racines dans les com­bats de rue aux­quels a pris part Imi Lichtenfeld, alors lea­der d’un groupe de boxeurs et de lut­teurs juifs qui défen­daient leurs quar­tiers contre les nazis dans les années 1930. Au cours de la décen­nie sui­vante, Lichtenfeld émigre en Palestine et com­mence à for­mer les uni­tés d’é­lite de l’or­ga­ni­sa­tion para­mi­li­taire Haganah, deve­nue plus tard la branche des opé­ra­tions spé­ciales des Forces de défense israé­liennes. Pendant vingt ans, Lichtenfeld enseigne aux forces de sécu­ri­té israé­liennes ce style de com­bat bru­tal, qui est aujourd’­hui l’art mar­tial offi­ciel de la police et des forces mili­taires de l’État.

À la fin des années 1910, le Japonais Mitsuyo Maeda acquière une petite noto­rié­té en pra­ti­quant le judo dans des cirques du monde entier. Il intègre ensuite en tant que com­bat­tant de Vale Tudo — un com­bat de rue où tous les coups sont per­mis — un cirque ita­lo-argen­tin au Brésil, appar­te­nant en par­tie à l’im­pre­sa­rio bré­si­lien Gastao Gracie. En 1925, après avoir sui­vi l’en­sei­gne­ment de Maeda, le fils de Gastao, Carlos, inau­gure la pre­mière aca­dé­mie de ju-jit­su du Brésil avec ses frères, don­nant ain­si le jour à une véri­table dynas­tie fami­liale. Lorsque les com­bats de Vale Tudo se nor­ma­lisent et que des règles sont peu à peu défi­nies, les Gracie y voient l’op­por­tu­ni­té de faire naître un nou­veau sport natio­nal. Ils com­mencent à orga­ni­ser et à pro­mou­voir ces com­bats, lan­çant le célèbre « Défi Gracie »qui­conque pen­sant pou­voir les battre est invi­té à mon­ter sur le ring et à oppo­ser son style d’arts mar­tiaux à cette nou­velle dis­ci­pline, appe­lée ju-jit­su bré­si­lien, ou ju-jit­su Gracie. Cet art mar­tial se passe des règles tra­di­tion­nelles du judo ain­si que de sa phi­lo­so­phie boud­dhiste, aux­quelles il sub­sti­tue la malí­cia et la malan­dra­gem — la malice et la ruse —, ce qui lui donne un avan­tage impor­tant au com­bat. Une fois arri­vé en Amérique, le ju-jit­su bré­si­lien com­mence à domi­ner tous les autres arts martiaux.

[Figurine Conor McGregor]


Quand une famille brésilienne introduit le MMA en Amérique

Rorion, le fils aîné d’Helio Gracie, quitte le Brésil pour Los Angeles en 1978. Il trouve tout d’a­bord du tra­vail comme figu­rant dans des films et à la télé­vi­sion. En 1987, il est recru­té sur le tour­nage du film L’Arme Fatale pour apprendre à Mel Gibson com­ment se battre. L’année sui­vante, Rorion et ses frères, Rickson et Royler, ouvrent la pre­mière Gracie Ju Jitsu Academy en Californie. C’est là que l’aî­né de la fra­trie et un par­te­naire com­mer­cial conçoivent l’Ultimate Fighting Championship (UFC: la pre­mière ren­contre a lieu en 1993. Celle-ci est com­plè­te­ment domi­née par Royce, le jeune frère de Rorion. Plus lourd et plus cos­taud que les autres com­bat­tants, Royce sait sur­tout exploi­ter leur manque de connais­sances en matière de com­bat au sol. Il bat ain­si quatre de ses adver­saires en une seule nuit. Son suc­cès sur le ring sus­cite un énorme inté­rêt pour le ju-jit­su bré­si­lien, aux États-Unis d’a­bord, puis au Japon.

Si aux cours des pre­mières années, l’UFC est essen­tiel­le­ment un évé­ne­ment de Vale Tudo haut de gamme, qui ne s’embarrasse ni de limite de temps, ni d’ar­bitre, ni de caté­go­ries de poids  seules les mor­sures et les arra­chages d’yeux sont inter­dits —, il s’est depuis déve­lop­pé pour deve­nir l’une des orga­ni­sa­tions spor­tives les plus puis­santes de l’Histoire. En 1996, l’UFC fait néan­moins l’ob­jet d’un exa­men public lorsque le séna­teur John McCain visionne la vidéo d’un duel. Ce der­nier qua­li­fie l’af­fron­te­ment de « com­bat de coqs humains » et lance une cam­pagne visant à en inter­dire la pra­tique. Il réus­sit à faire adop­ter par trente-six États des lois inter­di­sant les clubs de com­bat « sans limites ». Pour que l’UFC sur­vive, elle doit deve­nir plus qu’un spec­tacle san­glant : elle doit s’im­po­ser comme un sport. Dans un sou­ci de res­pec­ta­bi­li­té, l’UFC inter­dit alors l’ar­ra­chage de che­veux, l’ha­me­çon­nage (le fait de coin­cer les doigts dans la bouche ou le nez de l’ad­ver­saire et tirer), la mani­pu­la­tion des petites arti­cu­la­tions, les coups de pied à la tête lorsque l’ad­ver­saire est au sol, les coups à l’ar­rière de la tête, les coups de tête et les coups à l’aine.

Avec Trump, l’UFC passe à la vitesse supérieure

« L’UFC a été la scène spor­tive par­faite pour que Trump puisse pro­mou­voir sa pla­te­forme politique. »

Pourtant, même après avoir ins­ti­tué des règles, l’UFC a du mal à trou­ver les lieux adé­quats pour orga­ni­ser ses évé­ne­ments. Plus grave pour la fran­chise, les prin­ci­paux médias refusent de cou­vrir les com­bats — et ce, jus­qu’à ce que Donald Trump lui donne le coup de pouce dont la pra­tique avait déses­pé­ré­ment besoin. En 2001, le futur pré­sident des États-Unis accueille un tour­noi bap­ti­sé « Battle on the Boardwalk » dans son casi­no d’Atlantic City, le Taj Mahal. Cette déci­sion unique donne enfin une légi­ti­mi­té au MMA et lui apporte la cou­ver­ture média­tique qu’il atten­dait. Depuis, le pré­sident de l’UFC, Dana White, s’af­fiche comme un fidèle par­ti­san de Trump : il a sou­te­nu sa can­di­da­ture à la pré­si­dence, a pris la parole lors de la Convention natio­nale répu­bli­caine de 2016 et a contri­bué plus récem­ment à hau­teur d’un mil­lion de dol­lars à la cam­pagne de réélec­tion de Trump. Sur plu­sieurs plans, l’UFC s’est impo­sée comme une scène par­faite pour que Trump pro­meuve son pro­gramme poli­tique. Le sou­tien de l’or­ga­ni­sa­tion contri­bue notam­ment à ren­for­cer son image de « dur à cuire » auprès des fans de sport, en asso­ciant à son slo­gan « Make America Great Again » (MAGA) à une répu­ta­tion de bare knu­ckle [le bare knu­ckle boxing est un type de boxe se pra­ti­quant à mains nues, ndlr], comme en témoigne son tweet : « Entrer dans le Madison Square Garden hier soir avec @danawhite pour le grand com­bat du cham­pion­nat @UFC, c’é­tait un peu comme entrer dans un Trump Rally. Beaucoup de MAGA et de KAG [Keep America Great] étaient pré­sents. »

La majo­ri­té des com­bat­tants de l’UFC venant des États-Unis, de Russie et du Brésil, l’or­ga­ni­sa­tion cultive depuis long­temps ses liens avec les diri­geants de ces pays — une aubaine pour la droite dure mon­diale. Helio Gracie, l’un des fon­da­teurs du Gracie Ju Jitsu, aurait appar­te­nu au mou­ve­ment fas­ciste bré­si­lien connu sous le nom d’Intégralisme — un lien avec l’ex­trême droite que la famille entre­tient encore aujourd’­hui. En 2018, le pré­sident bré­si­lien d’ex­trême droite, Jair Bolsonaro, a ain­si reçu une cein­ture noire hono­ri­fique de Gracie Ju Jitsu. En retour, il a récem­ment nom­mé Renzo Gracie à la fonc­tion publique d’am­bas­sa­deur du tou­risme au Brésil. Renzo Gracie entre­tient éga­le­ment des liens étroits avec Ramzan Kadyrov, chef de la République tchét­chène, accu­sé de vio­la­tions géné­ra­li­sées des droits humains et d’a­voir encou­ra­gé une purge anti-gay qui a fait plus d’une cen­taine de vic­times en 2017. Ramzan est un mécène bien connu du MMA et pos­sède même son propre club, diri­gé par le com­man­dant des forces spé­ciales de la police tchét­chène et de sa sécu­ri­té personnelle.

[Figurine Khabib Nurmagomedov]

L’agressivité encou­ra­gée dans l’UFC déborde sou­vent en dehors du ring. Renzo, comme d’autres membres de la famille Gracie, est aus­si ouver­te­ment homo­phobe, miso­gyne et xéno­phobe. Il a par­ta­gé des cita­tions de diri­geants alle­mands nazis sur son compte Twitter, et a fait l’é­loge à plu­sieurs reprises de la vio­lence poli­cière au Brésil ou de la vio­lence exer­cée à l’en­contre du mou­ve­ment Black Lives Matter aux États-Unis. En 2000, Roger Gracie et trois de ses par­te­naires d’en­traî­ne­ment de ju-jit­su ont été arrê­té pour avoir tiré des balles en caou­tchouc et des billes de pein­ture sur des tra­ves­tis, un pro­cé­dé adop­té par les cohortes de par­ti­sans de Trump lors des mani­fes­ta­tions qui ont sui­vi la mort de George Floyd. Roger et d’autres membres du clan Gracie sont aus­si connus pour avoir déclen­ché à maintes reprises des bagarres dans des bars et des clubs bré­si­liens et new-yor­kais, ain­si que pour avoir atta­qué et cher­ché à se ven­ger des com­bat­tants qui les avaient vain­cus. Toutefois, bien peu d’entre eux ont pas­sé du temps en pri­son pour ces crimes. L’agressivité de la famille Gracie n’est pas sim­ple­ment une ques­tion d’ex­cès de tes­to­sté­rone et de sté­roïdes : elle pro­vient d’une pro­fonde into­lé­rance sociale et du sen­ti­ment selon lequel tout leur est dû — sen­ti­ment qui accom­pagne la maî­trise du com­bat à mains nues. Le Gracie Jiu Jitsu, qui a pro­mu la malí­cia et la malan­dra­gem dans les arts mar­tiaux, est une méta­phore par­faite du style de Trump, de Bolsonaro et de Poutine : tous pra­tiquent une poli­tique de Vale Tudo, où tous les coups sont permis.

Le MMA à Hollywood

Contrairement à Bruce Lee, Jackie Chan ou Jet Li, les com­bat­tants les plus appré­ciés du grand écran ne pra­tiquent plus, désor­mais, un art mar­tial unique et recon­nais­sable. La plu­part d’entre eux sont des acteurs hol­ly­woo­diens nor­maux — et non des pra­ti­quants spor­tifs de longue date — qui ont sim­ple­ment sui­vi une pré­pa­ra­tion suf­fi­sam­ment rigou­reuse pour pas­ser du sta­tut de star de ciné­ma à celui de super-héros plus vrai que nature. Des acteurs comme Daniel Craig (James Bond), Tom Cruise (Collateral), Keanu Reeves (John Wick) et Liam Neeson (Taken) ont tous sui­vi un entraî­ne­ment au krav-maga pour leurs films — des films qui com­portent inévi­ta­ble­ment leurs lots de cadavres et d’exé­cu­tions extra­ju­di­ciaires. À l’i­mage de Batman et Daredevil, ces per­son­nages sont des jus­ti­ciers qui, outillés des der­nières tech­niques de com­bat et d’un arme­ment de pointe, tra­vaillent en marge de la loi pour com­battre le mal, réta­blir l’ordre et la jus­tice, et défendre l’hon­neur de leur pays contre les anar­chistes et les étrangers.

« Pour doper les audiences, le héros cos­tu­mé a tro­qué le coup de poing ou le coup de pied cir­cu­laire contre un take­down bru­tal, une tor­sion du poi­gnet ou un étranglement. »

Les films d’ac­tion à suc­cès mettent éga­le­ment en scène de vrais com­bat­tants de MMA. Puisant dans toute une varié­té d’arts mar­tiaux nés au XXe siècle, ces nou­veaux héros de l’é­cran uti­lisent des tech­niques très agres­sives et n’hé­sitent pas à atta­quer en pre­mier : un choix cru­cial pour leur don­ner l’a­van­tage sur leurs enne­mis. Pour doper les audiences, le héros cos­tu­mé a tro­qué le coup de poing ou le coup de pied cir­cu­laire contre un take­down bru­tal [ensemble de tech­niques pour ame­ner l’ad­ver­saire au sol, ndlr], une tor­sion du poi­gnet ou un étranglement. 

Scott Adkin est peut-être le pra­ti­quant d’art mar­tiaux qui connaît le plus grand suc­cès dans le ciné­ma contem­po­rain. Il maî­trise près d’une dou­zaine de sys­tèmes de com­bat dif­fé­rents, dont le krav-maga et le sam­bo. On l’a vu bot­ter des fesses dans The Bourne Ultimatum et Ip Man, mais sur­tout dans la série des films Undisputed, où il tient l’un des rôles prin­ci­paux. Il y incarne Boyka, un com­bat­tant russe contraint de par­ti­ci­per à des tour­nois clan­des­tins de MMA en pri­son. Si ces films ont conso­li­dé sa car­rière d’ac­teur, ils ont éga­le­ment ser­vi de pro­mo­tion mon­diale pour le MMA clan­des­tin, notam­ment en Russie où les com­bats sans mer­ci sont par­ti­cu­liè­re­ment popu­laires et sanglants.

[Figurine Max Holloway]

Aujourd’hui, de nom­breux pra­ti­quants d’arts mar­tiaux accèdent à la noto­rié­té lors des tour­nois orga­ni­sés par l’UFC et font valoir leurs com­pé­tences pour deve­nir acteurs dans des films d’ac­tion. L’acteur rus­so-éta­su­nien Oleg Nikolaevich Taktarov, qui a concou­ru et gagné lors des cham­pion­nats de l’UFC (éga­le­ment ancien ins­truc­teur de com­bat à mains nues pour le KGB), a ain­si affi­ché ses talents de com­bat­tant dans Bad Boys 2, Air Force One, Den of Thieves et We Own the Night. Ce fai­sant, il a contri­bué à conso­li­der une rela­tion de plus en plus étroite entre l’UFC et Hollywood. Ce croi­se­ment de rêve entre le busi­ness des arts mar­tiaux et celui des pla­te­formes de diver­tis­se­ment ne relève pas du hasard. Endeavor Group Holdings, l’une des plus grandes agences de talents et de diver­tis­se­ment des États-Unis, pos­sède plus de 50 % de l’UFC, mais aus­si plu­sieurs concours de beau­té : Miss Universe, Miss USA et Miss Teen USA, tous acquis en 2015 auprès de Donald Trump, qui reste proche de l’en­tre­prise. Parmi leurs clients, ils comptent éga­le­ment Conor McGregor, de loin la plus grande star de l’UFC. Par l’in­ter­mé­diaire d’Endeavor, l’UFC a obte­nu que vingt-trois célé­bri­tés, dont les acteurs Ben Affleck, Sylvester Stallone et Mark Wahlberg, inves­tissent dans le club, assu­rant ain­si une pré­sence encore plus grande de l’UFC dans les pro­duc­tions ciné­ma­to­gra­phiques à gros budget.

L’UFC, les forces armées et la police

En dehors d’Hollywood, l’UFC entre­tient depuis long­temps des liens étroits avec les forces armées amé­ri­caines. Jusqu’en 2012, les US Marines repré­sen­taient l’un des plus gros spon­sors des évé­ne­ments de l’UFC, inves­tis­sant jus­qu’à deux mil­lions de dol­lars par an pour dif­fu­ser des publi­ci­tés pen­dant les com­bats ain­si que pour pour la réa­li­sa­tion d’un site web com­mun, UFC-Marines, qui met en avant des vidéos d’en­traî­ne­ment au com­bat d’é­lite. Ce par­te­na­riat a pris fin lorsque l’ar­mée amé­ri­caine a déci­dé de ne plus spon­so­ri­ser cer­tains sports pro­fes­sion­nels, mais aus­si en rai­son de plaintes concer­nant des com­men­taires homo­phobes et miso­gynes de la part des com­bat­tants et de l’en­ca­dre­ment de l’UFC. Néanmoins, l’UFC reste un outil de recru­te­ment pour les forces armées amé­ri­caines : elles par­rainent cer­tains com­bats de l’UFC sur des bases mili­taires (UFC : Fight for the Troops) et col­la­borent à des cam­pagnes de pro­mo­tion impli­quant des com­bat­tants de l’UFC et des sol­dats d’é­lite, dans le cadre d’une « entre­prise de recru­te­ment de la force totale ». Parmi les com­bat­tants de l’UFC, on compte des dizaines d’an­ciens Marines et d’an­ciens membres des forces spé­ciales. Quelques autres, comme Tim Kennedy, un tireur d’é­lite des forces spé­ciales, ont com­bat­tu dans l’UFC alors qu’ils étaient encore en service.

« On peut mesu­rer l’in­fluence de ces arts mar­tiaux aux États-Unis par l’u­ti­li­sa­tion de plus en plus fré­quente des tech­niques d’é­tran­gle­ments par les forces de l’ordre étasuniennes. »

À l’heure où les forces de police amé­ri­caines sont de plus en plus mili­ta­ri­sées, il n’est pas sur­pre­nant que les arts mar­tiaux orien­tés vers le com­bat aient natu­rel­le­ment gagné une place au sein des offi­ciers de police. Rorion Gracie raconte notam­ment qu’en 1994, un petit groupe de mili­taires de haut rang, issu de l’u­ni­té la plus éli­tiste des forces spé­ciales de l’ar­mée éta­su­nienne, lui a deman­dé de déve­lop­per un cours spé­ci­fique de com­bat au corps à corps, basé sur le Gracie Jiu Jitsu. Le résul­tat ? Un cours nom­mé Gracie Combatives, dis­pen­sé aux forces spé­ciales de l’ar­mée éta­su­nienne, aux uni­tés mili­taires conven­tion­nelles et à la CIA. Un pro­gramme d’en­traî­ne­ment simi­laire a éga­le­ment été adop­té par la plu­part des forces de l’ordre éta­su­niennes. En résu­mé, que vous vous situiez dans les fave­las noires de Rio, dans les ter­ri­toires occu­pés de Palestine ou dans les rues d’une grande ville éta­su­nienne, il y a de fortes chances qu’un offi­cier de police for­mé au Gracie Jiu Jitsu, au krav-maga, au sam­bo russe, ou aux trois, soit à proximité.

On peut mesu­rer l’in­fluence de ces arts mar­tiaux aux États-Unis par l’u­ti­li­sa­tion de plus en plus fré­quente des tech­niques d’é­tran­gle­ments par les forces de l’ordre éta­su­niennes. Également connues sous le nom de stran­gle­holds ou de caro­tides slee­pers, ces prises incarnent la tech­nique de grap­pling [l’en­semble des tech­niques de contrôle, pro­jec­tion, immo­bi­li­sa­tion et sou­mis­sion, ndlr] par excel­lence dans les com­bats de MMA. Couper l’af­flux san­guin, effec­tuer un étran­gle­ment tri­an­gu­laire1 ou un étran­gle­ment gi [avec la tenue de l’ad­ver­saire, nom­mée gi en ju-jit­su bré­si­lien, ndlr] est cou­ram­ment uti­li­sé comme prise de sou­mis­sion dans le krav-maga, le sam­bo et sur­tout dans le ju-jit­su de style Vale Tudo Gracie. Ces tech­niques consti­tuent le moyen le plus cou­rant de for­cer un adver­saire à se sou­mettre. Sur le ring, elles ont cau­sé plu­sieurs décès dans le monde.

[Figurine Daniel Cormier]

À la suite d’une série de décès, le dépar­te­ment de police de Los Angeles a ban­ni les tech­niques d’é­tran­gle­ment en 1980, sui­vi par tous les dépar­te­ments de police du pays au début des années 1990. Ces der­nières années, l’aug­men­ta­tion du nombre de vidéos ama­teurs a tou­te­fois mis en lumière les décès cau­sés par ces tech­niques d’é­tran­gle­ment sur des sus­pects, en par­ti­cu­lier des hommes noirs, et ont sus­ci­té une indi­gna­tion publique crois­sante. À Minneapolis, où cette pra­tique était auto­ri­sée jus­qu’en 2021, la police a uti­li­sé des tech­niques d’é­tran­gle­ment sur des cen­taines de per­sonnes l’an­née pré­cé­dente, fai­sant perdre conscience à plu­sieurs dizaines d’entre elles, et tuant George Floyd, l’é­tin­celle qui a déclen­ché les mani­fes­ta­tions Black Lives Matter contre les vio­lences policières.

À mesure que se mul­ti­plient les centres d’en­traî­ne­ment dédiés à ces sports de com­bats du XXe siècle, un nombre crois­sant de per­sonnes est for­mé à ces pra­tiques ultra-bru­tales, cer­taines affi­chant même leur désir de déployer cette force dans la rue. L’hybridation entre le MMA, l’ar­mée et la police ; l’ar­me­ment accru de la popu­la­tion de droite aux États-Unis ; les appels de plus en plus fré­quents lan­cés aux citoyens pour com­battre le ter­ro­risme inté­rieur : tout laisse pré­sa­ger un cli­mat post-élec­to­ral d’af­fron­te­ment total et sans limites. Comme ce fut le cas dans les années 1960 et 1970, les com­mu­nau­tés mar­gi­na­li­sées se radi­ca­lisent à chaque nou­veau meurtre poli­cier, à chaque attaque raciste. Pourtant, au lieu de s’en­traî­ner au taek­won­do, de s’ar­mer ou de mener la lutte dans la rue, comme l’ont fait les Black Panthers en leur temps, les élec­teurs écœu­rés par Trump se sont ren­dus en nombre record aux urnes dans l’es­poir de faire chan­ger les choses. Reste à savoir si cela sera suf­fi­sant pour repous­ser les franges réac­tion­naires et ultra-agres­sives de la société.


Traduit de l’anglais par la rédac­tion de Ballast | « Martial Arts in the Age of Trump », Jacobin, 19 jan­vier 2021

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  1. Un étran­gle­ment tri­an­gu­laire, ou san­ka­ku-jime en judo, est un type d’é­tran­gle­ment qui encercle le cou et un bras de l’ad­ver­saire avec les jambes dans une confi­gu­ra­tion simi­laire à la forme d’un tri­angle [ndlr].[]

REBONDS

☰ Lire notre article « Le sport popu­laire : oxy­more ou idéal ? », Igor Martinache, mars 2023
☰ Lire notre entre­tien avec Guillaume Vallet : « Musculation et capi­ta­lisme des vul­né­ra­bi­li­tés », mars 2023
☰ Voir notre port­fo­lio « Rocky Balboa ou la revanche de l’Amérique blanche », Loïc Artiaga, mars 2023
☰ Lire notre entre­tien « Sport et fémi­nisme : ren­contre entre une socio­logue et une hand­bal­leuse », février 2023
☰ Lire notre entre­tien avec Natacha Lapeyroux : « Boxer contre les sté­réo­types de genre », février 2020


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