Victor Jara : un canto libre


Texte inédit pour le site de Ballast

Des Clash à Zebda, de Ferré à Lavilliers, de Ferrat à U2, nom­breux furent les chan­teurs qui ren­dirent hom­mage au Chilien assas­si­né par les mili­taires au len­de­main du coup d’État qui ren­ver­sa, le 11 sep­tembre 1973, le pré­sident socia­liste Salvador Allende. « Mon chant est une chaîne / Sans com­men­ce­ment ni fin / Et dans chaque chaî­non se trouve / Le chant des autres », lan­çait Jara, membre du Parti com­mu­niste et fervent sou­tien d’Allende. Portrait d’un artiste popu­laire et mili­tant. ☰ Par Maxence Emery


« De celui qui mourra en chantant /
Sortent les vraies vérités » V. Jara

jara1Santiago du Chili, 11 sep­tembre 1973, 14 heures. Le Palais de la Moneda est la cible de l’a­via­tion put­schiste aux mains du géné­ral Pinochet. Les mili­taires mitraillent l’en­ceinte pré­si­den­tielle et contraignent Salvador Allende et les siens à la capi­tu­la­tion. Sa secré­taire ouvre la marche, une blouse de méde­cin en guise de dra­peau blanc, sui­vie d’une tren­taine d’al­len­distes. Tandis qu’ils se rendent, le pré­sident remonte les esca­liers jus­qu’à son bureau, se sai­sit de l’AK-47 offert par son ami Fidel Castro et place la bouche du canon sous son men­ton. Détonation. Alerté, le doc­teur Jiron quitte la file, monte à toute vitesse et constate le corps sans vie. Le sui­cide du pré­sident élu marque la fin des espoirs d’un socia­lisme démo­cra­tique, por­té par le peuple quelques années aupa­ra­vant et balayé par quelque géné­ral félon avec l’ap­pui des États-Unis. Une semaine plus tard, Joan Jara suit un cer­tain Hector dans les cou­loirs de la morgue : il s’est pré­sen­té à sa porte en dépit des risques encou­rus et affirme avoir décou­vert le cadavre de son com­pa­gnon. Funèbre décou­verte pour cette native d’Angleterre qui voit son par­te­naire, Victor Jara, l’un des chan­teurs les plus popu­laires du Chili, le corps recou­vert de pous­sière et d’hé­ma­tomes, cri­blé de balles. Quarante-quatre, en tout.

Une enfance paysanne

« Le Palais de la Moneda est la cible de l’a­via­tion put­schiste aux mains du géné­ral Pinochet. »

Remontons le temps de quelques décen­nies. Nous sommes dans les années trente et l’é­té touche à sa fin dans le vil­lage de Lonquén, au cœur des col­lines de Talagante. À la lueur d’un feu, un groupe de femmes, d’hommes et d’en­fants accrou­pis sur la terre sèche ôtent les feuilles des épis de maïs mûrs qu’ils assemblent en énormes piles. Les pay­sans font de cette longue nuit de tra­vail col­lec­tif une fête, accom­pa­gnée de chants et d’his­toires contées par des adultes qui en pro­fitent pour boire des gor­gées de chi­cha — une bois­son tra­di­tion­nelle. Les enfants en âge aident les adultes tan­dis que les plus petits jouent autour des piles de maïs sans jamais s’é­loi­gner de la lumière ras­su­rante du feu. Assis à même le sol, Victor, jeune gar­çon, observe la course des étoiles tout en jetant des regards tendres à sa mère Amanda, une petite femme tra­pue aux ori­gines mapuches qui lui sou­rit en chan­tant, les mains sur sa gui­tare. Si le regard du lec­teur se fait fuyant, par trop roman­tique, il se pique­ra de folk­lore, ber­cé par les accords grat­tés et enivré de bois­sons fer­men­tées ; s’il se fait rasant, à hau­teur d’hommes, refu­sant les faux sem­blants, il sai­si­ra alors la misère tra­ver­sière dans les plis des sou­rires et s’at­tarde sur les san­dales confec­tion­nées à par­tir de pneus usagés.

Manuel, le père pochard de Victor, se montre bru­tal ; la mère en fait les frais sous l’œil hai­neux de la fra­trie. Amanda tente de sco­la­ri­ser ses enfants, contre la volon­té farouche d’un père cer­tain que ses fils doivent manier la longue char­rue au champ, cer­tain que ses femmes doivent pétrir les galettes et tenir le foyer. Le mal­heur s’a­charne et frappe Maria, la grande sœur, tan­dis qu’elle lave le linge : le chau­dron se ren­verse et l’eau bouillante se déverse, la brû­lant griè­ve­ment. Amanda la veille­ra de longs mois à l’hô­pi­tal de Santiago, obli­geant la famille à démé­na­ger dans la capi­tale afin de se rap­pro­cher de la conva­les­cente. De lupa­nars en quar­tiers mal­fa­més, la vie grouillante et tré­pi­dante de la grand-ville étonne et sur­prend. Les Jara se retrouvent confi­nés dans un appar­te­ment d’une pièce et dorment sur des mate­las à même le sol. Amanda tient une petite can­tine au mar­ché et Victor vient par­fois l’ai­der à la sor­tie de l’é­cole catho­lique où celle-ci l’a ins­crit. Le père est absent, pré­fé­rant culti­ver des melons sur un ter­rain ache­té grâce aux reve­nus de son épouse. C’est désor­mais seule, mais loin des coups, qu’elle devra assu­mer la charge des siens.

Allende Moneda

(Salvador Allende, 11 septembre 1973, DR)

Durant ces années de jeu­nesse, Victor ren­contre Omar Pulga : il joue de la gui­tare au fond d’une cour. Sentant l’a­do­les­cent inté­res­sé, l’homme se pro­pose de lui don­ner ses pre­mières leçons. La gui­tare ne le lâche­ra plus. Maria, infir­mière, quitte le foyer fami­lial pour se marier ; son frère Lalo devient père à seize ans ; Coca, son autre sœur, tombe enceinte et tente de se sui­ci­der. Victor, plus stu­dieux, se lance dans des études de comp­ta­bi­li­té — qui ne le pas­sionnent guère. Dans sa dix-sep­tième année, on inter­rompt le cours qu’il suit, en classe, afin de le prendre à part pour lui annon­cer le décès de sa mère : une crise car­diaque. Désemparé, le jeune Chilien pense que le récon­fort vien­dra du père Rodriguez, qui décèle chez lui une voca­tion reli­gieuse et lui pro­pose de ren­trer au sémi­naire de l’Ordre des rédemp­to­ristes de San Bernando. Rigueur de l’en­sei­gne­ment, chants gré­go­riens, sacri­fices char­nels et autres génu­flexions éloi­gne­ront bien­tôt — et défi­ni­ti­ve­ment — Victor du sacer­doce. Il rejoint l’é­cole d’in­fan­te­rie de San Bernardo. Les per­mis­sions sont l’oc­ca­sion de beu­ve­ries et s’a­chèvent tard dans la nuit, à la lumière tami­sée des bor­dels à l’en­tour. Las de cirer les pompes des offi­ciers, et en dépit de leurs com­men­taires élo­gieux sur ses états de ser­vice, il quitte l’ar­mée pour se retrou­ver de nou­veau livré à lui-même. Paquetage au dos, il s’en va deman­der l’hos­pi­ta­li­té à sa sœur Marie et son époux — ce der­nier refuse, arguant qu’il n’au­rait jamais dû quit­ter ce sémi­naire et l’a­ve­nir tout tra­cé qu’il lui pro­met­tait. C’est fina­le­ment dans la pobla­ción Nogales qu’il trou­ve­ra une main ten­due, en la per­sonne de Don Morgado, ami de sa défunte mère. Il accepte de l’héberger.

Les débuts artistiques

« Rigueur de l’en­sei­gne­ment, chants gré­go­riens, sacri­fices char­nels et autres génu­flexions éloi­gne­ront bien­tôt — et défi­ni­ti­ve­ment — Victor du sacerdoce. »

Une annonce pla­car­dée dans son uni­ver­si­té. Elle pro­pose une audi­tion afin de chan­ter Carmina Burana avec le chœur de l’é­ta­blis­se­ment. Victor s’y rend et devient le ténor du groupe. Avec la troupe, il décide de par­cou­rir le nord du pays pour recueillir et étu­dier les musiques popu­laires locales. Sa vie s’en va, pas à pas, che­mi­ner vers l’art — il apprend la pan­to­mime et passe avec suc­cès le concours d’en­trée de l’École de théâtre de l’u­ni­ver­si­té du Chili. Il gagne en assu­rance et n’hé­site pas à obser­ver, des heures durant, un ours dans un zoo afin de jouer ledit ani­mal dans une pièce. C’est à cette époque qu’il ren­contre Joan, sa pro­fes­seure d’ex­pres­sion cor­po­relle et future com­pagne. Les Chiliens portent alors, nous sommes en 1958, Jorge Alessandri à la pré­si­dence : ancien lea­der de la Confédération patro­nale chi­lienne, il devance le can­di­dat du Front d’ac­tion popu­laire, nom­mé Salvador Allende. Victor mul­ti­plie les voyages à la cam­pagne et par­fait son appren­tis­sage des musiques tra­di­tion­nelles. Il ren­contre la fameuse chan­teuse popu­laire Violeta Parra, qui l’en­cou­rage à per­sé­vé­rer dans son appren­tis­sage de la gui­tare et de la chan­son ; elle décèle chez le jeune homme cer­taines pré­dis­po­si­tions. Ce sont des années de bohème que le jeune homme vit là, entre cours de théâtre, café Sao Paulo — où se pro­duit Parra — et soi­rées inter­mi­nables à refaire le monde et jouer de la musique entre artistes et pen­seurs. Par l’in­ter­mé­diaire de la chan­teuse, Victor ren­contre le groupe Cuncumén — il enre­gis­tre­ra avec lui des chan­sons d’a­mour, gla­nées lors d’un voyage dans la pro­vince de Nuble. Il appa­raît aus­si sur leur album de chants de Noël et y inter­prète des titres spé­cia­le­ment écrits pour lui, d’une plume de maître, celle de Parra. Il obtient en paral­lèle son diplôme à l’École de théâtre et débute une car­rière pro­li­fique de met­teur en scène — elle sera, comme le veut la for­mule, « cou­ron­née de suc­cès » : sa pièce sera jouée dans de nom­breux pays d’Amérique du Sud.

Joan est une jeune mère sépa­rée de son conjoint ; Victor ne se fait pas prier pour la cour­tiser — et le voi­là qui par­vient à ses fins. Mais il s’ab­sente durant cinq mois, en tour­née à tra­vers l’Europe : une épreuve pour le couple, que leur cor­res­pon­dance per­met de mieux com­prendre. Joan, peu poli­ti­sée, s’in­quiète de ne pas être à la hau­teur des idées com­mu­nistes de Victor : « D’abord — écrit-il — tu me demandes de ne pas t’i­déa­li­ser, car tu ne penses pas avoir les qua­li­tés humaines pour être la com­pagne d’un com­mu­niste ; je devrais aus­si avoir bien à l’es­prit que tu n’es pas sociable, que tu crains les per­sonnes qui vivent avec un idéal très haut et que la posi­tion intel­lec­tuelle du com­mu­nisme t’ef­fraie. […] Mon idéal de com­mu­nisme n’a pas d’autre objec­tif que celui d’ap­puyer et d’en­cou­ra­ger ceux qui croient qu’a­vec un régime popu­laire, le peuple sera heu­reux. J’essaierai de ne pas être obses­sion­nel et de ne pas oublier que sous mes pieds, il y a de la terre, et que tout autour, les gens ont deux yeux et une bouche comme moi. […] J’ai un pas­sé qui m’aide à res­sen­tir avec plus d’a­cui­té les souf­frances des pauvres, des exploi­tés. Et le fait de connaître de façon aus­si intime cette réa­li­té m’empêche de l’in­tel­lec­tua­li­ser. Si je le fai­sais, je ne serais plus moi-même, je ne pour­rais plus saluer les Morgado, ni Juanito, ni même mes amis d’en­fance, mes frères… et je mépri­se­rais aus­si tout ce que m’a légué ma mère. Je dois les aider, je dois me battre pour eux afin qu’ils soient les témoins, je l’es­père, d’un monde meilleur. Je crois qu’en cela tu me com­prends et que tu peux m’ai­der comme tu l’as déjà fait. Mon amour, avec toi je suis com­plet et si je m’é­loigne de toi, je n’ai plus d’ailes… »

(Allende, 1972, REVISTA LIFE)

Il est frap­pé par l’Union sovié­tique et revien­dra char­gé de cadeaux pour Manuela, la fille de Joan, qu’il aime d’une ten­dresse pater­nelle. C’est lors de cette tour­née que Victor com­pose pour l’ai­mée la célèbre chan­son « Paloma quie­ro contarte » (« Paloma, je veux te dire »). Ses suc­cès de met­teur en scène l’amènent à ren­con­trer Allende au détour d’une repré­sen­ta­tion. Victor témoigne déjà d’un vif inté­rêt pour l’homme qui à ses yeux incarne l’a­ve­nir socia­liste du pays — le seul à même de ren­ver­ser les conser­va­teurs et les libé­raux qui dirigent le Chili. Il devient père d’une petite fille, Amanda. Les années passent et la nou­velle cam­pagne pré­si­den­tielle bat son plein. La FRAP, l’al­liance de gauche pour les élec­tions, por­tée par le can­di­dat Allende, est vic­time d’une cam­pagne de calom­nies. Des affiches sont pla­car­dées dans les rues, mon­trant des tanks russes filant droit vers le Palais pré­si­den­tiel et des gosses éplo­rés. Clichés écu­lés d’une droite à bout de souffle qui tente par tous les moyens de jeter le dis­cré­dit sur l’op­po­si­tion. On entend même que les enfants seront envoyés à Cuba afin d’y être endoc­tri­nés et que le pays se ver­ra sou­mis à l’Union sovié­tique. Certains chi­liens voient dans cette cam­pagne de dif­fa­ma­tion la main des États-Unis, par le tru­che­ment de la CIA.

« Des affiches sont pla­car­dées dans les rues, mon­trant des tanks russes filant droit vers le Palais pré­si­den­tiel et des gosses éplorés. »

Il est vrai que la révo­lu­tion cubaine est dans tous les esprits : la bour­geoi­sie craint chaque jour un peu plus de perdre ses pri­vi­lèges. Victor ren­contre même quelques dif­fi­cul­tés avec ses pièces, jugées trop mar­xistes par d’au­cuns. La socié­té s’af­fiche pro­fon­dé­ment divi­sée. L’artiste com­pose de plus en plus, pui­sant son ins­pi­ra­tion dans l’a­mour, les classes popu­laires et la lutte poli­tique. Avec la chan­son « Cancion del mine­ro » , il raconte ain­si la vie d’un mineur : « J’ouvre / J’extrais / Je trans­pire / du sang / Tout pour le patron / Rien pour la dou­leur / Mineur je suis / À la mine je vais / À la mort je vais / Mineur je suis ». Le socia­lisme devra attendre : en 1964, Allende perd une nou­velle fois les élec­tions au pro­fit du repré­sen­tant de la Démocratie chré­tienne Frei Montalva, qui béné­fi­cie du report des voix obte­nues par le can­di­dat du Parti radi­cal. Victor déses­père de voir un jour le Chili gou­ver­né par un homme proche du peuple.

À l’ère du disc jockey et des musiques for­ma­tées, les Parra ouvrent la Peña, une petite salle de concert, rue Carmen. Le lieu ne tarde pas à deve­nir incon­tour­nable pour tous les ama­teurs de musiques folk­lo­riques du pays comme de l’Amérique latine toute entière. En plus de son tra­vail au théâtre, Victor accepte de venir jouer quelques soirs par semaine. La Peña devient un labo­ra­toire qui lui per­met­tra de tes­ter ses nou­velles com­po­si­tions devant un public cri­tique. À la ques­tion d’un jour­na­liste qui voyait Victor en digne repré­sen­tant de la nou­velle chan­son chi­lienne, ce der­nier lui répon­dra : « Il y en a assez de cette musique étran­gère qui ne nous aide pas à vivre, qui ne nous dit rien, qui nous amuse un moment et nous laisse aus­si vides qu’a­vant. »  Sa noto­rié­té gran­dis­sante, les gens com­mencent à le recon­naître dans la rue, ses musiques passent à la radio et les fes­ti­vals l’in­vitent. Une simple chan­son qu’il avait écrite devient une affaire d’État : il y contait la pas­sion d’une bigote pour un curé à qui elle confes­sait ses péchés. Une per­sonne mali­cieuse l’au­rait dif­fu­sée à la radio au moment où la sta­tion émet­tait sur tout le ter­ri­toire natio­nal. Le bureau de l’in­for­ma­tion de la pré­si­dence ordonne son retrait et la des­truc­tion de l’o­ri­gi­nal. Le père Espinoza, rec­teur du monas­tère de San Francisco, déclare dans la presse : « Je ne veux ni lire, ni écou­ter cette chan­son, mais je sais de quoi elle traite. On a bien fait de la cen­su­rer car elle est scan­da­leuse. Je répète les mots du Christ : Malheur au monde à cause des scan­dales […] et à l’homme par qui le scan­dale arrive. ».

(Violeta Parra, DR)

À ce sujet, Victor dira à un jour­na­liste : « Jamais je n’au­rais pu pen­ser que cette his­toire que j’a­vais enten­due à Concepcion, et qui a plus d’une cen­taine d’an­nées d’exis­tence, allait pro­vo­quer une telle réac­tion. Ceux qui consi­dèrent qu’une chan­son espiègle et mali­cieuse comme celle-là, est irré­vé­ren­cieuse et inso­lente, sont en train de nier la décence de la créa­tion popu­laire qui déter­mine nos tra­di­tions. […] Que pensent donc ces mêmes détrac­teurs des chants de Carl Orff, le com­po­si­teur alle­mand, qui a emprun­té des élé­ments des jeux médié­vaux pour Carmina Burana ? Ceci est un cri­tère caduc qui ne sied pas à notre siècle. L’Église elle-même a évo­lué. Partout dans le monde, le folk­lore mélange dans ses thèmes divins, le reli­gieux et le pro­fane. C’est cela l’es­prit popu­laire. » Les appels télé­pho­niques inju­rieux ne man­que­ront pas durant cette période de cen­sure. La socié­té est chaque jour plus scin­dée. Ne serait-ce qu’à l’université où Joan donne des cours, les étu­diants issus des couches aisées pri­vi­lé­gient les com­po­si­tions clas­siques quand les élèves plus mar­qués à gauche espèrent déve­lop­per un style réso­lu­ment plus moderne. La cam­pagne témoigne tou­jours autant des inéga­li­tés entre les pro­prié­taires ter­riens et les pay­sans. Quelques temps après, la famille, cho­quée, apprend le sui­cide de Violeta Parra. C’est aus­si l’é­poque où Fidel Castro annonce que le Che est par­ti com­battre sous d’autres lati­tudes pour étendre la révolution…

L’engagement

« C’est aus­si l’é­poque où Fidel Castro annonce que le Che est par­ti com­battre sous d’autres lati­tudes pour étendre la révolution… »

Victor s’en­gage de plus en plus : « L’invasion cultu­relle est comme un arbre feuillu qui nous empêche de voir notre propre soleil, notre propre ciel, nos propres étoiles. Par consé­quent, notre com­bat pour voir le ciel qui nous abrite nous impose de cou­per cet arbre à la racine. L’impérialisme nord-amé­ri­cain a com­pris la magie de la musique et fait en sorte que notre jeu­nesse soit gavée de tout type de musique com­mer­ciale. Les spé­cia­listes de la ques­tion ont pris cer­taines mesures : pre­miè­re­ment, indus­tria­li­ser et com­mer­cia­li­ser la chan­son de pro­tes­ta­tion ; deuxiè­me­ment, éri­ger des idoles qui ser­vi­ront ses inté­rêts en endor­mant la rébel­lion inhé­rente à la jeu­nesse. Ce sont des idoles qui subissent le même sort que les autres idoles de la chan­son de consom­ma­tion : elles sub­sistent un temps puis dis­pa­raissent. Voilà pour­quoi nous sommes plus des chan­teurs révo­lu­tion­naires que de pro­tes­ta­tion, parce que ce terme nous semble ambi­gu et parce qu’il est déjà uti­li­sé par l’im­pé­ria­lisme. » Le chan­teur a conscience qu’un artiste peut être un homme aus­si « dan­ge­reux » qu’un gué­rille­ro grâce à son pou­voir de com­mu­ni­ca­tion, mais il demeure réa­liste et sait que cela reste insuffisant. 

Le 9 mars 1969, à 7 heures du matin, des poli­ciers attaquent un cam­pe­ment occu­pé illé­ga­le­ment par des pay­sans. De cette confron­ta­tion bru­tale, sept pay­sans et un nour­ris­son perdent la vie. On appel­le­ra cet épi­sode funeste « le mas­sacre de Puerto Montt ». Les pay­sans n’a­vaient pas d’autres foyers et ces baraques de for­tune, qui les pro­té­geaient à peine des averses, repo­saient sur un ter­rain déjà ren­du extrê­me­ment boueux par les pluies d’au­tomne. Une vague de pro­tes­ta­tion s’en­suit. Policiers et étu­diants s’af­frontent. En sou­tien aux pay­sans, une grande mani­fes­ta­tion orga­ni­sée par la Fédération des étu­diants et des syn­di­cats réunit plus de 100 000 per­sonnes. Instants de grandes émo­tions durant les­quelles Victor inter­pré­te­ra une chan­son écrite suite au mas­sacre : « Preguntas por Puerto Montt ». Chanson qui récol­te­ra un ton­nerre d’ap­plau­dis­se­ments et atteste, s’il le fal­lait encore, de l’en­ga­ge­ment du chan­teur. Mais ce sou­tien, Victor com­mence à le payer. La bour­geoi­sie le voit d’un mau­vais œil. Les alter­ca­tions sont nom­breuses et par­fois vio­lentes — Joan craint pour la sécu­ri­té de son com­pa­gnon. On le traite de « sub­ver­sif » ou de « com­mu­niste » lors de ses concerts ; on lui lance des pro­jec­tiles qui le contraignent, un jour, à rega­gner sa voi­ture pour par­tir au plus vite. Il mul­ti­plie ses inter­ven­tions au côté des com­mu­nistes et sort un disque pour la com­pa­gnie dis­co­gra­phique alter­na­tive de la Jeunesse com­mu­niste — sans leur sou­tien, il n’au­rait d’ailleurs pas pu fran­chir la bar­rière de la cen­sure politique. 

bask2ddd

(Víctor Jara, à gauche, par Luis Poirot)

De nou­velles élec­tions approchent. Allende est le can­di­dat des par­tis de centre-gauche et de la gauche réunie sous la ban­nière de l’Unité popu­laire. Ils pré­sentent un pro­gramme auda­cieux de qua­rante mesures visant à trans­for­mer l’é­co­no­mie et mettre fin aux injus­tices sociales. Parmi elles, la natio­na­li­sa­tion des res­sources natu­relles du pays, la pro­prié­té éta­tique des banques, l’as­sis­tance médi­cale gra­tuite, un demi-litre de lait gra­tuit pour chaque enfant ou encore la radi­ca­li­sa­tion de la réforme agraire. Il ne reste plus que quelques mois à Allende pour convaincre. Joan et ses élèves donnent des repré­sen­ta­tions du bal­let en sou­tien à la cam­pagne. L’occasion d’al­ler voir la pro­fonde misère qui frappe le peuple à cer­tains endroits oubliés. Victor n’est pas en reste et chante l’hymne offi­ciel de la cam­pagne, « Venceremos » : sa chan­son fait le tour du pays et les gens l’en­tonnent lors des manifestations.

« L’armée assure qu’elle n’au­ra pas recours à la force. La démo­cra­tie tient encore bon — pour le moment. »

Le jour du vote approche à grands pas. Joan, qui détient encore la natio­na­li­té anglaise, ne peut par­ti­ci­per au scru­tin ; Victor revient du bureau de vote et s’ins­talle près de la radio dans l’at­tente des pre­miers résul­tats. Un coup de fil d’un proche lui apprend leur vic­toire immi­nente. Explosion de joie pour le chan­teur et les siens, qui s’empressent de rejoindre les par­ti­sans de l’Unité popu­laire à la Fédération étu­diante, tan­dis que, dans les rues, le peuple scande « El pue­blo uni­do jamás será ven­ci­do » : le peuple uni ne sera jamais vain­cu ! Une per­sonne dans l’as­sis­tance enjoint tout le monde au silence ; les résul­tats vont être pro­non­cés : « Salvador Allende Gossens est élu pré­sident de la République avec 36,6% des voix sui­vi par Alessandro Rodriguez qui en obtient 35,3% puis de Radomiro Tomic avec 28,1 % des votes. » Foule en liesse. Victor étreint for­te­ment Joan. Mais, mal­gré la joie, Victor sait que l’Unité popu­laire devra faire face à la pres­sion adver­saire. Un jour­nal de droite annonce quelques temps après que Victor Jara, homo­sexuel, a été vu en com­pa­gnie de jeunes enfants et qu’il aurait été exclu du Parti com­mu­niste : tous les moyens sont bons. Il écri­ra les jours sui­vants un démen­ti, expri­mant son enga­ge­ment, qui plus est ren­for­cé suite à ces attaques qui témoignent avant tout de la peur que peut repré­sen­ter pour eux un chan­teur popu­laire accom­pa­gné d’une simple guitare.

La droite et ses repré­sen­tants pour­suivent leurs actions les mois sui­vants. Des femmes orga­nisent des marches des cas­se­roles vides en signe de pro­tes­ta­tion contre le gou­ver­ne­ment, la Kennecott Copper Company lance un embar­go inter­na­tio­nal contre le cuivre chi­lien et les bateaux sont mis à quai dans les ports euro­péens sans pos­si­bi­li­té de conti­nuer le voyage ou de déchar­ger la mar­chan­dise. À cela s’a­joute la grève des camions qui pro­testent contre les natio­na­li­sa­tions. La classe entre­pre­neu­riale s’op­pose à l’Unité popu­laire par le biais des par­le­men­taires et tente, par tous les moyens, de para­ly­ser le pays. Des bandes armées dressent des bar­ri­cades et attaquent les camions qui cir­culent encore. De ce fait, des pro­duits de pre­mières néces­si­tés deviennent inac­ces­sibles. Pour contre­car­rer les effets de cette grève, Victor et Joan se joignent à d’autres tra­vailleurs lors de tra­vaux volon­taires. Une par­tie de la classe moyenne s’al­lie à la grève ; des ouvriers essaient de dépas­ser les quo­tas de pro­duc­tions et des méde­cins forment un « front patrio­tique », en sou­tien à l’Unité popu­laire, afin de rem­pla­cer leurs col­lègues en grève. Certains élé­ments de l’op­po­si­tion mènent des actions (tou­jours plus) vio­lentes contre ceux qui osent encore bra­ver la ces­sa­tion de tra­vail. Face à ce cli­mat de ten­sion exa­cer­bée, Allende fait ren­trer des mili­taires au pou­voir dans l’es­poir de com­po­ser un gou­ver­ne­ment de « paix sociale ». L’armée assure qu’elle n’au­ra pas recours à la force. La démo­cra­tie tient encore bon — pour le moment. Victor et ses cama­rades craignent cepen­dant les troubles à venir… Parallèlement, il enre­gistre un album sobre­ment inti­tu­lé La pobla­cion, dans lequel il raconte l’his­toire du peuple, des luttes indi­vi­duelles et col­lec­tives qui ont lieu chaque jour dans les bidon­villes et ailleurs.

(Général Pinochet, DR)

Le putsch

La menace d’un coup d’État et d’une guerre civile se répand. Une anec­dote témoigne à elle seule de la haine que peuvent res­sen­tir cer­tains bour­geois à l’é­gard de Victor : tan­dis qu’il se trouve dans sa voi­ture, au feu rouge, le conduc­teur de la voi­ture d’à-côté le recon­naît et bran­dit un cou­teau mena­çant. Le 29 juin 1973, un régi­ment de chars d’as­saut entoure le Palais de la Moneda. Le géné­ral Carlos Prats — com­man­dant en chef des Forces armées — sort à pied, uni­que­ment armé d’une mitraillette, et ordonne aux offi­ciers de se rendre : ces der­niers ont vite com­pris qu’ils ne rece­vraient pas l’ap­pui espé­ré et obtem­pèrent. Les chars font demi-tour. Ce coup d’État avor­té, au cours duquel un came­ra­man per­dit la vie der­rière l’ob­jec­tif de sa camé­ra, fut la pre­mière ten­ta­tive aux allures de répé­ti­tion générale.

« Les syn­di­cats convoquent l’en­semble des tra­vailleurs à se rendre sur les lieux de tra­vail et l’a­lerte rouge est lancée. »

Au pré­texte de cher­cher des armes, le prin­cipe d’au­to­no­mie des uni­ver­si­tés est sou­vent vio­lé et la police fait régu­liè­re­ment des des­centes dans la facul­té où Joan donne des cours. Dans ce cli­mat d’in­cer­ti­tude et de ten­sion, le couple, accom­pa­gné de leurs filles, s’en va pré­pa­rer une mai­son sur l’Île Noir, tout au sud du pays, au cas où la situa­tion vien­drait à s’empirer plus encore — la gauche a conscience qu’il sera dif­fi­cile de défendre le pays si l’ar­mée se range du côté des oppo­sants. À leur retour, tan­dis qu’ils roulent len­te­ment sur une route peu pas­sante en direc­tion de Santiago, un groupe d’hommes armés, qui a repé­ré Victor Jara, dévale une col­line afin de les atta­quer. Pied sur la pédale d’ac­cé­lé­ra­tion, Victor les évite de jus­tesse… Le géné­ral Pratz, un léga­liste refu­sant toute inter­ven­tion de l’ar­mée, est contraint de démis­sion­ner en rai­son d’at­taques de la droite ; Allende nomme un cer­tain Pinochet, géné­ral lui aus­si, pour le rem­pla­cer. Le 11 sep­tembre 1973, Victor et Joan prennent leur petit déjeu­ner. La radio annonce des mou­ve­ments de troupes inha­bi­tuels à Valparaiso. Les syn­di­cats convoquent l’en­semble des tra­vailleurs à se rendre sur les lieux de tra­vail et l’a­lerte rouge est lan­cée. Victor, cen­sé chan­ter pour le ver­nis­sage d’une expo­si­tion consa­crée aux crimes du fas­cisme en pré­sence d’Allende, com­prend que l’événement n’au­ra pas lieu. Le coup d’État s’or­ga­nise pro­gres­si­ve­ment dans le pays, sous la férule de Pinochet. Joan repart à l’é­cole cher­cher Manuela. Allende pro­nonce son der­niers dis­cours, his­to­rique, à la radio : il enjoint le peuple à conti­nuer la lutte « en sachant bien que plus tôt que tard ils ouvri­ront les grandes ave­nues par les­quelles passent l’homme libre, afin de construire une socié­té meilleure ». Discours qui, chaque année depuis, conti­nue d’être hono­ré par nombre de mili­tants aux quatre coins du monde.

Afin de répondre à l’ap­pel tech­nique de la Centrale unique des tra­vailleurs, le chan­teur se rend à l’u­ni­ver­si­té. Des héli­co­ptères frôlent la cime des arbres du jar­din de leur mai­son et foncent en direc­tion de l’ha­bi­ta­tion de Salvador Allende, non loin de là. Victor télé­phone à Joan pour lui signi­fier son arri­vée et prendre de rapides nou­velles avant de lais­ser le télé­phone à un autre. Le Palais de la Moneda est bom­bar­dé et incen­dié ; Allende vient de se don­ner la mort. Les heures passent, un couvre-feu est ins­ti­tué. Joan s’in­quiète. Le télé­phone sonne de nou­veau — son com­pa­gnon l’in­forme qu’il la rejoin­dra le len­de­main, à la pre­mière heure : le couvre-feu l’empêche de par­tir. Joan couche les filles et reste dans l’an­goisse. L’université est cein­tu­rée par les mili­taires et leurs tanks. La radio a été prise d’as­saut et mise hors d’é­tat d’é­mettre. Ceux qui ont ten­té de sor­tir de l’en­ceinte ont été abat­tus. Quelques heures plus tard, l’ar­mée tire des coups de canon sur le bâti­ment — les fenêtres volent en éclats, la panique gagne pro­fes­seurs et étu­diants réfu­giés sous les tables. Les tanks pénètrent dans la cour de l’u­ni­ver­si­té. Les sol­dats arrivent et ordonnent à tous de se réunir : à coups de savates et de crosses, ils leur imposent de se jeter ventre à terre, mains sur la nuque. Victor exé­cute les ordres.

(DR)

Ils ont main­te­nant pour consigne de se mettre en file indienne puis de cou­rir der­rière une jeep jus­qu’au Stade Chili, situé à six pâtés de mai­son. À leur arri­vée, un sous-offi­cier recon­naît Victor et demande qu’on le place à l’é­cart des autres — il se pelo­tonne sous les sièges du stade, mains sous les ais­selles afin de se pro­té­ger du froid. Un offi­cier de grande taille, bel homme au regard suf­fi­sant, envoie un sou­rire gla­cial à Victor en imi­tant le jeu de gui­tare, puis passe ses doigts le long de sa gorge en signe de menace. Puis il s’in­digne auprès des autres mili­taires de la pré­sence, en ces lieux, du chan­teur et demande à ce qu’on le sur­veille. Les jours sui­vants, Victor est tor­tu­ré. Des pri­son­niers, deve­nus hys­té­riques, se font tuer sur le champ ; un autre, à bout de nerfs, se jette dans le vide et trouve la mort. Deux gar­diens ramènent Victor, ensan­glan­té, dans la par­tie prin­ci­pale du stade. Ses amis lui lavent le visage tant bien que mal. Ils se par­tagent quelques bis­cuits. Le chan­teur pré­sente de nom­breuses bles­sures, dont une côte cassée.

« Camarade Victor Jara, pré­sent main­te­nant et pour tou­jours ! »

Les pri­son­niers sont sépa­rés par groupe de deux cents et trans­fé­rés au Stade National. Le Stade Chili, quant à lui, demeure plein des nou­veaux arri­vants. Victor demande à l’un de ses cama­rades un papier et un crayon ; il écrit son der­nier poème, grif­fon­né à toute vitesse. Son ami le cache dans ses chaus­settes puis deux sol­dats arrivent afin d’es­cor­ter le chan­teur jus­qu’aux ves­tiaires. Il est de nou­veau tor­tu­ré de longues heures : on lui broie les mains à coups de crosses et de bottes. Nous sommes déjà le 16 sep­tembre. Le coup d’État a eu lieu cinq jours plus tôt. Un offi­cier remarque qu’on « ne l’en­tend plus chan­ter », en dési­gnant Victor Jara avant de l’a­battre d’une balle dans la tête. Victor en rece­vra qua­rante-quatre autres dans le corps. On retrou­ve­ra sa dépouille aux côtés de cinq autres, dans un ter­rain vague au petit matin. Un groupe de civils les déplace dans une camion­nette pour les conduire à la morgue. Un jeune homme, pré­nom­mé Hector, y est réqui­si­tion­né ; il recon­naît le corps du chan­teur popu­laire : il per­met­tra à Joan de lui don­ner une sépul­ture. Quelques jours plus tard, le poète Pablo Neruda meurt de cachexie can­cé­reuse — des doutes per­sistent encore sur un pos­sible empoi­son­ne­ment. L’écrivain Miguel Cabezas dira, dans un témoi­gnage contro­ver­sé, qu’on aurait cou­pé les doigts de Victor Jara et que ce der­nier se serait diri­gé vers les gra­dins en signe de défi, en chan­tant l’hymne popu­laire devant ses cama­rades. Un men­songe ; une légende qui ne résiste pas à l’exa­men des faits1.

***

En l’es­pace d’un mois, le Chili perd trois grands hommes. Des cen­taines de per­sonnes des­cendent dans les rues rendre hom­mage au poète dis­pa­ru en dépit de la pré­sence des mili­taires en arme. Sous les regards inqui­si­teurs, les mani­fes­tants récitent des poèmes tout le long du cor­tège  la pré­sence des médias étran­gers évite pro­ba­ble­ment les arres­ta­tions. La foule achève sa marche devant le cime­tière. Et tous de scan­der d’une seule voix : « Camarade Pablo Neruda, pré­sent main­te­nant et pour tou­jours ! Camarade Salvador Allende, pré­sent main­te­nant et pour tou­jours ! Camarade Victor Jara, pré­sent main­te­nant et pour tou­jours ! »


image_pdf
  1. Correspondance pri­vée, en 2015, avec Elvira Díaz, réa­li­sa­trice du docu­men­taire Victor Jara, n° 2547.

REBONDS

☰ Lire notre entre­tien avec Carmen Castillo : « Comment se mettre en mou­ve­ment, être actif, acteur ? », février 2015

Maxence Emery

Photographe pour quelques ouvrages, s'essaie ensuite à la BD en tant que scénariste. Passionné de voyages, il a effectué de nombreux séjours à l'étranger.

Découvrir d'autres articles de



Nous sommes un collectif entièrement militant et bénévole, qui refuse la publicité. Vous pouvez nous soutenir (frais, matériel, reportages, etc.) par un don ponctuel ou régulier.