Calaferte, le pouvoir des mots


Texte inédit pour le site de Ballast

Louis Calaferte a pré­fé­ré une vie dis­crète, toute consa­crée à la lit­té­ra­ture, aux salons lit­té­raires pari­siens. À l’heure où Sagan nour­rit la presse à scan­dale et Sartre cha­pe­ronne la jeu­nesse au café Les Deux Magots, Calaferte se retire dans la cam­pagne lyon­naise afin d’é­crire. Chez lui, les cou­ronnes de la gloire sont épi­neuses — aus­si pré­fère-t-il ne pas les por­ter. Retour sur une figure aty­pique et incon­tour­nable de la lit­té­ra­ture fran­çaise du XXe siècle. « Je suis plan­té de ruines / mas­sacres / trous béants / sup­pliances / fureurs / On ne dis­tingue plus son pas­sé devant soi / On a per­du les villes » (Rag-Time)


La famille du jeune Louis Calaferte, né un 14 juillet 1928 à Turin, quitte son pays natal pour venir s’installer à la péri­phé­rie de Lyon — plus au-delà encore des quar­tiers ouvriers déjà insa­lubres et excen­trés, dans cet en-dehors de la Cité. C’est dans les fau­bourgs, la « zone », ce ber­ceau d’illégalisme et de trocs où l’organisation sociale s’invente sur le tas, indé­pen­dam­ment des modèles en vigueur, que gran­dit Calaferte. Les jeux cruels des gosses, l’alcoolisme désa­bu­sé des parents et leurs dia­tribes endia­blées (celles qui les poussent à rêver d’une vie meilleure), l’incapacité de l’école à com­prendre ceux qui lui résistent, tout cela, il le racon­te­ra dans son pre­mier livre, Requiem des Innocents. Sans fard ni fio­ri­tures, mais avec toute la séche­resse d’un cœur éle­vé à la crasse des ter­rains vagues, là où civisme et com­pas­sion n’ont jamais fou­lé le sol. Ce livre est sa pre­mière ten­ta­tive de défier la vie au bras de fer. Repéré par Joseph Kessel, le jeune Calaferte, fraî­che­ment débar­qué à Paris (il était venu s’initier au théâtre ; il sera expul­sé des cours du Vieux Colombier faute de pou­voir les payer), ne sait com­ment struc­tu­rer son manus­crit, véri­table exu­toire de son pas­sé qu’il ne des­tine pas à l’oubli. Le grand repor­ter, qui sera éga­le­ment son men­tor, l’aide à orga­ni­ser, trier et rema­nier ces pages pour lui don­ner la forme et la force qu’on lui connaît aujourd’hui — et que l’auteur fini­ra par répugner.

Sorti chez Julliard en 1952, en pleine guerre d’Indochine, le livre connaît un suc­cès immé­diat. Il ne tarde pas à se retour­ner contre son auteur : pous­sé par ses édi­teurs à renou­ve­ler l’opération lucra­tive, Calaferte publie dans la fou­lée un second ouvrage, Partage des vivants. Écœuré par ce mar­chan­dage de la lit­té­ra­ture, refu­sant d’écrire pour ravir des lec­teurs friands de misé­ra­bi­lisme — et dont la curio­si­té mal­saine n’est pas sans faire écho au bal des curieux décrit dans Requiem, venus décou­vrir la zone suite à un fait divers —, Calaferte tire un trait sur la capi­tale et la célé­bri­té qu’on lui promet.

Lire pour se sauver

« C’est à l’abri des regards, dans les chiottes des usines où il tra­vaille, qu’il assou­vit sa soif de lec­ture ; c’est sur le dos des calen­driers qu’il jette ses pre­miers mots. »

De ces deux pre­miers ouvrages, Louis Calaferte gar­de­ra mal­gré tout ce sub­til mélange de dégoût et d’amour pour les hommes, un pro­fond sen­ti­ment de révolte — on songe à cet ins­tant cru­cial où l’enfant entend pour la pre­mière fois le mot « socié­té » de la bouche d’un ex-tau­lard reve­nu dans son quar­tier —, et, sur­tout, ce besoin de savoir qui depuis son plus jeune âge se fait sen­tir. « La connais­sance c’est la vie. Point. Terminé. C’est tout. Si on n’a pas ça dans la tête, on est fou­tu1. » Elle est à ses yeux le seul échap­pa­toire offert à un enfant de sa condi­tion. Le savoir est une arme : voi­là un adage aujourd’hui popu­laire que Calaferte a sitôt fait sien. Les livres sont les gar­diens d’un pré­cieux mys­tère ; il sai­sit l’intérêt de s’imprégner du verbe et du voca­bu­laire des grands écri­vains. C’est à l’abri des regards, dans les chiottes des usines où il tra­vaille, qu’il assou­vit sa soif de lec­ture ; c’est sur le dos des calen­driers qu’il jette ses pre­miers mots, convain­cu de pou­voir s’en tirer par l’écriture. « J’avais qua­rante-cinq mille volumes dans ma biblio­thèque, racon­ta-t-il des années plus tard, ça repré­sente quelque chose, ce n’é­tait pas pour faire joli. J’ai lu comme un fou parce que je me suis cru per­du dans ce monde, au départ. J’ai été à l’u­sine, je n’a­vais pas treize ans, j’ai vu ce monde de l’u­sine à l’é­poque où il n’y avait pas de truc social, de conven­tions, de je ne sais pas quoi. Je me suis vu per­du. Comme j’é­tais d’une extrême vio­lence, j’ai pen­sé que la solu­tion était la vio­lence, il n’y en a pas trente-six mille. Par bon­heur, en piquant des livres, j’ai trou­vé une espèce d’é­chap­pa­toire à la réa­li­té dans la lit­té­ra­ture. Qui était mau­vaise. Je ne lisais que des cochon­ne­ries, mais enfin, à par­tir de là, j’ai pen­sé qu’il y avait une pos­si­bi­li­té — le livre — sans que je sache exac­te­ment ce que c’é­tait. Je me suis mis à écrire, paro­diant les autres, paro­diant ce que je lisais. Excessivement jeune, je me suis mis à écrire, mais là aus­si, c’é­tait une espèce de défense2. » Après la décep­tion pari­sienne et la décou­verte d’un « monde lit­té­raire » auquel il se sent irré­mé­dia­ble­ment étran­ger, Calaferte part à la quête du livre : celui qui fera de lui un authen­tique écri­vain — et non un des ces « écri­vants » ordi­naires qui bafouillent pour avoir un nom. « Je ne contem­po­ra­nise pas avec vous3 », lance-t-il dans Paraphe à l’at­ten­tion de ces derniers.

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Joseph Kessel (par Serge Hambourg)

Il jure man­quer d’imagination et puise dès lors dans son propre vécu. Pas de fic­tion mais des sou­ve­nirs. « Ma vision de la lit­té­ra­ture, du fait d’é­crire, c’est explo­rer la seule chose qu’on puisse un petit peu connaître : soi-même. La tota­li­té de ce que j’ai écrit, d’une manière ou d’une autre, est auto­bio­gra­phique. Je n’ai jamais tra­vaillé sur l’i­ma­gi­naire, sauf une fois pour le ciné­ma, c’é­tait une conne­rie d’ailleurs. Je trouve fina­le­ment l’i­ma­gi­naire pauvre, il n’a pas de conti­nui­té4 », confia-t-il un jour à la presse. Mais s’il conte la gri­saille des jours, il le fait de l’or brut des mots dont il sait à mer­veille tirer par­ti pour confé­rer un ton poé­tique, inci­sif ou humo­ris­tique à la sim­pli­ci­té des scènes qu’il des­sine. Son pre­mier « vrai » livre, Septentrion, lui pren­dra cinq longues années. Son des­tin, ô com­bien trou­blé, n’aura de cesse d’accompagner le par­cours de l’écrivain : d’abord cen­su­ré dès sa paru­tion en 1963 (les Ministères de l’Intérieur et de la Culture ne furent pas trop de deux pour le juger por­no­gra­phique), il ne repa­raît qu’en 1984 chez Denoël, sous l’initiative de Gérard Bourgadier. Entre temps, le livre inter­dit à la vente est mal­gré tout pas­sé dans toutes les mains, à la manière d’un samiz­dat sous régime sovié­tique — seul Robert Kanters, au milieu du silence hypo­crite, ose­ra com­mettre un article sur le livre malé­fique. Au-delà des longues des­crip­tions éro­tiques et crues, on y découvre les péré­gri­na­tions auto­bio­gra­phiques d’un écri­vain en quête d’accomplissement, à tra­vers le vaga­bon­dage urbain et la confron­ta­tion sou­vent désa­gréable avec le car­na­val des gens ordi­naires. Résultat d’un tra­vail pénible, éta­lé sur tant de nuits au cours des­quelles l’écrivain se sent pris d’élans créa­teurs pas­sion­nels, voire de fré­né­sie, Septentrion est aus­si une pre­mière vic­toire arra­chée à la fureur des mots : sa condi­tion de classe ne lui avait pas per­mis de par­faire, d’ap­pro­fon­dir et d’embrasser le lan­gage dans ses nuances et ses plis ; il prend sa revanche sur les déter­mi­na­tions sociales. « J’ai rapi­de­ment com­pris que celui qui avait le voca­bu­laire avait une force for­mi­dable5 », confie-t-il à Drachline lors d’un entre­tien radio

Un chrétien libertaire

« Calaferte pré­co­nise un art ano­nyme, un livre sans signa­ture. La lit­té­ra­ture se jus­ti­fie d’elle-même : il y a peu d’écrivains et de poètes, mais beau­coup de raconteurs. »

À la terne diva­ga­tion de l’écrivain qui se cherche suc­cède fina­le­ment l’angoisse de celui qui a trou­vé la pas­sion des mots, non plus seule­ment à tra­vers ses lec­tures, mais dans ce cri insur­rec­tion­nel qu’il pousse à tra­vers ses lignes. Viennent ensuite Rosa Mystica et Satori, parus l’un comme l’autre en 1968, quand la plage se fit attendre sous les pavés. Dans ce dip­tyque lit­té­raire s’af­fiche la com­plexi­té d’un homme qui n’a qu’une plume et de mul­tiples visages : chré­tien mys­tique et grand amou­reux des femmes, poète déses­pé­ré et révol­té-né. La poé­sie de Calaferte ne gas­pille pas son temps dans l’ergotage esthète et la rai­son reine et rai­son­nante : son écri­ture est spon­ta­née, c’est un jet, une salve de lettres dégueu­lées à grand débit. Lorsqu’on l’interroge sur son pro­ces­sus de créa­tion, il répond clai­re­ment : « Ce n’est pas une recherche. […] Je ne sais pas ce que je vais écrire6 ». Pour Calaferte l’œuvre d’art et le poème ont radi­ca­le­ment per­du cette uni­ci­té mys­tique dont ils étaient vêtu jusqu’alors : ce hic et nunc qui signe son authen­ti­ci­té, ce lien étroit et iné­luc­table qu’ils entre­tiennent avec la musique et la mélan­co­lie — tout cela tend à dis­pa­raître au pro­fit d’une d’une mul­ti­pli­ca­tion des œuvres, qui s’accompagne, dès lors, de son appau­vris­se­ment et de son lot d’imposteurs dési­reux d’apporter leur petite pierre à l’édifice de l’Art. La pos­té­ri­té, un nom sur une cou­ver­ture, voi­là de quoi conten­ter la plu­part et faire hor­reur à Calaferte, qui pré­co­nise un art ano­nyme, un livre sans signa­ture. La lit­té­ra­ture se jus­ti­fie d’elle-même : il y a peu d’écrivains et de poètes, mais beau­coup de racon­teurs. « On est des nau­fra­gés, les uns et les autres. On vous apprend à être un sujet social dès que vous avez trois ans et demi ; plus ça va, pire c’est. On ne pense pas à votre bon­heur, à votre per­son­na­li­té ; à votre aisance dans le monde vis-à-vis des autres. Ça se tra­duit en termes de riva­li­té, de manque, de peur, c’est hor­rible. Mais c’est pas ça, putain, la vie, c’est pas ça ! La vie, c’est des fleurs, c’est des femmes, c’est le bien-être en soi, c’est l’a­mour, la pas­sion. Tout le reste, on s’en fout ! Combien tu gagnes ? Combien tu vaux ? Mais on s’en fout ! Tiens, ce sont les mots du curé d’Ars : « On est ce qu’on est devant Dieu et pas plus. » Le vrai, c’est ça, le reste, pffuit7. » Que l’on songe à ses lec­tures favo­rites et l’on com­prend sans peine le sen­ti­ment de réclu­sion de Calaferte : Jean Scot Erigène, Maître Eckhart, Thérèse d’Avila et la Bible, à laquelle il fait maintes fois référence.

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Louis Calaferte (par Louis Monier)

Cet entou­rage de mys­tiques chré­tiens ne l’empêche pas d’être un fervent anar­chiste et un écri­vain de la sexua­li­té et du désir. Dans La Mécanique des femmes, ouvrage hors-cadre, indes­crip­tible, il expose crû­ment les fan­tasmes et les paroles par­fois déso­pi­lantes de ses com­pagnes (« Dans la rue, si j’é­tais une putain, tu me choi­si­rais ? »« Tu ne feras pas atten­tion, j’ai mis un slip de mon mari. » ; « Dès que je pense à sucer, j’ai des four­mis au bout de la langue. »). Sexe et reli­gion se touchent et se confrontent. Corps à corps inces­tueux. « Au com­men­ce­ment était le sexe » : la phrase limi­naire de Septentrion donne le ton. Refusant de pra­ti­quer sa reli­gion selon le bon vou­loir et les dogmes de l’Église, Calaferte prône, dans la lignée d’un Tolstoï, un anar­chisme chré­tien dont il porte fiè­re­ment le flam­beau. « Explorer les taillis de Dieu8 » est sa quête ; que ce der­nier lui souffle le génie poé­tique est son vœu. Et, jamais avare d’un coup de sang, l’é­cri­vain tonne : « Pfuit, des bombes… Oui, je suis capable d’en poser, même à mon âge, je ne plai­sante pas. Ces socié­tés sont extrê­me­ment mons­trueuses : les uns crèvent de faim au nez des autres. Ce sont des pour­ris­soirs, menés par des maniaques du pou­voir que je ne sup­porte pas. Je ne sais pas pour­quoi je me mets en colère, ça ne sert à rien. Je vais publier un livre sur ce que j’ai à dire de la poli­tique. Ce n’est même pas de la poli­tique, c’est un état de fonc­tion où tout est orga­ni­sé en castes, des castes qui ne se touchent pas entre elles. À l’in­té­rieur d’une caste, on ne se touche pas. Moi, je suis hors caste depuis tou­jours. Et je tiens à le res­ter jus­qu’à ma mort. Grâce à Dieu, j’ai pu faire un petit bout de che­min, il est ce qu’il est mais je l’ai fait comme je le vou­lais, seul, sans deman­der ni rien devoir. Ce qui me per­met de juger comme je l’en­tends, avec en géné­ral assez de rai­son. Nous en sommes arri­vés à une socié­té com­plè­te­ment apla­tie. Tout le monde s’en contente… Aplatissons-nous9. »

« Cet entou­rage de mys­tiques chré­tiens ne l’empêche pas d’être un fervent anar­chiste et un écri­vain de la sexua­li­té et du désir. »

Solitaire, Calaferte ne l’est pas tant par rési­gna­tion que par pen­chant natu­rel à se mettre soi-même en marge d’un monde poli­tique et intel­lec­tuel dont il est tour à tour indif­fé­rent et insur­gé. Vivant en ermite dans sa mai­son de cam­pagne, aux côtés de sa femme et entou­ré de ses ani­maux et de ses livres, il trouve dans la pein­ture un autre moyen d’expression libé­ra­teur. Aussi retrans­crit-il la fuga­ci­té des jours qui passent dans ses Carnets, qu’il tient presque quo­ti­dien­ne­ment de 1956 jusqu’à sa mort, en 1994 — seize tomes parus à ce jour. L’entreprise (par­fois her­mé­tique pour le lec­teur) fait son­ger à celle de l’écrivain et phi­lo­sophe gene­vois Amiel (1821–1881), dont Calaferte a pu décou­vrir le monu­men­tal jour­nal intime — près de 17 000 pages — dans ses Fragments. Et si le ton n’est pas le même, si le mora­lisme phi­lo­so­phique du pre­mier est rem­pla­cé par la poé­sie insur­rec­tion­nelle du second, Amiel n’en demeu­ra pas moins un des modèles lit­té­raires de Calaferte et un condis­ciple de la nour­ris­sante retrans­crip­tion du quo­ti­dien. Bien que son ermi­tage l’éloigne de tout mili­tan­tisme ou autre action poli­tique, il clame sa déso­béis­sance à tra­vers ses écrits : son der­nier livre, Droit de Cité (paru aux édi­tions Manya en 1992), est l’ultime cri de révolte de celui qui s’indigne face aux affres de la tech­no­lo­gie ten­ta­cu­laire, du capi­ta­lisme des­truc­teur, des puis­sants plou­to­crates et des vain­queurs de l’Histoire ; le cri de qui vitu­père contre le manque de luci­di­té de ceux qui, au pou­voir, ne prennent aucunes mesures concrètes pour pal­lier aux pro­blèmes éco­lo­giques et sociaux ; le cri de qui dénonce les ter­ribles lacunes dont pâtit la mémoire his­to­rique col­lec­tive. « Si on ne s’indigne pas on est mort », confie-t-il avant l’heure, dans un entre­tien pour l’é­mis­sion Le Balcon, en 1992, dans lequel il rap­pelle la néces­si­té de com­battre les égo­cra­ties en même temps qu’il renou­velle, lui, le fils d’im­mi­grés, sa confiance dans le peuple fran­çais (si tou­te­fois celui-ci daigne prendre conscience du rôle qu’il a joué — et se doit de — dans l’Histoire).

Mais, en admi­ra­teur de l’anarchisme droi­ti­sant d’un Léautaud, Calaferte se veut, à l’instar de ce der­nier, réa­liste quant aux limites de l’engagement poli­tique : il faut d’abord résoudre des pro­blèmes à ses yeux plus terre à terre — comme la faim, qu’il a connue et dont il sait qu’elle engour­dit plus qu’elle n’éveille les ins­tincts révo­lu­tion­naires… « Quand je suis arri­vé dans le monde du tra­vail, à treize ans et pen­dant la guerre, c’est pas fou­fou du tout et, en quinze jours, j’ai tout com­pris. J’ai com­pris pour tou­jours et je ne me suis pas trom­pé : pauvre fille, pauvre mec, et le patro­nat. Qui aujourd’­hui doit valoir ce qu’il valait à l’é­poque, tou­jours aus­si con. Con et cha­ro­gnard. Là, j’ai eu peur. Quand on a peur, ou on se couche, ou on se révolte. Comme je n’é­tais pas d’un tem­pé­ra­ment à me cou­cher, je me suis révol­té, mais ça n’a ser­vi à rien, j’ai ramas­sé des claques dans la gueule10. » La faim mais aus­si les pro­blèmes du quo­ti­dien, ces petits riens sour­nois qui entravent nos aspi­ra­tions les plus hautes. Le triste réa­lisme de ses pièces finit par lui valoir le prix Ibsen, pour Les miettes, en 1978 (signa­lons qu’il reçut en 1984 le Grand Prix de la ville de Paris pour l’ensemble de son œuvre théâtrale).

(DR)

Derrière la diver­si­té de son œuvre et de ses aspi­ra­tions, l’homme aux cent faces, qui se décri­vit dans Rag-time comme un « oura­gan de tous les pos­sibles11 », tra­ça son fil rouge : l’an­goisse de sa fini­tude. Celui qui ne ces­sait de s’imaginer en situa­tion post­hume, côtoyant la foule lors de son propre enter­re­ment, avoua être ce qu’il nomme un « mor­ti­miste » : ni opti­miste ni pes­si­miste, il pense sans cesse à la mort, celle de ses proches comme la sienne — qua­li­té rare d’un homme qui se sait n’être pas grand-chose dans le grand bouillon du monde. Et s’il écrit, c’est bien pour com­battre cette angoisse per­ma­nente, « pour ne pas [se] tuer12 », et non pour être, un jour, le sujet d’un article à sa mémoire.

« A.B.C.D.E.F.G.H.I.J.K.L.M.N.O.P.Q.R.S.T.U.V.W.X.Y.Z. Réfléchissez à ça13. »


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  1. Louis Calaferte, Choses Dites, Le Cherche Midi, 2014, p. 31.[]
  2. Entretien paru dans Les Inrockuptibles, n° 58, 28 mai 1996.[]
  3. Louis Calaferte, Paraphe, Arléa, 2011, p. 126.[]
  4. Les Inrockuptibles, art. cit.[]
  5. Louis Calaferte, Choses dites, op. cit. p. 34.[]
  6. Ibid, p. 19.[]
  7. Les Inrockuptibles, art. cit.[]
  8. Louis Calaferte, Satori (1968), Folio, 2008, p. 40.[]
  9. Les Inrockuptibles, art. cit.[]
  10. Ibid.[]
  11. Louis Calaferte, Rag-time, op. cit., p. 19.[]
  12. Paraphe, op. cit., p. 48.[]
  13. Ibid., p. 20.[]
Ballast

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