Anna Jaclard, l'égalité enfin

22 mars 2021


Texte inédit | Ballast | Série « La Commune a 150 ans »

Que les femmes, absentes du gou­ver­ne­ment com­mu­nal, aient joué un grand rôle lors de la Commune de Paris ne fait pas ques­tion : elles défendent les canons contre la troupe ; prennent en charge les cama­rades bles­sés ; érigent des bar­ri­cades et ouvrent le feu sur l’en­ne­mi ; siègent dans les clubs et les com­mis­sions ; écrivent dans la presse et s’en­gagent en faveur de la laï­ci­té. Que la bour­geoi­sie ait redou­blé d’in­jures à leur endroit n’en fait pas non plus : « pétro­leuses », « femelles », « mégères », « soif­fardes » et autres « lai­de­ronnes furi­bondes »… Louise Michel a long­temps incar­né l’i­cône, presque unique, de la Commune au fémi­nin ; on ne sau­rait pour­tant faire le compte de toutes celles qui prirent part à la Révolution. Anna Jaclard en est. La jeune femme, russe d’o­ri­gine, a 26 ans quand sur­git la Commune. Elle intègre alors le Comité de Vigilance de Montmartre, cofonde un jour­nal, par­ti­cipe à une com­mis­sion visant à « orga­ni­ser et sur­veiller l’en­sei­gne­ment dans les écoles de filles » et, en sa qua­li­té d’am­bu­lan­cière, soigne les bles­sés. Condamnée aux tra­vaux for­cés à per­pé­tui­té, elle s’exi­le­ra en Suisse. Portrait. ☰ Par Élie Marek


[lire le troi­sième volet de notre série « La Commune a 150 ans »]


Paris. Un jeu­di. À l’ob­ser­va­toire météo­ro­lo­gique de Montsouris, sis dans un pas­tiche du palais du Bey de Tunis, on mesure une pluie légère. Celle-ci tombe sur les poutres métal­liques d’une tour en construc­tion — elle pren­dra le nom que l’on sait —, comme elle tombe sur les ouvriers qui la construisent. Elle tombe sur le képi mou du géné­ral Boulanger, à la veille de sa mise aux arrêts et de son ascen­sion poli­tique, ain­si que sur les chausses de Louise Michel et de Georges Clemenceau. Ces deux-là ont les épaules ren­trées, sûre­ment. C’est qu’on enterre en ce 13 octobre 1887 une amie commune.

« Adieu, intel­li­gente et brave Russe — quelque chose de mon cœur d’il y a vingt ans s’en va avec elle. »

Elle a pour nom Anna Korvine-Kroukovskaya, mariée Jaclard depuis un jour mémo­rable de mars 1871 où le socia­liste Benoît Malon célé­bra son union civile avec Victor Jaclard. Celui-ci, désor­mais veuf, est pré­sent, bien sûr. On dit qu’il ces­se­ra bien­tôt de visi­ter la tombe de la défunte. Pour l’heure se res­serre toute une assem­blée, et celle-là fait silence. Anna, sur son lit de mort, a deman­dé qu’on ne pro­non­çât pas un mot. Cela est res­pec­té. De ce moment, Louise Michel se sou­vien­dra : « C’était la pre­mière fois, depuis 71, que je la revoyais. Elle était morte, cou­chée, pâle comme un marbre sur son lit envi­ron­né de plantes aux larges feuilles fai­sant une ombre sur son visage. Je ne sais si j’aime mieux les Russes que les autres, peut-être, ils sont braves, c’est quelque chose. Devant ce lit tout blanc, envi­ron­né de hautes tiges vertes, je ne sais quelle impres­sion à la fois gla­cée et pleine d’es­pé­rance vous enve­loppe. Adieu, intel­li­gente et brave Russe — quelque chose de mon cœur d’il y a vingt ans s’en va avec elle. À quoi bon son­ger à nous, est-ce que la vague n’emporte pas les gouttes d’eau1. »

*

À plus d’un siècle de dis­tance, chacun⋅e pour­ra se faire d’Anna Jaclard née Korvine-Kroukovskaya l’i­mage qu’il ou elle sou­hai­te­ra. Aussi se per­met-on d’en pro­po­ser une. Si quelques cli­chés nous res­tent pour se la figu­rer, deux icônes peuvent être confron­tées. D’abord une tunique tis­sée de fleurs qui, sur les bords de ce que l’on pense une gra­vure, s’es­tompe. Pour la por­ter une sil­houette, de pro­fil, qui fixe des loin­tains qu’on ne peut devi­ner. Des che­veux emmaillo­tés d’une bande de tis­sus sur­montent un front qui des­cend abrupt jus­qu’à la pointe d’un nez fin. Les traits sont polis et la figure éga­le­ment. S’il s’a­git de la même femme, la pho­to­gra­phie sui­vante pré­sente Anna sous un jour tout autre. Des sour­cils à l’ho­ri­zon coiffent des yeux clairs que des cernes font plus étroits qu’ils ne le sont. Ces yeux-là ont fixé l’ob­jec­tif le temps que des plaques s’en sai­sissent et scrutent depuis qui­conque se penche sur le tirage. Du vête­ment, les fleurs sont pas­sées à la coif­fure. Une robe sombre, bou­ton­née jus­qu’au col et ser­rée d’une chaîne peine à noir­cir un tel portrait.

[Marc Chagall, Portrait de Vava, 1955]

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Trente années après la mort d’Anna, les villes du pays où elle naquit changent de nom. On mène de concert col­lec­ti­vi­sa­tion des moyens de pro­duc­tion et mise en com­mun des terres. On arrête les oppo­sants et oppo­santes par trop remuant⋅es et on décide par trai­té la fin des com­bats sur le front de l’Est. La ville toute proche de la pro­prié­té de Palibano où a gran­di Anna ne perd pas le sien, de nom, ni n’a à craindre les débuts de la guerre civile qui prend la suite du conflit mon­dial. Car en cette ville, Vitebsk, trente années après la mort d’Anna, les deux révo­lu­tions de 1917 sont fêtées par l’ar­chi­tec­ture, le des­sin ou la sculp­ture. Chagall est nom­mé direc­teur de l’École popu­laire des beaux-arts pour deux ans avant que Malévitch ne le sup­plante et n’im­pose son cou­rant supré­ma­tiste dans l’a­vant-garde pic­tu­rale. Dans les rues de la ville, des cou­leurs et des formes qu’au­cun musée n’a abri­tées jus­qu’a­lors ; dans les ate­liers, une jeu­nesse pay­sanne pres­sée d’ap­prendre des peintres présent⋅es — Malevitch et Chagall, donc, mais aus­si Iouri Pen, El Lissitzky, Vera Ermolaeva2.

« Qu’Anna lise les Écritures et se pique d’ap­prendre le fran­çais est une chose ; qu’elle intro­duise dans la demeure fami­liale les écrits révo­lu­tion­naires d’un dénom­mé Pissarev et d’un cer­tain Herzen en est une autre. »

Anna ne connut Vitebsk que sous la forme d’un banal chef-lieu d’o­blast3 et ne vit point les révo­lu­tions ceindre la Russie. Tout juste assis­te­ra-t-elle à l’a­bo­li­tion du ser­vage une géné­ra­tion plus tôt, en 1861. Qu’elle soit née à Moscou en 18434 ou à Saint-Pétersbourg en 18445, il n’en demeure pas moins cer­tain qu’elle fut éle­vée dans le confort de ceux qui regardent les serfs de leur domaine per­chés sur un che­val. Le père est géné­ral d’ar­tille­rie et des­cend de l’a­ris­to­cra­tie rus­so-litua­nienne ; la mère est issue d’une famille alle­mande où la science est tenue pour impor­tante. Anna, sa jeune sœur Sofia et son frère cadet Fiodor sont appliqué⋅es à l’é­tude, si bien qu’on fait venir des ins­ti­tu­trices de France, de Suisse et d’Angleterre pour satis­faire la soif des enfants — mais, pour les deux filles, une telle édu­ca­tion ne doit rien impli­quer d’autre qu’une bonne tenue et de la discussion. 

Qu’Anna lise les Écritures et se pique d’ap­prendre le fran­çais est une chose ; qu’elle intro­duise dans la demeure fami­liale les écrits révo­lu­tion­naires d’un dénom­mé Pissarev, jour­na­liste enflam­mé qui mou­rut si jeune et d’un cer­tain Herzen, père du socia­lisme russe, en est une autre. Il en est de même pour les acti­vi­tés exté­rieures à la mai­son. Les sœurs Korvine-Krukovskaya fondent un cercle où sont conviées les pay­sannes des alen­tours afin de trans­mettre l’ins­truc­tion qu’elles ont reçue. Seront for­mées des ins­ti­tu­trices, des sages-femmes, des infir­mières6. Mais l’ap­proche huma­ni­taire, pour utile qu’elle soit, peine à satis­faire les deux jeunes femmes, qui rêvent de par­tir. Sofia s’en fera l’é­cho dans ses sou­ve­nirs : « On peut dire qu’à cette époque, entre 1860 et 1870, un seul pro­blème pré­oc­cu­pait les classes culti­vées de la socié­té russe : le conflit entre les jeunes et les vieux. Une sorte d’é­pi­dé­mie se répan­dait par­mi les enfants, sur­tout par­mi les jeunes filles : le désir de s’en­fuir de la mai­son pater­nelle7. »

[Marc Chagall, L'anniversaire, 1915]

Alors la fuite. C’est l’aî­née, Anna, qui prend les devants, et ce en deux temps. Elle for­mule d’a­bord le désir d’é­tu­dier la méde­cine à Saint-Pétersbourg : il paraî­trait qu’une femme peut suivre des confé­rences, voire un cur­sus com­plet — quelques cen­taines y par­vinrent un temps avant que de nou­veaux sta­tuts éta­blis en 1863 n’in­ter­dissent leur entrée à l’Université et, l’an­née sui­vante, à l’Académie de méde­cine et de chi­rur­gie8. Réponse du père : « Le devoir de toute jeune fille hono­rable est de vivre avec ses parents jus­qu’à ce qu’elle se marie9. » Premier d’une suite de pré­ceptes qui ne seront pas res­pec­tés. Car voi­ci qu’en plus de lire ce qu’on lui inter­dit, Anna écrit et entre­prend de faire publier ses nou­velles, son sexe cou­vert par le pseu­do­nyme de Youri Orbelov. Deux d’entre elles trouvent place dans L’Époque, la revue de Dostoïevski, lequel débute aus­si­tôt une cor­res­pon­dance avec la jeune autrice. Il se fend de com­pli­ments et d’au­tant de conseils : « Vous êtes une artiste. Cela signi­fie déjà beau­coup, et si par ailleurs il y a une pers­pec­tive et du talent, vous n’a­vez pas le droit de le négli­ger. Une chose, seule­ment : étu­diez et lisez. Lisez des livres sérieux. La vie fera le reste. Et il est éga­le­ment néces­saire de croire. Sans cela il n’y a rien10. »

« Très vite Anna les rejoint et se fami­lia­rise avec ce que le socia­lisme compte de cou­rants divers. »

Mais lorsque Anna reçoit le fruit de ses publi­ca­tions, le père de nou­veau s’in­ter­pose : « Aujourd’hui ce sont tes his­toires que tu vends, demain ce sera toi11. » La famille fait ver­rou. Alors convient-il de le faire sau­ter par ce qui, en ce temps, le scelle : l’u­nion. Une pro­po­si­tion émane de Dostoïevski d’a­bord. Ils se voient à plu­sieurs reprises à Saint-Pétersbourg. Mais Anna décline adroi­te­ment la demande — elle ne sou­haite à ce moment de mariage que blanc. C’est, pour les jeunes filles d’a­lors, le plus sûr moyen d’é­chap­per à la réclu­sion patriar­cale, au point d’en deve­nir un motif lit­té­raire : écri­vain et révo­lu­tion­naire influent, Nikolaï Tchernychevski en fait l’une des péri­pé­ties de son Que faire ?, bré­viaire de cette géné­ra­tion et ins­pi­ra­tion bien connue de Lénine. Sofia s’en­gouffre avant sa sœur dans la brèche. Elle trouve en un jeune étu­diant en paléon­to­lo­gie, Vladimir Kovalevski, un époux de cir­cons­tance — un « pas­se­port vivant », selon l’his­to­rienne et écri­vaine Michèle Audin — avec lequel elle pas­se­ra fina­le­ment sa vie. Le père ne peut qu’ac­cep­ter. Sitôt unis, Sofia et Vladimir partent pour l’Ouest afin de pour­suivre leurs études. Anna, bien sûr, est du voyage. À Vienne, fugi­tives et fugi­tif se séparent : Vladimir s’y ins­talle tan­dis que Sofia s’en va à Heidelberg apprendre la phy­sique et ces mathé­ma­tiques qui feront sa renom­mée12. Anna la suit, puis conti­nue sa route jus­qu’à Paris où elle arrive en mai 1869.

*

Tandis qu’en Allemagne Sofia Kovalevskaya renomme le loge­ment qu’elle occupe avec quelques cama­rades étu­diantes « Commune des femmes d’Heidelberg13 », Anna se fait embau­cher comme relieuse dans une impri­me­rie pari­sienne — le père, ayant eu vent de son échap­pée soli­taire, lui a en effet cou­pé les vivres. L’historienne Édith Thomas résu­me­ra ain­si la situa­tion : « Cette grande aris­to­crate découvre en même temps la néces­si­té du tra­vail, la misère et la révolte ouvrière14. » Les ouvriers et ouvrières du livre, typo­graphes en tête, sont nom­breux et nom­breuses à par­ti­ci­per aux ras­sem­ble­ments poli­tiques qu’au­to­rise depuis peu le Second Empire. Très vite Anna les rejoint et se fami­lia­rise avec ce que le socia­lisme compte de cou­rants divers. Elle trouve auprès de Benoît Malon, membre de la jeune Association inter­na­tio­nale des tra­vailleurs (AIT), et de la roman­cière fémi­niste André Léo deux cama­rades des plus sûr⋅es pour lui ser­vir de guide. C’est Malon qui la pré­sente au cours d’une réunion blan­quiste15 à Victor Jaclard. Dès lors il ne se quittent plus, ou presque.

[Marc Chagall, Le marchand de bestiaux, 1912]

Victor porte une barbe d’herbes sèches et le che­veu court ; ses yeux, bruns, le sont un peu plus encore sous le pli du sour­cil. Il est né à Metz trente ans aupa­ra­vant et réside à Paris depuis cinq années. Professeur de mathé­ma­tiques, il vou­lait y apprendre la méde­cine ; il a trou­vé plus d’in­té­rêt dans l’é­la­bo­ra­tion des mou­ve­ments ouvriers orga­ni­sés. C’est Blanqui, d’a­bord, qui le séduit. Il le ren­contre en 1865 à la pri­son de Sainte-Pélagie et l’aide à fuir la France quelques mois plus tard. Un par­ti tente de s’or­ga­ni­ser autour de celui que ses sou­tiens sur­nomment « le Vieux ». Victor est des plus actifs — et donc des plus visibles. À la suite d’une mani­fes­ta­tion, il passe la moi­tié de l’an­née 1866 en cel­lule. Puis, sans qu’il ne renie ses ami­tiés mili­tantes, Victor se rap­proche de Bakounine et adhère à La Ligue de la Paix et de la Liberté, d’ins­pi­ra­tion anti-auto­ri­taire, qu’a­nime le révo­lu­tion­naire russe. Les charges qui pèsent contre le mili­tant s’a­lour­dissent à mesure qu’il accroît son enga­ge­ment dans telle ou telle organisation.

« Victor porte une barbe d’herbes sèches et le che­veu court ; ses yeux, bruns, le sont un peu plus encore sous le pli du sourcil. »

Ainsi, au cours d’une soi­rée de 1869, alors qu’il échange ses pre­miers mots avec Anna, l’homme se sait pour­sui­vi. Et un an à peine après être arri­vée, voi­ci qu’Anna quitte déjà Paris, lais­sant der­rière elle une ville qu’elle rega­gne­ra sous peu. À ses côtés Victor, son désor­mais remuant ami. Au-devant, Genève et la com­mu­nau­té des exilé⋅es russes qui comptent une jeune femme qui lui res­semble : Élisabeth Tomanovskaya, dite Élisabeth Dmitrieff. On a sou­vent com­pa­ré les deux femmes. Si Élisabeth Dmitrieff est plus jeune — 19 ans lors­qu’elles se ren­contrent dans la ville suisse —, son par­cours est en tout point simi­laire. Une enfance ins­truite sous la coupe d’un patriarche mili­taire ; un mariage blanc pour s’en éloi­gner ; des écrits qui lui ins­pirent ses pre­miers élans sociaux et la convainquent de s’ex­pa­trier, au point que l’his­to­rienne Kristin Ross per­çoit dans sa lec­ture du Que Faire ? de Tchernychevski la cause qua­si­ment exclu­sive de toute sa tra­jec­toire exis­ten­tielle et poli­tique16. À Genève, Élisabeth Dmitrieff prend part à la dif­fu­sion des idées de l’AIT au sein d’une sec­tion russe entiè­re­ment dévo­lue à Marx (Netchaïev et Bakounine, dont les noms font alors fré­mir les polices de toute l’Europe ont été désa­voués dans un même élan par les exilé⋅es regroupé⋅es en Suisse). Fraîchement arri­vée dans la ville, Anna socia­bi­lise avec ses com­pa­triotes, découvre les réseaux locaux de l’AIT et son organe, Narodnoïe Delo (La Cause du peuple), semble d’ac­cord pour tra­duire les écrits de Marx en russe.

Mais à peine se met-elle dans le sillage d’Élisabeth Dmitrieff que celle-ci s’é­chappe et gagne Londres. Là, elle côtoie Marx presque quo­ti­dien­ne­ment trois mois durant. Son but : « créer une conver­gence entre les écrits éco­no­miques de Marx et la croyance de Tchernychevski dans le poten­tiel éman­ci­pa­teur de la com­mune pay­sanne tra­di­tion­nelle11 ». La pro­duc­tion du théo­ri­cien, les décen­nies sui­vantes, res­te­ra mar­quée par cette ren­contre. Mais le séjour d’Anna à Genève et celui d’Élisabeth Dmitrieff à Londres ne durent guère. La pre­mière retourne en France avec Victor en sep­tembre 1870 — le pays est en guerre contre la Prusse, l’Empereur a été fait pri­son­nier et la République pour la troi­sième fois en un siècle se voit pro­cla­mée. Et, quelques mois plus tard, en 1871, la seconde s’en va par­ti­ci­per à la Commune qui débute le 18 mars de cette année.

[Marc Chagall, Moi et le village, 1911]

*

Du 19 sep­tembre 1870 au 28 jan­vier 1871, Paris est assié­gée. Les condi­tions de vie peu enviables des plus pauvres avant la guerre deviennent pires encore. « Pas de lait pour les enfants. Les ani­maux du jar­din des plantes appa­raissent dans les bou­che­ries sous le nom de viande de fan­tai­sie. On abat les arbres de Paris, mais le bois vert fume et ne chauffe pas17. » Les récits et lettres que deux femmes lais­se­ront de cette période, Victorine Brocher et Alix Payen, témoignent de la dure­té des condi­tions18 — la pre­mière, entre autres exemples, raconte qu’on lui donne du lait entiè­re­ment fait de plâtre et d’eau pour nour­rir son enfant ; la seconde rend compte à ses des­ti­na­taires du ration­ne­ment pro­gres­sif que Jules Ferry, le maire de Paris, impose et de la faim qui peu à peu tenaille celles et ceux qui y sont soumis·es. On s’en­gage, volon­taire ou par dépit, dans la Garde natio­nale pour défendre les rem­parts de la ville. Ainsi Victor est-il élu chef d’un bataillon, avant d’être révo­qué puis conduit en pri­son, de nou­veau, pour avoir par­ti­ci­pé à la ten­ta­tive de sou­lè­ve­ment du 31 octobre19. Bien qu’il soit enfer­mé, il est élu maire adjoint du XVIIIe arron­dis­se­ment — le maire, lui, est Clemenceau.

« Une même abné­ga­tion conduit ces femmes à se faire tour à tour ambu­lan­cières, infir­mières, can­ti­nières, sol­dates ou, pour cer­taines, tout cela à la fois. »

Dans ce quar­tier comme ailleurs, des comi­tés de vigi­lance mas­cu­lins, fémi­nins ou mixtes, se mettent en place. Celui de Montmartre est un exemple : diri­gé par la cou­tu­rière Sophie Poirier, il per­met l’or­ga­ni­sa­tion d’un ate­lier de confec­tion de vête­ments mili­taires et donne un emploi à une soixan­taine d’ou­vrières. Et lorsque la demande vient à man­quer, l’a­te­lier devient un vivier d’am­bu­lan­cières. Ainsi le tra­vail des femmes, objet de vives dis­cus­sions à la fin de la décen­nie pré­cé­dente, est-il un enjeu capi­tal en ces temps de disette. Le Comité des Femmes fon­dé par le socia­liste hété­ro­doxe Jules Allix en fait le cœur de son action. En son sein, Anna, ain­si que Louise Michel et André Léo, frayent avec des ouvrières dont les noms, s’ils n’ont pas mar­qué les registres, importent tout autant. Se joint à elles Élisabeth Dmitrieff lors­qu’elle arrive de Londres. Pendant le siège des Prussiens puis sous celui des Versaillais, une même abné­ga­tion conduit ces femmes à se faire tour à tour ambu­lan­cières, infir­mières, can­ti­nières, sol­dates ou, pour cer­taines, tout cela à la fois.

Les luttes d’in­fluence n’é­pargnent cepen­dant pas ces groupes. Des fric­tions naissent entre l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux bles­sés, éma­na­tion de l’AIT régie par Élisabeth Dmitrieff, et des per­son­na­li­tés comme celles d’André Léo. L’Union tente d’or­ga­ni­ser la défense fémi­nine et a lan­cé le 11 avril, jour de sa fon­da­tion, un « Appel aux citoyennes de Paris » pour que celles-ci prennent « une part active à la lutte » en cours20. Anna, elle, n’adhère pas à l’Union. Mais elle concourt aux mêmes buts. On retrouve ain­si sa signa­ture à côté de celles d’André Léo, des citoyennes Poirier et Busard en bas d’ap­pels du Comité de vigi­lance de Montmartre : « Les citoyennes de Montmartre, réunies en assem­blée le 22 avril, ont déci­dé de se mettre à la dis­po­si­tion de la Commune pour for­mer des ambu­lances qui suivent les corps enga­gés avec l’en­ne­mi, et rele­ver sur les champs de bataille nos héroïques défen­seurs. Les femmes de Montmartre, ani­mées de l’es­prit révo­lu­tion­naire, veulent témoi­gner par des actes leur dévoue­ment à la Révolution21. »

[Marc Chagall, Paris par la fenêtre, 1913]

Outre ces entre­prises logis­tiques et sani­taires aux­quelles elle prend part, Anna par­ti­cipe au quo­ti­dien La Sociale ani­mé par André Léo, Eugène Vermersch et Maxime Vuillaume. Son nom n’ap­pa­raît pas dans les pages du quo­ti­dien à la ligne socia­liste plu­ra­liste, mais son impli­ca­tion est cer­taine. Surtout, elle agit pour l’é­du­ca­tion des filles dans la ville. En à peine deux mois, l’ins­truc­tion est pro­fon­dé­ment réfor­mée par le Comité cen­tral de la Commune et ses dif­fé­rentes com­mis­sions. On s’oc­cupe de l’en­sei­gne­ment pro­fes­sion­nel et tech­nique des gar­çons et des filles ; on per­qui­si­tionne les écoles reli­gieuses pour les rendre acces­sibles à toutes et tous ; le 21, pre­mier jour d’une semaine qu’on dira « san­glante », « on pro­clame l’é­ga­li­té des salaires entre les hommes et les femmes11 » dans l’en­sei­gne­ment. Ce même jour, Anna est nom­mée dans une com­mis­sion char­gée d’or­ga­ni­ser les écoles de filles avec, entre autres, André Léo et Noémie Reclus. Mais voi­là qu’il faut se battre, se cacher et fuir.

*

« La per­cée de l’en­ne­mi dans la ville fait que des bar­ri­cades se dressent par cen­taines. Certaines sont exclu­si­ve­ment féminines. »

Les com­bats d’a­bord, et la place des femmes dans ceux-là. On sait que dix jours avant l’as­saut ver­saillais, un « Bataillon des fédé­rées » a été mis sur pied dans le XIIe arron­dis­se­ment. Mais, selon l’his­to­rien Quentin Deluermoz, la créa­tion de celui-ci, « fon­dé par un homme […] répond à une mis­sion d’hu­mi­lia­tion des sol­dats refu­sant le com­bat22 ». Par la consti­tu­tion d’un tel bataillon (entre 20 et 100 par­ti­ci­pantes, selon les témoi­gnages), il s’a­git d’op­po­ser des femmes capables de se battre à des hommes qui ne le sont pas, et par là de les contraindre à pour­suivre la lutte. Une action sym­bo­lique tou­te­fois vite dou­blée par la néces­si­té de se défendre de l’ex­té­rieur. La per­cée de l’en­ne­mi dans la ville fait que des bar­ri­cades se dressent par cen­taines. Certaines sont exclu­si­ve­ment fémi­nines23. Une cin­quan­taine de membres de l’Union, encou­ra­gées par Élisabeth Dmitrieff, rejoignent ain­si celle de la rue Blanche, à Montmartre le 21 mai. De tout cela, Louise Michel témoi­gne­ra : « Drapeau rouge en tête, les femmes étaient pas­sées ; elles avaient leur bar­ri­cade place Blanche, il y avait là, Elisabeth Dmihef, madame Lemel, Malvina Poulain, Blanche Lefebvre, Excoffons. André Léo était à celles des Batignolles. Plus de dix mille femmes aux jours de mai, éparses ou ensemble, com­bat­tirent pour la liber­té24 ».

Si cer­taines, à l’ins­tar de Louise Michel, n’ont pas atten­du les der­niers jours de la Commune pour com­battre arme à la main, la mémoire des évé­ne­ments en fera peu cas : « la figure de la pétro­leuse écrase alors les autres moda­li­tés d’ac­tion fémi­nine » et par­ti­cipe d’une « construc­tion sociale de l’ou­bli de la vio­lence guer­rière fémi­nine11 Les exé­gètes immé­diats n’y seront pas pour rien. Ainsi le jour­na­liste Prosper-Olivier Lissagaray, dont son Histoire de la Commune de 1871 fit long­temps réfé­rence, s’ar­rête plus lon­gue­ment sur la tenue et la sexua­li­té d’Élisabeth Dmitrieff que sur ses agis­se­ments lors­qu’on lui demande dans La Revue blanche, en 1897, ce qu’il en a été des femmes pen­dant les évé­ne­ments : « Elle venait de Russie, où elle avait lais­sé en plan son mari… On la vit, pen­dant la Commune, vêtue d’une miri­fique robe rouge, la cein­ture cré­ne­lée de pis­to­lets. Elle avait vingt ans et était fort belle. Elle eut des ado­ra­teurs. Soit que le peuple aux bras nus lui plût peu à huis-clos, soit que l’amour fut pour elle un sport exclu­si­ve­ment fémi­nin, nul ne put fondre ce jeune gla­çon. Et c’est chas­te­ment qu’à la bar­ri­cade, elle reçut dans ses bras Frankel bles­sé. Car elle était aux bar­ri­cades, où sa bra­voure fut char­mante. Notons la toi­lette : grand cos­tume de velours noir25. » On ne sait si Anna prend phy­si­que­ment part à la lutte. Comme celle de son amie André Léo, sa trace se perd. Cette der­nière, connue et d’au­tant plus vul­né­rable sera cachée par une amie jus­qu’en juillet. Dans la presse, un entre­fi­let fait pour­tant état de son arres­ta­tion, conjointe à celle d’Anna : « On annonce l’ar­res­ta­tion de Mmes André Léo et Jaclard, qui se sont si bien occu­pées des droits de la femme pen­dant la Commune. Elles sont pré­ve­nues d’ex­ci­ta­tion à la guerre civile, et de com­pli­ci­té de pillage et d’in­cen­die26. » Depuis Versailles, un diplo­mate russe cor­ro­bore — cette « mégère » dit-il, de même que Victor, attend en cel­lule son pro­cès27 et de pareilles allé­ga­tions cir­culent à pro­pos d’Élisabeth Dmitrieff. Pourtant, ni cette der­nière, ni Anna, ni André Léo, ne seront arrê­tées et toutes par­viennent à fuir vers la Suisse. Victor, lui, n’a pas cette chance.

[Marc Chagall, Au-dessus de la ville, 1918]

La presse fait état d’une ten­ta­tive de pen­dai­son au pre­mier jour de son enfer­me­ment dans la pri­son des Chantiers, à Versailles. L’intéressé n’in­fir­me­ra ni ne confir­me­ra. Deux décen­nies après les faits, il dira son amer­tume : « La Commune enfer­mée dans Paris, était enter­rée avant d’être morte28. » Pourtant, après avoir com­bat­tu jus­qu’aux der­nières heures, Victor par­vient à trou­ver où se cacher. Mais comme tant d’autres, une dénon­cia­tion le perd. L’intervention de la famille de sa com­pagne, par l’en­tre­mise de Sofia et Vladimir Kovalevski puis du père, rendu⋅es ensemble à Paris pour cela, le sau­ve­ra — le mariage, en ce cas, lui a peut-être bel et bien ser­vi. Il arrive à Genève en octobre, où Anna l’y attend depuis plu­sieurs mois.

« Il s’a­git d’a­pai­ser les foules, de mettre ordre et mesure dans une socié­té où la révolte, de nou­veau, se fait craindre. »

Des com­mu­nardes, on a dit l’ou­bli qui les concerne après la répres­sion. Pourtant, « jamais une menace poli­tique n’a autant été pré­sen­tée sous la forme d’une menace sexuelle que dans les écrits por­tant sur la Commune de 187129 ». Plus de mille femmes sont inquié­tées par la jus­tice. Les peines sont variables et l’on s’ar­rête peu sur le carac­tère poli­tique de leur enga­ge­ment — cer­taines seraient même incul­pées pour la seule rai­son d’être des femmes30. Si Anna est condam­née par contu­mace aux tra­vaux for­cés en décembre 1871, c’est pour un motif de droit com­mun. Mais tan­dis qu’à Paris on donne la chasse à celles que la pos­té­ri­té réac­tion­naire appel­le­ra « les pétro­leuses », Anna par­court la Suisse avec Victor avant de rega­gner la Russie. Ce der­nier y ter­mine ses études de méde­cine à Saint-Pétersbourg et assure la cor­res­pon­dance russe avec des jour­naux poli­tiques fran­çais. Pour sa part, Anna se consacre au jour­na­lisme dans sa langue maternelle.

*

Paris. Un lun­di. Ce 21 juin 1880, celui qui a pro­cla­mé voi­ci dix années la IIIe République sur le par­vis de l’Hôtel-de-Ville de Paris est à la tri­bune, devant un par­terre d’é­lus. Léon Gambetta est alors pré­sident de la Chambre des dépu­tés. Son dis­cours marque les pré­sents au point qu’il sera affi­ché dans toutes les com­munes de France. Son pro­pos ? Réclamer, une nou­velle fois, l’am­nis­tie pour les com­mu­nards et com­mu­nardes. Mais qu’on ne s’y trompe pas : la République ne sou­haite par­don­ner le mas­sacre qui a mar­qué ses pre­miers mois, non : il s’a­git d’a­pai­ser les foules, de mettre ordre et mesure dans une socié­té où la révolte, de nou­veau, se fait craindre. Quelques jours plus tard, une loi per­met le retour de mil­liers d’exilé⋅es. Selon l’his­to­rienne Laure Godineau, ce fut une manière de « condam­ner fer­me­ment 1871 tout en pré­ten­dant l’oublier » — ain­si Gambetta clame-t-il dans son dis­cours la néces­si­té de « jeter le voile sur les crimes, les défaillances, les lâche­tés et les excès com­muns » pour que « l’ou­bli, le par­don, le silence [se fassent] sur la guerre civile31 ». Certain⋅es, à l’ins­tar du géo­graphe liber­taire Élisée Reclus, réfu­gié en Suisse comme tant d’autres, refusent de ren­trer dans un pays où le régime est plus oppor­tu­niste que social. Anna et Victor Jaclard, eux, pro­fitent de l’am­nis­tie et reviennent à Paris. Victor a alors qua­rante ans et ne ces­se­ra de s’in­ves­tir dans la vie poli­tique de la cité jus­qu’à sa mort, en 1901 ; Anna compte quatre années de moins mais pré­cè­de­ra son conjoint d’une décen­nie dans la tombe. Un jour d’oc­tobre 1887, celle-ci sera bai­gnée d’une pluie fine et d’un silence char­gé d’amitié.


[lire le cin­quième volet]


Illustrations de ban­nière : Marc Chagall


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  1. Louise Michel, À tra­vers la mort. Mémoires inédits 1886–1890, La Découverte 2015.[]
  2. Sur cette épi­sode, voir Chagall, Lissitzky, Malévitch — L’avant-Garde Russe à Vitebsk, 1918–1922, Bibliothèque publique d’in­for­ma­tion du Centre Pompidou, 2018.[]
  3. Unité admi­nis­tra­tive et ter­ri­to­riale russe, diri­gée par un gou­ver­neur regrou­pant les pou­voirs civils et mili­taires.[]
  4. Woodford McClellan, Revolutionary exiles : the Russians in the First International and the Paris Commune, Frank Cass, 1979.[]
  5. « Jaclard Anna » dans La Commune de Paris 1871, édi­tions de l’Atelier, 2021.[]
  6. Jean-Jacques Marie, Les Femmes dans la révo­lu­tion russe, Seuil, 2017.[]
  7. Citée dans Édith Thomas, Les « Pétroleuses » (1964), L’Armourier, 2019. Traduction de l’au­trice.[]
  8. Ruth A. Dudgeon, « The Forgotten Minority : Women Students in Imperial Russia, 1872–1917 », Russian History, vol. 9, n° 1, 1982.[]
  9. Cité dans Jean-Jacques Marie, op. cit. Traduction de l’au­teur.[]
  10. Cité dans Woodford McClellan, op. cit. Nous tra­dui­sons.[]
  11. Ibid.[][][][]
  12. Sur Sofia Kavalevskaya, voir Michèle Audin, Souvenirs sur Sofia Kovalevskaya, Calvage & Mounet, 2008.[]
  13. Anne Hibner Koblitz, Science, Women and Revolution in Russia, Harwood Academic, 2000.[]
  14. Édith Thomas, op. cit.[]
  15. Du nom d’Auguste Blanqui.[]
  16. Kristin Ross, L’Imaginaire de la Commune, La Fabrique, 2015.[]
  17. Édith Thomas, op. cit.[]
  18. Victorine Brocher, Souvenirs d’une morte vivante, Libertalia, 2017 ; Alix Payen, C’est la nuit sur­tout que les com­bats sont furieux, Libertalia, 2020.[]
  19. Une suc­ces­sion de décon­ve­nues mili­taires et la confir­ma­tion qu’une négo­cia­tion d’ar­mis­tice se tient entre Thiers et Bismarck indignent les pari­siens et pari­siennes assiégé⋅es. Le 31 octobre, des jour­naux appellent à la pro­cla­ma­tion de la Commune ; une occu­pa­tion de l’Hôtel-de-Ville tourne à l’é­meute ; la Préfecture de police est occu­pée. Toutefois, le sou­lè­ve­ment ne gagne pas l’en­semble de la capi­tale et s’a­paise dans la nuit. Alors que le contraire leur a été pro­mis, les prin­ci­paux meneurs seront arrê­tés.[]
  20. Cité dans Robert W. Schulkind, « Le rôle des femmes dans la Commune de 1871 », 1848. Revue des révo­lu­tions contem­po­raines, vol. 185, 1950.[]
  21. Cité dans Édith Thomas, op. cit.[]
  22. Quentin Deluermoz, « Des com­mu­nardes sur les bar­ri­cades », dans Coline Cardi et Geneviève Pruvost (dir.), Penser la vio­lence des femmes, La Découverte, 2012.[]
  23. Alain Dalotel, « La bar­ri­cade des femmes », dans Alain Corbin et Jean-Marie Mayer (dir.), La Barricade, Éditions de la Sorbonne, 1997.[]
  24. Louise Michel, La Commune (1898), La Découverte, 2015.[]
  25. « Enquête sur la Commune », La Revue blanche, tome XII, 1897.[]
  26. Dans la rubrique « Arrestations et exé­cu­tions », La Petite presse, 5e année, n° 1856, 10 juin 1871.[]
  27. Cité dans Woodford McClellan, op. cit.[]
  28. « Enquête sur la Commune », art. cit.[]
  29. Gay L. Gullickson, « La Pétroleuse : Representing Revolution », Feminist Studies, vol. 17, n° 2, 1991.[]
  30. Kathleen B.Jones et Françoise Vergès, « Women of the Paris Commune », Women’s Studies International Forum, vol. 14, n° 5, 1991.[]
  31. Laure Godineau, « L’amnistie des com­mu­nards : autour du dis­cours de Léon Gambetta, 21 juin 1880 », Nineteenth-Century French Studies, vol. 49, n° 3–4, 2021. Le dis­cours de Gambetta est repro­duit en annexe.[]

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