S'organiser pour l'autonomie alimentaire [2/2]

13 mai 2022


Texte inédit | Ballast | Série « Agriculture paysanne »

Pour indis­pen­sables que soient les expé­ri­men­ta­tions locales à l’a­gri­cul­ture pro­duc­ti­viste, ces pra­tiques ne sau­raient, à elles seules, contes­ter le modèle domi­nant. C’est donc à la géné­ra­li­sa­tion de l’a­groé­co­lo­gie et à un chan­ge­ment de modèle agri­cole et ali­men­taire radi­cal que tra­vaille l’Atelier Paysan. Cette coopé­ra­tive défend son Manifeste sur les routes de France depuis sa paru­tion, en mai 2021. Nous avons retrou­vé deux de ses auteurs dans le Finistère, ain­si qu’une cen­taine d’in­té­res­sés — pay­sans, mili­tants ou simples curieux — à la faveur d’un ras­sem­ble­ment dans une ferme col­lec­tive. Un week-end de dis­cus­sions, d’a­te­liers et de confé­rences : repor­tage. ☰ Par Roméo Bondon


[lire le deuxième volet de notre semaine « Agriculture pay­sanne »]


Solutions collectives

La route, imbi­bée de pluie et de brume, s’é­lève avec le relief. Je gagne les hau­teurs du très vieux Massif armo­ri­cain, ses landes et son gra­nit qui affleure entre les pousses brunes et rousses des gra­mi­nées. Le jaune de genets rend criard celui du col­za, seule culture en fleur à ce début de mois d’a­vril. Je passe l’un des cols peu éle­vés de la région. Au bord d’un lac, en contre-bas, des bâti­ments attirent le regard. C’est le site nucléaire de Brennilis, où se trouve l’an­cienne cen­trale des Monts d’Arrée, en déman­tè­le­ment depuis des dizaines d’an­nées. Après une dizaine d’an­nées d’ex­ploi­ta­tion à titre expé­ri­men­tal, les réac­teurs ont dû être arrê­tés. Les déchets pro­duits alors, eux, n’ont pas fini de per­du­rer. Je quitte la dépar­te­men­tale pour une route plus étroite. Au détour d’un virage, des dizaines de véhi­cules annoncent un ras­sem­ble­ment. La nature des auto­col­lants et du flo­cage de cer­tains four­gons ren­seignent sur la teneur de celui-ci. Depuis novembre 2021, L’Atelier Paysan, une « coopé­ra­tive d’au­to­cons­truc­tion », orga­nise deux jour­nées de ren­contres chaque mois autour de l’ou­vrage col­lec­tif Reprendre la terre aux machines. Livre au sous-titre bien­ve­nu : Manifeste pour une auto­no­mie pay­sanne et ali­men­taire.

C’est une ferme col­lec­tive de la com­mune de Commana, au cœur du Finistère, qui accueille la cin­quième édi­tion de ces dis­cus­sions. Un peu de retard nous amène à entrer dans une salle déjà réchauf­fée par les voix de participant·es enthou­siastes. Environ quatre-vingts per­sonnes venues de toute la Bretagne se déplacent au gré des indi­ca­tions d’Hugo, sala­rié de l’Atelier Paysan, à l’i­ni­tia­tive de ces ren­contres. Les groupes se font et se défont en fonc­tion du lieu d’o­ri­gine ou de l’ac­ti­vi­té exer­cée. Des maraîcher·es en cours d’ins­tal­la­tion et des éle­veurs à la retraite s’a­per­çoivent qu’ils sont voisin·es ; des col­lec­tifs venus de Brest ren­contrent ceux arri­vés de Rennes ; des militant·es anti­nu­cléaires, des fau­cheurs et fau­cheuses volon­taires s’en­quièrent des éla­bo­ra­tions pour une Sécurité sociale de l’a­li­men­ta­tion1. En somme, on pié­tine gaie­ment, dans un brou­ha­ha qui témoigne d’un désir com­mun de par­ta­ger son expé­rience. Jean-Claude, ancien éle­veur, figure his­to­rique des luttes pay­sannes en Bretagne et coa­ni­ma­teur des ren­contres, donne de la voix pour que le bruit retombe. Hugo reprend la main. Afin de lan­cer les dis­cus­sions, deux ques­tions sont abor­dées suc­ces­si­ve­ment. À l’é­coute de la pre­mière, l’as­sem­blée se coupe en deux en fonc­tion de son accord ou de son désac­cord avec la pro­po­si­tion : pour chan­ger le monde, doit-on d’a­bord se chan­ger soi ? Les argu­ments s’en­chaînent pour ten­ter de convaincre l’autre camp. L’un note que les plus actifs et actives poli­ti­que­ment sont aus­si, sou­vent, celles et ceux qui font pas­ser le col­lec­tif avant toute chose, tan­dis qu’une autre avance qu’on ne peut dis­so­cier les deux niveaux d’ac­tion. Puis, à l’é­coute de la seconde pro­po­si­tion, deux groupes se reforment et une même divi­sion s’o­père : la valeur d’une tech­no­lo­gie dépend-elle des usages que l’on en fait ? Action indi­vi­duelle, orga­ni­sa­tion col­lec­tive, valeur et usage d’une tech­no­lo­gie appli­quée à l’a­gri­cul­ture : voi­là trois points sur les­quels revien­dront Jean-Claude et Hugo tout le long de la mati­née. L’un et l’autre ont par­ti­ci­pé à l’é­cri­ture de Reprendre la terre aux machines, livre qu’ils pro­posent d’ar­pen­ter quelques heures durant.

« La pro­duc­tion est abon­dante, c’est vrai, comme sont abon­dants les pro­duits jetés, impropres, par­fois gas­pillés dans le seul but de faire mon­ter le cours d’une marchandise. »

Le pre­mier témoigne de son par­cours. Issu d’une famille ouvrière mili­tante où « la droite était le Parti socia­liste et la gauche le Parti com­mu­niste », Jean-Claude a quit­té la ville et sa pro­fes­sion de cou­vreur au début des années 1970 pour, dit-il, « s’é­chap­per de la condi­tion pro­lé­taire » et « refu­ser l’in­dus­tria­li­sa­tion de la vie ». À tout juste 20 ans, le voi­là qui conduit quo­ti­dien­ne­ment quelques vaches dans la cam­pagne bre­tonne, et ce pour les qua­rante années à suivre. Une acti­vi­té agri­cole qui s’est vite dou­blée d’un infa­ti­gable mili­tan­tisme : vente directe pour se défaire des inter­mé­diaires, consti­tu­tion du pre­mier réseau d’a­gri­cul­ture bio­lo­gique dans le Finistère2, mar­ché de plein vent aux pieds des barres HLM de Brest… L’homme nous ras­sure : il n’est pas un géné­ral fai­sant état de déco­ra­tions pour ser­vice ren­du. Car il le rap­pelle : mal­gré les ini­tia­tives, l’é­chec col­lec­tif est patent. Face à une insé­cu­ri­té ali­men­taire crois­sante pour un grand nombre de Français·es, à une dété­rio­ra­tion de la qua­li­té des pro­duits, l’a­gri­cul­ture pay­sanne fait figure de niche inté­res­sante, certes, mais en rien capable de faire vaciller soixante-dix ans d’in­dus­tria­li­sa­tion. Hugo rebon­dit : « Ça n’est pas avec la créa­tion de l’Atelier Paysan que John Deere [marque spé­cia­li­sée dans les machines agri­coles, ndlr] recule. » Malgré les rires, le constat d’im­puis­sance est amè­re­ment par­ta­gé. Une dépos­ses­sion en cours depuis plus d’un demi-siècle.

Sur un rythme sou­te­nu, l’his­toire de la moder­ni­sa­tion agri­cole fran­çaise est pas­sée au crible. Si les notions d’é­co­no­mie semblent à certain·es un peu ardues, le déve­lop­pe­ment convainc sans peine une assis­tance déjà conquise. Une piqure de rap­pel, chiffres à l’ap­pui, ne fait jamais de mal. Les grandes dates de la moder­ni­sa­tion agri­cole sont pas­sées en revue et les prin­ci­pales ins­ti­tu­tions sont détaillées. Puis cri­ti­quées. La PAC, notam­ment, est décrite comme « une sub­ven­tion à la baisse des prix » — PAC qu’il fau­drait sup­pri­mer, nous a dit cette même semaine la jour­na­liste Lucile Leclair. Si la pla­te­forme « Pour une autre PAC » tente d’in­suf­fler des idées neuves au sein d’une ins­ti­tu­tion obso­lète, la nou­velle mou­ture recon­duit les stan­dards d’une agri­cul­ture indus­trielle qui se teinte se vagues reflets verts. Hugo résume : la moder­ni­sa­tion agri­cole a été jus­ti­fiée par une recherche de l’a­bon­dance ali­men­taire. Et la pro­duc­tion est abon­dante, c’est vrai, comme sont abon­dants les pro­duits jetés, impropres, par­fois gas­pillés dans le seul but de faire mon­ter le cours d’une mar­chan­dise. En somme : une contra­dic­tion propre au sys­tème capi­ta­liste. Une impasse.

[Roméo Bondon | Ballast]

Mais des solu­tions existent. Pour Hugo, elles se décli­ne­raient en « un grand mou­ve­ment social » à même de « contrer l’es­ca­lade tech­no­lo­gique » dans le monde agri­cole et sur ses bords. Des méca­nismes de mutua­li­sa­tion et de socia­li­sa­tion sont convo­qués pour rendre envi­sa­geable une trans­for­ma­tion à l’é­chelle d’une région, voire d’un pays entier. Mais, pour cela, il convient de « ne plus rai­son­ner en éco­no­mie ouverte » — des pro­pos en bute avec le mar­ché des matières pre­mières agri­coles, régi pour les céréales et oléa­gi­neux par des tran­sac­tions bour­sières depuis Chicago. Des pro­pos, aus­si, qui pren­dront tout leur sens quelques semaines plus tard lorsque, sur le pont supé­rieur d’un fer­ry quit­tant Dublin pour Cherbourg, le bruit des vagues et des oiseaux sera étouf­fé par les meu­gle­ment de cen­taines de veaux. Sur le pont infé­rieur, des bétaillères sta­tion­ne­ront en effet le temps d’une nuit avant de reprendre la route vers l’un ou l’autre des pays du conti­nent. Il est pos­sible de lais­ser ces ani­maux qua­rante-huit heures ain­si, me ren­sei­gne­ra-t-on — misères d’une loi acquise au libre-échange.

Renouveau paysan

La plé­nière laisse place à des ate­liers. L’un est consa­cré aux alter­na­tives locales, celles qui prennent racine dans cette par­tie de la Bretagne. Mais, avant qu’on n’é­change les tuyaux et les bons plans des envi­rons, ce sont des situa­tions dif­fi­ciles qu’on entend. Cela fait deux ans que Gaël, grand tren­te­naire à la barbe four­nie, cherche avec sa com­pagne quelques hec­tares dans sa com­mune du Finistère pour y faire pâtu­rer des bre­bis. Mais des terres, il n’y en a pas, qu’elles soient déjà occu­pées ou que le sys­tème d’at­tri­bu­tion ne pri­vi­lé­gie pas des pro­jets comme le leur. Les tommes et les fro­mages frais que pro­duisent les deux paysan·nes ne répondent pas encore aux cri­tères d’ho­mo­gé­néi­té que la stan­dar­di­sa­tion a géné­ra­li­sés. Dans l’at­tente, cer­tains client·es se lassent, tan­dis que des ami·es per­sistent et encou­ragent. Fatigué·es par tant d’obs­tacles à leur ins­tal­la­tion, les aco­lytes ont déci­dé de sor­tir des clous. Ils orga­nisent désor­mais un « mar­ché clan­des­tin », explique Gaël, en un lien de ren­contre non-décla­ré où les pro­duits sont ven­dus à prix libre. À ces mots, on pense spon­ta­né­ment aux « non-mar­chés » de Notre-Dame-des-Landes, de Bure ou d’ailleurs, comme on songe aux « mar­chés rouges » des squats urbains où des den­rées récu­pé­rées sur les étals sont offertes aux plus défa­vo­ri­sés. On se dit que les ventes doivent être joyeuses et bien vivantes dans ce coin recu­lé de la Bretagne. Gaël pour­suit et tem­père : « On a la double cas­quette. On vit dans la pré­ca­ri­té, donc on consomme dans la pré­ca­ri­té. » Les images fes­tives se brouillent, rem­pla­cées par la brume des frais, des freins, des dettes. Lui et sa com­pagne ne s’en sortent pas.

« On a la double cas­quette. On vit dans la pré­ca­ri­té, donc on consomme dans la pré­ca­ri­té. »

Une fois quit­tée l’ef­fer­ves­cence mili­tante, les modes de vente alter­na­tifs disent sou­vent autre chose de la pro­duc­tion et de l’a­li­men­ta­tion : la dif­fi­cul­té de s’ins­tal­ler en tant que paysan·ne sans un apport finan­cier impor­tant, l’é­troi­tesse des dis­po­si­tifs mis en œuvre pour faci­li­ter les nou­veaux et les nou­velles venu·es dans le monde agri­cole, la soli­tude dans des com­munes où coha­bitent des micro-fermes, des exploi­ta­tions indus­trielles et de grandes entre­prises agro-ali­men­taires. Non loin du mar­ché clan­des­tin, sur une com­mune voi­sine, un han­gar ruti­lant vient d’être construit. Pour Alain, pay­san des envi­rons, la décou­verte du nou­veau bâti­ment a été « un grand coup dans le ventre ». Il s’ex­plique : « Ce mar­ché-là, il a été lan­cé par deux pro­duc­teurs de porcs et de vaches allai­tantes conven­tion­nelles sur des champs en bio — car c’est aus­si ça, la bio. Ils n’é­taient pas allés assez loin dans leur démarche. Ils se lancent dans la pro­duc­tion fer­mière : leurs cochons indus­triels, ils vont le vendre comme un pro­duit fer­mier. » L’indignation est évi­dente, le décou­ra­ge­ment proche. Alain conclut : « Moi j’é­tais pro­duc­teur pour faire mon salaire ; eux, c’est pour faire du capi­tal. »

Une même ten­sion vécue au quo­ti­dien se réper­cute dans les mots échan­gés. Christophe, maraî­cher et culti­va­teur de plantes médi­ci­nales au regard lavé par le soleil, rap­pelle que « quand on est en pré­ca­ri­té on met énor­mé­ment d’éner­gie dans la ferme et on n’a pas le temps pour le réseau ». S’il ne peut guère par­ti­ci­per aux réunions après une jour­née de tra­vail, il a à cœur de pro­po­ser des ses­sions de jar­di­nage dans des quar­tiers de Brest. Quelques chaises plus loin, c’est au tour de Sandrine de prendre la parole. Éleveuse de chèvres sur un espace conven­tion­né par le Parc natu­rel régio­nal d’Armorique, elle ne tient pas à pro­duire plus que ce que le petit trou­peau qu’elle laisse pâtu­rer sur de larges espaces lui apporte. Mais, là encore, l’ar­bi­trage entre un mini­mum vital pour soi et un prix bas est dif­fi­cile. « J’ai cal­cu­lé mes coûts de pro­duc­tion et je me suis aper­çue que ça n’é­tait pas acces­sible », déplore-t-elle, la gorge ser­rée. À ces dif­fi­ciles constats, certain·es opposent des posi­tions qui ras­surent, à même de pas­ser de la culpa­bi­li­té à la colère. Et, en colère, un maraî­cher dit l’être « parce que je n’ar­rive pas à nour­rir tout le monde ». Néanmoins, ce der­nier refuse de trop réduire le prix de vente de ses pro­duits. Lui et ses associé·es sont payés au Smic horaire, un salaire qui lui paraît juste pour le tra­vail effec­tué. « J’aimerais que les gens com­prennent que ce qu’ils mangent est sub­ven­tion­né », ajoute-t-il, fai­sant réfé­rence au prix d’a­chat des pro­duits infé­rieur à leur coût de pro­duc­tion sur les mar­chés ali­men­taires. Les expé­riences ricochent les unes sur les autres et, peu à peu, la cama­ra­de­rie chasse pour un moment les obs­tacles quo­ti­diens. Olivier, ani­ma­teur d’une « librai­rie rurale et poli­tique depuis près de dix ans » dans le dépar­te­ment, témoigne de sa gra­ti­tude pour les per­sonnes ayant par­ta­gé leurs dif­fi­cul­tés ; Renaud insiste sur l’im­por­tance de conser­ver des terres vivrières au sein même de fermes pro­duc­tives pour la vente — le col­lec­tif dans lequel il s’ins­crit a déci­dé de lais­ser trois hec­tares libres afin qu’a­vec « un peu de terre et beau­coup de temps » la ferme et des voisin·€nes puissent sub­ve­nir en par­tie à leurs besoins. De temps en temps, Hugo, pas­sant d’un ate­lier à un autre, inter­vient par­fois pour tem­pé­rer : la plu­part des sou­haits expri­més « à l’é­chelle d’une ferme ne sont pas attei­gnables ». Pour lui, il est « de salut public » de dif­fu­ser cette idée. Allant plus loin, il rap­pelle que « c’est le propre d’une idéo­lo­gie réac­tion­naire que de trans­for­mer un pro­blème socio-éco­no­mique en une res­pon­sa­bi­li­té indi­vi­duelle ». Une mili­tante venue de Rennes rebon­dit : à l’é­chelle de sa ville, elle par­ti­cipe à des récu­pé­ra­tions de nour­ri­ture pour appro­vi­sion­ner des lieux de lutte, des squats, des can­tines… Elle conclut : « Le but n’est pas de nour­rir les pauvres mais d’é­ra­di­quer la pau­vre­té. Donc il faut sou­te­nir les luttes de trans­for­ma­tion sociale. » Un même élan sai­sit les participant·es. L’atelier touche à sa fin mais les dis­cus­sions conti­nue­ront long­temps encore.

[Roméo Bondon | Ballast]

*

La jour­née d’é­changes et de débats s’a­chève en même temps que la pluie s’ar­rête. Toan me désigne un point indis­tinct au-dehors — rien d’autre que le jeu de la lumière sur les flaques et les arbustes imbi­bés. On quitte ensemble la pro­mis­cui­té joyeuse de la salle. Autour de la ferme, la bâche opaque d’une serre, dis­si­mu­lées par des genêts et des trognes, flotte dans le vent. Plus loin, des vaches paissent tan­dis que les arbres s’é­gouttent de la récente averse. Toan est ins­tal­lé à Douarnenez, près de la pointe du Raz, l’une de ces extré­mi­tés géo­gra­phiques qu’il dit aimer décou­vrir. S’il n’est pas lui-même inves­ti dans le monde agri­cole, sa curio­si­té l’a conduit à par­ti­ci­per aux deux jour­nées orga­ni­sées par l’Atelier Paysan. Des ami·es maraîcher·es l’ont quelque peu fami­lia­ri­sé avec les cultures, mais pour l’heure, c’est la répa­ra­tion de vélo et la sou­dure qui l’oc­cupent. On se tait un moment pour pro­fi­ter du soleil avant qu’un nuage ne le cache de nou­veau. Après un regard pour la cui­sine col­lec­tive et un autre pour un han­gar atte­nant, Toan reprend : « Ce que je cher­chais dans les squats, je le trouve main­te­nant dans les fermes. » Je sou­ris. L’autonomie, la débrouille, l’en­traide, la cama­ra­de­rie : autant d’as­pects recon­nus l’es­pace d’une semaine dans les mots et les pra­tiques de paysan·es de tous âges, de militant·es opposé·es à l’in­dus­tria­li­sa­tion, de salarié·es déboussolé·es en quête de sens. Comme le sug­gère un livre récent3, cette « condi­tion pay­sanne » que cer­tains socio­logues4 ont cru dis­pa­rue per­siste et se renou­vèle sous d’autres formes, avec des sou­tiens qui excèdent le seul milieu agri­cole. Je songe à cet objec­tif repris par l’Atelier Paysan à la Confédération pay­sanne : un mil­lion d’a­gri­cul­teurs et d’a­gri­cul­trices installé·es dans les dix années à venir. Espérons que les moyens pour réa­li­ser un tel sou­hait seront trou­vés, qu’il faille pour cela blo­quer des semen­ciers indus­triels, semer sau­va­ge­ment dans des par­celles en cours d’ur­ba­ni­sa­tion où, sim­ple­ment, en tra­vaillant la terre pour soi et pour les autres.


[lire le qua­trième volet | Marie et Thierry : le pain et la terre]


L’auteur tient à remer­cier l’as­so­cia­tion Triptolème, l’Atelier Paysan, ain­si que les par­ti­ci­pants et les par­ti­ci­pantes ren­con­trés durant les évé­ne­ments pour leur accueil et leur enthou­siasme durant les échanges.
Photographies de ban­nière et de vignette : Roméo Bondon | Ballast


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  1. Pour plus d’in­for­ma­tion, voir Laura Petersell et Kévin Certenais, Régime géné­ral — Pour une sécu­ri­té sociale de l’a­li­men­ta­tion, Riot édi­tions, 2022.[]
  2. On dis­tingue le bio, qui fait réfé­rence au label Agriculture bio­lo­gique (AB) et à son cahier des charges, de la bio, qui cor­res­pond à l’é­thique, aux pra­tiques et aux valeurs par­ta­gées par les adeptes d’un mode de culture par­ti­cu­lier.[]
  3. L’Observatoire de l’é­vo­lu­tion, Manifeste pour l’in­ven­tion d’une nou­velle condi­tion pay­sanne, L’Échappée, 2019.[]
  4. Au pre­mier des­quels Henri Mendras, La Fin des pay­sans, Babel / Actes Sud, 1992 (1967).[]

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