Texte inédit pour le site de Ballast
« Ce qui advient, n’advient pas tant parce que quelques-uns veulent que cela advienne, que parce que la masse des hommes abdique sa volonté, laisse faire », écrivait en février 1917 le penseur Antonio Gramsci. On aurait tort, nous explique l’auteur du présent article, de négliger cette figure essentielle du marxisme de la première moitié du XXe siècle — aucun grand courant contemporain, pourtant, ne se revendique du co-fondateur du Parti communiste italien. Benito Mussolini aurait lancé : « Nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner pendant vingt ans ». L’oracle fit fausse route : jamais Gramsci ne fut plus productif qu’entre les quatre murs entre lesquels le fascisme le maintint… À l’heure où Manuel Valls tempête contre le « passéisme » d’un socialisme qu’il entend bien abandonner au profit d’une « gauche » qui aurait enfin l’audace d’être, avec les succès que l’on sait, « pragmatique, réformiste et républicaine », n’aurait-on pas quelque intérêt à rouvrir un peu les vieux tiroirs ?
Alors que le Parti socialiste a enfin réussi, depuis la victoire de François Hollande en mai 2012, à reconquérir le pouvoir, il n’a paradoxalement jamais semblé recueillir aussi peu d’adhésion auprès du peuple français — à tel point que sa défaite aux élections présidentielles de 2017 semble presque acquise. Dans le même temps, la gauche de la gauche est effrayée par l’actuelle zemmourisation des esprits, qui lui rappelle qu’elle perd du terrain, chaque jour un peu plus, sur celui des valeurs (d’autant qu’elle apparaît fort mal en point pour contrer la « droitisation » de l’espace politique). C’est pour cela que le révolutionnaire Antonio Gramsci, qui fut sans doute le premier intellectuel à avoir réfléchi à l’intérêt du combat d’idées, s’avère aujourd’hui primordial pour régénérer un authentique socialisme français – autrement dit : qui entend réellement rompre avec le mode de production capitaliste et l’imaginaire qu’il charrie.
Des Conseils au cachot
« Il consigna l’essentiel de sa théorie dans ses Cahiers de Prison. »
Né en 1891, Antonio Gramsci publiait dans des revues politiques alors qu’il n’était encore qu’étudiant en philosophie à l’Université de Turin. Il tint par la suite une rubrique culturelle et politique dans une revue proche du Parti socialiste italien (PSI). Cette expérience fut essentielle — il commença ainsi à prendre conscience du rôle du combat d’idées pour l’avènement du socialisme. Il développa le concept de journalisme intégral, basé sur la diffusion culturelle et idéologique. À l’époque, il côtoya celui qui, un jour, allait causer se perte, le jeune Benito Mussolini, alors membre du Parti socialiste. Le futur révolutionnaire ne fut pas long à se lier au mouvement ouvrier et il prit part aux insurrections ouvrières turinoises de 1915 et 1917 : « Les capitalistes italiens déployèrent l’ensemble de leurs forces pour étouffer le mouvement ouvrier turinois ; tous les moyens de l’État bourgeois furent mis à leur disposition », analysa-t-il dans un rapport rédigé trois ans plus tard. Il participa également au mouvement « conseilliste », y défendant la création de Conseils d’ouvriers au sein des entreprises. Cela fut une défaite et Gramsci s’en montra durablement affecté, ainsi que le rappela le philosophe André Tosel, auteur de l’essai Le marxisme du XXe siècle : « Gramsci va être traumatisé par cet échec. D’où l’espoir qu’il met dans le Parti. Les ouvriers qui s’organisent pour gérer la production sentent qu’ils ont des capacités, mais pour avoir une force suffisante, une pleine compréhension de la situation, ils ont besoin d’un organe qui centralise leurs expériences ».
Le 21 janvier 1921, le PSI connut le même sort que la majorité des autres partis socialistes européens : une scission avec son aile gauche et la création du Parti communiste italien (PCI). Gramsci fut de l’aventure, allant jusqu’à prendre la tête du Parti en 1925. Celle-ci tourna court puisqu’il fut arrêté un an plus tard par le régime fasciste dudit Mussolini : le pouvoir le condamna pour conspiration. Atteint de tuberculose, il décéda quelques jours après sa sortie de prison, en 1937. Si sa production écrite était loin d’être quantité négligeable avant son incarcération, ce fut dans sa cellule qu’il élabora ce que la postérité allait appeler « gramscisme ». Il consigna, en effet, l’essentiel de sa théorie dans ses Cahiers de Prison — ils comptent trente-trois fascicules —, qui furent recueillis par sa belle-sœur. Ils connurent un fort écho au sein du PCI (notamment grâce à son secrétaire général, Palmiro Togliatti) puis, les années passant, dans le reste de l’Europe et du monde entier.
[Benito Mussolini, à Rome, DR]
Praxis versus matérialisme
Une question devint une obsession pour le penseur : pourquoi la révolution ouvrière avait-elle pu parvenir à terme en Russie, en 1917, alors qu’elle avait échoué en Allemagne, à Turin, ainsi que dans bon nombre de pays d’Europe ? La réponse, il finit par l’obtenir en analysant les différences historiques et culturelles existant entre ces sociétés. Communiste, Gramsci s’intéressait naturellement à Karl Marx et à la dialectique matérialiste ; Italien, il était influencé par Benedetto Croce, penseur le plus respecté dans son pays à cette époque, ainsi que par Machiavel. La pensée anarcho-syndicaliste française bénéficiait également d’un très fort écho de l’autre côté des Alpes : Gramsci s’imprégnait fortement de l’œuvre de Georges Sorel, père des célèbres Réflexions sur la violence. À souligner en sus la forte sympathie qu’il éprouvait pour l’auteur de L’Argent, Charles Péguy1. Il a retenu de Croce son historicisme et voyait dans Machiavel le fondateur de la science politique — quant à Sorel, le théoricien controversé du syndicalisme révolutionnaire l’aidait à réfléchir à l’auto-organisation des masses. Ce fut à la confluence de ces pensées que Gramsci élabora une nouvelle forme de matérialisme, la « philosophie de la praxis ». Signalons en passant que certains l’identifient au marxisme classique et attribuent cette formulation à la nécessité de brouiller les pistes afin d’éviter la censure en prison, tant Gramsci était surveillé et relu par ses gardes (pourtant, comme l’explique le philosophe marxien Denis Collin, « l’expression filosofia della praxi est propre aux philosophes italiens marxistes »).
« Le théoricien controversé du syndicalisme révolutionnaire l’aidait à réfléchir à l’auto-organisation des masses. »
Contrairement au matérialisme historique de Marx, où les événements historiques sont déterminés par les rapports sociaux (et par la lutte des classes), la vision gramsciste fait la part belle au contexte socio-historique, fondamental dans la détermination des idées. Ces dernières découlent à ses yeux de la relation entre l’activité humaine pratique (ou praxis) et les processus socio-historiques objectifs dont elle fait partie. Les relations sociales entre les individus remplacent ainsi les rapports sociaux, c’est-à-dire les modes de production. La philosophie de la praxis est donc une relecture marxiste qui se situe au-delà de la confrontation entre le matérialisme marxiste et l’idéalisme hégélien — ce qui s’oppose à la vision marxiste orthodoxe d’un Boukharine, d’un Plekhanov ou d’un Lénine (même si Gramsci ne cachait pas l’admiration qu’il portait au légendaire leader bolchevik). Selon lui, ces derniers ne s’éloignaient pas du dogmatisme religieux critiqué par le philosophe allemand : il les accusait de réduire la pensée de Marx à l’analyse d’une histoire naturelle coupée de l’histoire humaine. Prenant appui sur le cas russe, où le capitalisme n’avait pas atteint une forme mature avant la révolution bolchevik, il en vint à rejeter toutes formes de déterminisme économique et à conclure que les changements culturels et économiques naissaient d’un processus historique où il s’avérait impossible de dire quel élément précédait l’autre. Finalement plus que les moyens de production ou les idées, c’est la volonté humaine qui prédomine chaque société.
Cette liberté vis-à-vis du matérialisme permit au Turinois d’adoption de se détacher d’une analyse qui se bornait à l’« infrastructure » (organisation économique de la société) et à la « superstructure » (organisation juridique, politique et idéologique de la société). Chez Marx et ses disciples, l’infrastructure influence la superstructure, qui, à son tour, définit toutes les formes de conscience existant à une époque donnée. Gramsci a substitué ces deux notions par celles de « société politique », qui est le lieu où évoluent les institutions politiques et où elles exercent leur contrôle, et de « société civile » (il emprunta cette expression à Hegel), où s’exercent les domaines culturels, intellectuels et religieux. Cette dernière n’est cependant pas apolitique : elle est même la base de la politique. Pour Gramsci, et selon Tosel, toujours, « l’État doit être investi par la société civile. Et en même temps, il ne peut se dissoudre en elle. » Si Gramsci admettait que ces deux sphères se recoupaient en pratique, leur dissociation théorique était essentielle.
[Buste de Karl Marx, à Chemnitz, DR]
Au cœur de l’hégémonie culturelle
Gramsci a fait savoir que si les sociétés se maintenaient dans le temps, cela procédait autant du contrôle et de la force d’État (ou de la société politique) que du consentement de sa population — un consentement obtenu par l’adhésion à la société civile. Ainsi, pour qu’une révolution soit couronnée de succès, il faut contrôler d’un même élan la société politique et la société civile. Si la Révolution russe de 1917 a pu aboutir, assura-t-il, c’est justement parce que la société civile y était fort peu développée, si bien qu’une fois l’appareil étatique conquis, le consentement de la population pouvait aisément s’obtenir. Mais dans les sociétés occidentales, où la société civile s’affirme plus densément, les choses s’annoncent de façon plus compliquée. La Révolution française de 1789 eut d’abord l’aval de la bourgeoisie et d’une partie de l’aristocratie, grâce à la diffusion de la philosophie des Lumières, qui dominait culturellement depuis la « révolution des esprits » qu’elle s’était échinée à mener. C’est ainsi que naquit le concept gramscien essentiel d’hégémonie culturelle.
« La violence n’est pas nécessaire : tout l’enjeu est de transformer les consciences en menant et en remportant une bataille culturelle. »
Dans l’optique de prendre le contrôle de la société civile, gagner l’hégémonie culturelle devient primordial pour le penseur. Denis Collin a d’ailleurs rappelé que « la question de la bataille culturelle occupe la majeure partie des deux mille pages des Cahiers de prison, sous une forme ou sous une autre. Contre le « matérialisme banal », il considère que c’est là que se joue véritablement la question politique centrale puisque c’est là que se joue l’hégémonie. » Si la question apparaît si vitale aux yeux de Gramsci, c’est parce que « chaque révolution a été précédée par un travail intense de critique sociale, de pénétration et de diffusion culturelle ». Il bâtit ainsi une dialectique du consentement et de la coercition et théorise la « révolution par étapes », qui n’est rien d’autre qu’une véritable « guerre de position ». La violence n’est pas nécessaire pour mener et remporter une révolution : tout l’enjeu est de transformer les consciences en menant et en remportant une bataille culturelle. En faisant cela, le révolutionnaire obtient un pouvoir symbolique précédent le vrai pouvoir politique. Gramsci écrivit ainsi : « Un groupe social peut et même doit être dirigeant dès avant de conquérir le pouvoir gouvernemental : c’est une des conditions essentielles pour la conquête même du pouvoir ». En d’autres termes, pour mener à bien sa révolution, la classe des travailleurs doit voir ses intérêts de classe devenir majoritaires au sein de la population dans son ensemble.
Toutefois, cette hégémonie ne germe pas d’elle-même : la conscience de classe n’est pas forcément naturelle (pas plus que les idées qui s’y rattachent et encore moins leur diffusion). C’est pourquoi Gramsci fit émerger une classe sociale spécifique qui se distingue des travailleurs : l’intellectuel qui œuvre au service du Parti et organise l’unité de classe. Comme Machiavel, il assigna une tâche spécifique à l’intellectuel : détruire les valeurs de la société capitaliste et traditionnelle. Dans le même temps, le Parti joue le rôle du « prince moderne » et fédère ce qui a tendance à se disperser à l’état naturel, tout en dotant la classe contestataire d’une « volonté collective ». Les intellectuels sont organiques et se séparent en deux catégories : l’intellectuel théoricien – que Gramsci nommait traditionnel quand il appartient à la classe dominante en déclin –, qui effectue une action générale sur la société civile ; l’intellectuel spécialisé qui n’opère que sur un domaine précis. L’intellectuel traditionnel a un rôle essentiel dans la société puisqu’il assure le maintien de l’ordre établi bien qu’il puisse également le renverser s’il bascule du côté de la classe contestataire. En dépit de ce statut singulier, l’intellectuel ne doit pas se concevoir au-dessus de la société : il lui appartient pleinement. Dans ses Cahiers de prison, il nota à ce propos : « L’erreur de l’intellectuel consiste à croire […] que l’intellectuel peut être un véritable intellectuel (et pas simplement un pédant) s’il est distinct et détaché du peuple-nation, s’il ne sent pas les passions élémentaires du peuple, les comprenant, les expliquant et les justifiant dans la situation historique déterminée. »
[Russie, 1917, DR]
Gramsci distingua aussi le Parti politique du Parti idéologique, dans lequel il s’inclut. L’intérêt du premier se situe dans sa structure hiérarchisée, presque militaire, où l’action procède du haut vers le bas — bien qu’elle s’alimente d’abord par le bas. Le Parti idéologique comprend en plus le cercle d’influence du Parti politique et permet sa diffusion culturelle. Par sa structure et à travers ses intellectuels organiques, le Parti politique a pour mission d’aider la classe oppositionnelle à s’ériger en classe dominante en menant une révolution culturelle. En outre, il doit assurer un rôle stratégique : Antonio Gramsci était par exemple favorable à l’alliance avec le Parti populaire italien, composé de catholiques antilibéraux. Il considéra la fondation de ce mouvement comme « l’événement le plus important de l’histoire italienne depuis le Risorgimento ». Pourquoi ? Au regard de la dimension majoritairement paysanne de ses électeurs, ce parti, « sous la pression économique et politique du fascisme, renforce son orientation de classe et commence à se rendre compte de son destin lié à la classe ouvrière2 ».
« Mais que l’on ne s’y méprenne pas : le Parti n’a pas vocation à régner – comme en URSS. »
Mais que l’on ne s’y méprenne pas : le Parti n’a pas vocation à régner – comme en URSS. Pas plus que ses intellectuels. Tosel rappelle avec justesse que sa pensée « vise […] la participation active des producteurs à la production elle-même et à l’ensemble des activités sociales ». Sortant le prolétariat du rôle messianique auquel Karl Max l’avait assigné, l’Italien emprunta le concept de « bloc historique » à Sorel. Autrement dit : l’alliance des classes populaires vouée à renverser le système bourgeois et à emmener le socialisme, après avoir pris conscience de ces conditions matérielles. Si l’on suit le philosophe grec Panagiotis Sotiris, le bloc historique, plus qu’un concept stratégique « désigne également une activité dialectique et un processus de différenciation ». Le Parti n’est là que pour aider l’émergence de ce bloc historique. Tosel rappelle que, dans la vision de Gramsci, « les ouvriers qui s’organisent pour gérer la production sentent qu’ils ont des capacités, mais pour avoir une force suffisante, une pleine compréhension de la situation, ils ont besoin d’un organe qui centralise leurs expériences ». Les organisations révolutionnaires doivent s’adosser, un temps, au « sens commun » – sorte d’idéologie « dégradée » que Gramsci qualifie, pourtant sans mépris, de « folklore philosophique » partagé par les groupes sociaux dominés – pour rapprocher les classes populaires entre-elles et de la philosophie de la praxis.
Gramsci : quel héritage ?
Pourtant, comme nous l’évoquions plus haut, Antonio Gramsci n’a pas laissé de descendance directe (contrairement aux autres grands penseurs socialistes de son époque). Prenons la France. Si pratiquement toutes les formations situées à la gauche du Parti socialiste se sont revendiquées un jour ou l’autre de Lénine, si la Ligue communiste révolutionnaire (devenue NPA), Lutte ouvrière ou encore le Parti ouvrier indépendant s’inscrivent dans le droit fil de Trotsky, si le maoïsme eut la Gauche prolétarienne ou que le luxemburgisme a inspiré le conseillisme, qui permit Socialisme ou barbarie ou encore l’Internationale situationniste, aucune structure n’est née du gramscisme. Ce qui n’induit pas, loin s’en faut, l’absence de portée de la pensée gramscienne ! En Italie, le PCI de Palmiro Togliatti a tenu à se revendiquer du communiste turinois, quitte à parfois instrumentaliser sa mémoire. Son héritage y est cependant resté vif, comme en témoigne le recueil Les Cendres de Gramsci publié en 1957 par le poète Pier Paolo Pasolini, qui fut un temps militant du PCI — bien que marxiste, l’intellectuel avait confié avoir été davantage influencé par son compatriote que par l’auteur du Capital. C’est à la lecture de Gramsci qu’il réalisa que l’intellectuel avait vocation à être, selon ses mots, une « véritable cheville médiatrice des classes », à mi-chemin entre le Parti et la masse des travailleurs.
« Pasolini avait confié avoir été davantage influencé par Gramsci que par l’auteur du Capital. »
Une influence qui ne s’arrête évidemment par aux frontières transalpines. En Angleterre, le sociologue Stuart Hall, considéré comme le Pierre Bourdieu britannique, a largement pillé Gramsci et le concept d’hégémonie culturelle pour fonder les cultural studies. En France, son travail continue d’inspirer des penseurs et des militants comme André Tosel, Gaël Brustier ou Clément Sénéchal. Son influence dépasse cependant le camp révolutionnaire. Car, comme l’explique le politologue canadien Jean-Marc Piotte, qui a réalisé une thèse sur la question, la « grande force » d’Antonio Gramsci « c’est d’avoir réfléchi au rôle de la culture dans l’action politique et ça va plus loin que la simple pensée marxiste ». Voilà ce qui rend possible sa récupération par des forces historiquement hostiles à l’émancipation. C’est notamment le cas du principal théoricien de la « Nouvelle droite », Alain de Benoist, qui a coécrit un article intitulé Pour un « gramscisme de droite » dans le début des années 1980 et qui s’est consacré, pendant pratiquement cinquante ans, à la « métapolitique » — c’est-à-dire à l’action dans le champ idéologique et culturel en vue d’une prise de pouvoir. Moins intellectuel, Nicolas Sarkozy déclarait dans Le Figaro Magazine, quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle 2007 : « Au fond, j’ai fait mienne l’analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées. » Il n’est d’ailleurs un secret pour personne que son ancien conseiller ultra-droitier, Patrick Buisson, admirait la pensée du communiste italien. Plus récemment, ce sont Les Veilleurs, décroissants catholiques influents à la « Manif pour tous », qui se sont emparés d’un texte du penseur.
N’en déplaise, le cœur de la pensée de Gramsci demeure ancré dans le socialisme. Résoudre le « problème fondamental de l’adhésion de classes populaires à la révolution », tel en était le noyau dur, ainsi que le relève Piotte. Mais pour que Gramsci retrouve une vraie utilité, il faut qu’il s’exporte hors de la pensée intellectuelle – aujourd’hui grandement dévalorisée – et que les organisations révolutionnaires (partis, syndicats, groupes associatifs, etc.) réarticulent entièrement leur action dans une perspective hégémonique. Laissons Gramsci conclure : « La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés ». Nous vivons à une époque de crise économique, morale, politique et culturelle. Il est urgent de faire naître une nouvelle pensée critique et révolutionnaire.
- Il écrit à propos de Notre jeunesse : « Nous sommes enivrés de ce sentiment mystique religieux du socialisme, de la justice qui envahit toute chose. […] Nous nous sentons dans une nouvelle vie, une foi plus forte nous porte au-delà des polémiques ordinaires et misérables des petits politiciens vulgairement matérialistes. » Voir Antonio Gramsci, Charles Péguy et Emesto Psichari, 1916.↑
- Congrès de Lyon, janvier 1926.↑