Quand la Commune s'exile à Londres

21 septembre 2021


Traduction d’un article de Roar pour le site de Ballast

Les faits sont connus : une guerre avec la Prusse, des canons que le peuple de Paris ne veut pas livrer au gou­ver­ne­ment fran­çais et soixante-douze jours d’in­sur­rec­tion sociale, qu’un mas­sacre clôt. Moins connues sont cepen­dant les suites de l’é­vé­ne­ment. Les com­mu­nards et les com­mu­nardes qui ne sont pas incar­cé­rés, exé­cu­tés ou dépor­tés en Océanie fuient la France pour gagner la Suisse, la Hongrie, la Russie ou encore l’Angleterre. C’est le sort des exi­lés ins­tal­lés de l’autre côté de la Manche qui a inté­res­sé l’his­to­rienne bri­tan­nique Laura C. Forster, dont nous tra­dui­sons l’é­tude. Et, plus pré­ci­sé­ment, c’est de Londres dont il est ici ques­tion : les pubs, les bou­tiques et les places de la ville deviennent, après 1871, autant de lieux où s’é­la­borent le socia­lisme anglais à l’aune de l’ex­pé­rience communarde.


Dans les années 1870 à Londres, au 67 de la Charlotte Street, se trou­vait une épi­ce­rie appe­lée Le Bel Épicier, que diri­geait le Français Victor Richard. Là, un client lon­do­nien pou­vait trou­ver du café fran­çais, de la mou­tarde, des pâtes, des cor­ni­chons et des vins, en par­ti­cu­lier ceux pro­ve­nant de Bourgogne, la région natale de Richard. Mais, en plus d’ap­por­ter un répit gas­tro­no­mique bien­ve­nu, la bou­tique de Richard res­ta « pen­dant de nom­breuses années un épi­centre où les réfu­giés poli­tiques arri­vés du Continent pou­vaient aller cher­cher des conseils et de l’aide, trou­ver tra­vail et loge­ment et où, bien sûr, les agents de police conti­nen­taux s’at­trou­paient en nombre pour espion­ner1. » Richard était un épi­cier pros­père et dyna­mique. Il était aus­si socia­liste, com­mu­nard et membre de l’Association inter­na­tio­nal des tra­vailleurs (AIT) ; son démé­na­ge­ment à Londres depuis Paris avait été la consé­quence de sa par­ti­ci­pa­tion à la défense de la Commune, en 1871. Il était arri­vé à Londres en tant que réfu­gié poli­tique au mois de juin de cette même année, et devint vite un révo­lu­tion­naire très recon­nu loca­le­ment et aus­si­tôt inté­gré — sa bou­tique, disait-on, ne ven­dait pas de hari­cots blancs, « réac­tion­naires », mais uni­que­ment des rouges. La presse bri­tan­nique décri­vait la bou­tique de Richard comme un « repère louche » à l’in­té­rieur duquel on pou­vait trou­ver des com­mu­nards réfu­giés « dis­cu­tant de la crise de la bour­geoi­sie et […] de la ven­geance qui un jour allait s’a­battre sur cette classe détes­table ».

« Les com­mu­nards trou­vèrent en Grande-Bretagne un mélange éclec­tique de cama­rades et de voya­geurs avec les­quels par­ta­ger espace, idées et amitiés. »

À deux pas de la bou­tique de Richard, sur Charlotte Street éga­le­ment, Elisabeth Audinet tenait un res­tau­rant où l’on trou­vait des plats fran­çais cui­si­nés sur place à un prix rai­son­nable. « Un repère de fri­pons et de ruf­fians », ain­si que l’a­vait décrit un agent mécon­tent de la police secrète fran­çaise. Chez Audinet était un lieu de ren­contre appré­cié des révo­lu­tion­naires, sou­vent fré­quen­té par Marx et ses deux gendres com­mu­nards, Charles Longuet et Paul Lafargue. Tout au long des années 1870, nombre de ban­quets com­mé­mo­rant l’an­ni­ver­saire de la Commune furent accueillis par Audinet, qui était par ailleurs par­ti­cu­liè­re­ment liée aux réfu­giés d’o­bé­dience blan­quiste — elle vivait avec l’un d’entre eux et un autre était marié à sa fille.

Suite à la fin de la Commune, en mai 1871, des mil­liers de com­mu­nards ont fui la France pour évi­ter la dépor­ta­tion, l’emprisonnement ou la mort. Grâce, sur­tout, à la poli­tique d’ac­cueil très libé­rale de la Grande-Bretagne de l’é­poque, envi­ron 3 500 réfu­giés2 sont arri­vés sur les terres bri­tan­niques au début des années 1870. La plu­part choi­sirent alors de s’ins­tal­ler à Londres. Pour beau­coup, c’é­tait des tra­vailleurs et arti­sans rela­ti­ve­ment jeunes et qua­li­fiés — bijou­tiers, den­tel­liers, modistes, ingé­nieurs, méca­ni­ciens, cor­don­niers — ain­si que des jour­na­listes et des pro­fes­seurs. En dépit des dif­fi­cul­tés inhé­rentes à l’exil, les com­mu­nards trou­vèrent en Grande-Bretagne un mélange éclec­tique de cama­rades et de voya­geurs avec les­quels par­ta­ger espace, idées et ami­tiés. Les lieux où se regrou­paient les com­mu­nards — pubs, res­tau­rants et bou­tiques — étaient autant de centres com­mu­nau­taires, dont les prin­ci­paux objec­tifs étaient de venir en aide aux nou­veaux arri­vants ou aux réfu­giés en lutte. C’était aus­si des lieux pro­pre­ment poli­tiques : on s’y ren­con­trait afin de dis­cu­ter, de s’or­ga­ni­ser et d’é­ta­blir defs liens.

[Marché à Whitby | DR]

Ainsi, à la fin du XIXe siècle, une par­tie de Londres se voyait emplie de révo­lu­tion­naires et de socia­listes, en groupe ou non, tous et toutes en prise avec des idées venues de tout le spectre poli­tique radi­cal, de l’Europe et d’ailleurs. Un jour­na­liste du Sheffield Independent notait : « Tous ces corps tra­vaillent pour eux-mêmes, mais sont reliés les uns aux autres ain­si qu’a­vec leurs frères anglais. Le pro­chain anni­ver­saire de la Commune de Paris les ras­sem­ble­ra tous ensemble. » Dit autre­ment, la Commune conti­nuait de faire le lien entre les dif­fé­rents élé­ments de la pen­sée radi­cale, et ce bien après que les réfu­giés furent retour­nés en France. L’atmosphère révo­lu­tion­naire ins­tau­rée par les com­mu­nards en exil per­sis­ta dans Londres et fut déter­mi­nante pour l’é­lan inter­na­tio­na­liste qui mar­qua le socia­lisme bri­tan­nique de la fin de la période victorienne.

Fitzrovia : « une petite république anarchiste »

« À Fitzrovia, les exi­lés com­mu­nards habi­taient, tra­vaillaient, fon­daient des orga­ni­sa­tions, publiaient des dis­cours poli­tiques et des journaux. »

Au 6 Charles Street, aujourd’­hui Mortimer Street, à côté du res­tau­rant d’Audinet, les com­mu­nards pou­vaient s’en­tas­ser dans le Spread Eagle pub, l’un de leurs repères favo­ris ; l’un de ceux, aus­si, qui accueillaient régu­liè­re­ment le groupe le plus impor­tant et le plus com­plet d’exi­lés, la Société des réfu­giés de la Commune à Londres (SRCL). La SRCL offrait un sou­la­ge­ment maté­riel, une cama­ra­de­rie et une soli­da­ri­té poli­tique à tous ceux qui « s’é­taient bat­tus pour la Commune ». Des com­mis­sions sont créées afin de dis­tri­buer une aide effi­ca­ce­ment et de coor­don­ner les efforts des uns et des autres pour trou­ver du tra­vail aux nou­veaux arri­vants. À l’au­tomne 1871, un afflux d’exi­lés arri­va et les fonc­tions de la SRCL se virent éten­dues : des sous­crip­tions furent intro­duites pour ceux qui avaient trou­vé un emploi. Ces petits sup­plé­ments d’argent, ajou­tés aux dona­tions de pro­gres­sistes anglais et à celles de l’AIT, per­mirent la créa­tion de La Marmite, une soupe popu­laire coopé­ra­tive, au Passage Newman : « Située au der­nier étage d’un bâti­ment si misé­rable qu’il n’y avait pas même la place pour un esca­lier, la pièce était acces­sible par une vilaine échelle accom­pa­gnée d’une corde grais­seuse qui fai­sait une sorte de balus­trade. Mais ici, tout réfu­gié qui était en mesure de prou­ver qu’il avait com­bat­tu durant la Commune de Paris pou­vait comp­ter, pour deux pence, sur un repas. » La Marmite était située au cœur de la com­mu­nau­té des com­mu­nards. La plus grande concen­tra­tion de réfu­giés de la Commune, et cer­tai­ne­ment le centre poli­tique de beau­coup d’ac­ti­vi­tés com­mu­nardes à Londres, se trou­vait dans la petite zone main­te­nant connue sous le nom de Fitzrovia — déli­mi­tée par Oxford Street au sud, Euston Road au nord, Great Portland Street à l’ouest et Tottenham Court Road à l’est. Ici, les exi­lés com­mu­nards habi­taient, tra­vaillaient, fon­daient des orga­ni­sa­tions, publiaient des dis­cours poli­tiques et des jour­naux — dont le plus réus­si était le Qui Vive ! Aussi, ils élar­gis­saient cer­tains des réseaux et orga­ni­sa­tions d’en­traide éta­blies par les pre­mières com­mu­nau­tés fran­çaises à Londres, celles qui avaient été ban­nies par le Second Empire au milieu du siècle.

Les com­mu­nards ont ensuite été rejoints dans cer­taines de ces rues — en par­ti­cu­lier la zone autour de Charlotte Street, Rathbone Street et Newman Street — par des exi­lés socia­listes alle­mands expul­sés par Bismarck à la fin des années 1870, et de nom­breux lieux de ren­contre des com­mu­nards sont deve­nus plus tard les pubs et les lieux cen­traux des com­mu­nau­tés anar­chistes trans­na­tio­nales des années 1880 et 1890. L’anarchiste fran­çais Charles Malato décri­vit la Fitzrovia des années 1890 comme « une petite répu­blique anar­chiste ». Les socia­listes de Norvège et de Suède éta­blirent leur club scan­di­nave sur Rathbone Place ; des anar­chistes alle­mands et autri­chiens se ren­con­trèrent à Stephen’s Mews, juste au sud de Charlotte Street ; Berners Street, deux rues à l’ouest de Newman Street, devint le siège du club anar­chiste juif ; une petite com­mu­nau­té de socia­listes fla­mands et néer­lan­dais se réunirent dans les pubs le long de Tottenham Court Road. Les années 1880 mar­quèrent éga­le­ment la fon­da­tion du socia­lisme orga­ni­sé en Grande-Bretagne ; nombre de ses par­ti­sans assis­taient à des réunions et nouaient des liens à Fitzrovia et dans ses envi­rons. La Fédération sociale-démo­crate, la Fabian Society, le Groupe de la liber­té et la Ligue socia­liste lan­cèrent tous leurs plates-formes socia­listes durant cette période. Au milieu des années 1880, ces socia­listes bri­tan­niques avaient pra­ti­que­ment aban­don­né les prin­cipes cen­traux du radi­ca­lisme répu­bli­cain : ils ne fai­saient plus remon­ter les crises sociales à des sources pure­ment poli­tiques ; ils se firent plus insis­tants sur la néces­si­té d’une révo­lu­tion sociale. La Commune consti­tuait une part impor­tante de cette nou­velle identité.

[Femme de marin à Runswick Bay | Frank M. Sutcliff]

Les défenseurs britanniques de la Commune

Du fait, en par­tie, que la Commune avait été un tel labo­ra­toire d’ex­pé­ri­men­ta­tion poli­tique, d’in­nom­brables sources d’ins­pi­ra­tion intel­lec­tuelles deve­naient acces­sibles, aux­quelles toutes sortes de radi­caux bri­tan­niques, socia­listes et répu­bli­cains pou­vaient pui­ser. La Commune pou­vait être com­prise comme la défense du vrai répu­bli­ca­nisme, comme vision de la démo­cra­tie muni­ci­pale décen­tra­li­sée, comme un phare de l’in­ter­na­tio­na­lisme pour ceux que les guerres impé­riales ont révol­té, comme expres­sion du patrio­tisme fran­çais face au mili­ta­risme prus­sien crois­sant, ou sim­ple­ment comme un exemple de la capa­ci­té des oppri­més à s’or­ga­ni­ser par eux-mêmes.

« 1871 comme d’une révo­lu­tion spa­tiale : une recon­quête radi­cale de l’es­pace par ceux qui étaient exclus des splen­deurs du Second Empire. »

À l’é­poque de la Commune, les prin­ci­paux sou­tiens des com­mu­nards en Grande-Bretagne étaient les posi­ti­vistes anglais3, adeptes des ensei­gne­ments intel­lec­tuels du phi­lo­sophe fran­çais Auguste Comte […]. L’AIT res­ta silen­cieuse pen­dant toute la Commune — La Guerre civile en France de Karl Marx ne fut publiée qu’au début du mois de juin, après la défaite des com­mu­nards. Mais, semaine après semaine jus­qu’au prin­temps 1871, les posi­ti­vistes anglais, en par­ti­cu­lier Frederic Harrison et Edward Spencer Beesly, défen­dirent sys­té­ma­ti­que­ment les actions de la Commune et ten­tèrent de dif­fu­ser ses objec­tifs sociaux et poli­tiques auprès d’un public bri­tan­nique. Le posi­ti­visme tel qu’il était orga­ni­sé en Angleterre n’a jamais comp­té plus de quelques dizaines de membres. Mais ses prin­ci­paux pro­pa­gan­distes étaient pro­li­fiques et se tar­guaient de réseaux dis­pro­por­tion­nés. Frederic Harrison, avo­cat de for­ma­tion, et Edward Spencer Beesly, his­to­rien à l’University College London, étaient de fer­vents par­ti­sans des mou­ve­ments ouvriers bri­tan­niques au milieu et à la fin de la période victorienne.

Beesly, qui pré­si­da la pre­mière réunion de l’AIT en 1864, fut membre du Comité au pro­fit des mineurs et ris­qua sa car­rière et sa répu­ta­tion en défen­dant les auteurs des atten­tats de Sheffield en 1865–18664. De même, Harrison défen­dit constam­ment les mou­ve­ments ouvriers et fut un contri­bu­teur pro­li­fique aux jour­naux radi­caux. Il ensei­gna au Working Men’s College et œuvra en tant que repré­sen­tant des tra­vailleurs à la Commission royale sur les syn­di­cats en 1867, ce qui condui­sit à la léga­li­sa­tion des syn­di­cats en ver­tu de la loi sur les syn­di­cats de 1871. « Le mou­ve­ment actuel en faveur de l’au­to­no­mie pari­sienne s’ac­corde avec les ensei­gne­ments d’Auguste Comte et lui est pro­ba­ble­ment lar­ge­ment dû », décla­ra Beesly début avril 1871. Le désir des Parisiens de for­mer leur propre gou­ver­ne­ment et de « sous­traire une grande par­tie de l’ad­mi­nis­tra­tion des villes à une auto­ri­té cen­trale et de la confier aux com­munes » était pour Beesly exac­te­ment ce que Comte avait en tête lors­qu’il par­lait de décen­tra­li­sa­tion — la France divi­sée en dix-sept petites répu­bliques autour des dix-sept plus grandes villes du pays. Harrison acquies­ça : « Le génie de la France, recu­lant sous les coups de fer de l’Allemagne, s’est de nou­veau enquit de mode­ler la socié­té euro­péenne. »

[Whitchapel, à Londres | Horace Warner]

Les posi­ti­vistes anglais consi­dé­raient la Commune comme « la plus belle concep­tion poli­tique de notre époque [et] la phase la plus mar­quante à ce jour de toute la période révo­lu­tion­naire » — […] un mou­ve­ment pour la démo­cra­tie muni­ci­pale qui pou­vait réor­ga­ni­ser les condi­tions sociales aus­si bien que poli­tiques de la France. L’analyse la plus per­ti­nente que les posi­ti­vistes firent de la Commune porte sur leur approche des évé­ne­ments de 1871 comme d’une révo­lu­tion spa­tiale : une recon­quête radi­cale de l’es­pace par ceux qui étaient exclus des splen­deurs du Second Empire. Au XXIe siècle, la mémoire de la Commune s’est puis­sam­ment déployée dans le cadre des cri­tiques mon­diales du capi­ta­lisme effré­né et de la dépos­ses­sion urbaine. L’histoire ins­tan­ta­née de la Commune, écrite par les posi­ti­vistes anglais au prin­temps 1871, montre une atten­tion por­tée aux dyna­miques spa­tiales locales de Paris, mais aus­si, et sur­tout, aux dyna­miques spa­tiales plus géné­rales propres à la lutte des classes.

« La vio­lence de la riposte ver­saillaise était la consé­quence d’une indi­gna­tion : celle de voir que les pauvres de Paris osèrent reven­di­quer leur ville. »

Dans la Fortnightly Review, Harrison sug­gé­ra que la vio­lence de la riposte ver­saillaise était la consé­quence d’une indi­gna­tion : celle de voir les pauvres de Paris oser reven­di­quer leur ville. « De misé­rables ouvriers peuvent poser le pied sur les Champs-Élysées du luxe ; il peuvent, ain­si, trou­bler ce que la sai­son a de plus char­mant ; en cher­chant un monde plus moral et plus juste, ils ins­taurent le désordre dans la ville la plus agréable d’Europe — tout cela, aux yeux de pou­pées de chif­fons qui s’ap­pellent elles-mêmes Société : un véri­table outrage, digne de mort. » Beesly a défen­du cette ten­ta­tive d’oc­cu­pa­tion des rues de Paris par les plus dému­nis, dont ils avaient été radiés par le pro­jet d’as­sai­nis­se­ment auto­ri­taire mené par Haussmann, la décen­nie pré­cé­dente. Les ouvriers, écrit-il, « n’ont pas d’é­lé­gantes demeures aux Champs-Élysées. Les splen­deurs de Paris n’ont impli­qué pour eux que des loyers plus éle­vés et une nour­ri­ture plus chère, et ils n’au­ront pro­ba­ble­ment pas le cœur bri­sé par les dom­mages cau­sés aux pers­pec­tives inter­mi­nables et aux impo­santes façades du baron Haussmann ».

La Commune arrive en Grande-Bretagne

Lorsque les réfu­giés com­mu­nards com­men­cèrent à arri­ver à Londres au début de juin 1871, les posi­ti­vistes anglais qui avaient pris par­ti pour la Commune ont quit­té les salons pour gagner la rue. Ils ont été par­mi les plus géné­reux en don­nant de leur temps et de leur éner­gie pour les orga­ni­sa­tions de secours. Les posi­ti­vistes offrirent un sou­tien finan­cier aux soupes popu­laires com­mu­nardes et éta­blirent des cours du soir d’an­glais, dans Francis Street, pour les réfu­giés fran­çais. Beesly usa de son ami­tié avec Karl Marx pour rendre plus aisé le pas­sage des exi­lés de France vers la Grande-Bretagne. Les deux hommes s’é­taient ren­con­trés lorsque Beesly pré­si­dait la pre­mière ses­sion de l’AIT en 1864 et, mal­gré leurs dif­fé­rences doc­tri­nales, ils par­ta­geaient un res­pect mutuel. « Je vous consi­dère comme le seul com­tiste, à la fois en Angleterre et en France, qui traite les tour­nants his­to­riques (CRISES) non selon un point de vue sec­taire mais en tant qu’­his­to­rien, dans le meilleur sens du terme », écri­vit Marx à Beesly — un com­pli­ment rare du phi­lo­sophe alle­mand à l’é­gard d’un Anglais. Marx et Beesly échan­gèrent des contacts et tra­vaillèrent avec le comi­té de sou­tien de l’Internationale afin d’ex­ploi­ter toutes les connexions pos­sibles qui pour­raient garan­tir qu’un com­mu­nard quitte la France en toute sécu­ri­té. En juin 1871, Marx écri­vit à Beesly : « Une de mes amies ira à Paris dans trois ou quatre jours. Je lui donne régu­liè­re­ment des lais­sez-pas­ser pour cer­tains membres de la Commune qui se cachent encore à Paris. Si vous ou l’un de vos amis avez des com­mandes là-bas, écri­vez-moi. »

[Bermondsey Street, à Londres | DR]

Début 1872, Harrison écri­vit plu­sieurs lettres au Times, appe­lant son lec­to­rat for­tu­né à offrir un emploi aux réfu­giés com­mu­nards. Il fit appel aux élans huma­ni­taires des lec­teurs et ten­ta de dépo­li­ti­ser le pro­fil des nou­veaux arri­vants. Harrison était bien conscient de la rhé­to­rique anti­com­mu­niste, très pré­sente dans la presse tabloïd, et assu­ra à ses lec­teurs que les arri­vants fran­çais « appart[enaient] natu­rel­le­ment à des écoles très dif­fé­rentes ; mais, pour autant qu’[il] sache, presque aucun d’entre eux à celle du com­mu­nisme ». Il qua­li­fia à plu­sieurs reprises les exi­lés qu’il avait ren­con­trés de « culti­vés », « hono­rables », « lit­té­raires », « de vrais mes­sieurs », et fit allu­sion aux réfu­giés hugue­nots fran­çais du XVIIe siècle, sug­gé­rant que les réfu­giés arti­sans qui avaient déjà trou­vé du tra­vail « enri­chiss[aient] ce pays comme il s’en­ri­chit de la révo­ca­tion de l’é­dit de Nantes ». Le plai­doyer d’Harrison dans le Times semble avoir eu un cer­tain suc­cès : « Les hommes d’Oxford veulent qu’un com­mu­niste arrive par le pro­chain train pour vivre avec eux. Des gens prompts à bien œuvrer offrent une mai­son et leur ami­tié. Un dépu­té envoie 100 £, une « vieille femme de ménage » envoie 5 £ », écrit un Harrison exci­té à son ami et rédac­teur en chef, John Morley, en février.

« Les élans de sym­pa­thie et les affi­ni­tés ont grande part dans l’his­toire des mou­ve­ments sociaux ; ren­con­trer un évé­ne­ment comme la Commune fut une expé­rience formatrice. »

Les posi­ti­vistes et l’Internationale réus­sirent avec un cer­tain suc­cès à dyna­mi­ser l’as­sis­tance finan­cière et pra­tique pour les com­mu­nards qui arri­vaient. Cependant, le réel sou­tien fut de courte durée ; le sen­ti­ment phi­lan­thro­pique qu’a­vait sus­ci­té Harrison com­men­ça à se tarir à mesure que le sort des réfu­giés de la Commune se voyait rem­pla­cé par de nou­velles causes cari­ta­tives. Harrison lui-même connut une rapide dés­illu­sion en ren­con­trant la réa­li­té de la Commune. La défense de celle-ci repo­sait sur une idéa­li­sa­tion uto­pique des classes popu­laires pari­siennes, qu’au­cune réa­li­té ne pou­vait recou­per. Après avoir mis les com­mu­nards de Paris sur un pié­des­tal, Harrison com­men­ça à se sen­tir à l’é­cart à mesure que les réfu­giés arri­vèrent. Il esti­ma éga­le­ment qu’il ne pour­rait jamais répa­rer les crimes de sa classe : « [P]our la plu­part des [réfu­giés com­mu­nards], et cer­tai­ne­ment pour les socia­listes, je crains de n’être qu’un bour­geois à la mode, dont l’aide ne sau­rait rem­bour­ser un mil­lième des misères que ma classe a cau­sées. » Le gouffre qui, selon Harrison, le sépa­rait des réfu­giés de la Commune contri­bua à carac­té­ri­ser les exi­lés com­mu­nards en Grande-Bretagne comme une com­mu­nau­té insu­laire. Les ten­ta­tives pour trou­ver des liens signi­fi­ca­tifs entre les orga­ni­sa­tions com­mu­nardes et les orga­ni­sa­tions bri­tan­niques bros­sèrent un tableau assez sombre. Il y eut quelques expres­sions offi­cielles de soli­da­ri­té, des efforts de col­lecte de courte durée et des ten­ta­tives pour for­mer des ins­ti­tu­tions col­la­bo­ra­tives — l’Union inter­na­tio­nale du tra­vail créée en 1877, par exemple — mais la plu­part de ces ini­tia­tives ne connurent pas de suc­cès tan­gible. Ces efforts montrent cepen­dant que les moyens de créer des alliances et d’ex­pri­mer la soli­da­ri­té exis­taient, mais que les pré­oc­cu­pa­tions ins­ti­tu­tion­nelles des orga­ni­sa­tions com­mu­nardes et des asso­cia­tions radi­cales ou pro­fes­sion­nelles bri­tan­niques les empê­chaient sou­vent de pour­suivre une cause com­mune. Cependant, les archives ne peuvent nous en dire plus. C’est sou­vent par des moyens plus dif­fus que la Commune a mar­qué la Grande-Bretagne.

Une culture de l’association

« Quiconque pre­nant le ton de l’o­pi­nion publique anglaise en sui­vant les organes qui sont com­mu­né­ment cen­sés l’in­car­ner, aurait été ame­né à conclure que l’hor­reur et la répro­ba­tion étaient des sen­ti­ments uni­ver­sels à l’é­gard de la Commune. Mais tous ceux qui auraient pu péné­trer dans les cercles de la classe ouvrière, qui, disons, auraient pu s’as­seoir avec des hommes autour des four­neaux d’un petit-déjeu­ner d’a­te­lier, ou dans les salles à man­ger ou les salles de lec­ture des ate­liers, auraient com­pris, des dis­cus­sions enten­dues, que l’o­pi­nion publique ne repré­sen­tait que l’a­vis d’une petite par­tie ; et que […] la sym­pa­thie du peuple était avec les com­mu­nistes. » Le genre de soli­da­ri­té que décrit Thomas Wright — « Journeyman Engineer5 », comme il s’ap­pe­lait lui-même — est dif­fi­cile à mesu­rer. Les sen­ti­ments de sym­pa­thie et les affi­ni­tés consti­tuent une part impor­tante de l’his­toire des mou­ve­ments sociaux ; décou­vrir un évé­ne­ment comme la Commune — que ce soit dans le cadre d’un cercle de lec­ture, sur le lieu de tra­vail ou à tra­vers une ami­tié avec un com­mu­nard en exil — fut une expé­rience for­ma­trice pour de nom­breux mili­tants radi­caux victoriens.

[Dans les rues de Liverpool | DR]

Nombre d’entre eux ont ren­con­tré la Commune via les conver­sa­tions infor­melles, les débats ani­més dans les pubs, les ras­sem­ble­ments en cercles res­treints et les réunions de quar­tier impromp­tues qui ont carac­té­ri­sé la vie des clubs radi­caux et la culture poli­tique pro­gres­siste à Fitzrovia. Cela leur a per­mis d’ex­pé­ri­men­ter des idées étran­gères à la tra­di­tion libé­rale popu­laire et de s’en­ga­ger de manière signi­fi­ca­tive avec les idées poli­tiques conti­nen­tales appor­tées par les com­mu­nards en exil. Fitzrovia était depuis long­temps un quar­tier dis­si­dent. Durant la seconde moi­tié du XIXe siècle, une foule d’ac­ti­vistes radi­caux — pour la plu­part laïcs, libres pen­seurs, vieux char­tistes, O’Brienites et membres de la Land and Labour League, de la Manhood Suffrage League et d’autres clubs radi­caux — orga­ni­saient leurs groupes dans des pubs, salles de réunion et halls de Fitzrovia. L’Hôtel de la Boule d’Or, sur Percy Street, était répu­té être le ber­ceau de l’AIT avant sa fon­da­tion offi­cielle, en 1864. L’association éta­blit ensuite son siège à proxi­mi­té de Rathbone Place.

« En Grande-Bretagne, cette vie sou­ter­raine des clubs fut le creu­set du radi­ca­lisme londonien. »

L’arrivée d’exi­lés com­mu­nards et d’autres réfu­giés révo­lu­tion­naires ne dépla­ça pas ces com­mu­nau­tés exis­tantes, mais fit plu­tôt de Fitzrovia un lieu où s’en­tre­la­çaient les mou­ve­ments radi­caux. Certains soirs, la salle de réunion à l’é­tage du pub Blue Posts sur Newman Street, par exemple, pou­vait accueillir une confé­rence sur les grèves des loyers ou la coer­ci­tion en Irlande, ou une réunion de per­sonnes vou­lant natio­na­li­ser les terres, de socia­listes inter­na­tio­naux, de com­mu­nards ou de laïcs, dont beau­coup vivaient et tra­vaillaient éga­le­ment dans la région. La socia­li­sa­tion poli­tique autour de cette par­tie de Londres façon­na de nou­velles alliances poli­tiques, de nou­velles idées, et contri­bua à créer des liens entre les mili­tants bri­tan­niques, fran­çais et inter­na­tio­naux qui fré­quen­taient les mêmes lieux. Les pubs, les clubs, les maga­sins et les rues de Fitzrovia devinrent des forums poli­tiques infor­mels où se reflé­taient cer­taines des cultures asso­cia­tives qui avaient été si impor­tantes durant la Commune.

[…] L’organisation de la Commune, en effet, s’en­ra­cine dans les quar­tiers et s’ap­puie sur une poli­tique d’as­so­cia­tion. Les com­mu­nards réfu­giés avaient été membres des clubs à Paris — ils for­mèrent, façon­nèrent et mirent en œuvre leur poli­tique à tra­vers la vie for­melle et infor­melle des clubs. Depuis les innom­brables orga­ni­sa­tions offi­cielles telles que le Club des Prolétaires, le Cercle des Jacobins et l’Association Républicaine qui s’or­ga­ni­saient autour de quar­tiers, jus­qu’aux cafés-cultures infor­mels au sein des­quels s’or­ga­ni­saient les oppo­sants à l’Empire, la poli­tique de la Commune s’ex­pri­ma à tra­vers l’as­so­cia­tion­nisme, qui avait à la fois des facettes éco­no­miques, poli­tiques et sociales. En 1871, les com­mu­nards exi­lés ame­nèrent avec eux nombre de ces modes d’or­ga­ni­sa­tion popu­laires à Londres. Par le biais de for­ma­tions poli­tiques, du réseau infor­mel des bou­tiques et des can­tines de Fitzrovia, des socié­tés phi­lan­thro­piques et édu­ca­tives, les modes de socia­li­sa­tion poli­tiques propres aux com­mu­nards — qu’ils soient ou non par­ta­gés avec d’autres — purent être uti­li­sés dans la socié­té lon­do­nienne alors en for­ma­tion, et ain­si don­ner nais­sance à de mul­tiples col­lec­tifs, les­quels mêlaient cer­taines pra­tiques des clubs anglais avec ceux de la Commune. En Grande-Bretagne, cette vie sou­ter­raine des clubs fut le creu­set du radi­ca­lisme lon­do­nien. La vie des pubs et des clubs per­mit de fédé­rer un mou­ve­ment dans un monde mar­qué par l’é­cla­te­ment des forces poli­tiques. Dans les années 1870, les com­mu­nards exi­lés, les socia­listes radi­caux et les répu­bli­cains membres des clubs se retrou­vèrent dans les pubs et les bou­tiques situés au nord d’Oxford Street — on ne peut qu’i­ma­gi­ner les myriades de conver­sa­tions poli­tiques qui s’y tinrent sans jamais entrer dans les archives.

[Les Chambres du Parlement et Big Ben en 1890, à Londres | Bridgeman Images]

Nombre des futurs cadres du socia­lisme anglais à la fin de la période vic­to­rienne firent ain­si connais­sance avec la Commune. Bien sou­vent, l’in­time et le poli­tique se confon­daient : réunions impro­vi­sées, par­tage d’un verre ou d’un repas, his­toires d’a­mour ou ami­tiés furent autant d’oc­ca­sions de sus­ci­ter des dis­cus­sions sur les idées de la Commune. Le dra­ma­turge socia­liste George Bernard Shaw […] ren­con­tra ain­si chaque semaine Richard Deck, un Alsacien exi­lé, lors de cours de chant — Shaw chan­tait en fran­çais tan­dis que Deck se char­geait de l’ac­com­pa­gner avec sa voix de basse. Ces moments menèrent à des dis­cus­sions sur la Commune et sur la manière dont les idées de Proudhon avaient influen­cé les évé­ne­ments de 1871. John Burns, syn­di­ca­liste, socia­liste et dépu­té de Battersea, décou­vrit le socia­lisme du conti­nent par l’en­tre­mise de son ami et col­lègue exi­lé Victor Delahaye alors qu’il n’é­tait qu’un jeune appren­ti ingé­nieur. Les deux hommes tra­vaillèrent main dans la main et furent sou­vent embau­chés ensemble dans la région de Londres et dans le South East, ce qui leur don­nait autant d’op­por­tu­ni­tés pour conver­ser. Eleanor Marx [fille de Karl Marx, ndlr] se lia avec le com­mu­nard Prosper-Olivier Lissagaray lors de la com­mé­mo­ra­tion de la Commune en 1872. L’amitié, les rela­tions sexuelles et les fian­çailles (ratées) qui s’en­sui­virent n’é­taient rien en com­pa­rai­son de leur col­la­bo­ra­tion intel­lec­tuelle. Eleanor tra­dui­sit la fameuse Histoire de la Commune de Paris de 1871 de Lissagaray, l’un des pre­miers ouvrages d’am­pleur sur l’é­vé­ne­ment — et, aujourd’­hui encore, l’un des plus réédi­tés. […] Et il y en eut d’autres, connus et moins connus qui, par­mi les acti­vistes, par­ti­ci­pèrent aus­si à des groupes de lec­ture, furent des par­te­naires sexuels, mirent en œuvre des pro­jets de tra­duc­tion et prirent part aux dîners des clubs avec les réfu­giés de la Commune.

« En 1880, une amnis­tie géné­rale fut accor­dée par le gou­ver­ne­ment fran­çais à tous les com­mu­nards condam­nés et inculpés. »

Ces inter­ac­tions spon­ta­nées fon­dées sur l’a­mi­tié ont per­mis d’af­fu­ter les idées d’in­tel­lec­tuels socia­listes anglais encore inex­pé­ri­men­tés. Leur com­pré­hen­sion du socia­lisme révo­lu­tion­naire fut per­mis par l’ai­sance avec laquelle ils purent inté­grer les conver­sa­tions poli­tiques auprès de ceux qui avaient pris part aux évé­ne­ments de 1871. Très sou­vent, les études sur la nature et les ori­gines du socia­lisme en Grande-Bretagne mettent l’ac­cent sur une excep­tion bri­tan­nique. Mais pour les socia­listes en deve­nir qui ren­con­trèrent un exi­lé en un lieu cha­leu­reux et à un moment favo­rable, la Commune les inté­gra à un monde plus vaste et leur ouvrit de nou­velles perspectives.

Après l’amnistie

En 1880, une amnis­tie géné­rale fut accor­dée par le gou­ver­ne­ment fran­çais à tous les com­mu­nards condam­nés et incul­pés. En consé­quence, la grande majo­ri­té des réfu­giés com­mu­nards retour­nèrent en France. Un petit nombre déci­da de res­ter en Grande-Bretagne, mais, au début des années 1880, la pré­sence décrois­sante des exi­lés et l’é­mer­gence de plu­sieurs socié­tés expli­ci­te­ment socia­listes en Grande-Bretagne signi­fièrent que la mytho­lo­gie de la Commune pou­vait désor­mais être reprise par les socia­listes bri­tan­niques, pas seule­ment en soli­da­ri­té avec les com­mu­nards fran­çais, mais dans le cadre d’une nou­velle tra­di­tion socia­liste bri­tan­nique. Dans les années 1870, il n’y avait pas eu de mou­ve­ment réso­lu­ment socia­liste en Grande-Bretagne. La majo­ri­té des célé­bra­tions de l’an­ni­ver­saire de la Commune dans les années 1870 ont été orga­ni­sées et sui­vies par des com­mu­nards en exil et des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales, avec la pré­sence enthou­siaste mais numé­ri­que­ment faible de posi­ti­vistes bri­tan­niques, de laïcs et de membres des clubs radi­caux. Des mili­tants bri­tan­niques avaient été impli­qués avec des com­mu­nards ; ils contri­buaient aux célé­bra­tions, orga­ni­saient des évé­ne­ments et des dis­cus­sions, et par­ta­geaient des ami­tiés poli­tiques avec les exi­lés, mais la mémoire de la Commune était très bien entre­te­nue par les exi­lés vivants eux-mêmes. Pourtant, dans la décen­nie qui a sui­vi l’am­nis­tie fran­çaise, le voca­bu­laire employé lors des célé­bra­tions de la Commune en Grande-Bretagne allait trans­for­mer la Commune de « leur » Commune à « notre » Commune, et « Vive la Commune ! » devien­drait un puis­sant slo­gan au sein du socia­lisme britannique.

[Rue de Paris, détruite après la Commune | DR]

En d’autres termes, dans les années 1880, la Commune fut incor­po­rée dans la mytho­lo­gie, dans le canon du socia­lisme bri­tan­nique. Les pre­miers groupes socia­listes en Grande-Bretagne ont tous célé­bré la Commune chaque année. Comme le dit Ernest Belfort Bax, « la Commune est deve­nue le point de ral­lie­ment des socia­listes de toutes ten­dances. L’anniversaire de sa fon­da­tion est la grande fête socia­liste de l’an­née ». La Commune était suf­fi­sam­ment étran­gère pour trans­cen­der les que­relles régio­nales ou poli­tiques et réunir, une fois par an, des groupes socia­listes sou­vent dis­pa­rates dans une expres­sion d’u­ni­té par ailleurs rare. Les exi­lés com­mu­nards, après avoir lut­té pour réin­ven­ter leur ville, ont cher­ché la liber­té en Grande-Bretagne et ont trou­vé des « âmes sœurs » dans le monde poli­tique kaléi­do­sco­pique de la fin de l’ère vic­to­rienne à Londres. Ce fai­sant, ils ont lié leur lutte et leur his­toire à celle, longue, du radi­ca­lisme britannique.

La Commune a doté les socia­listes du monde entier d’un puis­sant cri de ral­lie­ment. En Grande-Bretagne, ce cri a été ren­du d’au­tant plus per­ti­nent par le fait que les com­mu­nards avaient réel­le­ment vécu en Grande-Bretagne — ils avaient tenu des réunions, échan­gé des his­toires et fait des pro­jets de ce côté-ci de la Manche. Bien sûr, les réa­li­tés et les nuances de ces idées, plans et expé­riences étaient sou­vent per­dues à mesure que les récits deve­naient plus fré­quents. Mais la légende en est deve­nue d’au­tant plus convain­cante. Le fait est que la Commune était arri­vée en Grande-Bretagne et que « les sédi­tieux agi­tés » de Paris avaient irré­vo­ca­ble­ment modi­fié le cours du socia­lisme britannique.


Traduit de l’anglais par Loez, Camille Marie et Roméo Bondon, pour Ballast | Laura C. Forster, « Building our Commune : exiles Communards in Britain », Roar, 23 avril 2021.

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  1. Les cita­tions de la publi­ca­tions d’o­ri­gine ne sont pas réfé­ren­cées. Nous repro­dui­sons l’ar­ticle en sui­vant les choix ori­gi­naux [ndlr].[]
  2. Soit à peu près 1 500 com­mu­nards et leurs familles res­pec­tives [ndlr].[]
  3. Le posi­ti­visme est un système phi­lo­so­phique pen­sé par Auguste Comte qui, à par­tir d’une théo­rie de la connais­sance repo­sant sur la loi des trois « états », se carac­té­rise par le refus de toute spé­cu­la­tion méta­phy­sique et sur l’idée que seuls les faits d’expérience et leurs rela­tions peuvent être objets de connais­sance cer­taine. Après la révo­lu­tion de 1848, une par­tie du mou­ve­ment ouvrier fran­çais s’est tour­née, notam­ment par anti­clé­ri­ca­lisme, vers la doc­trine posi­ti­viste. Parmi les com­mu­nards, Victoire TinayreJean Robinet, Émile Sémérie sont des figures de ce cou­rant posi­ti­viste [ndlr].[]
  4. Série d’as­sas­si­nats et d’ex­plo­sions à Sheffield, dans les années 1860, per­pé­trée par un petit groupe de syn­di­ca­listes, à cause des condi­tions de tra­vail dans les usines de la ville [ndlr].[]
  5. Littéralement « Ingénieur iti­né­rant ».[]

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