N'être pas gouvernés

29 mai 2018


Texte inédit pour le site de Ballast

Des com­mu­nau­tés d’une vaste région du sud-est asia­tique rejettent obs­ti­né­ment leur inté­gra­tion aux État-nations. Cette zone, c’est la « Zomia » — « Zo » signi­fie « reti­ré » et « Mi » le « peuple ». 100 mil­lions de per­sonnes y vivent, loin des gou­ver­ne­ments des plaines, sur une super­fi­cie cor­res­pon­dant à envi­ron 55 % de l’Union euro­péenne. L’auteur, fort d’une lec­ture du liber­taire James C. Scott, nous invite à consi­dé­rer la ZAD nan­taise comme une for­mu­la­tion pos­sible, à bien moindre échelle, de cette expé­ri­men­ta­tion non-éta­tique. ☰ Par Roméo Bondon


L’attention des anthro­po­logues s’est bien sou­vent res­treinte au « sau­vage », à l’ailleurs, cette alté­ri­té en appa­rence si franche qu’elle semble par­fai­te­ment objec­ti­vable. La géo­gra­phie, elle, bien qu’elle ait des racines liber­taires cer­taines1, s’est aus­si lar­ge­ment consti­tuée comme science colo­niale et éta­tique2. Peu nom­breuses sont les recherches por­tant sur les « autres » d’ici, sou­vent pré­sen­tés, du reste, comme d’archaïques ruraux déjà dépas­sés par l’avancée de l’Histoire3. Peu nom­breuses aus­si sont les études géo­gra­phiques s’arrachant du cadre des États-nations4. Et si l’étrange, dont la dif­fé­rence fait aus­si l’intérêt, n’était pas néces­sai­re­ment loin­tain dans le temps et l’espace, ni aus­si mar­gi­nal qu’on pour­rait le pen­ser ? Et si l’Histoire s’était faite en majeure par­tie à l’écart de l’État, ou en tout cas contre ses pre­mières formes (États rizi­coles en Asie, pro­to-États dans l’Europe médié­vale, jus­qu’à leur conso­li­da­tion pro­gres­sive à l’é­poque moderne5) ? L’expérience en cours dans le bocage nan­tais, à « la ZAD », peut s’inscrire dans ce que le poli­to­logue James C. Scott a défi­ni comme des « Zomia Studies », domaine de recherche ouvert avec son ouvrage Zomia, au sous-titre élo­quent en ce contexte de lutte(s) : « ou l’art de ne pas être gou­ver­né ».

La ZAD, une Zomia à échelle locale ?

« Les construc­tions col­lec­tives sont détruites pour cette même rai­son : elles sym­bo­lisent ce dont l’État ne veut pas, à savoir la mutua­li­sa­tion, la mise en commun. »

« La Zomia est la der­nière région du monde dont les peuples n’ont pas été inté­grés à des États-nations6 ». Zone de deux mil­lions et demi de kilo­mètres car­rés en Asie du Sud-Est, la Zomia est avant tout une construc­tion géo­gra­phique dont les carac­té­ris­tiques poli­tiques et cultu­relles s’op­posent fon­da­men­ta­le­ment à tout type d’État — en l’occurrence celui fon­dé sur la rizi­cul­ture séden­taire autour des col­lines et mon­tagnes de cette par­tie de l’Asie. « Zone refuge » for­mée de mul­tiples « zones de mor­cel­le­ment7 », la Zomia n’obéit pas à des fron­tières fixes ; plus pré­ci­sé­ment, elle s’inscrit contre ces der­nières, les fuyant à mesure qu’elles se sont éten­dues. Bien que la ZAD (Zone à défendre) de Notre-Dame-des-Landes se soit ins­crite dans la déli­mi­ta­tion stricte d’une ZAD (Zone d’aménagement dif­fé­ré) créée dans les années 1970, c’est sa plu­ra­li­té d’identités, fédé­rées contre un pro­jet et le monde qui le porte, qui la carac­té­rise. Si l’on rem­place dans le texte de James C. Scott le terme de « col­line », propre à son ter­rain d’étude, par celui de « bocage », la ZAD appa­raît comme un lieu exem­plaire illus­trant ce qu’est une Zomia. « Les col­lines ne sont pas seule­ment un espace de résis­tance poli­tique : elles sont une zone de refus cultu­rel8 ». C’est jus­te­ment cet ajout que ne veulent pas voir les pour­fen­deurs de la ZAD, et qui les empêche d’en com­prendre la portée.

Certes, le com­bat poli­tique le plus visible a été gagné avec l’abandon du pro­jet d’aéroport. Mais la lutte s’est tou­jours ins­crite aus­si contre une nor­ma­li­sa­tion des com­por­te­ments, dans la reven­di­ca­tion d’une alté­ri­té qui se décline poli­ti­que­ment — des natu­ra­listes en lutte aux auto­nomes, en pas­sant par des pay­sans recon­ver­tis — aus­si bien que dans les pra­tiques — une agri­cul­ture à la marge des impé­ra­tifs pro­duc­ti­vistes impo­sés par les sub­ven­tions, des pro­jets s’an­crant sur un ter­ri­toire réduit mais en inter­dé­pen­dance avec celui-ci (là où la mon­dia­li­sa­tion implique une déter­ri­to­ria­li­sa­tion des pro­duits). Dans la région d’Asie qui occupe l’au­teur, « Habitants des forêts ou per­sonnes des col­lines est syno­nyme de non-civi­li­sé9 » : n’est-ce pas comme tel que sont trai­tés les oppo­sants, tra­qués par une troupe de CRS détrui­sant toute habi­ta­tion consi­dé­rée comme pré­caire sur son pas­sage ? Pour James C. Scott, « plus vous lais­sez de traces, plus grande est votre place dans l’histoire10 » : les archives sont maté­rielles ; l’Histoire qui en résulte est néces­sai­re­ment par­tielle. De même qu’il ne reste plus rien du centre uni­ver­si­taire de Vincennes aujourd’hui, si ce n’est une clai­rière11, les auto­ri­tés sou­haitent que la lutte, vic­to­rieuse une fois, ne le soit pas de manière pérenne à tra­vers une ins­tal­la­tion per­ma­nente. Les construc­tions col­lec­tives sont détruites pour cette même rai­son : elles sym­bo­lisent ce dont l’État ne veut pas, à savoir la mutua­li­sa­tion, la mise en com­mun, à rebours d’une jeune tra­di­tion pro­prié­taire qui se veut ori­gi­nelle12. Le refus par l’État de tout pro­jet col­lec­tif va dans ce sens ; la des­truc­tion d’un lieu au nom aus­si sym­bo­lique que « La Ferme des Cent Noms » éga­le­ment. Car « même les struc­tures sociales et les types d’habitats dans les col­lines pour­raient être uti­le­ment envi­sa­gées comme des choix poli­tiques13 ». L’utilisation de maté­riaux de récu­pé­ra­tion et légers sur la ZAD, comme dans les arbres à Bure ou à l’Amassada à deux pas des Causses, est une déci­sion dic­tée par la néces­si­té de construire vite, mais est sur­tout la tra­duc­tion d’une volon­té de mon­trer qu’autre chose est pos­sible : des chan­tiers col­lec­tifs pour des cabanes, des han­gars, un phare, des habi­ta­tions aus­si diverses qu’il y a d’habitants, comme autant de pieds de nez à l’imposition de chan­tier décré­tés « d’utilité publique ».

[Marion Esnault, 2018]

Se fédérer contre, se diviser pour

Sur la ZAD peut-être plus que sur les autres sites en lutte, la diver­si­té dans les pro­fils d’habitants est la règle. Cette mul­ti­pli­ci­té s’est unie contre un pro­jet, alors même que les ins­tal­la­tions sont diverses et les rai­sons de conti­nuer la lutte aus­si. Là où le cau­te­leux Nicolas Hulot a appe­lé à « ne pas confondre éco­lo­gie et anar­chie », les habi­tants de la ZAD prouvent que les deux sont indis­so­ciables dans leur com­bat. Une fois de plus, l’anarchie souffre de son image défi­gu­rée par ceux qui ont le pou­voir de le faire depuis plus d’un siècle. Qui mieux que le géo­graphe liber­taire Élisée Reclus pour rap­pe­ler que l’at­ten­tion au milieu comme à la terre et l’a­nar­chie s’as­so­cient bien plus qu’ils ne s’op­posent ? Lui qui déplore les consé­quences de l’in­dus­tria­li­sa­tion de son époque sur les mon­tagnes et cours d’eau14 a éga­le­ment œuvré toute sa vie pour la réa­li­sa­tion de ses prin­cipes : « Notre des­ti­née, c’est d’ar­ri­ver à cet état de per­fec­tion idéale où les nations n’au­ront plus besoin d’être sous la tutelle ou d’un gou­ver­ne­ment ou d’une autre nation ; c’est l’ab­sence de gou­ver­ne­ment, c’est l’a­nar­chie, la plus haute expres­sion de l’ordre15. » Les occu­pants de la ZAD l’avaient depuis le début annon­cé : ils lut­taient « contre l’aéroport et son monde » — Hulot n’a rete­nu que le pre­mier de ces com­bats. L’aéroport étant aban­don­né, place au monde qui l’a por­té : « Nous savons tous que ce que nous aurons à arra­cher demain sera le main­tien de l’u­sage com­mun d’un ter­ri­toire insou­mis et ouvert, qui en ins­pire d’autres. Et que pour ce faire, nous devons construire des formes inédites16. »

« Même si ce sont les bar­ri­cades qui sont les plus visibles, la lutte est avant tout idéologique. »

Même si ce sont les bar­ri­cades qui sont les plus visibles, la lutte est avant tout idéo­lo­gique ; elle des­sine un nou­veau front entre les tenants de la pro­prié­té, l’État, et ceux qui sou­haitent bâtir une vie hors d’un cadre uni­for­mi­sé, dans un ensemble de pro­jets col­lec­tifs. James C. Scott oppose une « agri­cul­ture d’évasion », qu’il per­çoit comme fai­sant par­tie de « formes de culture des­ti­nées à se sous­traire à l’appropriation éta­tique17 », à une agri­cul­ture séden­taire, pra­ti­quée dans les plaines asia­tiques et pro­mue par les États pour fixer les popu­la­tions. Les pro­po­si­tions d’installation sur la ZAD se veulent à la marge des cadres régle­men­taires habi­tuel­le­ment mobi­li­sés mais n’excluent pas d’être inté­grées à un ter­ri­toire dépas­sant la zone. Le grand écart avec l’État se situe dans la manière dont ces ins­tal­la­tions sou­haitent durer. La « Ferme des Cent Noms » en est l’exemple le plus frap­pant : ce sont des pro­jets col­lec­tifs qui étaient jus­qu’à peu pro­po­sés, sans titre de pro­prié­té indi­vi­duel. Le col­lec­tif des Cent Noms regrou­pait une ving­taine de per­sonnes tra­vaillant aux alen­tours de la ferme épo­nyme ; les chan­tiers col­lec­tifs, comme ceux menés au Très Petit Jardin en dépit des nuages de lacry­mo, par­ti­cipent à la réa­li­sa­tion par tous d’un pro­jet qui ne s’ar­rête pas à une per­sonne. Étendre cette com­mu­na­li­sa­tion serait rendre les occu­pants invi­sibles pour les ins­tances de régu­la­ri­sa­tion agri­coles (MSA et chambres d’a­gri­cul­ture) ; c’est cela même qui gêne tant l’État. « Les diri­geants éta­tiques consi­dèrent comme presque impos­sible d’instaurer une sou­ve­rai­ne­té effec­tive sur une popu­la­tion constam­ment en mou­ve­ment, qui n’a pas de forme per­ma­nente d’organisation, qui ne se séden­ta­rise pas, dont le gou­ver­ne­ment est éphé­mère, dont les formes de sub­sis­tance sont flexibles et peuvent chan­ger18 ».

L’impossible sou­ve­rai­ne­té, et dès lors l’improbable auto­ri­té éta­tique sur ces pro­jets, implique un emploi de la force pour les détruire. La seule alter­na­tive pro­po­sée passe par la pro­prié­té indi­vi­duelle. À cela, les habi­tants de la ZAD pour­raient oppo­ser l’his­toire colo­niale de l’État fran­çais et ceux qui lui ont résis­té. C’est cette même alté­ri­té qui a été com­bat­tue dans une Algérie colo­ni­sée par la loi Warnier (1873), inter­di­sant toute indi­vi­sion des terres et per­met­tant l’accaparement de plus de terres encore par les colons. S’appuyant sur d’autres exemples his­to­riques, situés pour leur part en forêt, Jean-Baptiste Vidalou a rap­pe­lé la conni­vence entre la colo­ni­sa­tion et l’aménagement du ter­ri­toire, la colo­ni­sa­tion et l’action vio­lente de l’État, là où ce der­nier peine à se faire « res­pec­ter »19. La pro­prié­té en indi­vi­sion décré­tée par les oppo­sants au trans­for­ma­teur élec­trique de Saint-Victor-et-Melvieu, vil­lage où s’est bâti l’Amassada, est une manière de lut­ter contre une confron­ta­tion par trop dés­équi­li­brée entre un pro­prié­taire et l’État. Celui-ci trouve face à lui une plu­ra­li­té d’habitants, qu’il ne sait dès lors com­ment trai­ter autre­ment que par la force.

[Marion Esnault, 2018]

Se diviser contre, se fédérer pour

On pour­rait appli­quer à chaque ter­ri­toire en lutte ce que l’an­thro­po­logue Pierre Clastres rele­vait de ses obser­va­tions chez les Guarani et dans ses lec­tures eth­no­gra­phiques : une Zomia, la ZAD ou le Chiapas, ces espaces se défi­nissent comme un « tout fini » parce qu’ils sont « un Nous indi­vi­sé ». Pour Clastres, « la com­mu­nau­té pri­mi­tive peut se poser comme tota­li­té parce qu’elle s’institue comme uni­té20 ». En dépit d’un essen­tia­lisme pro­blé­ma­tique chez l’au­teur, on peut néan­moins sou­li­gner que ce même pro­ces­sus est visible à Notre-Dame-des-Landes et sur nombre de ter­ri­toires en lutte : un com­bat fédère et englobe dès lors, sous un seul nom, une mul­ti­tude de choix. Ce « Nous indi­vi­sé » que forment les « zadistes » peut éga­le­ment s’atomiser pour contraindre au mieux l’avancée des forces de l’ordre, en uti­li­sant leur ter­rain. Cette connais­sance de l’espace, les habi­tants de la ZAD la par­tagent avec les Ariégeois lors de la guerre des Demoiselles au XIXe siècle ou les Cévenols au XVIIe lors de la guerre des Camisards, cha­cun des deux ter­ri­toires s’étant oppo­sé à l’avancée de la puis­sance éta­tique. Comme le rap­pelle Jean-Baptiste Vidalou, la pra­tique quo­ti­dienne de la forêt était un atout dans la dis­per­sion des habi­tants ou le regrou­pe­ment oppor­tun. Au sein de la ZAD, s’il y a divi­sion, c’est avec bien­veillance — du moins, tant que faire se peut —, entre les dif­fé­rents choix de vie expé­ri­men­tés : « Il y avait dans l’air comme un esprit joyeux de jac­que­rie et de par­tage : On se côtoyait aus­si bien autour d’un repas que der­rière une bar­ri­cade. Gilles s’anime : Au cours de ces moments intenses, les éti­quettes dis­pa­raissent, les iden­ti­tés deviennent poreuses, de l’anarcho-communisme au pay­san, du punk au natu­ra­liste, on ne sait plus qui est qui21. »

« L’indivision est un prin­cipe fon­da­men­tal de ces luttes, lais­sant à la diver­si­té des pro­jets la pos­si­bi­li­té de s’étendre sans entrave. »

S’il y a divi­sion, c’est aus­si sous la contrainte, comme outil stra­té­gique pour évi­ter de s’enfoncer dans un conflit sans fin — c’est la « stra­té­gie d’au­to­dé­fense admi­nis­tra­tive », soit l’acceptation, par une délé­ga­tion, de pro­po­ser des pro­jets d’installation indi­vi­duels va dans ce sens. Mais il ne fait aucun doute que ces der­niers n’auront d’individuel que le nom : le nom de celui ou celle qui subi­ra les obli­ga­tions impo­sées par l’UE et l’État à toute exploi­ta­tion agri­cole. La mul­ti­fonc­tion­na­li­té des pay­sans, récla­mée par l’OCDE dès les années 1990 et décré­tée dans les années 2000 avec la réforme de la PAC, est pour­tant au prin­cipe de ce qu’est la pay­san­ne­rie. L’impératif « post-pro­duc­tif » lan­cé aux cam­pagnes aujourd’­hui croit être nova­teur en mêlant tra­vail sur la terre et pré­ser­va­tion du pay­sage : c’é­tait pour­tant un pro­ces­sus à l’œuvre bien avant que l’a­gri­cul­ture indus­trielle ne s’im­misce au cœur des pra­tiques pay­sannes. Seulement, alors que l’accroissement nor­ma­tif est avant tout diri­gé vers les mono­cul­tures céréa­lières, cha­cun y est sujet comme s’il était aus­si néfaste sur le plan envi­ron­ne­men­tal — et les pro­jets por­tés à Notre-Dame-des-Landes n’y feront peut-être pas excep­tion. Bien que l’é­tude soit datée, les affir­ma­tions du socio­logue rural Henri Mendras pro­phé­ti­sant La Fin des pay­sans (1967) peuvent encore être lues avec pro­fit : « c’est le pas­sage de la logique pay­sanne à la ratio­na­li­té éco­no­mique dans la ges­tion des exploi­ta­tions qui résume et sym­bo­lise le conflit de civi­li­sa­tion et la trans­for­ma­tion du pay­san en pro­duc­teur agri­cole22 ». C’est aujourd’­hui le mou­ve­ment inverse qui effraie l’État et déclenche sa logique répressive.

L’indivision est un prin­cipe fon­da­men­tal de ces luttes, lais­sant à la diver­si­té des pro­jets la pos­si­bi­li­té de s’étendre sans entrave. Mais la fédé­ra­tion de cha­cun autour d’un com­bat ne s’o­père pas seule­ment contre un monde ou une agres­sion ; elle se construit éga­le­ment pour un ave­nir com­mun. Des expé­ri­men­ta­tions simi­laires se retrouvent sur cha­cun des ter­ri­toires en lutte ou en passe de l’être : des pro­jets agri­coles ayant à cœur de reve­nir à l’autonomie pay­sanne, des lieux de vie com­muns où échan­ger et par­ta­ger comme à l’Amassada de Saint-Victor-et-Melvieu, des biblio­thèques comme celle du Taslu à la ZAD, com­munes elles-aus­si… L’importance des moyens mis en œuvre pour délo­ger les habi­tants de la ZAD indique la crainte de l’État de voir son auto­ri­té remise en cause. Mais, peut-être plus encore, c’est de voir émer­ger un contre-pou­voir qui, au lieu de com­battre fron­ta­le­ment, ne sou­haite que res­ter à l’écart et prou­ver que ce qu’il fait est pos­sible, qui effraie. Ce qui se joue à Notre-Dame-des-Landes prouve que se poser à la marge n’est pas une atti­tude si absurde que ça ; que c’est plu­tôt encou­ra­ger l’inacceptable — de l’agriculture indus­trielle à la finan­cia­ri­sa­tion de la culture, de la pré­ca­ri­sa­tion des tra­vailleurs au délais­se­ment des plus dému­nis — qui est inimaginable.


Photographies de ban­nière et de vignette : Marion Esnault, 2018


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  1. Élisée Reclus et Pierre Kropotkine ont tous deux appli­qué leur rai­son­ne­ment géo­gra­phique à leur anar­chisme, et inver­se­ment. Le pre­mier a écrit une Nouvelle Géographie Universelle (1876–1894) aus­si bien que L’Évolution, la révo­lu­tion et l’i­déal anar­chique (1902) ; le second appuie sa théo­ri­sa­tion de l’en­traide sur les obser­va­tions qu’il a pu mener en Sibérie. Sur leurs tra­vaux et par­cours res­pec­tifs, voir Philippe Pelletier, Géographie et anar­chie : Reclus, Kropotkine, Metchnikoff, Éditions du Monde liber­taire, 2013.[]
  2. L’Institut Géographique National (IGN) est issu du Service Géographique de l’Armée (SGA) ; les colo­nies fran­çaises ont ser­vi de ter­rain à de nom­breux géo­graphes, consti­tuant un cou­rant à part entière — la géo­gra­phie colo­niale — dont la géo­gra­phie tro­pi­cale puis du déve­lop­pe­ment sont issues.[]
  3. Pour des approches hété­ro­doxes, voir Jeanne Favret-Saada, Les Mots, la Mort, les Sorts, Gallimard, 1977 et Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979.[]
  4. Le géo­graphe liber­taire cana­dien Simon Springer revient sur cette conni­vence dans son ouvrage Pour une géo­gra­phie anar­chiste (2018) : les géo­graphes ont d’a­bord été mobi­li­sés dans des contextes bel­li­queux — Emmanuel De Martone a par exemple été convo­qué pour la modi­fi­ca­tion des fron­tières euro­péennes suite à la Première Guerre mon­diale — puis pour l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire. Par ailleurs, si le mar­xisme, à la suite de David Harvey, est bien repré­sen­té dans la dis­ci­pline, l’a­nar­chisme était jus­qu’à peu qua­si­ment inexis­tant.[]
  5. Voir Philippe Contamine (dir.), Guerre et concur­rence entre les États euro­péens du XIVe au XVIIIe siècle, PUF, 1998.[]
  6. James C. Scott, Zomia ou l’art de ne pas être gou­ver­né, Seuil, 2013, p. 9.[]
  7. Ibid., p. 29.[]
  8. Ibid., p. 44.[]
  9. Ibid., p. 54.[]
  10. Ibid., p. 61.[]
  11. Voir Virginie Linhart, Vincenne, l’université per­due, copro­duc­tion Arte France, Agat films & Cie, 2016.[]
  12. Le droit de pro­prié­té est défi­ni comme droit natu­rel et impres­crip­tible dans l’ar­ticle deux de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ; la Loi du par­tage du 5 juin 1793 réduit la pos­si­bi­li­té d’u­ser de biens com­mu­naux. Tout comme le mou­ve­ment des enclo­sures en Angleterre, l’a­vè­ne­ment de la pro­prié­té pri­vée comme droit est his­to­rique, datable donc, et non natu­rel.[]
  13. James C. Scott, op. cit., p. 59.[]
  14. « Du sen­ti­ment de la nature dans les socié­tés modernes », Revue des Deux Mondes, 1864, réédi­té aux édi­tions Barthillat, 2019.[]
  15. Élisée Reclus, « Développement de la liber­té dans le monde » (1851), dans Écrits sociaux, Héros-Limite, 2012.[]
  16. Collectif Mauvaise Troupe, Saisons – nou­velles de la zad, édi­tions de l’Éclat, 2017.[]
  17. James C. Scott, op.cit., p. 47.[]
  18. Ibid., p. 67.[]
  19. Voir Jean-Baptiste Vidalou, Être forêts, habi­ter des ter­ri­toires en lutte, La Découverte, 2017.[]
  20. Pierre Clastres, Archéologie de la vio­lence, la guerre dans les socié­tés pri­mi­tives, édi­tions de l’Aube, 2013, p. 43.[]
  21. Gaspard d’Allens et Lucile Leclair, Les Néo-pay­sans, Seuil / Reporterre, 2016, p. 62.[]
  22. Henri Mendras, La Fin des pay­sans, Acte Sud, 1992, p. 24.[]

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