Vous avez dit Soral ?


Texte inédit pour le site de Ballast

soraldieudonne Nous tenions, pour écrire le pré­sent article, à lire l’in­té­gra­li­té de ses paru­tions : autre­ment dit, douze livres, publiés entre 1984 et 2013 (on se contente trop sou­vent de vidéos sur Internet, d’une qua­trième de cou­ver­ture, d’un article ou d’un ouvrage, quand l’œuvre com­plète en compte dix fois plus : paresse dom­ma­geable). D’aucuns pré­tendent qu’il ne fau­drait pas par­ler de lui au pré­texte que cela « lui fait de la publi­ci­té ». Argument sot. C’est par mil­lions que se chiffrent déjà les vues de ses vidéos – sans rien dire du site qu’il admi­nistre, extrê­me­ment visi­té, de ses livres qui s’ar­rachent sans la moindre pro­mo­tion et du par­ti qu’il s’ap­prête à lan­cer aux côtés de Dieudonné : Réconciliation natio­nale – le pro­lon­ge­ment, dans les urnes, de son mou­ve­ment Égalité & Réconciliation, qui se réclame d’un « front de la foi » (entre catho­liques et musul­mans) et de la « gauche du tra­vail /droite des valeurs » (l’al­liance, que l’es­sayiste syn­thé­tise dans son ouvrage Comprendre l’Empire, entre la Tradition et le socia­lisme révo­lu­tion­naire, qu’il soit mar­xi­sant ou vague­ment anarchiste).

Très récem­ment, les rap­peurs Médine et Disiz ont fait part de leurs inquié­tudes quant à la per­cée de Soral dans les quar­tiers popu­laires. Le pre­mier, qui récuse la pré­ten­due « récon­ci­lia­tion » pro­po­sée par l’es­sayiste, explique : « Je suis très pes­si­miste. Ça fait dix ans et les choses empirent. […] J’ai aus­si vu mon quar­tier tom­ber dans le popu­lisme de la “Dissidence”, le popu­lisme sora­lien. J’ai éga­le­ment vu une cer­taine forme d’antisémitisme ten­ter d’investir nos quar­tiers¹. » Par « Dissidence », l’ar­tiste fait réfé­rence au mou­ve­ment du même nom, plus ou moins for­mel, dans lequel s’ins­crivent Soral et ses divers alliés : la lutte contre le Système, l’Empire et l’o­li­gar­chie mon­dia­liste. Disiz répond quant à lui, lors­qu’un jour­na­liste l’in­ter­roge sur la popu­la­ri­té du pen­seur : « Je vais t’ex­pli­quer à quel point ça me met en colère. À quel point j’ai la rage. […] On ne te donne pas autre chose, on ne te donne pas un autre exemple. Quant tu as un esprit revan­chard et en colère – parce que tu vois bien qu’il y a une carotte dans cette socié­té, qu’il y a des inéga­li­tés de ouf, et que c’est tou­jours les mêmes qui graillent –, celui qui va venir crier, qui va venir aboyer, qui va aller dans ton sens, tu vas faire abs­trac­tion de tout ce qu’il a fait avant (que le mec soit pas­sé par le FN, par-ci, par-là) et te dire « Ouais, ce mec a rai­son² ! » » Une influence confir­mée par Kamel, du jour­nal Fakir : « Comme il attire vache­ment de jeunes dans les quar­tiers, comme mon petit frère était sous son charme, je suis allé l’écouter. Y avait plein de mecs avec des djel­la­bas, des barbes, les filles avec le voile³ ».

« C’est une entre­prise de récu­pé­ra­tion poli­tique. Chávez et Sankara n’ont rien à voir avec eux. » B. Jaffré, bio­graphe de Sankara

Mais il serait faux de croire que Soral ne béné­fi­cie que de ces seuls appuis ; il a cou­tume de reven­di­quer un triple public, dont cha­cun repré­sente le tiers de l’en­semble de ses par­ti­sans : les natio­na­listes catho­liques, les déçus de la gauche radi­cale et les musul­mans (des quar­tiers popu­laires ou non). La ban­nière de son mou­ve­ment atteste du carac­tère com­po­site de sa ligne et signe ce désir de ras­sem­ble­ment, par-delà les cli­vages en vigueur : appa­raissent, en guise de figures tuté­laires, Guevara, Castro, Lumumba, Sankara, Poutine, Kadhafi, Chávez, Ahmadinejad, Jeanne d’Arc et… Alain Soral en per­sonne (la méga­lo­ma­nie fait par­tie inté­grante du per­son­nage : « Aujourd’hui, s’il [Le Christ] était pré­sent sur terre […], il serait assis ici, à côté de moi4 ! », décla­ra-t-il dans l’une de ses vidéos, tout en cer­ti­fiant, dans son ouvrage Dialogues désac­cor­dés, que sa « vision du monde » est « par­ta­gée par les plus grands esprits du monde depuis le Christ5 »). Le fond d’é­cran donne à voir deux autres per­son­nages : de Gaulle et le phi­lo­sophe mar­xiste Michel Clouscard. Soral fait preuve d’un syn­cré­tisme à tout crin : il mélange les réfé­rences à même de séduire son public (et bien­tôt son élec­to­rat ?), sans craindre le moins du monde les contra­dic­tions et, pis, les détour­ne­ments de cadavres. Le bio­graphe de Thomas Sankara, Bruno Jaffré, le rap­pe­lait déjà dans le pre­mier numé­ro de la pré­sente revue, à pro­pos d’Égalité & Réconciliation : « Ils jouent. Ils essaient de mordre sur la jeu­nesse immi­grée. Ce n’est pas du tout le même monde poli­tique. […] C’est une entre­prise de récu­pé­ra­tion poli­tique. C’est vrai qu’il fau­drait faire un article pour rap­pe­ler que Chávez et Sankara n’ont rien à voir avec eux. Sankara était pro­fon­dé­ment huma­niste. Ces gens-là mélangent le natio­na­lisme avec l’antisémitisme : c’est dan­ge­reux6. »

chavezmelenchon

Rencontre entre socialistes : Mélenchon et Hugo Chávez (DR)

Les ouvrages de Soral fonc­tionnent pareille­ment : Comprendre l’Empire fait la part belle, pêle-mêle, à Robespierre, Marx, Bakounine, Proudhon, Orwell et Georges Sorel (quoique ce der­nier fût une figure déjà plus ambi­guë, un pied dans le syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire et l’autre, un temps, à l’Action fran­çaise), comme à Henri Béraud, anti­sé­mite auto-pro­cla­mé7, anti­com­mu­niste et par­ti­san de l’a­gres­sion mus­so­li­nienne de l’Éthiopie ; Jusqu’où va-t-on des­cendre ? s’ouvre sur une cita­tion du poète com­mu­niste Pasolini ; Sociologie du dra­gueur est dédié à la mémoire du pen­seur mar­xiste Lucien Goldmann ; Vers la fémi­ni­sa­tion ? com­mence sur deux phrases, signées Clouscard et Georg Lukács, phi­lo­sophe mar­xiste qui par­ti­ci­pa à la République des conseils de Hongrie ; Misères du Désir et CHUTe ! se placent sous l’é­toile de Céline, écri­vain fétiche de Soral (qu’il célèbre notam­ment pour ses pam­phlets hos­tiles aux Juifs). Sa mai­son d’é­di­tion, Kontre Kulture, est une illus­tra­tion plus criante encore de cette confu­sion idéo­lo­gique : on peut y ache­ter, côte à côte, des ouvrages des liber­taires Lazare, Kropotkine, Bakounine et Thoreau, des contre-révo­lu­tion­naires Maurras, Delassus, de Poncins, des com­mu­nistes Marx et Childe Vere Gordon, du col­la­bo­ra­teur vichyste Bonnard, du poète fas­ciste Ezra Pound ou encore du pan­afri­cain Sankara – sans par­ler des réédi­tions d’ou­vrages ouver­te­ment anti­sé­mites : La France juive de Drumont ou Le Juif inter­na­tio­nal d’Henry Ford. Un fourre-tout mal arti­cu­lé et invrai­sem­blable, une auberge espa­gnole qui ne tient que par le cha­risme fédé­ra­teur de son lea­der, Alain Soral. Un mot sur l’om­ni­pré­sent Clouscard : en 2007, le pen­seur avait tenu à se dis­so­cier clai­re­ment de cette cap­ta­tion, dans les colonnes de LHumanité : « Associer donc d’une manière quel­conque nos deux noms s’ap­pa­rente à un détour­ne­ment de fonds. Il s’a­vère qu’Alain Soral croit bon de déri­ver vers l’ex­trême droite (cam­pagne pour le FN). Il veut y asso­cier ma per­sonne, y com­pris en uti­li­sant mes pho­tos à ma totale stu­pé­fac­tion. Je n’ai en aucun cas auto­ri­sé Alain Soral à se pré­va­loir de mon sou­tien dans ses menées pro­le­pé­nistes. Le Pen est aux anti­podes de ma pen­sée8» Soral avait répon­du dans son ouvrage Chroniques d’a­vant-guerre : Clouscard n’é­tait fina­le­ment qu’un « vieux puceau9 ».

« Un fourre-tout mal arti­cu­lé et invrai­sem­blable, une auberge espa­gnole qui ne tient que par le cha­risme fédé­ra­teur de son lea­der, Alain Soral. »

Ses inter­ven­tions foi­sonnent, ses vidéos pul­lulent sur la toile, mais le doute sub­siste par­fois. Disiz le recon­naît lui-même, il y a quelques jours de cela, en mai 2015 : il a des sus­pi­cions quant à son racisme, avé­ré ou non, mais « c’est trop vague », « c’est trop flou10 ». Soral est pour­tant tout sauf obs­cur ou vapo­reux. Il ne se cache de rien, s’a­vance à décou­vert et répète à qui veut l’en­tendre qu’il n’est pas un démo­crate, qu’il se reven­dique expli­ci­te­ment du natio­nal-socia­lisme (fran­çais, pré­cise-t-il, puis­qu’il a des diver­gences avec le modèle hit­lé­rien du fait du mépris que ce der­nier avait pour la France) et qu’il se montre proche des mou­ve­ments néo­fas­cistes ita­liens (comme CasaPound). Les élé­ments ne manquent pas et les faits, pour qui veut, sont disponibles.

On déplo­re­ra que ses adver­saires les plus média­tiques et les plus bruyants aient tout entre­pris, par leur incom­pé­tence, leur inep­tie ou leur com­pro­mis­sion avec le pou­voir (de Fourest au CRIF, de Bernard-Henri Lévy à Manuel Valls, d’Alain Finkielkraut à cer­tains grou­pus­cules hys­té­riques de l’ex­trême gauche), pour ren­for­cer son cré­dit et son aura de dis­si­dent et de pros­crit. Vérité déplai­sante : le triomphe de Soral, comme celui de Dieudonné (far­ceur de talent deve­nu ren­tier du mau­vais goût, com­mer­çant de la divi­sion et usu­rier du res­sen­ti­ment), est, dans une cer­taine mesure, l’œuvre de la gauche et des « démo­crates » aux com­mandes. Par la cri­mi­na­li­sa­tion constante et per­ma­nente de la parole, fût-elle infecte, qui trans­forme les médiocres en mar­tyrs (remer­cions nombre d’as­so­cia­tions, tou­jours prêtes à se muer en offi­cines poli­cières : « Mais oui, écri­vit pour­tant le com­mu­niste liber­taire Alexandre Berkman. Laissons-les par­ler de tout leur soûl. Les en empê­cher ne ser­vi­rait qu’à créer une nou­velle classe de per­sé­cu­tés et ral­lier ain­si le peuple à leur cause. La sup­pres­sion de la liber­té de parole et de la liber­té de la presse ne serait pas seule­ment une offense théo­rique à la liber­té ; la sup­pri­mer serait por­ter un coup direct aux fon­da­tions mêmes de la révo­lu­tion. ») ; par la chape de plomb qui étouffe la ques­tion pales­ti­nienne (l’ap­pa­reil poli­tique fran­çais n’ayant, semble-t-il, qu’une pré­oc­cu­pa­tion à valeur de pas­sion : applau­dir à toutes les déci­sions israé­liennes) ; par la mas­ca­rade média­tique et poli­tique per­ma­nente qui, sur­tout lors­qu’elle se réclame du socia­lisme ou de la gauche, jette dans les bras des extrêmes les citoyens déçus, tra­his et en colère ; par l’a­ber­rante et contre-pro­duc­tive loi Gayssot, qui sus­cite des voca­tions néga­tion­nistes en série au nom du res­pect, pour­tant des plus légi­times, de la mémoire (le pen­seur liber­taire Noam Chomsky a sur le sujet une posi­tion on ne peut plus rai­son­nable : l’État n’a pas à dic­ter l’Histoire, sauf à vou­loir sin­ger Staline) ; par la manie que la gauche cri­tique, du haut de ses chaires jar­gon­neuses, a de se cou­per des gens du com­mun – ceux à qui Soral dédie plu­sieurs de ses livres et dit vou­loir repré­sen­ter, avec une sin­cé­ri­té que l’on ne sau­rait mesu­rer : les petits, les sans-grades, les beaufs, les dépos­sé­dés et les oubliés des paillettes et des pla­teaux de télé­vi­sion. Il est ensuite aisé, pour un rhé­teur brillant et culti­vé par­lant sans chi­chis (à tel point que per­sonne, ou presque, ne s’a­ven­ture à débattre avec lui), de s’emparer du dra­peau de la « dis­si­dence » quand le « sys­tème » fait tout pour lui offrir cette place, de pro­cès en pro­cès et de condam­na­tions en condam­na­tions. La gauche cri­tique et l’ex­trême gauche ont régu­liè­re­ment accès aux médias de masse (Besancenot dans Vivement dimanche !, Mélenchon dans Touche pas à mon poste) : Soral peut à loi­sir éta­ler sa cré­di­bi­li­té de sub­ver­sif : plus per­sonne ne l’in­vite. Égalité & Réconciliation a su, mal­heu­reu­se­ment mieux que ses enne­mis, construire un contre-espace, un contre-monde, « des formes de dif­fu­sions paral­lèles11 », dirait Rancière : édi­tion de livres, édu­ca­tion popu­laire en ligne, stages, par­te­na­riats divers (gas­tro­no­mie, vini­cul­ture) – et, par la voix appa­rem­ment ludique de Dieudonné, un pro­jet d’as­su­rances et, à terme, de banque à voca­tion « révolutionnaire ».

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CasaPound (DR)

Cet article, fort d’une lec­ture exhaus­tive de son œuvre, se charge donc de ras­sem­bler les élé­ments dis­po­nibles en un même espace afin qu’il ne soit plus pos­sible, comme on le lit ou l’en­tend trop sou­vent, de pré­tendre que Soral, il est vrai, « dépasse par­fois les bornes », « dit des conne­ries », « exa­gère », mais que, tout de même, l’homme « a rai­son sur plein de choses » et qu’il est « bon sur le fond, si on oublie la forme ». Qu’il ne soit plus pos­sible d’en­tendre un Étienne Chouard, qui se reven­dique pour­tant de la gauche et de la tra­di­tion liber­taire, décla­rer : « Pour moi, Alain Soral est à gauche parce qu’il se bat contre les pri­vi­lèges. C’est un résis­tant12. » Quand il n’a­joute pas : « Les gens qui sont der­rière Soral, j’en vois plein, c’est des humains comme vous et moi : ils cherchent le bien com­mun à leur façon13. »

« Vérité déplai­sante : le triomphe de Soral, comme celui de Dieudonné, est, dans une cer­taine mesure, l’œuvre de la gauche et des « démo­crates » aux commandes. »

La pen­sée sora­lienne se passe d’exé­gèse tant elle est lim­pide – pour ne pas dire simple, ôté le ver­nis rhé­to­rique et sophis­tique par­fois, sinon sou­vent, habile et sédui­sant pour les esprits en quête d’une expli­ca­tion hâtive et fruste du monde et de ses rap­ports de force. Notre objet n’est pas, ici, de pré­sen­ter ses thèses prin­ci­pales (sur le fémi­nisme, la Banque, la poli­tique étran­gère nord-amé­ri­caine, le désir comme moteur de consom­ma­tion, le libé­ra­lisme-liber­taire, le com­mu­nau­ta­risme, la laï­ci­té ou encore le sio­nisme), ni de cher­cher à les réfu­ter une à une (un article, par sa forme, ne le per­met abso­lu­ment pas), mais de mettre en évi­dence les élé­ments, enra­ci­nés dans toute son œuvre (et non pas à la marge, au détour d’une dis­cus­sion ou d’un jour de colère, comme cer­tains le pensent naï­ve­ment), qui attestent que Soral ne peut et ne pour­ra jamais être un point d’ap­pui, un allié et un com­pa­gnon de route de l’é­man­ci­pa­tion : ni dans la lutte ô com­bien légi­time contre l’oc­cu­pa­tion de la Palestine, ni dans la lutte ô com­bien néces­saire contre l’im­pé­ria­lisme et l’hé­gé­mo­nie atlan­tiste, ni dans la lutte ô com­bien pri­mor­diale contre la bour­geoi­sie de droite et de gauche et les tra­hi­sons suc­ces­sives de leurs gou­ver­ne­ments répu­bli­cains, tou­jours sou­cieux de leur classe et jamais des milieux popu­laires. Et s’il est évi­dem­ment pos­sible, au regard de la somme d’élé­ments qu’il aborde, de le rejoindre sur tel ou tel point du fait de ses fon­da­men­taux socia­listes et mar­xistes (sa sœur rap­pelle qu’il était même anar­chiste dans sa jeu­nesse, avant d’en­trer au Parti com­mu­niste), rien ne jus­ti­fie, selon la ren­gaine bien connue, de frayer avec les enne­mis de nos enne­mis. C’est d’ailleurs là une constance his­to­rique : révo­lu­tion­naires et contre-révo­lu­tion­naires, socia­listes et nos­tal­giques de l’Ancien régime ont sou­vent pu se retrou­ver sur cer­tains axes, dans leurs cri­tiques de la bour­geoi­sie ou de la cor­rup­tion par­le­men­taire — du bou­lan­gisme au Cercle Proudhon. Soral reprend le flam­beau et reven­dique l’hé­ri­tage du CNR (où, pour vaincre l’oc­cu­pa­tion alle­mande, cagou­lards et com­mu­nistes s’u­nirent tant bien que mal) et, dans Chroniques d’a­vant-guerre, déplore qu’il ne soit pas pos­sible de fusion­ner le Front natio­nal et le Front de gauche (il prend éga­le­ment l’exemple liba­nais de Nasrallah, musul­man, s’al­liant au géné­ral Aoun, chré­tien). Les pro­pos qui suivent se chargent de rap­pe­ler que per­sonne, dans la lutte contre l’ordre en place, n’a à gagner à s’al­lier avec « la Dissidence ». « J’ai écrit des grands livres14 », a‑t-il assé­né un jour : petit flo­ri­lège, en guise de boîte à outils, pour s’en convaincre…

Les Noirs, les Arabes, les Juifs et les Gitans

Une affaire pri­vée ren­due publique fut un choc pour cer­tains de ses sou­tiens. La chan­teuse Binti, d’o­ri­gine came­rou­naise, reçut les mes­sages sui­vants : « Les blancs prennent les blacks pour des putes (ce qu’elles sont le plus sou­vent). », « Finalement il ne te reste de sûr que les juifs et les pédés ! », « Les pédés comme amis pour t’écouter chia­ler que ton des­tin c’est d’être une pute à juifs… », « Dans 10 ans ton corps sera tout sec, et avec ton gros pif sémite, tu res­sem­ble­ras à un vieux chef indien ! Sur le mar­ché du tra­vail tu ne vau­dras plus rien15... » Soral ne cher­cha pas à nier ; il les assu­ma même.

« Plus je vois la merde noire (cor­rup­tion, inté­grisme, géné­raux…) dans laquelle l’Algérie s’en­fonce un peu plus chaque jour, […] plus je me dis que leur seul espoir, c’est qu’on y retourne. »

S’il s’est par­fois pré­sen­té, notam­ment dans CHUTe !, comme le « défen­seur des beaufs et des Arabes » (p. 20) et qu’il s’est atti­ré de nom­breuses sym­pa­thies du fait de sa défense répé­tée de l’is­lam (comme reli­gion virile, modeste et éga­li­taire), il n’en reste pas moins que « l’a­ra­bo­phi­lie » sora­lienne s’a­vère avant tout stra­té­gique (récon­ci­lier les Gaulois et les Arabes pour évi­ter, par patrio­tisme, la guerre civile qui gron­de­rait en France). Il suf­fit de grat­ter un peu pour que s’é­caille la pein­ture fra­ter­nelle. Ainsi décrit-il, dans l’un de ses livres, le « petit sou­rire du raton fou­teur de merde » (C, p. 46) et le tem­pé­ra­ment « vicieux comme l’Arabo-ber­bère » d’un per­son­nage (p. 65). Jusqu’où va-t-on des­cendre ? oscille entre pater­na­lisme (« nos petits Beurs », p. 82) et mépris franc (la France est détruite, car deve­nue un pays « enva­hi de Maghrébins hos­tiles », p. 106), et donne à recon­si­dé­rer sérieu­se­ment l’an­ti­co­lo­nia­lisme affi­ché par les figures fon­da­trices de son mou­ve­ment (Guevara, Sankara, Lumumba) : « Plus je vois la merde noire (cor­rup­tion, inté­grisme, géné­raux…) dans laquelle l’Algérie s’en­fonce un peu plus chaque jour, […] plus je me dis que leur seul espoir, c’est qu’on y retourne. » (p. 13) Même ode aux bien­faits de la colo­ni­sa­tion, durant une inter­ven­tion fil­mée, lorsque Soral s’at­taque à la porte-parole des Indigènes de la République (ce qui ne l’empêche pas, quant à elle, de faire l’é­loge des couples non-mixtes, dans les pages de Vacarme, c’est-à-dire de limi­ter autant que faire se peut les unions entre « raci­sés » et « Blancs ») : « Houria Bouteldja est la preuve de la réus­site totale de la colo­ni­sa­tion, car sans la colo­ni­sa­tion, cette petite Algérienne serait aujourd’hui tatouée en bleu sur le front, dans un bled de moyenne mon­tagne, elle aurait été mariée de force, ce qui est nor­mal dans une socié­té patriar­cale tra­di­tion­nelle, elle aurait six gosses et elle fer­me­rait sa gueule16 ». Soral aime à bras­ser les caté­go­ries larges et les grands ensembles — maître en essen­tia­li­sa­tion, les Arabes issus de l’Afrique du Nord en font aus­si les frais : « Les Maghrébins, vous par­lez fort et vous êtes d’une lâche­té, sur le ter­rain, inouïe17 » ou encore « Il aboyait fort, parce que les Maghrébins ne savent pas deman­der gen­ti­ment18» Aussi, il s’en prend à la culture nord-afri­caine, juive ou non, pour faire l’é­loge du Nord, des Celtes et de la culture chré­tienne : « Nous, on se met pas à hur­ler, à pleur­ni­cher, y’a pas de youyous, etc. C’est deux cultures19. » Réconciliation, vrai­ment ?

Disiz et Médine 

Même son de cloche avec les Ukrainiens (« Putes ukrai­niennes, c’est un pléo­nasme20 »), les Gitans (« bra­queur sur­ar­mé répu­té pour son goût du sang », JO, p. 128) et les Rroms (« On a un afflux mas­sif, je dirais, de la pire racaille que l’humanité ait por­té, c’est-à-dire les Rroms de l’Est, alba­no-rou­ma­no-etc.21 »). Les Juifs, on ne l’i­gnore pas, consti­tuent sans contre­dit sa mire de pré­di­lec­tion. Dresser la liste de ses assauts aurait tôt fait d’u­ser le lec­teur ; conten­tons-nous de quelques pages. Comprendre l’Empire : « la volon­té de domi­na­tion juive » (p. 69), « son omni­pré­sence et son omni­po­tence avé­rées dans tous les sec­teurs clefs de la finance, de la poli­tique, des médias et des sciences » (p. 110), « une flo­pée de sociaux-traîtres dont énu­mé­rer les noms évo­que­rait immé­dia­te­ment la liste de Schindler » (p. 134), Sarkozy aux ori­gines « dou­teuses » (p. 175) ; Dialogues désac­cor­dés : « Rosenberg, le vrai nom pas du tout catho­lique de Madame Sinclair » (pp. 27–28), « gauche juive » (p. 29), « l’é­cra­sante domi­na­tion juive » (p. 40) ; Misères du Désir : « Beaucoup de Benamou, Benichou » (p. 59), « éga­le­ment ash­ké­naze (je constate) » (p. 92). Obsession névro­tique des ori­gines, à tel point qu’il ne peut men­tion­ner une seule per­sonne sans pré­ci­ser son appar­te­nance eth­nique ou com­mu­nau­taire — quand bien même celle-ci ne s’en reven­dique jamais.

« On a vu le petit Elkabbach – là, c’est mon ana­lyse un peu plus racia­lo-com­mu­nau­taire –, qui est le petit sémite séfa­rade, se sou­mettre fina­le­ment comme une femme à quel­qu’un [Poutine] qui repré­sente encore, je dirais, la viri­li­té aryenne. »

Soral pos­sède néan­moins trois pirouettes en la matière : la pre­mière, reven­di­quer les écri­vains juifs qu’il affec­tionne (Marx, Goldmann, etc.) ; la seconde, mettre en avant, selon la logique bien connue, ses « amis » juifs (ils sont deux : Jacob Cohen et le musi­cien Gilad Atzmon — ce der­nier a même été désa­voué publi­que­ment, du fait de ses « argu­ments racistes », par un col­lec­tif de pen­seurs pales­ti­niens22…) ; la troi­sième, répé­ter qu’il n’est pas anti­sé­mite mais judéo­phobe ou judéo­cri­tique (autre­ment dit : qu’il cible « l’i­déo­lo­gie juive », comme sys­tème de pen­sée, et non les êtres en tant que per­sonnes de chair et d’os), et, sur­tout, qu’il ne s’en prend jamais à ceux qu’il nomme les « Juifs sur les bords » ou « Juifs du quo­ti­dien ». La défense s’é­croule pour­tant dès l’ins­tant où il déclare, en juin 2014 : « On a vu le petit Elkabbach – là, c’est mon ana­lyse un peu plus racia­lo-com­mu­nau­taire –, qui est le petit sémite séfa­rade, se sou­mettre fina­le­ment comme une femme à quel­qu’un [Poutine] qui repré­sente encore, je dirais, la viri­li­té aryenne, d’une cer­taine manière – même si elle est slave. Et ça, c’est la juste hié­rar­chie tra­di­tion­nelle, vous voyez. Quand Poutine ouvre sa gueule, un Elkabbach la ferme. Et c’est comme ça que doit se conce­voir un monde qui fonc­tionne bien23. » Jean-Pierre Elkabbach est très clai­re­ment atta­qué en tant qu’in­di­vi­du membre d’une com­mu­nau­té eth­nique déter­mi­née. Autre exemple : un jour­na­liste inter­roge Soral et lui demande ce qu’il juge obs­cène, en matière de lit­té­ra­ture. Sans éton­ne­ment, Soral embraie sitôt, le visage tra­ver­sé de suc­ces­sives moues écœu­rées : « J’ai res­sen­ti un vif dégoût en lisant des pages plus ou moins auto­bio­gra­phiques de… ce n’est pas un hasard… Albert Cohen. Le type qui a écrit Belle du Seigneur et Mangeclous. Ça, ça me répugne. Il y a ce côté… je ne vais pas dire le mot pour ne pas m’at­ti­rer d’en­nuis, mais ce côté com­plai­sant, mis en scène, y’a du Elie Wiesel chez Albert Cohen. C’est pas un hasard. Ça m’in­sup­porte. Moi je suis un goy du Nord, il y a le côté on se tourne pour pleu­rer, on pleure jamais face à la camé­ra. Sinon tout le reste c’est la famille, c’est Claude Lelouch, Boujenah, ça sent l’huile quoi… […] J’ai d’ailleurs res­sen­ti cette gêne sans jamais iden­ti­fier qu’il y avait une ori­gine eth­ni­co-cultu­relle là-dedans. J’ai tou­jours détes­té les films de Woody Allen, qui sont incroya­ble­ment nar­cis­siques et com­plai­sants, et médiocres. Ça m’a tou­jours insup­por­té. Même les films des frères Coen. […] Pleurer face à la camé­ra pour tirer les larmes du goy et lui faire les poches. C’est une évi­dence, on le voit. Mangeclous et Belle du Seigneur, c’est insup­por­table. En plus d’é­normes pavés, comme ça, c’est gras, c’est gras. C’est une culture, quoi. Quand on aime ça… Aujourd’hui on est sub­mer­gé par cette merde. […] Mon monde à moi, qui est le monde de la pudeur du Nord, de la pudeur hélé­no-chré­tienne, de la rete­nue, de l’é­mo­tion sub­tile, etc., a été dévas­té par la vul­ga­ri­té séfa­rade, il faut le dire, judéo-médi­ter­ra­néenne. C’est une souf­france ter­rible pour nous24» Le sio­nisme n’a, ici, stric­te­ment rien à faire. Pas plus que la cri­tique de l’Ancien Testament ou de la méta­phy­sique juive. Seulement le racisme crasse.

Lisons ou reli­sons le psy­chiatre anti­co­lo­nia­liste antillais Frantz Fanon : « C’est mon pro­fes­seur de phi­lo­so­phie, d’o­ri­gine antillaise, qui me le rap­pe­lait un jour : « Quand vous enten­dez dire du mal des Juifs, dres­sez l’o­reille, on parle de vous. » Et je pen­sais qu’il avait rai­son uni­ver­sel­le­ment, enten­dant par là que j’é­tais res­pon­sable, dans mon corps et dans mon âme, du sort réser­vé à mon frère. Depuis lors, j’ai com­pris qu’il vou­lait tout sim­ple­ment dire : un anti­sé­mite est for­cé­ment négro­phobe. » (Peaux noires, masques blancs, paru en 1952)

Les femmes

« Se pose dès lors la ques­tion du viol. Délicate, estime-t-il – puisque la femme n’é­prouve pas « de fron­tière franche entre le « oui » et le « non » ». »

Sans doute l’un des fils rouges de trois décen­nies de publi­ca­tions. Dans Sociologie du dra­gueur, quand il ne parle pas de « salope flip­pée » et de « fémi­niste cryp­to-les­bienne », il ana­lyse la gent fémi­nine en quatre caté­go­ries : les salopes, les bon­niches, les folles et la femme-miracle. Mais toutes, par nature, ne savent pas s’ex­pri­mer clai­re­ment : « Une femme qui dit « non » est une femme qui dit « peut-être » et qu’une femme qui dit « peut-être » est une femme qui dit « oui25. » Se pose dès lors la ques­tion du viol. Délicate, estime-t-il – puisque, de nou­veau, la femme n’é­prouve pas « de fron­tière franche entre le « oui » et le « non » » (p. 113). Le viol est, pour le dra­gueur aguer­ri, un « défaut de maî­trise » (p. 114), une faute d’a­ma­teur en matière de tech­nique. Et lors­qu’il parle de har­cè­le­ment sexuel, il ne s’a­git bien sûr pas de celui que les femmes ont régu­liè­re­ment à subir (au tra­vail ou dans la rue), mais de celui que les hommes endurent par l’af­fi­chage quo­ti­dien de femmes dévê­tues dans les espaces publics – har­cè­le­ment qui génère la frus­tra­tion des hommes et pour­rait abou­tir à ce genre de « consé­quences funestes », c’est-à-dire le viol (p. 114). Soral n’est du reste pas avare en recom­man­da­tions, sur le ter­rain des rap­ports sexuels, consen­tis, cette fois : « Plus vous entrez sèche­ment, plus votre sen­ti­ment de la péné­trer sera fort » (p. 105) ; « son plai­sir étant parent de la dou­leur, croyez qu’elle appré­cie­ra » (ibid) ; « jouis­sez, elle joui­ra » (p. 106) ; « aus­si­tôt joui, bar­rez-vous » (p. 107). Dans CHUTe ! Éloge de la dis­grâce, il explique « com­ment bai­ser une vraie bonne salope » (p. 93). Du fait de ses dis­po­si­tions bio­lo­giques et men­tales, écrit-il aus­si, la femme s’a­vère moins apte que l’homme à pen­ser (elle n’a que très rare­ment une « vision glo­bale cohé­rente », SD, p. 155). Pour appuyer ses dires, il prend l’exemple de Arendt et Badinter, en jugeant de « l’im­bé­ci­li­té » de leurs œuvres res­pec­tives (Arendt revient à plu­sieurs reprises, dans ses livres, pour étayer ce même argu­ment). La femme, du fait, notam­ment, de son « trou » ana­to­mique, ne peut « péné­trer l’ob­jet » (SD, p. 160), c’est-à-dire la pen­sée dans son abs­trac­tion la plus pure – d’où sa pro­pen­sion à l’ir­ra­tion­nel, l’é­mo­tion, l’in­tui­tion et l’as­tro­lo­gie. « La femme est pro­fon­dé­ment inapte à cette acti­vi­té sérieuse et exi­geante qu’est la pen­sée » (ibid). Existent tou­te­fois quelques excep­tions, ajoute-t-il, liées à des tra­jec­toires indi­vi­duelles obliques, comme Rosa Luxemburg et Jeanne d’Arc.

Jeanne d'Arc, par Dillens (vers 1850)

Dégoût phy­sique et psy­cho­lo­gisme lapi­daire émaillent l’ou­vrage : la vulve des femmes est « sup­pu­rante et nau­séa­bonde » et « la jeune fille pue dans la plu­part des cas » (SD, p. 31) ; « en bai­sant la fille, le dra­gueur baise d’a­bord sa propre mère » (p. 61), « dans un visage de femme, le jeune homme cher­cher d’a­bord à retrou­ver sa mère » (p. 86.) et « l’at­ta­che­ment mys­tique de l’homme à sa mère et le besoin frustre qu’il a de péné­trer » (p. 225). Dans un autre livre, Misères du Désir, il com­pare le sexe fémi­nin à du mou de veau et rap­pelle « com­bien le sexe est vil » (p. 61) et com­bien « elle n’est pas bien belle l’o­ri­gine du monde » (p. 60), après voir évo­qué cette « ruse de la Nature qui nous met les femmes au cœur pour mieux nous pous­ser à y four­rer la bite » (p. 35). L’homme, ajoute-t-il, est fait pour la guerre, la poli­tique et la pen­sée ; la femme pour l’en­fan­te­ment et la ges­tion maté­rielle de l’exis­tence (« leur nature de pon­deuse », p. 41). Il aborde dans le même ouvrage la mort de Marie Trintignant, en 2003, sous les coups de Bertrand Cantat. « Le vrai scan­dale » de cette affaire, pense-t-il, c’est d’a­bord « la délo­ca­li­sa­tion d’une pro­duc­tion de la télé­vi­sion natio­nale » (p. 149), puisque le tour­nage se dérou­lait en Lituanie. « La vio­lence phy­sique du mâle est sur­tout son aveu d’im­puis­sance. Devant tant d’ha­bi­le­té, de roue­rie [fémi­nine], il arrive que ces âmes angu­leuses et simples, tout en émo­ti­vi­té, soient comme les résis­tants du Hamas confron­tés aux mani­pu­la­tions sio­nistes : elles explosent ! » (p. 154) Il pour­suit, tou­jours à pro­pos de Cantat : « Je suis sûr qu’il ne l’a pas frap­pée pour lui voler son sac. Il a quand même fal­lu qu’elle lui en dise des mots vexants, humi­liants, déses­pé­rants… qu’elle le pousse sacré­ment à bout, le gen­til nou­nours, pour qu’il voie rouge et qu’il déjante. […] Oserais-je avan­cer qu’il a cra­qué, non pas parce qu’il était un monstre, une bête, mais parce qu’il était trop humain ? » (pp. 155–156). La vio­lence ? Il l’as­sume, et recon­naît avoir giflé deux femmes et « dérouillé vrai­ment » une troi­sième (p. 157). Il raconte même : « Je l’é­tran­glai, elle tom­ba au sol. […] Je devins vrai­ment fou, je la cognai, je la cognai… comme dans un rêve… un cau­che­mar. » (p. 158)

« Je l’é­tran­glai, elle tom­ba au sol. […] Je devins vrai­ment fou, je la cognai, je la cognai… comme dans un rêve… un cau­che­mar. »

Soral, qui en appelle à abattre le fémi­nisme du fait des « ravages » qu’il génère, le décrit comme « une sou­mis­sion non sue à la mas­cu­li­ni­té » (SD, p. 189). Sans sur­prise, les fémi­nistes sont sous sa plume des « har­pies » et des « hys­té­riques ». Il fait état, dans Jusqu’où va-t-on des­cendre ?, de « leur men­ta­li­té d’a­vor­teuse, leur ten­dance à l’in­fan­ti­cide » (p. 100), et, dans Socrate à Saint-Tropez, affirme que le « fémi­nisme est en fait un mépris des femmes » (p. 332) (doit-on en déduire que le sora­lisme signi­fie­rait leur res­pect ?). Notons, en pas­sant, que le har­cè­le­ment sexuel n’existe pas, nous l’a­vons lu, sauf lors­qu’il per­met de louer la bur­qa : cette « jolie bur­qa bleue qui pro­tège la musul­mane du har­cè­le­ment sexuel » (Jusqu’où va-t-on des­cendre ?, p. 179). L’essayiste n’est jamais à une contra­dic­tion près : il lui arrive de déplo­rer le retour à l’irrationalité (musul­mane — voir Socrate à Saint-Tropez) tout en trai­tant de « sata­niques » la plu­part de ses enne­mis ; il n’a de cesse de faire l’é­loge du tra­vail pro­duc­tif tout en recon­nais­sant avoir tout fait pour fuir ledit tra­vail (« Quand on a été sala­rié du ter­tiaire et qu’on a conduit une bagnole dans Paris pen­dant des années, on est un unter­mensch26 », déclare-t-il tran­quille­ment — c’est-à-dire, en alle­mand, un sous-homme).

Les homosexuels

Une autre cible de choix (dont le révo­lu­tion­naire afro-amé­ri­cain, Huey P. Newton, fon­da­teur des Black Panthers, disait qu’ils étaient « peut-être la popu­la­tion la plus oppri­mée de la socié­té » et qu’il fal­lait, dès lors, « for­mer des coa­li­tions avec les groupes de libé­ra­tion des femmes et des gays27 »). Les gays, écrit Soral dans Sociologie du dra­gueur, sont « l’en­semble des effé­mi­nés du ter­tiaire dont la conscience poli­tique se limite au droit de se faire encu­ler » (p. 196). Ils sont aus­si des « pédés bran­chés » (p. 80) et les hommes qui nouent de sin­cères rela­tions ami­cales avec les femmes ont « une men­ta­li­té de pédé » (p. 82) (le séduc­teur, qu’il oppose au dra­gueur de rue, dont il se récla­mait alors, est quant à lui « poli­ti­que­ment émas­cu­lé », p. 73). Quand il n’en parle pas comme des « pédés », c’est pour les décrire comme des « sodo­mites », des « inver­tis », des « fiottes » et des « tan­touzes ». Il dénonce, dans Misères du Désir, la « mul­ti­pli­ca­tion des fiottes dans nos sociales démo­cra­ties urbaines occi­den­tales » (p. 166) et classe, dans Vers la fémi­ni­sa­tion ? Démontage d’un com­plot anti­dé­mo­cra­tique (paru en 1999, il reprend en grande par­tie Sociologie du dra­gueur), les homo­sexuels en quelques caté­go­ries prin­ci­pales : le « pédé lit­té­raire », le « pédé com­mer­çant », le « pédé intel­lo-gau­chiste », le « pédé néo­fas­ciste » (sché­ma qu’il uti­lise éga­le­ment dans Jusqu’où va-t-on des­cendre ?).

« Alors que je les tolère, les sup­porte, ces créa­tures s’at­taquent à mon monde pour le détruire, par haine, esprit de ven­geance de l’a­nor­mal pour le nor­mal ! »

« Si les gays conti­nuent à se mul­ti­plier, note-t-il dans l’ou­vrage que l’on vient de men­tion­ner, ils risquent de mettre en dan­ger la sur­vie même du monde occi­den­tal » (p. 125). Et croit bon de consta­ter : « Il en sort de par­tout » (ibid). Dans Dialogues désac­cor­dés, ouvrage bâclé com­mis avec Éric Naulleau et paru en 2013, Soral enfonce un clou vieux de presque vingt ans : « Alors que je les tolère, les sup­porte, ces créa­tures s’at­taquent à mon monde pour le détruire, par haine, esprit de ven­geance de l’a­nor­mal pour le nor­mal ! » (p. 37) Et, assu­rant s’ins­pi­rer de Freud, explique que « l’ho­mo­sexua­li­té est une sexua­li­té déviante, tan­tôt imma­ture, tan­tôt per­verse, qui doit se pra­ti­quer dans la dis­cré­tion, avec un soup­çon de honte ! » (p. 40) Les déra­pages, pré­vient-il, ont tôt fait d’ar­ri­ver : « D’abord un doigt de femme pour finir par une bite d’im­mi­gré » (p. 42). Dans Chroniques de l’a­vant-guerre, lors­qu’il parle d’un réa­li­sa­teur, il ne peut à l’é­vi­dence s’empêcher de pré­ci­ser : « 8 Césars de l’ho­mo­sexuel Audiard28 ». Il n’est pas inin­té­res­sant de lire, dans Misères du Désir, qu’il éprou­va le besoin, pour savoir s’il était homo­sexuel ou non, d’a­voir une rela­tion sexuelle avec un homme (de façon active et pas­sive, indi­qua-t-il) – l’ex­pé­rience lui per­mit de conclure qu’il ne l’é­tait pas (un thème récur­rent dans son œuvre et son lan­gage : il achève d’ailleurs CHUTe ! en se met­tant ain­si en scène, du moins son double roma­nesque, dans un back room).

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Huey P. Newton (DAVID FENTON/ARCHIVE PHOTOS/GETTY)

Le pouvoir, après les livres ?

Soral a fait savoir qu’il était déjà ren­tré dans la petite Histoire et qu’il n’ap­par­te­nait qu’à la grande de l’ac­cueillir. Il suf­fi­rait, pour cela, de troubles révo­lu­tion­naires en Europe afin qu’il puisse deve­nir Robespierre, son modèle et héros depuis l’a­do­les­cence. Il y a quelques années, Taddéi lui avait deman­dé s’il pour­rait faire cou­ler le sang afin que s’ac­com­plissent ses idées ; Soral de répondre, plus ou moins fan­fa­ron : « Bien sûr, si on veut sau­ver la France demain, il fau­dra tuer quelques per­sonnes. C’est une évi­dence, oui. […] Les gens ont peur de moi, parce qu’ils se disent que si un mec comme moi pre­nait le pou­voir, ils seraient peut-être effec­ti­ve­ment un peu en dan­ger de mort. Et ils n’ont pas tout à fait tort de le pen­ser. Ils me flattent. […] Je rêve­rais de pou­voir faire plus que de faire rire les gens et les ins­truire, je rêve­rais de punir les méchants. […] Je pense quelque part avoir un devoir moral d’ai­der les gens29 ». Plus récem­ment, en juin 2014, il enté­ri­nait : « Quand je pren­drai le pou­voir, car je fini­rai par le prendre un jour, je remet­trai tout ça bien en place29. » Dans Dialogues désac­cor­dés, il écrit encore : « J’aspire à l’a­vè­ne­ment d’un lea­der auto­ri­taire » (p. 72). Et s’il reproche à Trotsky son goût (juif, pré­cise-t-il) pour la ven­geance, notre Gaulois n’est pour­tant pas en reste : il confesse, dans la pré­face de son roman La Vie d’un vau­rien, s’être ins­crit au PCF pour se « ven­ger » (p. 9) et déclare, dans CHUTe ! : « L’envie de tuer m’a tenu » (p. 52).

« Quand je pren­drai le pou­voir, car je fini­rai par le prendre un jour, je remet­trai tout ça bien en place. »

Le châ­ti­ment, dou­blé d’une obses­sion de la Vertu, sature ses textes. Il rap­pelle, dans Jusqu’où va-t-on des­cendre ?, le plai­sir qui fut le sien de voir les tours amé­ri­caines s’é­crou­ler, au nom « de la morale et l’hu­ma­ni­té » (p. 240), et explique, dans Dialogues désac­cor­dés, qu’il ne songe qu’à une chose : « Dire le vrai au ser­vice du bien » (p. 24). Sous le masque de la Justice, le res­sen­ti­ment et la vio­lence sont à l’œuvre (un détail qui en dit assez long : la cor­ri­da est à ses yeux un « beau geste » où l’a­ni­mal fait « la décou­verte ultime de la beau­té », ST, p. 290). Et si tout Soral, au fond, tenait dans l’une des phrases de son ouvrage Misères du Désir ? « Je suis deve­nu polé­miste, cra­chant dans la soupe qu’on n’a pas vou­lu me ser­vir. » Page 57.

Toujours « flou » et « résis­tant », Soral ?


BIBLIOGRAPHIE

Éditions des ouvrages utilisés :
– Chroniques de l’a­vant-guerre, Blanche, édi­tion numé­rique, février 2014
- Dialogues désac­cor­dés, Blanche / Hugo & Cie, octobre 2013

- Comprendre l’Empire, Blanche, jan­vier 2011
Vers la fémi­ni­sa­tion ?, Blanche, jan­vier 2008
- Jusqu’où-va-ton des­cendre ? [JO] et Socrate à Saint-Tropez [ST]dans le même recueil Abécédaires de la bêtise ambiante, Blanche, jan­vier 2008
Sociologie du dra­gueur [SD], Blanche, octobre 2007
CHUTe ! [C], Blanche, mars 2006
Misères du Désir, Blanche, mai 2004
La Vie d’un vau­rien, Blanche, août 2001
- Les deux pre­miers livres de Soral, Mouvements de mode expli­qués aux parents (1984) et La Création de mode (1987), n’ont pas été cités puis­qu’ils n’ont été d’au­cune uti­li­té lors de la rédac­tion du pré­sent article.


NOTES

1. http://bondyblog.liberation.fr/201505280001/medine-jai-la-vocation-dun-demineur/
2. https://www.youtube.com/watch?v=HFIBIU9uCrc
3. http://www.fakirpresse.info/L‑air-du-soupcon.html
4. http://www.dailymotion.com/video/x19g1fy_extrait-alain-soral-cite-jesus-christ-entretien-de-janvier-2013_news?start=208
5. Dialogues désac­cor­dés, Blanche, 2013, p. 157.
6. Voir revue Ballast, n° 1, édi­tée par ADEN.
7. Proudhon et Bakounine n’é­taient pas en reste, cela dit, ques­tion antisémitisme.
8. Clouscard, « Aux anti­podes de ma pen­sée », http://www.humanite.fr/node/368670
9. Chroniques de l’a­vant-guerre, Blanche, article « Le CNR n’est pas pour demain ! »
10. https://www.youtube.com/watch?v=HFIBIU9uCrc
11. Rancière, Moments poli­tiques, La Fabrique/LUX, 2009, p. 211.
12. http://www.lexpress.fr/actualite/politique/le-discours-trouble-d-etienne-chouard-contre-les-1-qui-se-gavent_1622043.html
13. https://www.youtube.com/watch?v=P835JQmtKOk
14. https://www.youtube.com/watch?v=9k1Bmyax2XA
15. http://www.streetpress.com/sujet/1416422707-soral-accuse-injures-racistes-mannequin
16. http://www.dailymotion.com/video/x876md_soral-houria-bouteldja-fermerait-sa_news
17. https://www.youtube.com/watch?v=7Lt4VjkWfj0
18. Avril 2012, https://www.youtube.com/watch?v=n3x95gn3Dt4
19. http://www.dailymotion.com/video/xfn3av_l-obscene-interview-alain-soral_webcam
20. Novembre 2012, https://www.youtube.com/watch?v=ECClblAPg6k
21. https://quartierslibres.wordpress.com/2014/05/19/linsecurite-la-vraie/
22. En anglais : http://www.maannews.com/Content.aspx?id=467843
23. http://www.acrimed.org/article4576.html
24. http://www.dailymotion.com/video/xfn3av_l-obscene-interview-alain-soral_webcam
25. Sociologie du dra­gueur, Blanche, 2007, p. 95.
26. https://www.youtube.com/watch?v=9k1Bmyax2XA
27. « Les mou­ve­ments de libé­ra­tion des femmes et des gays », dis­cours de Huey Newton, fon­da­teur des Black Panthers, 15 août 1970.
28. Chroniques de l’a­vant-guerre, op. cit., « Le bouc-émis­saires est tou­jours bien choisi ».
29. https://www.youtube.com/watch?v=vSSphXXSeHU
30. Juin 2014, https://www.youtube.com/watch?v=8Z-r-CUR6h4

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Ballast

« Tenir tête, fédérer, amorcer »

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