S’organiser pour l’autonomie alimentaire [2/2]


Texte inédit | Ballast | Série « Agriculture paysanne »

Pour indis­pen­sables que soient les expé­ri­men­ta­tions locales à l’a­gri­cul­ture pro­duc­ti­viste, ces pra­tiques ne sau­raient, à elles seules, contes­ter le modèle domi­nant. C’est donc à la géné­ra­li­sa­tion de l’a­groé­co­lo­gie et à un chan­ge­ment de modèle agri­cole et ali­men­taire radi­cal que tra­vaille l’Atelier Paysan. Cette coopé­ra­tive défend son Manifeste sur les routes de France depuis sa paru­tion, en mai 2021. Nous avons retrou­vé deux de ses auteurs dans le Finistère, ain­si qu’une cen­taine d’in­té­res­sés — pay­sans, mili­tants ou simples curieux — à la faveur d’un ras­sem­ble­ment dans une ferme col­lec­tive. Un week-end de dis­cus­sions, d’a­te­liers et de confé­rences : repor­tage. ☰ Par Roméo Bondon


[lire le deuxième volet de notre semaine « Agriculture pay­sanne »]


Solutions collectives

La route, imbi­bée de pluie et de brume, s’é­lève avec le relief. Je gagne les hau­teurs du très vieux Massif armo­ri­cain, ses landes et son gra­nit qui affleure entre les pousses brunes et rousses des gra­mi­nées. Le jaune de genets rend criard celui du col­za, seule culture en fleur à ce début de mois d’a­vril. Je passe l’un des cols peu éle­vés de la région. Au bord d’un lac, en contre-bas, des bâti­ments attirent le regard. C’est le site nucléaire de Brennilis, où se trouve l’an­cienne cen­trale des Monts d’Arrée, en déman­tè­le­ment depuis des dizaines d’an­nées. Après une dizaine d’an­nées d’ex­ploi­ta­tion à titre expé­ri­men­tal, les réac­teurs ont dû être arrê­tés. Les déchets pro­duits alors, eux, n’ont pas fini de per­du­rer. Je quitte la dépar­te­men­tale pour une route plus étroite. Au détour d’un virage, des dizaines de véhi­cules annoncent un ras­sem­ble­ment. La nature des auto­col­lants et du flo­cage de cer­tains four­gons ren­seignent sur la teneur de celui-ci. Depuis novembre 2021, L’Atelier Paysan, une « coopé­ra­tive d’au­to­cons­truc­tion », orga­nise deux jour­nées de ren­contres chaque mois autour de l’ou­vrage col­lec­tif Reprendre la terre aux machines. Livre au sous-titre bien­ve­nu : Manifeste pour une auto­no­mie pay­sanne et ali­men­taire.

C’est une ferme col­lec­tive de la com­mune de Commana, au cœur du Finistère, qui accueille la cin­quième édi­tion de ces dis­cus­sions. Un peu de retard nous amène à entrer dans une salle déjà réchauf­fée par les voix de participant·es enthou­siastes. Environ quatre-vingts per­sonnes venues de toute la Bretagne se déplacent au gré des indi­ca­tions d’Hugo, sala­rié de l’Atelier Paysan, à l’i­ni­tia­tive de ces ren­contres. Les groupes se font et se défont en fonc­tion du lieu d’o­ri­gine ou de l’ac­ti­vi­té exer­cée. Des maraîcher·es en cours d’ins­tal­la­tion et des éle­veurs à la retraite s’a­per­çoivent qu’ils sont voisin·es ; des col­lec­tifs venus de Brest ren­contrent ceux arri­vés de Rennes ; des militant·es anti­nu­cléaires, des fau­cheurs et fau­cheuses volon­taires s’en­quièrent des éla­bo­ra­tions pour une Sécurité sociale de l’a­li­men­ta­tion1. En somme, on pié­tine gaie­ment, dans un brou­ha­ha qui témoigne d’un désir com­mun de par­ta­ger son expé­rience. Jean-Claude, ancien éle­veur, figure his­to­rique des luttes pay­sannes en Bretagne et coa­ni­ma­teur des ren­contres, donne de la voix pour que le bruit retombe. Hugo reprend la main. Afin de lan­cer les dis­cus­sions, deux ques­tions sont abor­dées suc­ces­si­ve­ment. À l’é­coute de la pre­mière, l’as­sem­blée se coupe en deux en fonc­tion de son accord ou de son désac­cord avec la pro­po­si­tion : pour chan­ger le monde, doit-on d’a­bord se chan­ger soi ? Les argu­ments s’en­chaînent pour ten­ter de convaincre l’autre camp. L’un note que les plus actifs et actives poli­ti­que­ment sont aus­si, sou­vent, celles et ceux qui font pas­ser le col­lec­tif avant toute chose, tan­dis qu’une autre avance qu’on ne peut dis­so­cier les deux niveaux d’ac­tion. Puis, à l’é­coute de la seconde pro­po­si­tion, deux groupes se reforment et une même divi­sion s’o­père : la valeur d’une tech­no­lo­gie dépend-elle des usages que l’on en fait ? Action indi­vi­duelle, orga­ni­sa­tion col­lec­tive, valeur et usage d’une tech­no­lo­gie appli­quée à l’a­gri­cul­ture : voi­là trois points sur les­quels revien­dront Jean-Claude et Hugo tout le long de la mati­née. L’un et l’autre ont par­ti­ci­pé à l’é­cri­ture de Reprendre la terre aux machines, livre qu’ils pro­posent d’ar­pen­ter quelques heures durant.

« La pro­duc­tion est abon­dante, c’est vrai, comme sont abon­dants les pro­duits jetés, impropres, par­fois gas­pillés dans le seul but de faire mon­ter le cours d’une marchandise. »

Le pre­mier témoigne de son par­cours. Issu d’une famille ouvrière mili­tante où « la droite était le Parti socia­liste et la gauche le Parti com­mu­niste », Jean-Claude a quit­té la ville et sa pro­fes­sion de cou­vreur au début des années 1970 pour, dit-il, « s’é­chap­per de la condi­tion pro­lé­taire » et « refu­ser l’in­dus­tria­li­sa­tion de la vie ». À tout juste 20 ans, le voi­là qui conduit quo­ti­dien­ne­ment quelques vaches dans la cam­pagne bre­tonne, et ce pour les qua­rante années à suivre. Une acti­vi­té agri­cole qui s’est vite dou­blée d’un infa­ti­gable mili­tan­tisme : vente directe pour se défaire des inter­mé­diaires, consti­tu­tion du pre­mier réseau d’a­gri­cul­ture bio­lo­gique dans le Finistère2, mar­ché de plein vent aux pieds des barres HLM de Brest… L’homme nous ras­sure : il n’est pas un géné­ral fai­sant état de déco­ra­tions pour ser­vice ren­du. Car il le rap­pelle : mal­gré les ini­tia­tives, l’é­chec col­lec­tif est patent. Face à une insé­cu­ri­té ali­men­taire crois­sante pour un grand nombre de Français·es, à une dété­rio­ra­tion de la qua­li­té des pro­duits, l’a­gri­cul­ture pay­sanne fait figure de niche inté­res­sante, certes, mais en rien capable de faire vaciller soixante-dix ans d’in­dus­tria­li­sa­tion. Hugo rebon­dit : « Ça n’est pas avec la créa­tion de l’Atelier Paysan que John Deere [marque spé­cia­li­sée dans les machines agri­coles, ndlr] recule. » Malgré les rires, le constat d’im­puis­sance est amè­re­ment par­ta­gé. Une dépos­ses­sion en cours depuis plus d’un demi-siècle.

Sur un rythme sou­te­nu, l’his­toire de la moder­ni­sa­tion agri­cole fran­çaise est pas­sée au crible. Si les notions d’é­co­no­mie semblent à certain·es un peu ardues, le déve­lop­pe­ment convainc sans peine une assis­tance déjà conquise. Une piqure de rap­pel, chiffres à l’ap­pui, ne fait jamais de mal. Les grandes dates de la moder­ni­sa­tion agri­cole sont pas­sées en revue et les prin­ci­pales ins­ti­tu­tions sont détaillées. Puis cri­ti­quées. La PAC, notam­ment, est décrite comme « une sub­ven­tion à la baisse des prix » — PAC qu’il fau­drait sup­pri­mer, nous a dit cette même semaine la jour­na­liste Lucile Leclair. Si la pla­te­forme « Pour une autre PAC » tente d’in­suf­fler des idées neuves au sein d’une ins­ti­tu­tion obso­lète, la nou­velle mou­ture recon­duit les stan­dards d’une agri­cul­ture indus­trielle qui se teinte se vagues reflets verts. Hugo résume : la moder­ni­sa­tion agri­cole a été jus­ti­fiée par une recherche de l’a­bon­dance ali­men­taire. Et la pro­duc­tion est abon­dante, c’est vrai, comme sont abon­dants les pro­duits jetés, impropres, par­fois gas­pillés dans le seul but de faire mon­ter le cours d’une mar­chan­dise. En somme : une contra­dic­tion propre au sys­tème capi­ta­liste. Une impasse.

[Roméo Bondon | Ballast]

Mais des solu­tions existent. Pour Hugo, elles se décli­ne­raient en « un grand mou­ve­ment social » à même de « contrer l’es­ca­lade tech­no­lo­gique » dans le monde agri­cole et sur ses bords. Des méca­nismes de mutua­li­sa­tion et de socia­li­sa­tion sont convo­qués pour rendre envi­sa­geable une trans­for­ma­tion à l’é­chelle d’une région, voire d’un pays entier. Mais, pour cela, il convient de « ne plus rai­son­ner en éco­no­mie ouverte » — des pro­pos en bute avec le mar­ché des matières pre­mières agri­coles, régi pour les céréales et oléa­gi­neux par des tran­sac­tions bour­sières depuis Chicago. Des pro­pos, aus­si, qui pren­dront tout leur sens quelques semaines plus tard lorsque, sur le pont supé­rieur d’un fer­ry quit­tant Dublin pour Cherbourg, le bruit des vagues et des oiseaux sera étouf­fé par les meu­gle­ment de cen­taines de veaux. Sur le pont infé­rieur, des bétaillères sta­tion­ne­ront en effet le temps d’une nuit avant de reprendre la route vers l’un ou l’autre des pays du conti­nent. Il est pos­sible de lais­ser ces ani­maux qua­rante-huit heures ain­si, me ren­sei­gne­ra-t-on — misères d’une loi acquise au libre-échange.

Renouveau paysan

La plé­nière laisse place à des ate­liers. L’un est consa­cré aux alter­na­tives locales, celles qui prennent racine dans cette par­tie de la Bretagne. Mais, avant qu’on n’é­change les tuyaux et les bons plans des envi­rons, ce sont des situa­tions dif­fi­ciles qu’on entend. Cela fait deux ans que Gaël, grand tren­te­naire à la barbe four­nie, cherche avec sa com­pagne quelques hec­tares dans sa com­mune du Finistère pour y faire pâtu­rer des bre­bis. Mais des terres, il n’y en a pas, qu’elles soient déjà occu­pées ou que le sys­tème d’at­tri­bu­tion ne pri­vi­lé­gie pas des pro­jets comme le leur. Les tommes et les fro­mages frais que pro­duisent les deux paysan·nes ne répondent pas encore aux cri­tères d’ho­mo­gé­néi­té que la stan­dar­di­sa­tion a géné­ra­li­sés. Dans l’at­tente, cer­tains client·es se lassent, tan­dis que des ami·es per­sistent et encou­ragent. Fatigué·es par tant d’obs­tacles à leur ins­tal­la­tion, les aco­lytes ont déci­dé de sor­tir des clous. Ils orga­nisent désor­mais un « mar­ché clan­des­tin », explique Gaël, en un lien de ren­contre non-décla­ré où les pro­duits sont ven­dus à prix libre. À ces mots, on pense spon­ta­né­ment aux « non-mar­chés » de Notre-Dame-des-Landes, de Bure ou d’ailleurs, comme on songe aux « mar­chés rouges » des squats urbains où des den­rées récu­pé­rées sur les étals sont offertes aux plus défa­vo­ri­sés. On se dit que les ventes doivent être joyeuses et bien vivantes dans ce coin recu­lé de la Bretagne. Gaël pour­suit et tem­père : « On a la double cas­quette. On vit dans la pré­ca­ri­té, donc on consomme dans la pré­ca­ri­té. » Les images fes­tives se brouillent, rem­pla­cées par la brume des frais, des freins, des dettes. Lui et sa com­pagne ne s’en sortent pas.

« On a la double cas­quette. On vit dans la pré­ca­ri­té, donc on consomme dans la pré­ca­ri­té. »

Une fois quit­tée l’ef­fer­ves­cence mili­tante, les modes de vente alter­na­tifs disent sou­vent autre chose de la pro­duc­tion et de l’a­li­men­ta­tion : la dif­fi­cul­té de s’ins­tal­ler en tant que paysan·ne sans un apport finan­cier impor­tant, l’é­troi­tesse des dis­po­si­tifs mis en œuvre pour faci­li­ter les nou­veaux et les nou­velles venu·es dans le monde agri­cole, la soli­tude dans des com­munes où coha­bitent des micro-fermes, des exploi­ta­tions indus­trielles et de grandes entre­prises agro-ali­men­taires. Non loin du mar­ché clan­des­tin, sur une com­mune voi­sine, un han­gar ruti­lant vient d’être construit. Pour Alain, pay­san des envi­rons, la décou­verte du nou­veau bâti­ment a été « un grand coup dans le ventre ». Il s’ex­plique : « Ce mar­ché-là, il a été lan­cé par deux pro­duc­teurs de porcs et de vaches allai­tantes conven­tion­nelles sur des champs en bio — car c’est aus­si ça, la bio. Ils n’é­taient pas allés assez loin dans leur démarche. Ils se lancent dans la pro­duc­tion fer­mière : leurs cochons indus­triels, ils vont le vendre comme un pro­duit fer­mier. » L’indignation est évi­dente, le décou­ra­ge­ment proche. Alain conclut : « Moi j’é­tais pro­duc­teur pour faire mon salaire ; eux, c’est pour faire du capi­tal. »

Une même ten­sion vécue au quo­ti­dien se réper­cute dans les mots échan­gés. Christophe, maraî­cher et culti­va­teur de plantes médi­ci­nales au regard lavé par le soleil, rap­pelle que « quand on est en pré­ca­ri­té on met énor­mé­ment d’éner­gie dans la ferme et on n’a pas le temps pour le réseau ». S’il ne peut guère par­ti­ci­per aux réunions après une jour­née de tra­vail, il a à cœur de pro­po­ser des ses­sions de jar­di­nage dans des quar­tiers de Brest. Quelques chaises plus loin, c’est au tour de Sandrine de prendre la parole. Éleveuse de chèvres sur un espace conven­tion­né par le Parc natu­rel régio­nal d’Armorique, elle ne tient pas à pro­duire plus que ce que le petit trou­peau qu’elle laisse pâtu­rer sur de larges espaces lui apporte. Mais, là encore, l’ar­bi­trage entre un mini­mum vital pour soi et un prix bas est dif­fi­cile. « J’ai cal­cu­lé mes coûts de pro­duc­tion et je me suis aper­çue que ça n’é­tait pas acces­sible », déplore-t-elle, la gorge ser­rée. À ces dif­fi­ciles constats, certain·es opposent des posi­tions qui ras­surent, à même de pas­ser de la culpa­bi­li­té à la colère. Et, en colère, un maraî­cher dit l’être « parce que je n’ar­rive pas à nour­rir tout le monde ». Néanmoins, ce der­nier refuse de trop réduire le prix de vente de ses pro­duits. Lui et ses associé·es sont payés au Smic horaire, un salaire qui lui paraît juste pour le tra­vail effec­tué. « J’aimerais que les gens com­prennent que ce qu’ils mangent est sub­ven­tion­né », ajoute-t-il, fai­sant réfé­rence au prix d’a­chat des pro­duits infé­rieur à leur coût de pro­duc­tion sur les mar­chés ali­men­taires. Les expé­riences ricochent les unes sur les autres et, peu à peu, la cama­ra­de­rie chasse pour un moment les obs­tacles quo­ti­diens. Olivier, ani­ma­teur d’une « librai­rie rurale et poli­tique depuis près de dix ans » dans le dépar­te­ment, témoigne de sa gra­ti­tude pour les per­sonnes ayant par­ta­gé leurs dif­fi­cul­tés ; Renaud insiste sur l’im­por­tance de conser­ver des terres vivrières au sein même de fermes pro­duc­tives pour la vente — le col­lec­tif dans lequel il s’ins­crit a déci­dé de lais­ser trois hec­tares libres afin qu’a­vec « un peu de terre et beau­coup de temps » la ferme et des voisin·€nes puissent sub­ve­nir en par­tie à leurs besoins. De temps en temps, Hugo, pas­sant d’un ate­lier à un autre, inter­vient par­fois pour tem­pé­rer : la plu­part des sou­haits expri­més « à l’é­chelle d’une ferme ne sont pas attei­gnables ». Pour lui, il est « de salut public » de dif­fu­ser cette idée. Allant plus loin, il rap­pelle que « c’est le propre d’une idéo­lo­gie réac­tion­naire que de trans­for­mer un pro­blème socio-éco­no­mique en une res­pon­sa­bi­li­té indi­vi­duelle ». Une mili­tante venue de Rennes rebon­dit : à l’é­chelle de sa ville, elle par­ti­cipe à des récu­pé­ra­tions de nour­ri­ture pour appro­vi­sion­ner des lieux de lutte, des squats, des can­tines… Elle conclut : « Le but n’est pas de nour­rir les pauvres mais d’é­ra­di­quer la pau­vre­té. Donc il faut sou­te­nir les luttes de trans­for­ma­tion sociale. » Un même élan sai­sit les participant·es. L’atelier touche à sa fin mais les dis­cus­sions conti­nue­ront long­temps encore.

[Roméo Bondon | Ballast]

*

La jour­née d’é­changes et de débats s’a­chève en même temps que la pluie s’ar­rête. Toan me désigne un point indis­tinct au-dehors — rien d’autre que le jeu de la lumière sur les flaques et les arbustes imbi­bés. On quitte ensemble la pro­mis­cui­té joyeuse de la salle. Autour de la ferme, la bâche opaque d’une serre, dis­si­mu­lées par des genêts et des trognes, flotte dans le vent. Plus loin, des vaches paissent tan­dis que les arbres s’é­gouttent de la récente averse. Toan est ins­tal­lé à Douarnenez, près de la pointe du Raz, l’une de ces extré­mi­tés géo­gra­phiques qu’il dit aimer décou­vrir. S’il n’est pas lui-même inves­ti dans le monde agri­cole, sa curio­si­té l’a conduit à par­ti­ci­per aux deux jour­nées orga­ni­sées par l’Atelier Paysan. Des ami·es maraîcher·es l’ont quelque peu fami­lia­ri­sé avec les cultures, mais pour l’heure, c’est la répa­ra­tion de vélo et la sou­dure qui l’oc­cupent. On se tait un moment pour pro­fi­ter du soleil avant qu’un nuage ne le cache de nou­veau. Après un regard pour la cui­sine col­lec­tive et un autre pour un han­gar atte­nant, Toan reprend : « Ce que je cher­chais dans les squats, je le trouve main­te­nant dans les fermes. » Je sou­ris. L’autonomie, la débrouille, l’en­traide, la cama­ra­de­rie : autant d’as­pects recon­nus l’es­pace d’une semaine dans les mots et les pra­tiques de paysan·es de tous âges, de militant·es opposé·es à l’in­dus­tria­li­sa­tion, de salarié·es déboussolé·es en quête de sens. Comme le sug­gère un livre récent3, cette « condi­tion pay­sanne » que cer­tains socio­logues4 ont cru dis­pa­rue per­siste et se renou­vèle sous d’autres formes, avec des sou­tiens qui excèdent le seul milieu agri­cole. Je songe à cet objec­tif repris par l’Atelier Paysan à la Confédération pay­sanne : un mil­lion d’a­gri­cul­teurs et d’a­gri­cul­trices installé·es dans les dix années à venir. Espérons que les moyens pour réa­li­ser un tel sou­hait seront trou­vés, qu’il faille pour cela blo­quer des semen­ciers indus­triels, semer sau­va­ge­ment dans des par­celles en cours d’ur­ba­ni­sa­tion où, sim­ple­ment, en tra­vaillant la terre pour soi et pour les autres.


[lire le qua­trième volet | Marie et Thierry : le pain et la terre]


L’auteur tient à remer­cier l’as­so­cia­tion Triptolème, l’Atelier Paysan, ain­si que les par­ti­ci­pants et les par­ti­ci­pantes ren­con­trés durant les évé­ne­ments pour leur accueil et leur enthou­siasme durant les échanges.
Photographies de ban­nière et de vignette : Roméo Bondon | Ballast


image_pdf
  1. Pour plus d’in­for­ma­tion, voir Laura Petersell et Kévin Certenais, Régime géné­ral — Pour une sécu­ri­té sociale de l’a­li­men­ta­tion, Riot édi­tions, 2022.[]
  2. On dis­tingue le bio, qui fait réfé­rence au label Agriculture bio­lo­gique (AB) et à son cahier des charges, de la bio, qui cor­res­pond à l’é­thique, aux pra­tiques et aux valeurs par­ta­gées par les adeptes d’un mode de culture par­ti­cu­lier.[]
  3. L’Observatoire de l’é­vo­lu­tion, Manifeste pour l’in­ven­tion d’une nou­velle condi­tion pay­sanne, L’Échappée, 2019.[]
  4. Au pre­mier des­quels Henri Mendras, La Fin des pay­sans, Babel / Actes Sud, 1992 (1967).[]

REBONDS

☰ Lire notre article « Casamance : résis­ter au sel et attendre la pluie », Camille Marie et Prosper Champion, décembre 2021
☰ Lire notre article « Kurdistan Nord : une ferme éco­lo­gique en résis­tance », novembre 2021
☰ Lire notre tra­duc­tion « Des graines fugi­tives », Christian Brooks Keeve, juillet 2020
☰ Lire notre entre­tien avec Les Grains de sel : « Un super­mar­ché contre la grande dis­tri­bu­tion », novembre 2019
☰ Lire notre entre­tien avec Bernard Friot : « La gauche est inau­dible parce qu’elle ne poli­tise pas le tra­vail », juin 2019


Lire les autres articles de la série :

Découvrir nos articles sur le même thème dans le dossier :
Roméo Bondon

Doctorant en géographie. Il a récemment coordonné avec Elias Boisjean Cause animale, luttes sociales (Le Passager clandestin, 2021) et publié avec Raphaël Mathevet Sangliers - Géographies d'un animal politique (Actes Sud, 2022).

Découvrir d'autres articles de



Nous sommes un collectif entièrement militant et bénévole, qui refuse la publicité. Vous pouvez nous soutenir (frais, matériel, reportages, etc.) par un don ponctuel ou régulier.