Romaric Godin : « Il y a un mouvement général autoritaire au sein du capitalisme contemporain »


Entretien inédit | Ballast

Romaric Godin s’é­tait fait remar­quer lors­qu’il publiait des articles sur la crise grecque dans La Tribune, en déca­lage avec la doxa domi­nante. Depuis 2017 à Mediapart, le jour­na­liste éco­no­mique y ana­lyse avec péda­go­gie les rouages de la macroé­co­no­mie contem­po­raine. Dans son livre La Guerre sociale en France, il a retra­cé la façon dont le néo­li­bé­ra­lisme a été impo­sé — non sans com­pro­mis — au pays, et com­ment le macro­nisme radi­ca­lise ce pro­jet éco­no­mique et poli­tique. L’autoritarisme gran­dis­sant qui se déploie sous nos yeux est, ana­lyse-t-il, la consé­quence d’un néo­li­bé­ra­lisme en crise : les gou­ver­nants n’ont plus que la force pour mettre en œuvre un modèle auquel la majo­ri­té de la popu­la­tion fran­çaise ne sous­crit pas. Le mou­ve­ment social contre la réforme des retraites en est l’exemple même. Mais derrière cette crise du néo­li­bé­ra­lisme se trouve en réa­li­té celle du mode de pro­duc­tion capi­ta­liste : nous en dis­cu­tons avec lui pour démê­ler tout ça.


[lire en italien]


Depuis plu­sieurs années on lit ou on entend par­fois que le néo­li­bé­ra­lisme serait en bout de course, qu’on assis­te­rait à sa chute. Mais cette fin annon­cée n’est-elle pas un mirage, s’estompant chaque fois qu’on semble s’en approcher ?

Tout d’abord, l’histoire du capi­ta­lisme n’est pas faite de phases de rup­tures abruptes, où on pas­se­rait rapi­de­ment, de façon claire, d’un monde à un autre. Ce sont des phé­no­mènes de trans­for­ma­tion avec des per­sis­tances d’anciennes pra­tiques qui, pro­gres­si­ve­ment, se font chas­ser par d’autres — qui elles-mêmes prennent peu à peu des places domi­nantes, avec des varia­tions selon les pays, les situa­tions, les crises, etc. À titre per­son­nel je ne parle pas de « fin du néo­li­bé­ra­lisme » puisque, comme vous, je ne la vois pas ! En revanche, il y a une crise du néo­li­bé­ra­lisme. Ce qui ne signi­fie pas que le néo­li­bé­ra­lisme soit affai­bli sur le plan poli­tique ou en train de dis­pa­raître — ça veut dire qu’il essaie de sur­vivre. Dans ce pro­ces­sus, ce pou­voir peut reve­nir de façon plus ou moins vive, selon les situa­tions natio­nales ou régio­nales. On est entré dans le néo­li­bé­ra­lisme à la fin des années 1970 aux États-Unis avec une rup­ture très forte, la des­truc­tion mas­sive des orga­ni­sa­tions sociales, syn­di­cales, des chan­ge­ments juri­diques extrê­me­ment puis­sants… L’évolution en France a été dif­fé­rente. Aujourd’hui le néo­li­bé­ra­lisme est, aux États-Unis, dans une situa­tion très pré­caire. Biden — qui n’est pas socia­liste, bien sûr —, tente de défi­nir une nou­velle forme de capi­ta­lisme alter­na­tif au néo­li­bé­ra­lisme : il n’y arrive pas com­plè­te­ment mais quelque chose se joue là-bas, avec en face une ten­ta­tive fas­ciste via Trump. En France, on a encore un par­ti néo­li­bé­ral qui est beau­coup plus fort parce qu’on n’est pas sur la même tem­po­ra­li­té. Ce par­ti tâche d’imposer des réformes qui ont été impo­sées par d’autres il y a long­temps, avant la crise du néo­li­bé­ra­lisme. Comme s’ils n’étaient pas conscients de celle-ci.

Comment relier cette crise du néo­li­bé­ra­lisme au capi­ta­lisme actuel ?

La crise objec­tive du néo­li­bé­ra­lisme est en fait celle du capi­ta­lisme puisque le néo­li­bé­ra­lisme, tel que je le conçois, est le mode de ges­tion contem­po­rain du capi­ta­lisme. Donc ces gens, qui sont dans une tem­po­ra­li­té poli­tique dif­fé­rente, se font rat­tra­per parce que notre pays est aus­si dans cette crise du capi­ta­lisme néo­li­bé­ral. C’est cette ten­sion qui appa­raît aujourd’hui : entre ceux qui vivent direc­te­ment la crise du capi­ta­lisme (infla­tion, inéga­li­tés, monde du tra­vail dégra­dé avec des emplois créés que per­sonne n’a envie de faire, etc.) et un pou­voir qui conti­nue de croire qu’il est en 1994, qu’il suf­fit de bais­ser le coût du tra­vail et les impôts pour faire de la crois­sance, laquelle, à son tour, régle­ra tous les pro­blèmes. Mais dans cette façon de rai­son­ner, il y a un pro­blème qua­si­ment à chaque mot. Ce n’est donc pas tant la fin du néo­li­bé­ra­lisme que sa crise, qui peut en réa­li­té durer très long­temps ! Elle peut prendre des formes très dif­fé­rentes entre les États-Unis, la France, la Chine ou les pays émer­gents. La défi­ni­tion même du néo­li­bé­ra­lisme est d’avoir un État fort qui orga­nise les mar­chés et pro­tège le capi­tal. En France, l’État revient avec une fonc­tion active dans l’économie et va encore plus loin dans le sou­tien au capi­tal, à l’inverse de l’époque où il essayait de bâtir des com­pro­mis entre capi­tal et tra­vail. C’est ce qu’on voit avec les retraites : il faut déga­ger des moyens pour aider encore plus le capi­tal, et ça, on va le cher­cher sur le reste de la des­truc­tion de l’État social et de la Sécurité sociale. Il se des­sine quelque chose de « l’après », avec un État encore plus pré­sent, qui orga­nise, pro­tège et garan­tit la pour­suite de l’augmentation du taux de pro­fit — j’appelle ça un socia­lisme de l’offre. On voit donc un chan­ge­ment qui fait par­tie de cette phase de trans­for­ma­tion du capi­ta­lisme, qui est struc­tu­rel. Marx le dit dès le départ dans le Capital : le capi­ta­lisme se trans­forme en per­ma­nence. C’est pour­quoi il faut réflé­chir en termes de mode de ges­tion du capi­ta­lisme face à l’intérieur du conflit capital/travail.

À par­tir de quand pour­rait-on dater le début de cette crise ?

« La défi­ni­tion même du néo­li­bé­ra­lisme est d’avoir un État fort qui orga­nise les mar­chés et pro­tège le capital. »

Le capi­ta­lisme fonc­tionne sur un modèle d’élargissement à la fois géo­gra­phique et des mar­chés dans la socié­té. À ce titre, le for­disme est son « point haut » : le capi­ta­lisme a pro­duit pen­dant très long­temps des biens d’équipements et de luxe, et puis il lui a fal­lu pro­duire mas­si­ve­ment des biens de consom­ma­tion. Cette phase a contraint le sys­tème à la redis­tri­bu­tion parce qu’il faut bien que les gens puissent ache­ter ces biens. À la fin des années 1960, alors que les gains de pro­duc­ti­vi­té sont autour de 5–6 % en Occident, ce modèle for­diste entre dans une grave crise de pro­fi­ta­bi­li­té. La réponse appor­tée est d’une part de pres­ser sur le monde du tra­vail pour déga­ger de la plus-value, mais aus­si d’élargir les mar­chés et la pro­duc­tion par la mon­dia­li­sa­tion — pour réduire le coût de pro­duc­tion et ouvrir de nou­veaux mar­chés. C’est ça, le début du néo­li­bé­ra­lisme. Mais ce qui est assez frap­pant, c’est que cet élar­gis­se­ment a un effet « apai­sant » sur la crise, sans pour autant la régler. À par­tir du milieu des années 2000, et avec la crise de 2008, la finan­cia­ri­sa­tion — une des grandes ten­dances du néo­li­bé­ra­lisme — n’est plus réel­le­ment effec­tive pour appor­ter une contre-ten­dance à ce mou­ve­ment de fond. Il y a donc un rat­tra­page des anti­ci­pa­tions de gains de pro­duc­ti­vi­té, donc de pro­fi­ta­bi­li­té des mar­chés par rap­port à la réa­li­té. À cette crise, les banques cen­trales répondent en bais­sant leurs taux : cette fuite en avant de la finan­cia­ri­sa­tion échoue en 2008. À ce moment, les banques cen­trales agissent encore davan­tage, mais elles courent tou­jours après cette crise. Le mode de ges­tion néo­li­bé­ral n’est pas sim­ple­ment une réponse à une crise : c’est une fuite en avant per­pé­tuelle face à une crise sous-jacente. Ça en fait à la fois la vio­lence, et les limites. Ce mode de ges­tion est en per­pé­tuel chan­ge­ment. Je ne peux donc pas don­ner de date exacte du début de crise : ça peut être dès sa nais­sance — déjà cri­tique en quelque sorte — avec la crise de 1973. Il faut réflé­chir en termes de phases plu­tôt qu’en termes de rup­tures simples, même si 2008 est une crise impor­tante puis­qu’il est cer­tain qu’à par­tir de cette date, la sphère finan­cière n’est plus vrai­ment effec­tive dans la sau­ve­garde du néolibéralisme.

On retrouve là un élé­ment que vous met­tez sou­vent en avant dans vos ana­lyses : la baisse struc­tu­relle des gains de productivité.

En effet, la crise pro­fonde du capi­ta­lisme contem­po­rain est sa baisse ten­dan­cielle du taux de pro­duc­ti­vi­té. Lors des deux pré­cé­dentes révo­lu­tions indus­trielles, suf­fi­sam­ment de pro­fits étaient déga­gés pour déve­lop­per des inves­tis­se­ments et occu­per les gens dans des emplois de plus en plus pro­duc­tifs. Ça ne se pro­duit plus : là où il y a des gains de pro­duc­ti­vi­té, ils sont cap­tés par les élites qui les mettent dans la sphère finan­cière. Et de toute façon ces gains sont beau­coup trop faibles. Cette situa­tion est extrê­me­ment com­pli­quée à gérer pour une éco­no­mie capi­ta­liste. Il y a aus­si la crise de la mon­dia­li­sa­tion. On a beau­coup comp­té sur la Chine pour pou­voir jouer sur le tra­vail bon mar­ché, afin de réduire les coûts de pro­duc­tion et de faire pres­sion sur le tra­vail dans les pays occi­den­taux. Sauf que la Chine se déve­loppe et elle n’a plus envie de res­ter à la place qu’on lui a assi­gnée dans la divi­sion du tra­vail inter­na­tio­nale. Elle en a vu les consé­quences : en 2008 elle a relan­cé l’économie avec des inves­tis­se­ments très lar­ge­ment impro­duc­tifs, ce qui a pro­vo­qué des pro­blèmes, notam­ment cette bulle immo­bi­lière en train d’exploser, et ça en a retar­dé son propre déve­lop­pe­ment. Il y a évi­dem­ment une par­tie de la pro­duc­tion chi­noise très bas de gamme qui est déjà par­tie au Viêtnam, et va conti­nuer de par­tir au Bangladesh ou dans d’autres pays. Mais les inves­tis­se­ments néces­saires et la mise en place des lieux de pro­duc­tion en Chine impliquent qu’il est très com­pli­qué de dépla­cer plus lar­ge­ment la pro­duc­tion. On ne trans­fère pas l’usine d’iPhone de Foxconn du jour au len­de­main. Ça pose aus­si des pro­blèmes d’impérialisme : chaque pays va ten­ter d’avoir sa zone de pro­duc­tion et il y aura des conflits entre États… À par­tir de 2015, et encore plus depuis 2020, il est évident que la mon­dia­li­sa­tion est en crise. Plusieurs piliers tombent donc les uns après les autres : il en résulte une éco­no­mie mon­diale très ten­due et très affai­blie. Des élé­ments exté­rieurs se rajoutent là-des­sus, comme le Covid — mais le Covid est un virus qui vient sur un corps éco­no­mique déjà malade.

[Vitor Costa]

Dans votre livre La Guerre sociale en France, vous écri­vez que « Le néo­li­bé­ra­lisme a réus­si ce pour quoi il a été construit : réta­blir l’accumulation du capi­tal, ser­vir la classe qui le détient » ou encore que « [Le para­digme néo­li­bé­ral] doit trou­ver le moyen que son exis­tence et son déve­lop­pe­ment ne soient pas frei­nés par la volon­té des popu­la­tions. Il agit de plu­sieurs manières ». Vous par­lez du néo­li­bé­ra­lisme comme si il avait une agen­ti­vi­té propre, une autonomie…

C’est un livre très modeste qui n’a pas voca­tion à déve­lop­per une phi­lo­so­phie géné­rale du capi­ta­lisme. Mais voi­là com­ment on peut le conce­voir : puisqu’il y a cette crise du capi­ta­lisme qui prend la forme du néo­li­bé­ra­lisme, il y a des agents qui vont défendre les inté­rêts du capi­tal. Ils sont de plu­sieurs types : des gens qui pensent qu’il faut sau­ver le sys­tème par prin­cipe et des gens qui ont des inté­rêts de pou­voir ou d’argent dans ce sys­tème, comme des diri­geants poli­tiques et des chefs d’en­tre­prises. Il y a aus­si des struc­tures cultu­relles qui ren­forcent cette agen­ti­vi­té des néo­li­bé­raux, au sens où ce mode de ges­tion s’incarne par des gens qui agissent sur la socié­té. Le mode de ges­tion du capi­ta­lisme se répand dans la socié­té par plu­sieurs modes opé­ra­toires. L’un, réflexe pour­rait-on dire : « Comment je fais pour sau­ver mon pro­fit ? » Il y a aus­si les modes d’actions cultu­rels, comme lire Ayn Rand, Hayek, Friedmann ou les éco­no­mistes qui ont digé­ré ces livres, ce que j’appelle le consen­sus néo­li­bé­ral en sciences éco­no­miques et qui influe à son tour sur la masse des éco­no­mistes, des poli­tiques et une par­tie de l’opinion. Dans une forme de sim­pli­fi­ca­tion, j’explique que c’est le néo­li­bé­ra­lisme qui fait ça. Mais la réac­tion à une crise du capi­ta­lisme se tra­duit bien par des agents concrets, par des réponses concrètes qui trouvent leurs formes à la fois dans des réa­li­sa­tions cultu­relles et des pra­tiques sociales. C’est pour ça que le néo­li­bé­ra­lisme prend des formes extrê­me­ment dif­fé­rentes selon les situa­tions dans lequel il est. Entre le Brésil, la France, l’Allemagne ou les États-Unis, la façon dont redes­cend cette néces­si­té de sau­ve­gar­der le taux de pro­fit prend des formes variées.

Vous par­lez jus­te­ment d’« élites néo­li­bé­rales » fran­çaises, qui n’ont pas ces­sé de prê­cher en faveur du néo­li­bé­ra­lisme. Quels corps sociaux met­tez-vous plus exac­te­ment der­rière ce terme ?

Le patro­nat fran­çais des années 1960–70 est beau­coup moins homo­gène qu’aujourd’hui (même si c’est un peu moins vrai depuis quelques années car il y a un patro­nat d’extrême droite en train de se déve­lop­per autour des idées liber­ta­riennes). Jusque dans les années 2010, il y a une homo­gé­néi­té autour du consen­sus scien­ti­fique néo­li­bé­ral, qui per­met à des groupes très dif­fé­rents tels que des néo­key­né­siens, des liber­ta­riens et des néo­clas­siques de se retrou­ver. Ces élites se pensent donc supé­rieures en tant qu’elles incarnent ce consen­sus. Cette homo­gé­néi­té dans leur inter­pré­ta­tion de la science éco­no­mique se retrouve chez les patrons, les poli­tiques, les éco­no­mistes. Le terme d’« élites néo­li­bé­rales » désigne ceux qui se recon­naissent dans ce consen­sus néo­li­bé­ral, et donc dans les pra­tiques qui viennent répondre à la crise du capi­ta­lisme. Politiquement, il y a aus­si une forme d’homogénéité entre le Parti socia­liste, les Républicains [UMP et RPR, aupa­ra­vant, ndlr], l’UDF et le Front natio­nal [RN aujourd’­hui, ndlr], qui n’ont jamais remis en cause ces approches éco­no­miques. Cette homo­gé­néi­té poli­tique est le reflet de l’homogénéité patro­nale et de l’homogénéité scien­ti­fique éco­no­mique. À l’intérieur, il y a éga­le­ment des conflits d’influence : entre Nicolas Sarkozy et François Hollande on constate des dis­sen­sions. Mais à par­tir de 2007–2010, je vois une rup­ture avec Sarkozy qui décide d’aller très fort dans le néo­li­bé­ra­lisme, igno­rant tota­le­ment la réponse de la socié­té. Et ça se pro­longe par les lois Travail de 2015 et 2017 sous le quin­quen­nat Hollande — qui par­fois va plus loin que Sarkozy.

À pro­pos de la science éco­no­mique, un article de 2015 du Monde diplo­ma­tique s’intitulait « Police de la pen­sée éco­no­mique à l’Université » et ten­dait à mon­trer que la pen­sée éco­no­mique uni­ver­si­taire était lar­ge­ment domi­née par le cou­rant néo­clas­sique (reje­tant tout plu­ra­lisme et par­ti­cu­liè­re­ment toute ten­dance hété­ro­doxe). La science éco­no­mique fran­çaise fonc­tionne-t-elle en cir­cuit fermé ?

« Il est désor­mais extrê­me­ment dif­fi­cile en France, pour les éco­no­mistes hété­ro­doxes d’être à l’Université, de faire des carrières. »

J’apporterais une pré­ci­sion : je ne crois pas que le pro­blème soit le cou­rant néo­clas­sique en tant que tel, mais jus­te­ment cette fameuse syn­thèse qui naît dans les années 1990 entre le néo­key­né­sia­nisme et le « nou­veau » néo­clas­si­cisme. Le néo­clas­si­cisme en tant que tel, plus per­sonne n’y croit réel­le­ment… Les ten­ta­tives de renais­sance n’ont eu pour fonc­tion que de réin­jec­ter du néo­clas­si­cisme dans le key­né­sia­nisme pour don­ner nais­sance à ce consen­sus (qui s’appelle offi­ciel­le­ment néo­key­né­sia­nisme). Ce sont les key­né­siens qui ont injec­té du néo­clas­si­cisme dans leur pen­sée, notam­ment avec les modèles DSGE. Les sociaux-démo­crates ont l’impression d’y trou­ver leur compte, sauf que ça défend des poli­tiques qui mènent au monde rêvé des néo­clas­siques. La domi­na­tion intel­lec­tuelle du néo­clas­si­cisme prend donc une forme détour­née. Depuis 2015, la situa­tion s’est dégra­dée. Il est désor­mais extrê­me­ment dif­fi­cile en France, pour les éco­no­mistes hété­ro­doxes — ceux qui ne se recon­naissent pas dans cette syn­thèse là —, d’être à l’Université, de faire des car­rières. Le sys­tème est ver­rouillé par le prin­cipe de vali­da­tion par les pairs : s’ils sont tous néo­key­né­siens et qu’un éco­no­miste veut faire car­rière, il se trouve face à un mur. En 2016 la ten­ta­tive de créer une filière hété­ro­doxe a été repous­sée par les ministres de l’Éducation natio­nale et de l’Enseignement supé­rieur, après que Jean Tirole s’y soit oppo­sé, au pré­texte d’obscurantisme ! Il y a eu une reprise en main par tous les pontes de l’Université fran­çaise qui ont pignon sur rue et des entrées dans les minis­tères et les lieux de pou­voir. Beaucoup d’hétérodoxes ont du mal à vivre de leur propre métier de recherche. Ou bien ils quittent la France. Il y a donc un pro­blème de for­ma­tion des futurs éco­no­mistes, met­tant en péril la viva­ci­té de la pen­sée éco­no­mique en France — qui a pour­tant his­to­ri­que­ment beau­coup contri­bué à la science économique.

Le pam­phlet des éco­no­mistes ortho­doxes Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le Négationnisme éco­no­mique, paru en 2016, pro­cède-t-il de cette ten­ta­tive de reprise en main ?

Tout à fait. Ce livre vise à conver­tir le grand public fran­çais, qui, glo­ba­le­ment, ne croit pas à tout ça… Ces gens exercent une domi­na­tion éli­taire et ont un mal fou à des­cendre dans la socié­té. Cette phase du néo­li­bé­ra­lisme a en quelque sorte été ratée, en France. Il y a aus­si eu une réac­tion de l’hétérodoxie fran­çaise pour contrer le néga­tion­nisme éco­no­mique — les Économistes atter­rés ont eu, à l’époque, une fonc­tion impor­tante. À mon avis, l’offensive ortho­doxe n’a pas si bien mar­ché : ce qui s’est pas­sé depuis et ce qu’il se passe en ce moment le prouve.

À quoi pen­sez-vous exactement ?

Le mou­ve­ment social contre les lois Travail, contre la pré­cé­dente réforme des retraites, les gilets jaunes, les luttes à la SNCF, le mou­ve­ment contre la réforme actuelle… On se trouve dans la même situa­tion, avec une mino­ri­té au pou­voir per­sua­dée d’avoir rai­son et d’être dans la science, de savoir ce qu’il faut faire, et puis la masse, per­çue comme un ensemble de ploucs. Dans son inter­ven­tion télé­vi­sée du 22 mars, c’est ce que dit Macron : « Moi, je fais ce qu’il faut faire. » Il se pré­sente comme por­teur de la véri­té tan­dis que les autres seraient dans l’erreur. Ce qui jus­ti­fie son pas­sage en force : « Il y a une ten­dance dans nos démo­cra­ties à vou­loir s’abstraire du prin­cipe de réa­li­té. »

[Vitor Costa]

Le néo­li­bé­ra­lisme s’est donc moins déployé en France, oppo­si­tions obligent. Il y a eu une forme de com­pro­mis — un « modèle hybride » fran­çais, dites-vous — et Macron serait le pre­mier pré­sident réel­le­ment néo­li­bé­ral. Le macro­nisme relève d’une dif­fé­rence de nature, non de degré ?

Le macro­nisme s’inscrit dans une rup­ture de nature avec la ges­tion néo­li­bé­rale de la période 1977–2010, qui est mar­quée par une forme de néo­li­bé­ra­lisme pru­dent. La France connaît à cette époque des poli­tiques néo­li­bé­rales mar­quées, avec de l’austérité, une libé­ra­li­sa­tion de la finance et des réformes des retraites, mais la résis­tance de la socié­té est prise en compte. On pro­pose cer­taines com­pen­sa­tions : un main­tien des dépenses sociales, de nou­veaux droits (comme les 35 heures ou le RSA) et une pré­ser­va­tion du domaine du tra­vail (assu­rance chô­mage et droit du tra­vail). C’est cette poli­tique qui est remise en cause à par­tir de la pré­si­dence Sarkozy et c’est la rup­ture avec cette poli­tique qui est pro­mue par la fameuse com­mis­sion Attali. À par­tir de 2010, la rup­ture est claire : la réforme des retraites Fillon passe en force mal­gré une mobi­li­sa­tion mas­sive et le bud­get 2011 est ultra-aus­té­ri­taire. En 2015–2017, cette poli­tique est pour­sui­vie par Hollande avec les lois Travail, qui s’attaquent direc­te­ment au droit du tra­vail. Le macro­nisme s’inscrit dans cette logique de dif­fé­rence de nature avec la période pré­cé­dente. Sa foca­li­sa­tion sur les « réformes » le situe dans un rejet du « chi­ra­quisme », per­çu comme le lieu du recul néo­li­bé­ral face aux masses. Mais à cela s’ajoute une dif­fé­rence de degré ! Macron veut aller plus loin que Sarkozy et Hollande en modi­fiant davan­tage encore le droit du tra­vail, l’assurance chô­mage, le sta­tut de la fonc­tion publique et des entre­prises publiques. Macron a offi­ciel­le­ment démis­sion­né en 2016, en désac­cord avec la loi Travail trop modé­rée à son goût ! Le macro­nisme est l’aboutissement de deux tra­jec­toires : la rup­ture avec le chi­ra­quisme et le chan­ge­ment de degré, où on monte en réformes et en vio­lences. En paral­lèle, la crise capi­ta­liste conti­nue : le macro­nisme entend donc aller plus loin. C’est une fuite en avant à marche for­cée. Il se dur­cit par sa logique propre mais aus­si par la « néces­si­té » externe de la logique capi­ta­liste. Le macro­nisme n’a aucune consis­tance sur la plu­part des sujets : il peut flir­ter avec l’extrême droite et se dra­per dans un pro­gres­sisme « socié­tal », mais il ne varie pas sur les réformes néo­li­bé­rales parce que c’est le cœur de son identité.

Depuis quelques années, la notion de « démo­cra­ties illi­bé­rales » a été mobi­li­sée, en oppo­si­tion à nos démo­cra­ties libé­rales. Mais ce concept a‑t-il un sens ?

J’ai cri­ti­qué cette dicho­to­mie. Il y a plu­tôt un mou­ve­ment géné­ral auto­ri­taire au sein du capi­ta­lisme contem­po­rain, qui prend des formes dif­fé­rentes, mais c’est un mou­ve­ment de fond. L’économiste Banko Milanovic a publié un livre inti­tu­lé Le Capitalisme, sans rival, où il défi­nit les formes du capi­ta­lisme contem­po­rain autour de deux variantes : un capi­ta­lisme méri­to­cra­tique libé­ral et un capi­ta­lisme poli­tique. Mais, en fait, il com­mence à y avoir une forme de capi­ta­lisme poli­tique géné­ra­li­sé — au sens où l’État vient au secours du capi­tal de façon active. Ce mou­ve­ment s’accompagne d’un dur­cis­se­ment poli­tique. Dans les démo­cra­ties occi­den­tales, il y a une conver­gence géné­rale vers des formes de plus en plus auto­ri­taires de mode de ges­tion du capi­ta­lisme. Le néo­li­bé­ra­lisme est peut-être en train de se modi­fier dans un capi­ta­lisme plus auto­ri­taire, de rente, pro­té­gé par l’État et fon­dé sur une exploi­ta­tion accrue du tra­vail. La contes­ta­tion est donc beau­coup moins accep­table. Le terme de démo­cra­tie illi­bé­rale pou­vait défi­nir il y a quelques années des États comme la Hongrie, la Pologne. Dorénavant, on peut se poser la ques­tion pour la France. Le pou­voir macro­niste a eu un recours inédit aux vio­lences poli­cières et à l’encadrement poli­cier du droit de mani­fes­ta­tion et de grève. Il y a une aggra­va­tion de la situa­tion du point de vue démo­cra­tique qui doit nous alar­mer. Ces der­nières semaines ont été exem­plaires de ce point de vue : on peut consta­ter un scan­dale par jour.

Au sor­tir de la Seconde Guerre mon­diale, « la France se dote d’un État social puis­sant et lar­ge­ment redis­tri­bu­teur », écri­vez-vous. L’économiste Nicolas Da Silva estime pour sa part que l’État social est un adver­saire du mou­ve­ment social auto­gé­ré car il a aus­si eu pour rôle de « main­te­nir l’ordre social ». À cet État social, il oppose la Sociale (qu’il défi­nit comme la « pro­tec­tion sociale auto-orga­ni­sée contre l’État, contre le capi­tal et contre les formes de pater­na­lisme anté­rieur »). Comment vous posi­tion­nez-vous par rap­port à cette idée ?

« Dans les démo­cra­ties occi­den­tales, il y a une conver­gence géné­rale vers des formes de plus en plus auto­ri­taires de mode de ges­tion du capitalisme. »

J’ai beau­coup appré­cié le livre de Nicolas Da Silva, avec lequel je par­tage bien des choses. Évidemment, la fonc­tion de l’État social ou de l’État pro­vi­dence n’est pas une fonc­tion révo­lu­tion­naire. Pendant les pre­mières années du XXe siècle, cer­tains réfor­mistes comme Bernstein pou­vaient attri­buer à l’État social une fonc­tion de trans­for­ma­tion révo­lu­tion­naire de la socié­té. Mais cette idée a dis­pa­ru pro­gres­si­ve­ment. L’État social est deve­nu de façon consciente un sou­tien au déve­lop­pe­ment capi­ta­liste, notam­ment sous l’effet de la pen­sée key­né­sienne. Ce qui a alors domi­né, c’est l’idée d’une com­plé­men­ta­ri­té entre l’État social et le capi­ta­lisme. Ça per­met d’avoir des tra­vailleurs qui tra­vaillent mieux, plus long­temps, et qui consomment. La bour­geoi­sie fran­çaise a eu beau­coup de mal à com­prendre ça — d’où les crises des années 1920 et 30. Elle ne l’a tou­jours pas com­plè­te­ment com­pris, d’ailleurs. L’État social est pro­tec­teur de la popu­la­tion et, en même temps, c’est un outil du capi­ta­lisme. Dans les années 1940 à 60, il était en sou­tien de la pro­duc­tion de valeur : il sou­te­nait le déve­lop­pe­ment de la socié­té de consom­ma­tion, l’augmentation de la pro­duc­ti­vi­té (qui se tra­dui­sait notam­ment par l’intensification du tra­vail). Il faut des gens en bonne san­té pour ça. L’État social est donc un ins­tru­ment du capi­ta­lisme, mais le capi­ta­lisme n’est pas un bloc : il y a des conflits internes au capi­tal. À par­tir des années 1970–80, avec la crise de la pro­duc­ti­vi­té, il y a un pro­blème avec cet État social qui coûte cher aux capi­ta­listes : ils entrent donc en conflit avec lui.

Il faut regar­der le rôle de l’État dans ce conflit qui contri­bue lui-même à la décons­truc­tion de l’État social, et c’est peut-être ici où je me sépare de de l’analyse de Nicolas Da Silva. Ce der­nier montre d’ailleurs très bien que la des­truc­tion de l’hôpital public est une réponse au mou­ve­ment social vic­to­rieux de 1995. La réforme de 1996 du gou­ver­ne­ment Juppé met en place l’Objectif natio­nal des dépenses d’as­su­rance mala­die1 (Ondam) (qui sera res­pec­té sur­tout après 2010) et l’amortissement de la dette sociale (Cades), qui coûte 16 mil­liards d’euros à la Sécurité sociale chaque année, avec de nou­velles baisses de coti­sa­tions sociales. Le conflit s’est dépla­cé. Quand on détruit l’hôpital public ain­si, on détruit l’État social et c’est l’État qui est à la manœuvre. C’est pareil pour la casse du sys­tème de retraites. La des­truc­tion de l’État social s’intègre dans la lutte capital/travail. Aujourd’hui, on se bat tous pour la défense des retraites, qui est une forme d’État social dans sa construc­tion actuelle (la Sécurité sociale étant très lar­ge­ment éta­ti­sée, comme le montre Da Silva). Mais la vraie ques­tion est la sui­vante : l’État social tel qu’il a été construit est-il sou­te­nable dans le cadre du capi­ta­lisme contem­po­rain ? Et c’est là que je rejoins Da Silva : peut-être qu’il faut construire une forme de soli­da­ri­té et de pro­tec­tion qui ne soit plus dépen­dante du mode de pro­duc­tion de valeur capi­ta­liste. Car quand bien même on obtien­drait le retrait de cette réforme des retraites, dans quelques années le même pro­blème revien­dra — ou bien sous d’autres formes — du fait de la dyna­mique même du capital.

[Vitor Costa]

Dans vos articles et dans vos inter­ven­tions, vous vous réfé­rez fré­quem­ment à Marx, par­fois à Polanyi et de temps à autres à Keynes. Comment ces pen­sées peuvent-elles être actua­li­sées pour sai­sir le capi­ta­lisme contem­po­rain et ses crises ?

Pour être hon­nête, j’ai beau­coup plus de mal aujourd’hui à mobi­li­ser la pen­sée de Keynes, voire de Polanyi, qu’il y a quelques années pour expli­quer la situa­tion actuelle. Elles ne sont pas sans inté­rêt, bien sûr, et d’autres y par­viennent très bien. Mais il me semble qu’il existe une per­ti­nence de la pen­sée mar­xiste dans la situa­tion pré­sente, dont l’évidence se retrouve dans le désar­roi des éco­no­mistes mains­tream. L’économiste mains­tream ne com­prend rien à ce qu’il se passe, notam­ment concer­nant la pro­duc­ti­vi­té. Cette incom­pré­hen­sion me ramène à la cri­tique que Marx fait de ce qu’il appelle les « éco­no­mistes vul­gaires », ceux pris dans le cou­rant sans pou­voir prendre le recul néces­saire pour sai­sir le tableau d’ensemble. L’avantage de la pen­sée mar­xiste est qu’on remonte au mode de pro­duc­tion pour essayer de sai­sir l’essence de la crise. Il existe des conflits pour savoir quel Marx on mobi­lise, quel pan de la pen­sée de Marx on reprend, etc. Mais le Marx qui décrit la crise struc­tu­relle du capi­ta­lisme par la baisse ten­dan­cielle du taux de pro­fit (livre III du Capital), tout comme des élé­ments du livre I, font écho à ce qu’on vit. Des pen­seurs mar­xistes ont réflé­chi à ces crises et y apportent des réponses. Les autres cou­rants éco­no­miques ont beau­coup plus de mal à expli­quer notre réalité.

Dans ma lec­ture de Marx, je suis frap­pé par le fait que le capi­ta­lisme est un élé­ment dyna­mique : il évo­lue, change de formes. C’est presque une domi­na­tion sans sujet, au sens où les capi­ta­listes font des choses parce qu’ils sont pous­sés par le mou­ve­ment propre de ce mode de pro­duc­tion. Comment vou­lez-vous com­prendre cet entê­te­ment des élites fran­çaises à nous impo­ser cette réforme des retraites alors qu’ils ont per­du la bataille des idées, per­du la bataille démo­cra­tique, qua­si­ment per­du la bataille par­le­men­taire ? En lisant Marx, on a des réponses à ça. Marx, c’est une pen­sée his­to­ri­que­ment située : il ne s’agit pas de reprendre le Capital de 1867 et de le pla­quer sur la situa­tion actuelle. Ça nous oblige à avoir une tra­duc­tion dans notre situa­tion his­to­rique pré­sente. La réponse ne peut pas se faire comme en 1917, comme en 1848, comme en 1936 ou en 1968. Ça pose tout un tas de ques­tions sur la stra­té­gie, l’organisation de la socié­té, etc.

On semble assis­ter à un retour du mar­xisme dans les pen­sées cri­tiques, ces der­nières années…

« Il existe une per­ti­nence de la pen­sée mar­xiste dans la situa­tion pré­sente, dont l’évidence se retrouve dans le désar­roi des éco­no­mistes mainstream. »

On voit clai­re­ment un mou­ve­ment se des­si­ner. Le mot « com­mu­nisme » est remis en avant — avec Frédéric Lordon, Bernard Friot, Isabelle Garo ou encore le Japonais Kohei Saito, qui défend un « com­mu­nisme décrois­sant ». Cette pen­sée assez vigou­reuse est une réac­tion à l’après-chute du Mur, où le mar­xisme avait été jeté aux oubliettes de l’Histoire. Quelque chose se passe, même si ça reste très mino­ri­taire. Mais c’est assez notable pour inquié­ter. On a vu ce ban­deau sur CNews : « Doit-on craindre le retour du com­mu­nisme ? » Durant la cam­pagne de 2022, la macro­nie avait joué la carte de la « peur rouge » face à la Nupes. C’est assez signi­fi­ca­tif qu’une pro­po­si­tion par­le­men­taire d’une radi­ca­li­té modé­rée, et dont l’influence mar­xiste était très contre­ba­lan­cée par une influence post-key­né­sienne très forte, soit jugée comme une forme de retour à l’Union sovié­tique ! Ça montre qu’ils ont peur parce qu’ils sentent bien que quelque chose ne fonc­tionne plus.

Dans un entre­tien croi­sé avec Razmig Keucheyan, vous disiez : « On ne peut pas être anti­ca­pi­ta­liste sans aujourd’hui à mon sens poser la ques­tion de là où se situe le centre névral­gique de la pro­duc­tion capi­ta­liste, c’est-à-dire l’Asie. On ne peut pas faire de l’anticapitalisme sans se poser la ques­tion de la pos­si­bi­li­té de la mobi­li­sa­tion des tra­vailleurs asia­tiques aujourd’hui. » Cette ques­tion est-elle trop peu sou­vent posée au sein de la gauche radicale ?

Même si chaque capi­ta­lisme a une réa­li­té natio­nale, le mode de pro­duc­tion est mon­dia­li­sé : il est domi­nant sur l’ensemble de la pla­nète, avec des inter­dé­pen­dances mutuelles. En regard, les luttes res­tent très natio­nales, par­fois même très locales à l’intérieur des nations. Toute lutte est bonne à prendre mais si on veut aller plus loin, il faut se poser la ques­tion de l’internationalisme de la lutte. Je sais que Frédéric Lordon explique qu’il faut bien com­men­cer par quelque chose et que, dès lors, il fau­dra com­men­cer la trans­for­ma­tion dans un cadre natio­nal. Je ne suis pas un stra­tège et je n’ai pas réflé­chi à ces ques­tions en détail, mais ce qui est sûr, c’est qu’à un moment cette lutte doit pou­voir se dif­fu­ser. Quand bien même il y aurait une contes­ta­tion natio­nale très forte qui débou­che­rait sur une volon­té de chan­ge­ment du mode de pro­duc­tion natio­nal, on serait sou­mis à des dépen­dances vis-à-vis de pays capi­ta­listes. Le dan­ger serait alors de recou­rir à des logiques auto­ri­taires, ou d’a­ban­don­ner la par­tie. Si on prend l’ho­ri­zon du dépas­se­ment du mode de pro­duc­tion au sérieux et qu’on cherche à ins­ti­tuer une socié­té qui soit gérée par les besoins et qui, en cela, soit une socié­té plus libre, on va devoir réflé­chir à cette ques­tion. Je ne dis pas du tout qu’il ne faut rien faire tant qu’on n’a pas la grande Internationale des tra­vailleurs — d’autant que le dépas­se­ment du capi­ta­lisme sera sans doute aus­si un pro­ces­sus plus qu’un « Big Bang ». Mais, oui, il me semble indis­pen­sable de poser la ques­tion de l’internationalisme.


Illustration de ban­nière : Vitor Costa
Photographie de vignette : Sébastien Calvet 


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  1. L’Ondam fixe un objec­tif annuel de dépenses d’as­su­rance mala­die à ne pas dépas­ser.[]

REBONDS

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