Piotr Archinov — devenir une force organisée

7 octobre 2017


Texte inédit pour le site de Ballast

« Il n’y a pas d’hu­ma­ni­té UNE. Il y a une huma­ni­té des classes : esclaves et maîtres », lan­çait dans les années 1920 un mani­feste dont Archinov fut le coau­teur. Tour à tour sym­pa­thi­sant bol­che­vik, anar­chiste illé­ga­liste dans la Russie du tsar, oppo­sant bol­che­vik puis figure du com­mu­nisme liber­taire en exil, ce fils d’ou­vriers — dont l’am­bi­tion était, rien moins, que l’« orga­ni­sa­tion d’une vie nou­velle basée sur l’au­to-direc­tion des pro­duc­teurs » et l’« anéan­tis­se­ment du capi­ta­lisme » — fut assas­si­né par le pou­voir sta­li­nien. Réveillons quelques ins­tants le sou­ve­nir de cet homme mécon­nu, en cette année de cen­te­naire de la révo­lu­tion d’Octobre. ☰ Par Winston


« Es-tu deve­nu bol­che­vik ? », lui demande en 1933 Nikolas Tchorbadieff, mili­tant liber­taire bul­gare. « M’en crois-tu capable ? », rétorque Archinov. C’était peu de temps avant le retour de Piotr Archinov en URSS. Le liber­taire repen­ti semble auto­ri­sé par le régime sovié­tique à retour­ner sur ses terres d’o­ri­gines ; il jure avoir rom­pu avec l’a­nar­chisme, comme en témoignent ses der­nières publi­ca­tions1. Le mili­tant russe n’en sera pas moins arrê­té, puis exé­cu­té, en novembre 1938, vic­time des grandes purges sta­li­niennes. Le motif ? Tentative de res­tau­ra­tion de l’a­nar­chisme en Russie sovié­tique ! La fin de Piotr « Marine » Archinov, peu à peu mis au ban par une par­tie du mou­ve­ment liber­taire, fut à l’i­mage de cette vie âpre et tour­men­tée. Les moti­va­tions de son retour en URSS res­tent troubles. Raisons éco­no­miques ? Naïveté ? Volonté d’y mener une acti­vi­té révo­lu­tion­naire sou­ter­raine et de ren­ver­ser le désor­mais tout puis­sant Joseph Staline ? Se serait-il, une fois sur place, rétrac­té en cours de route ou sou­mis à de fortes pres­sions ? Ou bien a‑t-il tout sim­ple­ment été absor­bé par la machine bureau­cra­tique alors qu’il pen­sait pou­voir opé­rer un réel tra­vail d’op­po­si­tion au sein du Parti com­mu­niste de l’Union sovié­tique ? La ques­tion ne sera pro­ba­ble­ment jamais tran­chée. Mais l’on peut s’é­ton­ner, au vu des enga­ge­ments constants du per­son­nage ain­si que des nom­breux aver­tis­se­ments qu’il reçut lors­qu’il évo­qua son retour en URSS (le liber­taire ukrai­nien Voline ten­ta de le dis­sua­der en ces termes : « Il ne faut pas par­tir. Ils te fusille­ront. Ne te fais pas d’illu­sions, ils ne te par­don­ne­ront jamais... »), qu’il ait pu pécher par can­deur en dépit des appa­rentes garan­ties que lui offrait son contact au pays. Son exé­cu­tion et les motifs de celle-ci ne cor­ro­borent guère l’hy­po­thèse de la conver­sion sin­cère et aveugle au bolchévisme…

L’opposant au tsar

« Il est inter­pel­lé par la police aus­tro-hon­groise, qui le livre aux auto­ri­tés tsa­ristes, alors qu’il ache­mine des armes et des livres vers le ter­ri­toire russe. »

Piotr Archinov voit le jour dans une famille ouvrière, à Ekaterinoslav, en 1887. À dix-sept ans, il tra­vaille comme ouvrier ser­ru­rier dans les ate­liers de Khisil-Artavat puis se rap­proche du Parti social-démo­crate de Russie, et de sa frac­tion bol­che­vik, avant d’é­vo­luer vers l’a­nar­chisme. Il devient alors un illé­ga­liste liber­taire convain­cu et actif : fougue de la jeu­nesse aidant, il n’est nul­le­ment ques­tion de théo­ries mais seule­ment, ou presque, d’ac­tions : atten­tat contre un immeuble de la police le 23 décembre 1906 (plu­sieurs offi­ciers et gen­darmes y perdent la vie), exé­cu­tion du chef des ate­liers de che­min de fer d’Alexandrovsk le 7 mars 1907 — la vic­time d’Archinov fut un arti­san féroce de la répres­sion lors des grèves de 1905–1906. Condamné à mort par pen­dai­son, Archinov par­vient à s’é­va­der. Arrêté une seconde fois en 1909, vers Briansk, il prend à nou­veau la fuite. C’est fina­le­ment en sep­tembre 1910 que sa cavale cesse de manière durable : il est inter­pel­lé par la police aus­tro-hon­groise, qui le livre aux auto­ri­tés tsa­ristes, alors qu’il ache­mine des armes et des livres vers le ter­ri­toire russe. En octobre 1911, il est condam­né à « seule­ment » vingt ans de pri­son : l’u­ti­li­sa­tion de divers pseu­do­nymes lui per­met qu’au­cun lien ne soit éta­bli avec sa condam­na­tion à mort anté­rieure. Incarcéré aux Boutyrkis — décrite par l’é­cri­vaine anar­chiste Ida Mett comme une sorte d’u­ni­ver­si­té révo­lu­tion­naire —, Piotr Archinov ren­contre un jeune pay­san d’Ukraine : ils se lient d’a­mi­tié. Il s’a­git d’un cer­tain Nestor Ivanovitch Makhno… futur cosaque liber­taire qui joue­ra un rôle de pre­mier plan dès 1917, lorsque l’a­gi­ta­tion ira s’emparer, dere­chef, de la Russie impériale.

L’épopée makhnoviste

À peine sor­ti de pri­son, le mili­tant russe reprend goût à l’ac­ti­vi­té révo­lu­tion­naire concrète. Il par­ti­cipe à la fon­da­tion de la Fédération des groupes anar­chistes de Moscou et de la revue Golos Truda (La cause du tra­vail). Le pério­dique devient un quo­ti­dien après la révo­lu­tion d’oc­tobre 1917, puis sera inter­dit l’an­née sui­vante par le nou­veau pou­voir bol­che­vik : « La concep­tion du pou­voir sovié­tique incar­née par l’État bol­che­vik, se trans­for­ma en un pou­voir bour­geois tout à fait tra­di­tion­nel concen­tré en une poi­gnée d’individus, vou­lant sou­mettre à leur auto­ri­té tout ce qu’il y a de fon­da­men­tal et de plus puis­sant dans la vie du peuple », consi­gne­ra Archinov une décen­nie plus tard2. Au cours de l’é­té 1918, Makhno demande à Archinov de le suivre en Ukraine — ce qu’il accepte. Du 12 au 16 novembre 1918, à Koursk, il par­ti­cipe à la pre­mière confé­rence géné­rale de la Confédération d’or­ga­ni­sa­tions anar­chistes d’Ukraine, le car­tel Nabat. La confé­dé­ra­tion « se fixe pour but d’or­ga­ni­ser toutes les forces vives de l’a­nar­chisme ; d’u­nir les dif­fé­rents cou­rants anar­chistes ; d’u­nir par un tra­vail com­mun tous les anar­chistes qui veulent prendre sérieu­se­ment une part active à la Révolution Sociale ». Piotr Archinov y ren­contre notam­ment Voline, futur arti­san de la syn­thèse anar­chiste, qu’il affron­te­ra ulté­rieu­re­ment sur cer­tains points de doc­trine. En jan­vier 1919, il rejoint la makh­novt­chi­na, l’ar­mée révo­lu­tion­naire pay­sanne menée par Makhno (qui fer­raille de concert contre les armées du tsar et les troupes bol­che­viks) ; il devient res­pon­sable du dépar­te­ment de la culture, anime plu­sieurs jour­naux et sera char­gé d’é­crire l’his­toire de ce mouvement.

Suprematist Composition, Kazimir Malevich, 1916]

L’inquiétude qu’ins­pire ce mou­ve­ment est à la mesure de la pro­pa­gande bol­che­vik à son encontre, bien volon­tiers gros­sière et dif­fa­ma­toire. Trotsky eût ain­si décla­ré3 : « Il vaut mieux céder l’Ukraine entière à Dénikine [com­man­dant en chef des armées tsa­ristes, ndlr] que per­mettre une expan­sion du mou­ve­ment makh­no­viste ; le mou­ve­ment de Dénikine, comme étant ouver­te­ment contre-révo­lu­tion­naire, pour­rait aisé­ment être com­pro­mis par la voie de la pro­pa­gande de classe, tan­dis que la makh­novt­chi­na se déve­loppe au fond des masses et sou­lève jus­te­ment les masses contre nous. » Il appa­raît pour­tant que la déroute des forces contre-révo­lu­tion­naires en Ukraine revient prin­ci­pa­le­ment aux insur­gés makh­no­vistes ; ce sont ces der­niers qui, en rem­por­tant la vic­toire déci­sive de Perogonovka et tout en conti­nuant à saper les bases arrières de Dénikine — détrui­sant par la même occa­sion son ser­vice de ravi­taille­ment en artille­rie, vivres et muni­tions —, infli­gèrent une défaite aux armées blanches et les empê­chèrent d’en­trer dans Moscou à la fin de décembre 1919…

« Makhno, per­dant un à un ses com­pa­gnons, bles­sé, tan­tôt caché, tan­tôt trans­por­té à l’aide d’une char­rette, repart vers le sud. »

La suite, mal­gré des faits de résis­tance héroïque, mar­que­ra le début du déclin de l’ar­mée insu­rec­tion­nelle anar­chiste, décla­rée hors-la-loi dès jan­vier 1920 par le Comité cen­tral du Parti com­mu­niste ukrai­nien. Wrangel suc­cè­de­ra à Dénikine, démis­sion­naire, à la tête des armées blanches ; il sera lui aus­si défait par les troupes com­mu­nistes. En mars 1921, Makhno, per­dant un à un ses com­pa­gnons, bles­sé, tan­tôt caché, tan­tôt trans­por­té à l’aide d’une char­rette, repart vers le sud. Il n’ap­pren­dra que plus tard qu’à ce moment-là, à plus de 1 000 kilo­mètres au nord, les marins de Kronstadt lut­taient avec les mêmes mots d’ordre que les makh­no­vistes… Il tra­verse la Dniestr à l’é­té 1921, avec plus de deux cents sur­vi­vants, réus­sis­sant ain­si à se fau­fi­ler à tra­vers les mailles des filets de l’Armée rouge. Un bien triste épi­logue pour celui qui, semble-t-il, avait cau­sé quelque trouble dans la pen­sée du très solide Lénine ; en 1918, lors d’un entre­tien, ce der­nier lui décla­ra : « Les anar­chistes sont tou­jours pleins d’ab­né­ga­tion, ils sont prêts à tous les sacri­fices mais, fana­tiques aveugles, ils ignorent le pré­sent pour ne pen­ser qu’au loin­tain ave­nir4. » Le pay­san ukrai­nien avait, en réponse, détaillé les actions menées par les anar­chistes contre les natio­na­listes et les classes pos­sé­dantes en Ukraine ; après lui avoir four­ni les moyens de retour­ner en Ukraine, Lénine avait finit par concé­der : « Il se peut que je me trompe. » Archinov quitte la Russie pour se rendre à Berlin : il par­ti­cipe sitôt au jour­nal Anarkhist Vietsnik (Le Messager anar­chiste).

L’heure du bilan

De retour en France, Archinov rédige et publie son Histoire du mou­ve­ment makh­no­viste. Il s’emploie bien sûr à resi­tuer le contexte et dresse un bilan de cette épo­pée, certes élo­gieux, sans tou­te­fois pas­ser sous silence cer­taines failles : il sou­ligne la naï­ve­té des makh­no­vistes, plus enclins à se tour­ner vers les masses ouvrières et pay­sannes afin de les conduire sur la voie de la construc­tion révo­lu­tion­naire qu’à s’o­rien­ter vers l’as­pect pure­ment mili­taire de la lutte — aspect incon­tour­nable au regard des condi­tions du moment. Le révo­lu­tion­naire russe l’ex­plique : « Quelle que fût l’o­pi­nion publique des masses ouvrières et pay­sannes, le bol­che­visme ne se serait point gêné, au pre­mier contact avec le mou­ve­ment, non seule­ment de pas­ser outre, mais de tout faire pour le gar­rot­ter et l’an­ni­hi­ler. C’est pour­quoi les makh­no­vistes […] auraient dû com­men­cer par prendre d’a­vance toutes les mesures néces­saires pour se garan­tir d’une pareille éven­tua­li­té. Leur désir de se consa­crer prin­ci­pa­le­ment à un tra­vail posi­tif — désir pro­fon­dé­ment juste et révo­lu­tion­naire s’il en fut — reste sté­rile dans l’am­biance spé­ci­fique qui règne en Ukraine depuis 1918. » Archinov men­tionne éga­le­ment les pro­blèmes liés à la ques­tion natio­nale et anti­sé­mite. Sur ce der­nier point, il pré­sente un cer­tain nombre de révo­lu­tion­naires juifs (Kogan, Zinkovsky…) et pré­cise avec humour : « Nous pour­rions ajou­ter encore beau­coup de noms à la longue liste des révo­lu­tion­naires juifs ayant pris part aux mani­fes­ta­tions du mou­ve­ment makh­no­viste, mais nous devons nous en abs­te­nir pour des rai­sons de conspi­ra­tion. »

Suprematist Composition : Airplane Flying, Kazimir Malevich, 1914-1915]

Si l’i­mage d’un Makhno anti­sé­mite appa­raît aujourd’­hui comme une dif­fa­ma­tion gro­tesque (c’est bien lui qui, en 1919, après que soient per­pé­trés des actes anti­sé­mites, pro­po­sa aux colo­nies juives de créer leur propre milices et leur four­nit des armes pour ce faire), ceci ne signi­fie nul­le­ment que ses troupes aient été exemptes de toute xéno­pho­bie : anti­sé­mites, d’au­cuns, par­mi ses hommes, le furent. Fruit de l’é­poque et de la socié­té, non de l’i­déo­lo­gie de l’in­sur­rec­tion makh­no­viste. Après bien des éloges, Archinov signale le manque de for­ma­tion théo­rique de Makhno et, par­fois, sa cou­pable insou­ciance. Voline, qui n’ap­pré­cie guère Makhno (et réci­pro­que­ment), estime d’ailleurs qu’Archinov s’est volon­tai­re­ment cen­su­ré en refu­sant d’en­trer plus avant dans le détail : dans les pages de La Révolution incon­nue, l’a­nar­chiste juif balaie à son tour les accu­sa­tions d’an­ti­sé­mi­tisme à l’en­contre de Makhno et de son mou­ve­ment mais ne se fait pas prier pour dres­ser un por­trait fort peu flat­teur de l’in­sur­gé ukrai­nien — des abus d’al­cool qui le ren­daient injuste et violent, des actes odieux à l’en­contre des femmes5. Est-ce cela qu’Archinov a pudi­que­ment nom­mé « insou­ciance », tout à son désir de ne pas ébré­cher publi­que­ment son cama­rade ? Ou s’a­git-il d’exa­gé­ra­tions de Voline ? Dans ses Souvenirs sur Nestor Makhno6, Ida Mett dément for­mel­le­ment qu’il fut un ivrogne7.

Le théoricien plateformiste

« L’anarchisme n’est pas une belle fan­tai­sie, ni une idée abs­traite de phi­lo­so­phie. »

Installé à Paris depuis 1925, Archinov tra­vaille comme cor­don­nier et devient secré­taire du Groupe des anar­chistes russes à l’étranger, qui édite la revue Diélo Trouda : on y retrouve Makhno et Voline 8. En août de la même année, leur troi­sième numé­ro publie, sous la forme d’ar­ticles, des pro­po­si­tions visant à une révi­sion des concep­tions orga­ni­sa­tion­nelles de l’anarchisme — sous la plume de Piotr Archinov (« Notre pro­blème orga­ni­sa­tion­nel ») et de Tcherniakov (« Notre tâche immé­diate »). Suit, à par­tir de juin 1926, un pro­jet de struc­ture théo­rique : la « Plate-forme d’organisation de l’union géné­rale des anar­chistes ». Le débat avec le reste du mou­ve­ment anar­chiste pren­dra toute son ampleur au cours de l’année sui­vante. La Plate-forme se fait par­ti­sane d’une pen­sée com­mu­niste liber­taire solide et intran­si­geante ; elle fus­tige : « Les ama­teurs de l’af­fir­ma­tion de leur Moi, uni­que­ment en vue d’une jouis­sance per­son­nelle, s’en tiennent obs­ti­né­ment à l’é­tat chao­tique du mou­ve­ment anar­chiste et se réfèrent, pour le défendre, aux prin­cipes immuables de l’a­nar­chisme et de ses maîtres. » Le ton est don­né. Mais Archinov et sa bande n’en res­tent pas là, et les coups tombent sur cer­tains anar­chistes accu­sés de dilet­tan­tisme : « L’anarchisme n’est pas une belle fan­tai­sie, ni une idée abs­traite de phi­lo­so­phie ». Et s’il per­sis­tait un doute, les auteurs de la plate-forme enfoncent le clou : « Nous ne nous fai­sons pas d’illu­sions. Nous pré­voyons que plu­sieurs repré­sen­tants du soi-disant indi­vi­dua­lisme et de l’a­nar­chisme chao­tique nous atta­que­ront la bave aux lèvres, et nous accu­se­ront d’a­voir enfreint les prin­cipes anar­chistes. Nous savons cepen­dant que les élé­ments indi­vi­dua­listes et chao­tiques com­prennent sous le titre de prin­cipes liber­taires et je m’en fou­tisme, la négli­gence et l’ab­sence de toute res­pon­sa­bi­li­té, qui por­tèrent à notre mou­ve­ment des bles­sures presque ingué­ris­sables et contre les­quelles nous lut­tons avec toute notre éner­gie, toute notre pas­sion. C’est pour­quoi nous pou­vons en toute tran­quilli­té négli­ger les attaques venant de ce camp. »

La Plate-forme, divi­sée en trois par­ties (« Générale », « Constructive », « Organisationnelle »), insiste sur ses idées phares : la lutte des classes, la néces­si­té d’une orga­ni­sa­tion stric­te­ment com­mu­niste liber­taire, la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat, la pro­duc­tion, la consom­ma­tion… « Il est temps pour l’a­nar­chisme de sor­tir du marais de la désor­ga­ni­sa­tion, de mettre fin aux vacilla­tions inter­mi­nables dans les ques­tions théo­riques et tac­tiques les plus impor­tantes, de prendre réso­lu­ment le che­min du but clai­re­ment conçu, et de mener une pra­tique col­lec­tive orga­ni­sée. » Comme de juste, la réponse des oppo­sants à la Plate-forme, par­mi les­quels et au pre­mier plan Voline, se fera sur le même ton : les pla­te­for­mistes sont accu­sés de bol­ché­vi­ser l’a­nar­chisme, de créer un centre poli­tique diri­geant (avec une armée et une police à la dis­po­si­tion de ce centre) et, par­tant, d’é­ri­ger une auto­ri­té poli­tique à carac­tère éta­tique. Voline éla­bo­re­ra une autre forme d’or­ga­ni­sa­tion en 1928, aux côtés du péda­gogue liber­taire fran­çais Sébastien Faure : la syn­thèse anar­chiste. Le 20 mars 1927, Archinov par­ti­cipe à la confé­rence inter­na­tio­nale tenue à L’Haÿ-les-Roses où est débat­tu le pro­jet d’une Internationale anar­chiste fon­dée sur cette fameuse Plate-forme. Au congrès de Paris de l’Union anar­chiste com­mu­niste, l’organisation adopte la même année des sta­tuts ins­pi­rés de la Plate-forme et se rebap­tise « Union anar­chiste com­mu­niste révo­lu­tion­naire » : UACR9. Échec de l’UACR et vives cri­tiques de nom­breux anar­chistes envers le pla­te­for­misme. Archinov, sans doute amer et gagné par le décou­ra­ge­ment, las de l’exil et selon toute vrai­sem­blance pres­sé par sa com­pagne, pré­pa­re­ra son retour en URSS. Avec quelles inten­tions ? Une ques­tion qui reste ouverte…


Portrait d’Archinov : DR ; illus­tra­tion de ban­nière : extrait de Suprematist Composition with Plane in Projection, par Kazimir Malevich.


image_pdf
  1. « L’Anarchisme et la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat » en 1931, « L’Anarchisme à notre époque » en 1933 et « Fiasco de l’anarchisme » deux ans plus tard.[]
  2. Dans l’ar­ticle « Les deux Octobre », octobre 1927.[]
  3. Voir Édouard Jourdain, L’Anarchisme, La Découverte, 2016.[]
  4. Voir Makhno, Mémoires et écrits : 1917–1932, Ivrea, 2010.[]
  5. On parle d’or­gies aux­quelles ces der­nières étaient obli­gées de par­ti­ci­per.[]
  6. Éditions Allia, 1983.[]
  7. Voline sou­ligne, à l’ins­tar d’Archinov, que la per­son­na­li­té de Makhno a gran­di au fur et à mesure de la révo­lu­tion, gagnant au fil des jours en conscience et pro­fon­deur ; il rap­pelle aus­si « qu’il ne faut pas oublier les condi­tions défa­vo­rables dans les­quelles il avait vécu dès son enfance, les défauts du milieu qui l’en­tou­rait dès ses pre­mières années : un manque presque com­plet d’ins­truc­tion par­mi ceux qui l’en­vi­ron­naient et, ensuite, un manque com­plet d’aide éclai­rée et d’ex­pé­rience dans sa lutte sociale et révo­lu­tion­naire ».[]
  8. Ou encore Nicolas Lazarévitch, Tchierniakov, Ida Mett, Maxime Ranko ou Walecki.[]
  9. Après une scis­sion, Archinov finit néan­moins par consi­dé­rer que l’UACR se mon­trait davan­tage fidèle à la lettre qu’à l’es­prit de sa Plate-forme et que son appli­ca­tion s’a­vé­rait trop étroite. Le temps lui donne semble-t-il rai­son : à son congrès d’a­vril 1930, l’UACR aban­donne les réfé­rences à ce texte pour reve­nir à la situa­tion anté­rieure à 1927. Voir notam­ment le dic­tion­naire Le Maitron — fiche d’Archinov, par Sylvain Boulouque et Guillaume Davranche.[]

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