L’abécédaire d’Angela Davis


Candidate par deux fois sous les cou­leurs du Parti com­mu­niste et ancienne pro­fes­seure de phi­lo­so­phie, celle qui fut l’une des figures du mou­ve­ment de libé­ra­tion noir aux États-Unis — on se sou­vient de son arres­ta­tion en 1970 et de la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale qu’elle déclen­cha — n’a jamais ren­du les armes. Angela Davis appelle aujourd’­hui à la créa­tion d’un mou­ve­ment capable de « représente[r] la classe ouvrière, les mou­ve­ments anti­ra­cistes, les ques­tions fémi­nistes et LGBTQ, les reven­di­ca­tions contre la guerre et la jus­tice envi­ron­ne­men­tale ». Autrement dit : à « une lutte sans trêve ». Une porte d’en­trée en 26 lettres.


Animaux : « [J]e pense que c’est la pro­chaine arène majeure de la lutte. Je suis par­fois réel­le­ment déçue par le fait que nombre d’entre nous pré­ten­dons être des mili­tants radi­caux sans pour­tant réflé­chir à la nour­ri­ture que nous met­tons dans nos corps. […] D’ordinaire, je ne men­tionne pas que je suis végane. Mais ça a évo­lué. Je pense que c’est le bon moment pour en par­ler car c’est l’une des com­po­santes de la pers­pec­tive révo­lu­tion­naire. Comment pou­vons-nous, d’une part, inven­ter des rela­tions plus com­pa­tis­santes avec les êtres humains, mais aus­si, d’autre part, déve­lop­per des rela­tions de com­pas­sion avec les autres créa­tures avec qui nous par­ta­geons cette pla­nète ? […] La majo­ri­té des gens ne songe pas au fait qu’elle mange des ani­maux. Quand elle mange un steak ou du pou­let, elle ne pense pas à l’im­mense souf­france endu­rée par ces ani­maux uni­que­ment pour qu’ils deviennent des pro­duits ali­men­taires voués à la consom­ma­tion humaine. » (Conférence « On Revolution : A Conversation Between Grace Lee Boggs and Angela Davis », 2 mars 2012 [nous traduisons])

Boycott : « Même si l’on ignore le nom de toutes ces femmes qui ont refu­sé de prendre le bus pour se rendre depuis leur quar­tier misé­rable vers les quar­tiers aisés des Blancs, il nous faut rendre hom­mage à leur vic­toire col­lec­tive. Ce boy­cott n’aurait pas pu réus­sir sans leur refus de mon­ter dans le bus. Et sans ce refus qui s’est avé­ré cru­cial, un per­son­nage tel que Martin Luther King n’aurait peut-être jamais émer­gé sur le devant de la scène. » (Une lutte sans trêve, La Fabrique, 2016)

Classe : « Du fait de l’in­sis­tance à ras­sem­bler la race, le genre et d’autres caté­go­ries dans un cadre qui était aupa­ra­vant occu­pé par la classe seule, nous sommes désor­mais obli­gés de recon­naître à quel point la classe est tou­jours racia­li­sée et tou­jours gen­rée. En d’autres termes, la classe ouvrière d’au­jourd’­hui ne peut pas être appré­hen­dée comme prin­ci­pa­le­ment blanche et mas­cu­line. » (Sur la liber­té — Petite antho­lo­gie de l’é­man­ci­pa­tion, Aden, 2016)

Devoir : « La révo­lu­tion est une chose sérieuse, la chose la plus sérieuse dans la vie d’un révo­lu­tion­naire. Quand on s’en­gage dans la lutte, ce doit être pour la vie. […] Le tra­vail révo­lu­tion­naire sérieux est fait d’ef­forts per­sis­tants, métho­diques et col­lec­tifs pour orga­ni­ser les masses dans l’ac­tion. » (Autobiographie, Albin Michel, 1975)

Être : « Socrate a énon­cé quelque chose de très pro­fond lors­qu’il a dit que la rai­son d’être de la phi­lo­so­phie est de nous ensei­gner la manière de bien vivre. À notre époque, bien vivre signi­fie se libé­rer du pro­blème urgent de la misère, de la néces­si­té éco­no­mique et de l’en­doc­tri­ne­ment, de l’op­pres­sion de l’es­prit. » (Angela Davis parle, Éditions Sociales, 1971)

Façon : « Je pense qu’il y a un lien — mais je ne peux aller plus loin — entre la façon dont nous trai­tons les ani­maux et la façon dont nous trai­tons les gens qui se situent en bas de la hié­rar­chie. […] Regardez com­ment les per­sonnes qui com­mettent des vio­lences sur d’autres êtres humains ont, bien sou­vent, appris à y prendre du plai­sir en bru­ta­li­sant les ani­maux. » (Intervention à la University of California-Davis, 23 février 2012 [nous traduisons])

Genre : « Je dus faire très tôt la connais­sance d’un syn­drome très répan­du par­mi les mili­tants noirs. En peu de mots, ils confon­daient leurs acti­vi­tés poli­tiques avec l’af­fir­ma­tion de leur viri­li­té. Ils pen­saient — et cer­tains conti­nuent à le pen­ser — que le fait d’être un homme noir leur don­nait des droits sur les femmes noires. » (Autobiographie, Albin Michel, 1975)

Hommes : « Il s’agit plu­tôt d’encourager une cer­taine prise de conscience afin que les hommes les plus pro­gres­sistes sachent qu’il est de leur res­pon­sa­bi­li­té de ral­lier d’autres hommes à la cause fémi­niste. Les hommes peuvent par­fois convaincre d’autres hommes plus effi­ca­ce­ment. Il est impor­tant que ceux que nous vou­drions asso­cier à nos luttes puissent avoir des modèles. Qu’est-ce que cela signi­fie pour un homme que de suivre l’exemple du fémi­nisme ? » (Une lutte sans trêve, La Fabrique, 2016)

[Manifestation contre les violences policières dans la ville de Baltimore (État du Maryland), avril 2015 | Jabin Botsford | The Washington

Intersectionnalité : « Le fémi­nisme a tou­jours été tra­ver­sé de contra­dic­tions. […] De la même manière que le fémi­nisme domi­nant consen­tait au racisme et au colo­nia­lisme dans les époques pré­cé­dentes (ce qui per­siste bien enten­du encore de nos jours), le fémi­nisme sert d’a­li­bi à l’is­la­mo­pho­bie contem­po­raine. Ce qui veut dire que les approches inter­sec­tion­nelles pro­po­sées aux États-Unis par des fémi­nistes de cou­leur radi­cales sont d’au­tant plus impor­tantes aujourd’­hui. » (Sur la liber­té — Petite antho­lo­gie del’é­man­ci­pa­tion, Aden, 2016)

Justice : « Tout comme le com­bat contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud a fini par deve­nir une des pré­oc­cu­pa­tions pre­mières d’une grande majo­ri­té des mou­ve­ments de lutte pour la jus­tice dans le monde, la ques­tion pales­ti­nienne doit deve­nir la prio­ri­té de tous les mou­ve­ments pro­gres­sistes aujourd’hui. » (Entretien paru dans le n° 1 de la revue Ballast, hiver 2014)

Ku Klux Klan : « Nous n’avons peut-être pas à subir les lyn­chages et la vio­lence du Ku Klux Klan de la même manière qu’autrefois, mais la vio­lence d’État, la vio­lence poli­cière, la vio­lence mili­taire sont loin d’avoir dis­pa­ru. Le Ku Klux Klan lui-même conti­nue de sévir en par­tie. Je ne pense pas que cela signi­fie pour autant que le mou­ve­ment pour les droits civiques a échoué. Son héri­tage est au contraire remar­quable : il a mis fin à la dis­cri­mi­na­tion juri­dique et au sys­tème de ségré­ga­tion. Les conquêtes sont réelles, et il ne faut pas sous-esti­mer leur impor­tance. » (Une lutte sans trêve, La Fabrique, 2016)

Libération : « Oui, Monsieur, je suis com­mu­niste et je le consi­dère comme un des plus grands hon­neurs humains, parce que nous lut­tons pour la libé­ra­tion totale de la race humaine. » (Autobiographie, Albin Michel, 1975)

Marx : « Selon une for­mule de Karl Marx désor­mais clas­sique, la reli­gion est l’o­pium du peuple. Autrement dit : la reli­gion enseigne aux hommes à se satis­faire de leur sort en ce monde, à accep­ter l’op­pres­sion — en orien­tant leurs espoirs et leurs dési­rs vers un domaine sur­na­tu­rel. Une somme réduite de souf­frances ter­restres ne compte pas en regard du bon­heur éter­nel. Comme Marcuse le rap­pelle volon­tiers, on néglige sou­vent le fait que Karl Marx a ajou­té que la reli­gion exprime les sou­haits uto­piques de la créa­ture oppri­mée. » (Angela Davis parle, Éditions Sociales, 1971)

Néolibéralisme : « Nous allons peut-être enfin nous éman­ci­per de l’individualisme der­rière lequel nous nous retran­chons à l’heure du néo­li­bé­ra­lisme. Les idéo­lo­gies néo­li­bé­rales nous conduisent à nous foca­li­ser sur l’individu et sur nous-mêmes, sur des vic­times indi­vi­duelles, des cou­pables indi­vi­duels. » (Une lutte sans trêve, La Fabrique, 2016)

[Occupy Wall Street (États-Unis), 2011 | David E. Cooley]

Obama : « L’erreur que nous avons com­mise après avoir élu Obama, c’est que nous n’avons pas main­te­nu la pres­sion. Directement après sa pres­ta­tion de ser­ment, nous aurions dû mobi­li­ser et exer­cer des pres­sions sur lui afin de rame­ner les sol­dats dans leurs foyers, de fer­mer Guantanamo, d’améliorer les soins de san­té… » (Entretien pour le Parti du tra­vail de Belgique, 7 juin 2012)

Peuple kurde : « Je suis ins­pi­rée par la lutte pour la liber­té que mène le peuple kurde. La liber­té des femmes est concep­tua­li­sée comme le cœur même de la liber­té kurde et de la lutte pour la démo­cra­tie et le socia­lisme. Les femmes et les hommes kurdes ont construit le type de démo­cra­tie [réfé­rence au Rojava, ndlr] qui devrait tous et toutes nous ins­pi­rer pour être plus ima­gi­na­tifs et plus radi­caux dans nos propres aspi­ra­tions et dans nos com­bats constants pour la liber­té. » (Conférence à Sao Paolo, le 21 octobre 2019 [nous traduisons])

Question raciste : « Nous ne pou­vons pas seule­ment pen­ser en termes de crimes et de châ­ti­ments. Nous ne pou­vons pas pen­ser la pri­son uni­que­ment comme un lieu de puni­tion pour ceux qui ont com­mis des actes cri­mi­nels. Nous devons donc nous effor­cer d’élargir notre réflexion. Ce qui néces­site de se deman­der : pour­quoi, par exemple, y a‑t-il dans les pri­sons un nombre si dis­pro­por­tion­né de Noirs et de non-Blancs en géné­ral ? La ques­tion du racisme sur­git alors imman­qua­ble­ment. » (Une lutte sans trêve, La Fabrique, 2016)

Radicalité : « Mon approche a tou­jours consis­té à mettre l’ac­cent sur les poli­tiques indé­pen­dantes, plus radi­cales, mais je pense aus­si qu’il est impor­tant que Bernie Sanders ait sou­le­vé des ques­tions qui, sans quoi, n’au­raient jamais été posées dans le cadre de la cam­pagne entre les deux grands par­tis. » (Entretien pour le site Ebony, 17 février 2016 [nous traduisons])

Socialisme : « J’avais depuis long­temps la cer­ti­tude que, pour par­ve­nir à ses buts ultimes, la lutte de libé­ra­tion des Noirs aurait à s’in­sé­rer dans le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire qui, lui, englo­bait tous les tra­vailleurs. Il était aus­si clair pour moi que ce mou­ve­ment devait se diri­ger vers le socia­lisme. Et je savais que les Noirs — les tra­vailleurs noirs — devaient avoir un rôle de lea­der­ship impor­tant dans la lutte finale. » (Autobiographie, Albin Michel, 1975)

Terroriste : « Le FBI avait mis en place des moyens colos­saux pour avoir ma peau. Dans des com­mu­nau­tés noires, à tra­vers tout le pays, ils ont arrê­té des cen­taines de femmes qui me res­sem­blaient. Ils ont sur­veillé sans relâche ma famille et mes amis. Ma pho­to était affi­chée dans tout le pays, flan­quée de l’ins­crip­tion Armée et dan­ge­reuse ! J’ai tra­ver­sé cinq États en me dégui­sant. J’étais ter­ri­fiée. […] Même si Nixon avait décla­ré à la télé : Cette arres­ta­tion ser­vi­ra d’exemple à tous les ter­ro­ristes, le pou­voir ne pou­vait plus m’é­li­mi­ner. Ma noto­rié­té s’é­tait ren­for­cée, comme l’at­tes­taient ces pan­cartes col­lées sur des mil­liers de portes : Angela, notre sœur, tu es la bien­ve­nue dans cette mai­son. J’avais donc droit à un pro­cès. » (Entretien « J’étais deve­nue un sym­bole à détruire », L’Express, 8 mars 2013)

Unité : « Nous ne pou­vons plus lut­ter pour cette sorte d’u­ni­té sur laquelle les gens avaient ten­dance à comp­ter, par le pas­sé. Nous devons renon­cer à ces vieilles idées d’u­ni­té noire ou d’u­ni­té des femmes. Le genre d’u­ni­té dont nous avons besoin, je pense, est celle qui se forge autour de pro­jets poli­tiques, à l’in­verse de cette uni­té sim­pliste fon­dée sur la race ou le sexe. » (Entretien pour le Hastings Women’s Law Journal, volume 10, 1999)

[Marche des femmes (États-Unis), janvier 2017 | Stéphanie Sugars]

Violences sexuelles : « Il est sou­vent consi­dé­ré que le viol est un acte de luxure, et en consé­quence que les vio­leurs sont des hommes qui ne peuvent pas contrô­ler leur désir sexuel. La véri­té est pour­tant que la plu­part des vio­leurs n’a­gissent pas sous le coup d’une impul­sion dans le but de satis­faire une pul­sion sexuelle incon­trô­lable. Les motifs de ces hommes se situent plu­tôt dans le besoin socia­le­ment impo­sé d’exer­cer un pou­voir et un contrôle sur les femmes à tra­vers l’u­sage de la vio­lence. » (Violence Against Women and the Ongoing Challenge to Racism, Kitchen Table: Women of Color Press, 1985 [nous traduisons])

Whitney : « Femme blanche du XXe siècle, Anita Whitney fut une pion­nière de la lutte contre le racisme. Avec ses cama­rades noires, elle for­gea la stra­té­gie com­mu­niste d’é­man­ci­pa­tion de la classe ouvrière ; le com­bat pour la libé­ra­tion des Noirs en était le pivot. […] On lui deman­da un jour : Anita, com­ment voyez-vous le Parti com­mu­niste ? Qu’est-ce qu’il signi­fie pour vous ? – Eh bien, il a don­né un sens à ma vie, dit-elle avec un sou­rire incré­dule, un peu éton­née par cette ques­tion. » (Femmes, race et classe, Éditions des femmes, 1983)

XXIe siècle : « Nous ne devons pas sous-esti­mer les luttes du XXIe siècle, et nous ne devons pas sous-esti­mer ce qu’Internet per­met. Un tel ras­sem­ble­ment, aus­si rapide, aus­si mas­sif, était impen­sable sans ce nou­vel outil. Il y a eu des cam­pe­ments dans le monde entier. Aux États-Unis, ce qui fait d’Occupy un mou­ve­ment vrai­ment neuf, c’est qu’on n’avait plus fait de cri­tique col­lec­tive du capi­ta­lisme depuis les années 1930. » (Entretien pour Libération, 20 mars 2013)

Yeux : « Quand on par­la du socia­lisme dans ma classe d’his­toire, ce fut comme si un monde nou­veau s’ou­vrait à mes yeux. Pour la pre­mière fois, la notion d’une poli­tique socio-éco­no­mique idéale me devint fami­lière […]. Le Manifeste com­mu­niste me frap­pa comme un coup de foudre. Je le lus avec avi­di­té, car j’y trou­vais des réponses aux dilemmes appa­rem­ment sans réponse qui m’a­vaient assaillie. » (Autobiographie, Albin Michel, 1975)

Zones : « Nous vivons encore, en effet, dans le mythe selon lequel les esclaves ont été libé­rés par Lincoln. Ce mythe se per­pé­tue à tra­vers la culture de masse — même à tra­vers un film comme Lincoln. Or Lincoln n’a pas libé­ré les esclaves. Nous vivons pareille­ment dans le mythe selon lequel le mou­ve­ment pour les droits civiques a libé­ré ceux qui étaient consi­dé­rés comme des citoyens de seconde zone. Les droits civiques, natu­rel­le­ment, consti­tuent un élé­ment essen­tiel de la liber­té qui fut reven­di­quée à cette époque. Mais leur obten­tion n’a réso­lu qu’une par­tie du pro­blème. » (Une lutte sans trêve, La Fabrique, 2016)


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Photographie de ban­nière : Manifestation en Californie, le 2 juin 2020, à l’oc­ca­sion du meurtre de George Floyd | Robyn Beck | AFP | Getty Images

Portrait en vignette : Djeneba Aduayom |TIME

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