La littérature depuis les marges — rencontre avec les éditions Héliotropismes


Entretien inédit | Ballast

Rentrée lit­té­raire oblige, plus de 500 romans se dis­putent les étals des libraires depuis quelques jours. Dans ce contexte domi­né par les habi­tuelles têtes d’af­fiche mul­ti-pri­mées, les petits édi­teurs indé­pen­dants essayent de trou­ver une place pour faire exis­ter leurs choix sou­vent plus exi­geants, ris­qués et ori­gi­naux. C’est le cas des édi­tions Héliotropismes, fon­dées à Marseille en 2017, qui font paraître avec Le Détroit, d’Ann Petry, leur onzième ouvrage. L’œil s’ar­rê­te­ra plus faci­le­ment sur la cou­ver­ture à la bichro­mie carac­té­ris­tique qu’il aura déjà ren­con­tré les mul­tiples édi­tions des récits de Claude McKay et de Sembène Ousmane. « Les textes que nous défen­dons ont pour voca­tion de se situer à la croi­sée des genres, d’où leur tra­jec­toire édi­to­riale pas­sée, par­fois acci­den­tée », lit-on sur le site de la mai­son d’é­di­tion. Voilà qui attise la curio­si­té. Des influences sud-amé­ri­caines à la tra­duc­tion des langues hybrides, entre­tien avec le prin­ci­pal arti­san d’Héliotropismes, l’é­di­teur Renaud Boukh.


Comment êtes-vous arri­vé dans le monde de l’édition ? 

Je suis ren­tré par la porte de la tra­duc­tion. La mai­son d’é­di­tion pour laquelle je tra­vaillais, qui était aus­si une librai­rie, s’ap­pe­lait L’Atinoir. Elle était située au pied de l’é­glise des Réformés, à Marseille, rue Barbaroux. Le conseiller lit­té­raire était Paco Ignacio Taibo II, un auteur ral­lié à l’a­nar­chisme. Il écri­vait alors des polars et avait fon­dé un fes­ti­val autour de cette lit­té­ra­ture, à Gijón, en Espagne. Ensemble, on publiait prin­ci­pa­le­ment des romans poli­ciers d’Amérique latine et des nou­velles. Et puis, paral­lè­le­ment à la tra­duc­tion, j’effectuais les tâches d’assistant édi­to­rial : relec­tures, ges­tion des droits d’au­teur, mise en page… Vraiment tout le tra­vail du petit édi­teur indépendant.

Quel genre de lit­té­ra­ture avez-vous décou­vert au cours de cette pre­mière expé­rience éditoriale ? 

La tra­duc­tion m’a per­mis de ren­con­trer toute cette géné­ra­tion qui est venue après le « boom lati­no-amé­ri­cain » des années 1960. C’est un peu la géné­ra­tion oubliée. À la fin des années 2000, je fai­sais un doc­to­rat sur un auteur chi­lien, Roberto Bolaño, et un auteur espa­gnol, Enrique Vila-Matas. À tra­vers eux, c’est toute une car­to­gra­phie de la lit­té­ra­ture qui m’a été pro­po­sée. Leur lec­ture m’a indi­qué vers où aller, quoi lire et tra­duire : Antonio Di Benedetto, Pedro Lemebel, Mario Levrero, Mario Santiago Papasquiaro, etc. Il y en avait beau­coup ! Avec des amis, on aimait explo­rer et se perdre dans ce trou géné­ra­tion­nel. Ces lec­tures m’ont per­mis de mieux com­prendre toutes les géné­ra­tions qui sont venues après et qui étaient dans l’ombre de géants comme García Márquez, Silvina Ocampo ou Cortázar.

« Ces écri­vains de la géné­ra­tion née au moment où les grandes dic­ta­tures sud-amé­ri­caines s’ins­tallent au pou­voir n’ignorent pas que la lit­té­ra­ture est un com­bat per­du d’avance, dans lequel il faut néan­moins avoir le cou­rage de se lancer. »

Ma pre­mière vraie ren­contre lit­té­raire a été avec ce der­nier, qui a cette double carac­té­ris­tique d’être très poli­ti­sé et d’in­té­grer une exi­gence lit­té­raire avec une forme de jeu dans la langue. Cortázar raconte l’Histoire depuis, disons, l’œil noir de la ter­reur. Il n’a pas eu peur de bor­der l’a­bîme et de racon­ter des évé­ne­ments très dif­fi­ciles, liés au mal comme par exemple dans sa nou­velle Apocalypse de Solentiname. Une esthé­tique et un style que j’ai retrou­vés aus­si chez Roberto Bolaño, ce côté trou­ba­dour, cette vie pré­caire. Il y a vrai­ment quelque chose de poli­tique dans leur écri­ture, que l’on retrouve dans toute la géné­ra­tion née au moment où les grandes dic­ta­tures sud-amé­ri­caines s’ins­tallent au pou­voir. Ces écri­vains n’ignorent pas que la lit­té­ra­ture est un com­bat per­du d’avance, dans lequel il faut néan­moins avoir le cou­rage de se lan­cer. « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux », comme disait Beckett. Bolaño, dans 2666, Mario Levrero, dans Le Roman lumi­neux ou encore Juan José Saer dans Glose, ont tous les trois explo­ré l’innommable, la per­fi­die, ou l’impossibilité d’écrire. Curieusement, il m’a sem­blé que de ces récits émer­geaient tous les pos­sibles de la littérature.

Votre par­cours est ancré dans la culture his­pa­no­phone, s’est mélan­gé à celle propre au sud de la France, sans oublier l’Amérique latine où vous êtes par­ti vivre. Comment se sont arti­cu­lés ces dif­fé­rents ter­ri­toires, et les langues qui s’y trouvent ?

Ma mère et mes grands-parents sont espa­gnols. Je n’ai ren­con­tré le fran­çais qu’as­sez tar­di­ve­ment, quand je suis arri­vé à l’é­cole pri­maire. Ça a été un choc, pour moi, de devoir par­ler avec ces nou­veaux mots. Le fran­çais a été avant tout une langue sociale, pas celle du foyer. Mes grands-parents étaient anal­pha­bètes et à la mai­son on ne lisait pas du tout. L’amour pour la lit­té­ra­ture est en fait venu assez tar­di­ve­ment, avec la ren­contre d’un pro­fes­seur gua­té­mal­tèque, Dante Barrientos, à la fac d’Aix-en-Provence, lors de réunions du Parti com­mu­niste, avant qu’il ne com­mence à me mettre des livres dans la main.

[Carlos López Chirivella, « Esta tarde vi llover », février 2017]

Au gré de mes recherches, un fil rouge géo­gra­phique s’est impo­sé : cette constante d’un sud, ain­si qu’une iden­ti­té médi­ter­ra­néenne. L’Espagne et le sud de la France ont eu leur impor­tance dans cette décou­verte, mais il est vrai que mon détour par l’Amérique latine a eu pour moi, fina­le­ment, un poids presque plus déci­sif. J’y ai vécu pen­dant deux ans et demi, à Bogotá en Colombie, et décou­vert une his­toire que je qua­li­fie­rais de plus grande, de plus com­plexe. Il y avait là-bas quelque chose de plus humain, avec plus de col­lec­tif et de soli­da­ri­té. Les mots de col­lec­ti­vi­sa­tion, de lutte poli­tique y avaient encore un sens.

Et pour ce qui est de la littérature ?

La Colombie est un pays qui cris­tal­lise beau­coup d’his­toires. Sa lit­té­ra­ture est très riche et a été, pour moi, une pas­se­relle en direc­tion de toute l’Amérique cen­trale. J’y ai décou­vert le cou­rant de la lit­té­ra­ture sur­réa­liste, notam­ment un groupe qui s’ap­pe­lait Los Nuevos, avec Léon de Greiff comme tête de proue. Puis il y a eu l’Amérique cen­trale et sa forte tra­di­tion de poètes enga­gés à gauche, notam­ment au Nicaragua et au Salvador. Je pense, entre autres, à Roque Dalton, qui n’a d’ailleurs jamais été tra­duit en fran­çais. À Ernesto Cardenal, un prêtre com­mu­niste mort il y a quelques années à presque 100 ans. À Joaquín Pasos, un poète alcoo­lique nica­ra­guayen, à la poé­tesse mexi­caine Concha Urquiza. Et puis tous les poètes ouvriers du Guatemala. Enfin, citons l’œuvre d’un auteur peu connu, Fernando Molano Vargas : un écri­vain gay, qui a écrit deux romans impor­tants pen­dant les années du Sida en Colombie, mala­die dont il est mort. Ses œuvres demandent vrai­ment à être tra­duites. C’est un énorme pro­jet d’é­di­tion, que j’ai­me­rais bien mener.

C’est de retour en France que naît un pro­jet de mai­son d’é­di­tion. En regar­dant votre biblio­gra­phie, la lit­té­ra­ture publiée fait écho à votre tra­jec­toire. Dans un pre­mier temps, elle est essen­tiel­le­ment cen­trée sur l’aire latino-américaine…

« On rêvait de tra­duire et de publier des récits plu­tôt mar­gi­naux d’Amérique latine, de le faire par­fois en diglos­sie, avec des édi­tions bilingues, voire même en langue originale. »

À l’origine de la mai­son d’é­di­tion Héliotropismes, il y a l’ar­tiste Nicolas Guyot, moi-même et l’au­teur hon­du­rien José Manuel Torres Funes, qui est par­ti du Honduras en 2011 après un coup d’État. Ensemble, on rêvait de tra­duire et de publier des récits plu­tôt mar­gi­naux d’Amérique latine, de le faire par­fois en diglos­sie, avec des édi­tions bilingues, voire même en langue ori­gi­nale tout sim­ple­ment. On pen­sait à des écri­vains qui avaient eu de sacrés par­cours de vie, comme Pablo Nemirovsky, qui a fui la dic­ta­ture argen­tine et est venu à Paris et dont on a coédi­té De l’autre côté de l’autre côté. Nous avons com­men­cé l’é­di­tion avec le pre­mier livre de José Manuel : Esta tarde vi llo­ver. Ensuite il y a eu en 2020 La Ville invin­cible, de l’écrivaine uru­guayenne Fernanda Trias, qui y raconte son par­cours dans Buenos Aires, puis quelques publi­ca­tions, avant que cha­cun ne parte dans sa direc­tion. Alors, je me suis retrou­vé seul dans cette mai­son. C’était la fin d’une époque. J’ai déci­dé de chan­ger de cap, d’al­ler vers des thé­ma­tiques à pro­pos des­quelles j’é­tais en train de mener des recherches. J’étais plon­gé dans les migra­tions ouest-afri­caines dans le sud de la France ain­si que dans le pas­sé syn­di­cal de la ville dans laquelle je vivais : Marseille.

Quelles formes a pris le tra­vail de recherche que vous entamiez ?

L’exemple le plus emblé­ma­tique est sans doute celui de Princesa, ini­tia­le­ment publié en Italie en 1994. C’est un des pre­miers récits popu­laires écrits par une per­sonne trans­genre en Europe, un roman qui se passe entre le Brésil et l’Europe, qui raconte la pre­mière par­tie de la vie de Fernanda Farias de Albuquerque, une per­sonne trans bré­si­lienne. Celle-ci a gran­di dans le nord-est rural du Brésil. Très tôt elle a conscience de vou­loir deve­nir femme. Sa course s’a­chève dans la pri­son de Rebibbia, à Rome, où elle ren­contre un ber­ger, Giovanni Tamponi, qui s’intéresse à son par­cours de vie. Il lui demande de le lui racon­ter. En tant que luso­phone, elle lui répond qu’elle aura du mal à le lui trans­mettre. Giovanni, qui est Sarde, décide donc de l’ai­der à écrire. Ce livre s’est construit comme ça, dans une cas­cade d’é­changes épis­to­laires entre eux, de cel­lule à cel­lule. C’était le texte mar­gi­nal par excel­lence : écrit à plu­sieurs mains, plu­sieurs langues, dans un uni­vers car­cé­ral, par Fernanda qui est trans et Giovanni qui est ber­ger. C’était fas­ci­nant de voir com­ment un livre avait pu naître de ce contexte. Le publier me tenait vrai­ment à cœur.

[Carlos López Chirivella, « Princesa », novembre 2021]

Quelles dif­fi­cul­tés avez-vous ren­con­trées et com­ment avez-vous inté­gré le tra­vail de recherche à l’édition ?

C’est un tout petit livre, un récit d’une cen­taine de pages, mais l’his­toire autour est fleuve. Il faut se rendre compte qu’il a été écrit dans un ita­lien mâti­né de por­tu­gais bré­si­lien et de sarde, à la pre­mière per­sonne, de façon assez directe, dure, cash. C’est une langue unique, qui n’est pas pure, mais hybride. Comment conser­ver cette langue dans la tra­duc­tion vers le fran­çais ? Cette ques­tion nous a tenus pen­dant cinq ans. L’université d’Aix-Marseille a ouvert un espace dédié pour un ate­lier de tra­duc­tion col­lec­tive — je tiens à les remer­cier pour ça. Cinq tra­duc­trices s’y sont atte­lées pour conser­ver l’é­tran­ge­té de cette langue. Elles se sont consti­tuées en binômes, puis elles ont tra­vaillé cha­cune sur un qua­drillage du texte. L’une tra­dui­sait, l’autre lisait la tra­duc­tion. En écou­tant, elles cor­ri­geaient, elles amen­daient, puis elles remet­taient en com­mun tout le tra­vail effec­tué. À la fin, il y a eu une reprise géné­rale du livre. Parallèlement, les uni­ver­si­tés de Rome et d’Aix-Marseille ont entre­pris d’archiver toutes les lettres écrites en pri­son entre les trois pro­ta­go­nistes — Fernanda, Giovanni ain­si que l’un des co-auteurs finaux du texte, un bri­ga­diste, qui s’ap­pe­lait Maurizio Iannelli et qui a aus­si ren­con­tré Fernanda en prison.

Nous avons mis en ligne un site qui rend compte de tous ces échanges épis­to­laires et qui pro­pose une lec­ture en libre accès et mul­ti­mé­dia de Princesa. J’ai ensuite conti­nué ces recherches à titre per­son­nel. Cette his­toire me tra­vaillait et je suis par­ti sur les traces de Giovanni, le ber­ger et grand oublié. Il m’a offert de nom­breux docu­ments, des lettres, des des­sins, des pho­tos qui se rap­por­taient à cette his­toire et à ce livre. Il y a des démarches en cours. C’était émou­vant de retrou­ver ces traces. Ce moment a été, pour moi, un acte de recon­nais­sance envers l’au­trice, Fernanda Farias de Albuquerque. Notre sou­hait, avec les tra­duc­trices, serait qu’un fonds d’archives accepte de rece­voir ces documents.

Après le tra­vail de recherche fait autour de Princesa, on dirait que la ligne édi­to­riale d’Héliotropismes a connu un tournant.

« Romance in Marseille de Claude McKay a été un moment clef, oui, un tour­nant pour la mai­son d’édition. »

Romance in Marseille de Claude McKay a été un moment clef, oui, un tour­nant pour la mai­son d’é­di­tion. La publi­ca­tion du livre a été menée de pair avec un tra­vail de recherche que je réa­li­sais à par­tir d’ar­chives. J’avais récol­té de nom­breux docu­ments qui pré­sen­taient une grande richesse et il était deve­nu évident qu’il fal­lait les inté­grer à l’é­di­tion. Depuis, chaque livre est accom­pa­gné d’un tra­vail de recherche, et cette nou­velle orien­ta­tion a don­né un second souffle à la mai­son d’é­di­tion. La démarche était de faire dia­lo­guer lit­té­ra­ture et docu­ments d’ar­chives, fic­tion et his­toire, en retrou­vant des pho­tos, des docu­ments qui se rap­por­taient aux évé­ne­ments racon­tés. Par exemple, dans Un sacré bout de che­min, qu’on a réédi­té en 2022, McKay se rend de son propre gré en Russie pour le IVe Congrès de l’Internationale com­mu­niste, alors qu’il n’était pas le délé­gué offi­ciel Noir de la délé­ga­tion amé­ri­caine. Un autre homme, Otto Huiswood, était là. Nous avons retrou­vé une pho­to­gra­phie des deux. Les Russes vou­laient McKay, car ils pré­fé­raient ce qu’il nomme lui-même, dans son livre, un « Noir vrai de vrai ». Et c’est bien McKay qui, fina­le­ment, sera invi­té à s’ex­pri­mer au Congrès à la place du délé­gué offi­ciel. Voilà des infor­ma­tions qui nous donnent accès à l’imaginaire de cette époque.

Claude McKay tient une place à part dans votre cata­logue. Comment l’a­vez-vous découvert ?

Grâce aux édi­tions André Dimanche, situées à Marseille, sur le cours Jean Ballard. Dans les années 1990, elles avaient retra­duit Banjo et publié Un sacré bout de che­min. McKay est jamaï­cain et, tout comme on navigue faci­le­ment dans les Caraïbes d’une île à l’autre, il passe sans cesse d’une langue à l’autre. Il est tou­jours en mou­ve­ment, c’est même le cœur méta­pho­rique de sa vision. Avec cette langue, il est venu décrire Marseille et cer­tains de ses quar­tiers, Saint-Jean, la digue, le port, comme per­sonne avant lui. Nulle part, aus­si bien dans l’his­toire que dans la lit­té­ra­ture, on ne retrouve cette viva­ci­té. Quand il parle des échanges inter­na­tio­na­listes entre les dif­fé­rentes per­sonnes noires du Vieux-Port, il décrit des liens et des ren­contres qu’on n’i­ma­gi­nait pas.

[Carlos López Chirivella, « Romance in Marseille », juin 2021]

Pourquoi ?

Pour les his­to­riens, les Noirs n’é­taient tout sim­ple­ment pas comp­ta­bi­li­sés, ils étaient vus comme des sujets colo­niaux. Ils n’é­taient même pas consi­dé­rés comme des habi­tants du Vieux-Port et n’apparaissaient presque dans aucun recen­se­ment. Nous n’a­vions aucune trace de tous ces échanges féconds, des idées qui cir­cu­laient, de la musique créée. Leurs récits et leurs points de vue n’exis­taient tout sim­ple­ment pas, ils étaient invi­si­bi­li­sés. Il a fal­lu qu’un auteur de la Jamaïque débarque pour qu’on entende enfin ces récits !

Vous par­lez d’une langue en mou­ve­ment, ce qui rend bien compte des dif­fi­cul­tés mais aus­si de la richesse de la tra­duc­tion. La phrase est connue : tra­duire, c’est tra­hir. Comment êtes-vous par­ve­nus à pas­ser outre avec Claude McKay, dont la langue est si hybride ? 

Comment tra­duire le noir amé­ri­cain ver­na­cu­laire ? Depuis 2017, je me suis tota­le­ment déso­li­da­ri­sé de la tra­duc­tion. Mon rôle désor­mais est de consti­tuer des veilles de recherche, de trou­ver des docu­ments et des articles de per­sonnes qui ont tra­vaillé sur ce genre de sujets. Pour cette langue par­ti­cu­lière, depuis les années 1990 et la tra­duc­tion d’autrices comme Toni Morrison ou Zora Neale Hurston, il y a eu de grandes avan­cées, dans le sillage des tra­vaux de Françoise Brodsky. Cela exi­geait de la part des tra­duc­teurs et tra­duc­trices davan­tage de créa­ti­vi­té. Claude McKay est issu de la der­nière colo­nie anglaise. Il parle un anglais d’Angleterre, a queen english. S’il a été très tôt ini­tié à l’art du son­net éli­sa­bé­thain, à sa métrique par­ti­cu­lière, il s’est vite retrou­vé à Harlem, à New York, où la langue est un anglais amé­ri­cain très fami­lier, col­lo­quial. Là-bas, toute la Caraïbe et le sud des États-Unis se ren­contrent, c’est un foi­son­ne­ment de langues qui, toutes, s’en­tre­choquent dans celle de McKay. Ce à quoi il faut enfin ajou­ter la langue propre de Marseille.

« Pour essayer de redon­ner à la langue sa juste place, il fal­lait donc com­men­cer par com­prendre qu’elle n’était pas prise dans un sys­tème, qu’elle n’exis­tait pas en tant que langue instituée. »

Alors, com­ment rendre la langue de Mckay ? Banjo et Home to Harlem avaient déjà été tra­duits dans les années 1930 par Paul Vaillant-Couturier et Louis Guilloux, tous deux loin d’être de mau­vais tra­duc­teurs. Mais, biais de l’é­poque, ils avaient choi­si de rendre les par­ties dia­lo­guées en « petit nègre », c’est-à-dire un fran­çais à la syn­taxe sim­pli­fiée, sou­vent ensei­gné par les colons fran­çais en Afrique. Leurs tra­duc­tions ren­versent la posi­tion. Pour essayer de redon­ner à la langue sa juste place, il fal­lait donc com­men­cer par com­prendre qu’elle n’était pas prise dans un sys­tème, qu’elle n’exis­tait pas en tant que langue ins­ti­tuée. Il fal­lait en consé­quence inno­ver, prendre des liber­tés. Par exemple, nous avons sup­pri­mé des pro­noms, mis en place un sys­tème de redon­dances et de méta­phores. Cette langue, on pour­rait la rap­pro­cher de ce qu’on appelle le Slang, une langue très abré­gée avec des rac­cour­cis séman­tiques qui lui confèrent cette vivacité.

Vous don­nez à voir le sud de la France depuis un regard venant d’autres suds, celui de la Jamaïque de McKay et celui de l’Afrique de l’Ouest avec Sembène Ousmane.

Héliotropismes ne publie pas de sciences humaines, mais de la lit­té­ra­ture. Le rap­port entre lit­té­ra­ture et poli­tique est plus nuan­cé, plus com­plexe. Pour autant, que ce soit avec Claude McKay ou Sembène Ousmane, la cri­tique du colo­nia­lisme irrigue leurs œuvres. On décèle, chez l’un comme chez l’autre, une acti­vi­té mili­tante cer­taine. Dans leurs vies res­pec­tives, ils ont eu des rôles dans des orga­ni­sa­tions syn­di­cales, dans des asso­cia­tions d’é­cri­vains et ont lié leur condi­tion d’ar­tiste à celle de mili­tants poli­tiques. Pour autant, ils ne se sont pas enga­gés du tout de la même manière. 

[Carlos López Chirivella, « Un sacré bout de chemin », juin 2022]

Quelles dif­fé­rences notables y‑a-t-il ?

Claude McKay est un écri­vain quelque peu indi­vi­dua­liste. Il erre seul. Il sait où aller, il a une cer­taine intui­tion ter­ri­to­riale, avec tou­jours un but en tête. Lui aus­si est à la recherche d’un sud. Sur le conti­nent, il se déplace pro­gres­si­ve­ment de la Russie à Berlin, puis à Antibes, La Ciotat, Marseille, avant de des­cendre à Barcelone, Madrid, pour fina­le­ment arri­ver à Tanger. Je pense que s’il n’était pas tom­bé malade, il aurait conti­nué son par­cours jus­qu’en Afrique de l’Ouest, où il aurait sans doute fini ses jours, car son père est des­cen­dant d’une famille ashan­ti, du Ghana. Dans cette tra­ver­sée, il décrit la condi­tion raciale dans l’Europe des années d’entre-deux-guerres — condi­tion très peu docu­men­tée. Il anti­cipe toutes les grandes ques­tions de la négri­tude. En publiant ces textes à la fin des années 1920, il a été pion­nier et très cou­ra­geux — les Américains ont grin­cé des dents, car sa radi­ca­li­té allait à l’encontre d’une cer­taine lit­té­ra­ture afro-amé­ri­caine bien­séante et empreinte de puri­ta­nisme. Il manie volon­tiers la polé­mique et n’a pas hési­té à entrer en confron­ta­tion avec de nom­breux pontes de la négri­tude et des mou­ve­ments civiques aux États-Unis comme W.E.B. Du Bois et Alain Locke.

Et Sembène Ousmane ?

McKay s’est tou­jours récla­mé de la lit­té­ra­ture, il a tou­jours vou­lu être un poète, là où Sembène Ousmane était vrai­ment ouvrier. Jusqu’à la fin de sa vie, ce der­nier s’est consi­dé­ré comme un arti­san du ciné­ma ou de la lit­té­ra­ture, pas comme un artiste. Sembène a pas­sé beau­coup plus de temps sur les chan­tiers, sur les docks, il a par­ti­ci­pé à de nom­breuses actions à la fois anti-impé­ria­listes, pan­afri­caines, anti-colo­niales, anti-nucléaires, etc. Il était déjà à l’in­ter­sec­tion des luttes et a dénon­cé très tôt la condi­tion des femmes, ce jus­qu’en Afrique — chose que les tenants de la négri­tude n’ai­maient pas trop abor­der, ou alors avec des formes. Par sa lit­té­ra­ture, Sembène n’a­vait pas peur de taper là où ça fai­sait mal, dénon­çant le fait colo­nial et, ensuite, le néo­co­lo­nia­lisme exer­cé par les bureau­cra­ties afri­caines nais­santes. Il ne s’est jamais arrê­té de dénon­cer les méfaits des socié­tés dans les­quelles il vivait. Il fait par­tie de cette pre­mière géné­ra­tion d’é­cri­vains afri­cains — comme Ahmadou Kourouma ou Mongo Beti — qui intègrent véri­ta­ble­ment une vue et une visée poli­tique au sein même de leur tra­vail littéraire.

On connaît Sembène Ousmane par le ciné­ma : com­ment êtes-vous arri­vé à sa lit­té­ra­ture ? Qu’est-ce qu’elle nous apprend sur la condi­tion des Africains à Marseille ?

« Par sa lit­té­ra­ture, Sembène n’a­vait pas peur de taper là où ça fai­sait mal, dénon­çant le fait colo­nial et, ensuite, le néo­co­lo­nia­lisme exer­cé par les bureau­cra­ties afri­caines naissantes. »

Ses trois pre­miers romans, sans doute les plus connus, ont été écrits à Marseille. Le pre­mier, Le Docker noir, se déroule prin­ci­pa­le­ment à Belsunce, un quar­tier du centre-ville. Il met en scène un docker qui, comme l’auteur, cherche à écrire un pre­mier roman tout en étant très actif dans les milieux syn­di­caux. C’est une mise en abyme de son par­cours. Ce pre­mier roman l’amènera à avoir un rôle impor­tant auprès des com­mu­nau­tés d’Afrique de l’Ouest. Très vite, il devient repré­sen­tant des tra­vailleurs afri­cains à la CGT et aus­si membre du Parti com­mu­niste — alors que les Africains étaient plu­tôt fri­leux à l’i­dée d’in­té­grer un parti.

Dans ces années-là, en 1950, Marseille connaît une vio­lente crise du tra­vail. Près de 2 000 per­sonnes d’o­ri­gine afri­caine se retrouvent sur le car­reau, au chô­mage, sans rému­né­ra­tion et dans des condi­tions de loge­ment indignes. La situa­tion est proche d’une crise huma­ni­taire. À l’é­poque, pour avoir de l’emploi sur le port, il fal­lait obte­nir une carte d’embauche, déli­vrée avec la natio­na­li­té fran­çaise — donc excluant ceux qui ont le sta­tut de sujets colo­niaux. Sembène, lui, a une petite chance : il a la natio­na­li­té fran­çaise de son père qui est né dans l’une des quatre com­munes fran­çaises du Sénégal. À la faveur de ren­contres et de petits bou­lots, il finit par obte­nir une carte d’embauche. Ne se conten­tant pas de tra­vailler, il décide de mili­ter pour l’embauche de ses col­lègues d’in­for­tune et ira voler sans hési­ter des cartes pour les dis­tri­buer. Il intègre très tôt la notion de soli­da­ri­té dans son com­bat et sera sen­sible à toutes les luttes. Il par­ti­ci­pe­ra, par exemple, aux mani­fes­ta­tions en faveur de l’in­dé­pen­dance de l’Algérie.

[Carlos López Chirivella, « Dîner à Douarnenez », juin 2024]

Il a même eu des postes à res­pon­sa­bi­li­tés dans cer­taines organisations…

Dans les appa­reils poli­tiques qu’il fré­quente, Sembène Ousmane ren­contre très tôt des per­son­na­li­tés qui devien­dront ensuite ses amis et le conseille­ront. Tous ces faits, nous les avons décou­verts grâce aux archives, mais aus­si par le témoi­gnages de per­sonnes qui l’ont connu et aidé. Des per­sonnes très âgées aujourd’­hui, mais qui sont encore vivantes. Je pense à Odette Arouh, notam­ment, qui mili­tait au sein du MRAP, le Mouvement contre le racisme et pour l’a­mi­tié des peuples, une orga­ni­sa­tion anti­ra­ciste créée par les Juifs après l’Holocauste. Elle l’a­vait ren­con­tré au début des années 1950, lors d’une réunion. Sembène était le seul noir pré­sent. Il savait qu’il avait quelque chose à faire avec ce mou­ve­ment. Par le biais du MRAP et d’Odette Arouh, il ren­con­tre­ra ensuite des per­son­na­li­tés impor­tantes du PCF, et devien­dra même tré­so­rier de l’u­nion des dockers à la CGT.

Tout ce par­cours mili­tant est peu connu jus­qu’à pré­sent, et lui-même en a peu par­lé. À par­tir de son pre­mier roman lui don­nant une aura de lea­der poli­tique, il sera vrai­ment sui­vi par­tout par les Renseignements géné­raux. Les indics par­ti­ci­paient à toutes les réunions de par­tis pan­afri­cains, de la CGT, des étu­diants d’Afrique noire à Aix — et Sembène devait le savoir. Et, alors qu’il y a très peu de docu­ments sur cette période de sa vie, presque tous ses faits et gestes de mili­tant poli­tique sont détaillés assez fidè­le­ment dans les rap­ports des RG. J’ai mis la main des­sus lors de recherches sur les marins afri­cains aux archives dépar­te­men­tales des Bouches-du-Rhône. Le nom de Sembène est appa­ru, et en tirant le fil, qua­si­ment tout un dos­sier est tom­bé. Il court de 1950 à 1960, date à laquelle il est ren­tré au Sénégal. Par le point de vue des RG, on lit ses voyages durant ces années-là, Moscou, Tachkent, au Vietnam, en Chine, à Prague, à Vienne pour les jour­nées mon­diales de la jeunesse…

Qu’est-ce que ces docu­ments nous apprennent sur son engagement ?

« Ce sont avant tout des ren­contres avec des auteurs en lutte. »

Son his­toire et son par­cours mili­tant nous donnent à voir son sens aigu de la jus­tice, son audace et son cou­rage. Depuis la France, dans les arrières-salles des bars de Belsunce, il orga­nise des réunions clan­des­tines pour l’in­dé­pen­dance du Sénégal. Il est en lien avec Dakar d’où il reçoit des revues du Parti afri­cain de l’in­dé­pen­dance. Il les redis­tri­bue à Marseille et dans la région, et récolte les recettes pour les ren­voyer au Sénégal et sou­te­nir la lutte. Il com­pre­nait que cette action anti-colo­niale devait aus­si se mener depuis le cœur du colo­nia­lisme, que le monde colo­nial ne pou­vait tom­ber sans une action directe venue de l’in­té­rieur pour l’ébranler.

Quelle est la pro­chaine œuvre que vous allez éditer ? 

Un grand roman de 1953 qui s’appelle Le Détroit, écrit par Ann Petry. C’est une œuvre unique qui explore la com­plexi­té des rap­ports inter­ra­ciaux dans l’Amérique ségré­ga­tion­niste. Un roman-fleuve de 600 pages que Geneviève Knibiehler, la co-tra­duc­trice de Romance in Marseille, a mis plu­sieurs années à tra­duire, et qu’elle a res­ti­tué dans une langue incroyable. L’autrice, aga­cée par la célé­bri­té, a déci­dé d’arrêter d’écrire après ce roman. Elle a sciem­ment détruit par le feu ses docu­ments per­son­nels, comme une dis­pa­ri­tion sym­bo­lique. On n’a donc pas pu effec­tuer ce tra­vail d’archives qui nous tient à cœur.

[Carlos López Chirivella, « Le Docker noir », juin 2023]

On tra­vaille éga­le­ment sur la réédi­tion des Bouts de bois de Dieu, le grand roman syn­di­cal de Sembène Ousmane, écrit à Marseille, sur la grève des employés des che­mins de fer du Dakar-Niger, en 1947–1948. Elle a abou­ti à une vic­toire, avec une aug­men­ta­tion du salaire. Il fait la chro­nique d’une grève vio­lente, avec des morts, où l’im­bri­ca­tion de la force des femmes est très impor­tante. Dans le roman, elles viennent en ren­fort des che­mi­nots, elles consti­tuent des chœurs, vont par­fois au-devant des mani­fes­ta­tions. Ce roman est sou­vent vu comme l’un des pre­miers romans fémi­nistes afri­cains. Est-ce vrai­ment l’ex­pres­sion la mieux appro­priée ? Je ne sais pas. Toujours est-il que Sembène Ousmane avait cette conscience aiguë des dif­fé­rents rap­ports de force qui se jouaient. Il était à Marseille lorsque la grève a com­men­cé. Il ne l’a donc pas vécue, et il y a de nom­breux écarts his­to­riques entre la réa­li­té et le roman. Une des grandes ques­tions aux­quelles on s’attelle pour cette réédi­tion consiste à com­prendre com­ment il a eu accès à l’information sur ce qui se pas­sait dans cette région. Nous échan­geons énor­mé­ment avec des ins­ti­tu­tions et fonds d’ar­chives à Dakar, Thiès ou à Saint-Louis, pour réus­sir à racon­ter cette his­toire com­mune — et c’est passionnant.

Qu’est-ce que ces livres, ces déca­lages de regards, de langues, ces nou­veaux mots vous ont apporté ? 

Ce sont avant tout des ren­contres avec des auteurs en lutte. Ces luttes sont tou­jours d’ac­tua­li­té, et dans ce com­bat ces auteurs m’ont appris une chose : il ne faut jamais fer­mer l’œil. Avec Héliotropismes, nous publions sou­vent des écri­vains et écri­vaines qui ont écrit dans la pre­mière par­tie du XXe siècle, par­fois un peu après, mais rare­ment de la lit­té­ra­ture contem­po­raine. Cette dis­tance per­met de don­ner un cer­tain recul sur l’Histoire. Je pense au déca­lage entre des auteurs qui écri­vaient de la lit­té­ra­ture trans­genre à une époque où ce mot n’exis­tait pas, n’é­tait pas du tout employé. Ce déca­lage per­met aus­si de faire saillir de manière beau­coup plus fron­tale, sans filtre, la trans­pho­bie dans ces écri­tures et ces époques. Mais aus­si des contra­dic­tions avec des mots employés par les per­sonnes trans qui, aujourd’­hui, seraient inac­cep­tables, inau­dibles. Une écri­ture avec de la miso­gy­nie, de nom­breux juge­ments de valeurs, du mépris de classe… Il est impor­tant de don­ner à lire ces langues, cette lit­té­ra­ture, mais pour cela il faut faire ce tra­vail d’ap­pa­reil cri­tique qui entoure ces livres.

Qu’est ce que ça dit, aus­si, de « votre » sud ?

« Avec ces auteurs, j’ai appris qu’on pou­vait, par le biais de la lit­té­ra­ture, des mots, re-ter­ri­to­ria­li­ser son his­toire, créer et dire quelque chose de nouveau. »

Je viens de l’Andalousie. Un sud dont le récit intime, fami­lial, a été occul­té ou trans­cul­tu­ré. Avec ces auteurs, j’ai appris qu’on pou­vait, par le biais de la lit­té­ra­ture, des mots, re-ter­ri­to­ria­li­ser son his­toire, créer et dire quelque chose de nou­veau. Ça a été une grande épi­pha­nie de lire des romans comme Banjo, Romance in Marseille, ou encore Le Docker noir. Il y a une richesse dans tous ces échanges à sai­sir, la richesse de cette ville, de Marseille. Tous ces livres mettent des mots sur ce sud.

Vous dites ne pas pri­vi­lé­gier la lit­té­ra­ture contem­po­raine, mais vous avez tout de même édi­té Printemps bir­man, un recueil de poèmes bir­mans écrits à la suite du coup d’État de 2021. Qu’est-ce que ça signi­fiait, de publier de la poé­sie et de le faire dans l’urgence ?

Ça n’était pas notre pre­mier recueil de poé­sie, il y a eu un petit pré­cé­dent avec L’Ailleurs s’é­tend, un recueil de poé­sie d’Amérique cen­trale publié en 2018. Printemps bir­man est un pro­jet impul­sé par deux artistes : Isabelle Ha Eav et de Mayco Naing. Le livre contient aus­si des pho­to­gra­phies. L’urgence était de pou­voir publier ce recueil un an après le coup d’État, sur­ve­nu le 1er février 2022. Durant cette année, elles ont reçu des poèmes d’au­teurs qu’elles sélec­tion­naient presque quo­ti­dien­ne­ment. Elles appre­naient par­fois leur mort pen­dant ce tra­vail d’é­di­tion. Ces voix étaient très peu enten­dues, les grands médias euro­péens ne par­laient qua­si­ment pas de la Birmanie à cette époque-là. Ce livre a été notre contri­bu­tion. Une des belles idées de Mayco et Isabelle a été de rendre l’ou­vrage tri­lingue, avec la tra­duc­tion des poèmes vers l’anglais.

[Carlos López Chirivella, « Le Détroit », janvier 2024]

Pour ce tra­vail, il a fal­lu dépas­ser nombre d’obs­tacles, notam­ment le fait que la dif­fu­sion-dis­tri­bu­tion exige nor­ma­le­ment des textes déjà cor­ri­gés et mis en forme, une cou­ver­ture, six mois avant leur publi­ca­tion. Or, six mois avant la publi­ca­tion du texte, le livre n’exis­tait pas. Il a fal­lu négo­cier toutes ces contraintes, trou­ver des com­pro­mis. De façon assez incroyable, le livre a beau­coup cir­cu­lé. Évidemment, il n’a pas pu voya­ger en Birmanie, mais il a été com­man­dé par une mul­ti­tude de per­sonnes en Thaïlande où il y a de nom­breux réfu­giés bir­mans, mais aus­si en Australie, aux États-Unis, au Japon… Un peu par­tout où se trouve la dia­spo­ra bir­mane. Alors que par­fois on ne vend pas 200 exem­plaires d’un livre dans la région PACA, c’é­tait assez fou d’ex­pé­dier des ouvrages par­tout dans le monde du jour au len­de­main. Ça a été vrai­ment un livre à part. Il a été beau­coup défen­du et conti­nue de l’être. On ne finit jamais d’é­di­ter un livre, il est tou­jours por­té, il y a tou­jours une manière d’en repar­ler. Même le jour où la junte mili­taire sera chas­sée du pou­voir en Birmanie, ces poèmes seront encore relus, d’une autre manière.


Illustration de ban­nière : Sebastián Sarti, « La ville invin­cible », mars 2020


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