Handicap et féminisme : luttes contre le validisme

10 décembre 2021


Politiser la ques­tion du han­di­cap : les voix se mul­ti­plient pour bri­ser le consen­sus moral qui l’en­toure. Pour, autre­ment dit, en finir avec le pater­na­lisme, le misé­ra­bi­lisme ou l’é­mo­tion cari­ta­tive. Une notion per­met ain­si de pen­ser le sys­tème d’op­pres­sion qui infé­rio­rise les per­sonnes han­di­ca­pées et fait des per­sonnes valides la norme à atteindre : le vali­disme. Dans l’ou­vrage col­lec­tif Feu ! Abécédaire des fémi­nismes pré­sents, coor­don­né par la phi­lo­sophe Elsa Dorlin et récem­ment paru aux édi­tions Libertalia, la géo­graphe, cher­cheuse et mili­tante fémi­niste Mélina Germes revient sur l’his­toire des mou­ve­ments de luttes anti­va­li­distes. Et, dans le même temps, pointe l’« impen­sé des col­lec­tifs et des mani­fes­ta­tions » œuvrant pour l’é­man­ci­pa­tion. Nous publions son texte.


Qu’est-ce que le validisme ?

Le vali­disme ou capa­ci­tisme désigne une forme de domi­na­tion envers les per­sonnes han­di­ca­pées. Au-delà de l’archétype du « han­di­ca­pé », le terme per­sonnes han­di­ca­pées (ou handi·es) inclut ici les malades chro­niques, per­sonnes aveugles, sourdes, neu­roa­ty­piques, neu­ro­di­ver­gentes, dis­mor­phiques… sans dis­tinc­tion de diag­nos­tic. Le vali­disme est l’idéologie selon laquelle la norme de l’existence humaine est l’absence de mala­die et d’infirmité. La capa­ci­té à être productif·ve est la condi­tion pour méri­ter de (bien) vivre. Les ensei­gne­ments et pra­tiques médi­cales sont cen­traux dans la caté­go­ri­sa­tion et la (dé)valorisation des exis­tences han­dies. La méde­cine occi­den­tale s’est don­née pour but de répa­rer les corps (et esprits) qu’elle consi­dère comme défaillants, avec la fina­li­té de leur (re)mise au tra­vail. En même temps, les fic­tions et dis­cours bien­veillants parent les per­sonnes handi·es de ver­tus excep­tion­nelles, par­mi les­quelles le cou­rage d’exister, les valo­ri­sant en tant que sources d’inspiration pour les per­sonnes valides. Le vali­disme est, comme toute oppres­sion, à double tran­chant : il peut se faire bien­veillant, tout en conser­vant son pou­voir de nuire. Cette notion révèle le carac­tère socia­le­ment et his­to­ri­que­ment construit de l’assignation des handi·es à une condi­tion dominée.

Réémergence récente de mouvements antivalidistes

« Le vali­disme est, comme toute oppres­sion, à double tran­chant : il peut se faire bien­veillant, tout en conser­vant son pou­voir de nuire. »

Dans les années 1970 émergent aux États-Unis, en Europe et au-delà des mou­ve­ments pour la recon­nais­sance des droits des per­sonnes han­di­ca­pées, repré­sen­tées en France par le Comité de lutte des han­di­ca­pés, créé en 1973 et qui édi­te­ra la revue Handicapés méchants jusqu’en 1980. Dans ce contexte, la notion de vali­disme (ableism) appa­raît grâce à l’alliance d’activistes et de rechercheur·ses dans les pays anglo­phones et sert de fon­de­ment aux Critical Disability Studies (dont Mike Oliver est une pierre d’angle avec son ouvrage The Politics of Disablement, 1990). Alors que les ques­tions liées au han­di­cap et à la san­té men­tale étaient aupa­ra­vant com­prises comme des pro­blèmes sociaux rele­vant de la méde­cine, les Critical Disability Studies montrent que ces ques­tions sont poli­tiques. Elles prônent le « modèle social » du han­di­cap : c’est l’inaccessibilité, l’exclusion et la dis­cri­mi­na­tion des per­sonnes han­di­ca­pées qui sont le pro­blème, et non pas leur exis­tence à elles.

En France, mal­gré la publi­ca­tion dès 2004 d’un texte de Zig Blanquer « La culture du valide (occi­den­tal) », il fau­dra attendre les années 2010 pour voir réémer­ger des mobi­li­sa­tions poli­tiques col­lec­tives ancrant leurs dis­cours et leur réper­toire d’action dans la pers­pec­tive des luttes d’émancipation des mino­ri­tés domi­nées. Les réseaux sociaux jouent un rôle déci­sif dans la réémer­gence de ces mou­ve­ments en France, par­tiel­le­ment via la com­mu­nau­té fran­co­phone (Québec). Ainsi fleu­rissent les blogs (Elisa Rojas, Elena Chamorro), vlogs (Vivre Avec), les groupes, les réseaux affi­ni­taires infor­mels d’activistes de cla­vier. Grâce à cela appa­raissent de nou­veaux col­lec­tifs mili­tants se récla­mant de la lutte anti­va­li­diste, à l’instar du Collectif lutte et han­di­caps pour l’égalité et l’émancipation (CLHEE) créé en 2016, de l’asso­cia­tion Handi-Queer (2018), des Dévalideuses ou encore du Collectif pour la liber­té d’expression des autistes (CLE Autistes), nés tous deux en 2019. Ils s’emploient à accli­ma­ter la notion de vali­disme dans le champ fémi­niste, mili­tant et dans l’opinion publique.

[Joaquim Rodrigo]

Ces acti­vistes rompent d’une part avec la tié­deur reven­di­ca­tive des grandes asso­cia­tions struc­tu­rant le champ du han­di­cap, sou­vent orga­ni­sées en asso­cia­tions regrou­pant les per­sonnes en fonc­tion de leur diag­nos­tic et (par­fois avant tout) leurs familles, d’autre part, avec les asso­cia­tions ges­tion­naires d’institutions où sont pla­cés des enfants et des adultes han­di­ca­pés. Ces der­nières, à qui l’État fran­çais a mas­si­ve­ment délé­gué la prise en charge des handi·es depuis la seconde moi­tié du XXe siècle, inter­viennent publi­que­ment dans les ques­tions tou­chant au han­di­cap. Ces asso­cia­tions sont dénon­cées pour leur infan­ti­li­sa­tion des per­sonnes han­di­ca­pées, consi­dé­rées comme d’éternelles mineur·es ne pou­vant ni déci­der ni par­ler pour ils et elles-mêmes et pour leurs pra­tiques vali­distes (dont la par­ti­ci­pa­tion au Téléthon, évé­ne­ment for­te­ment critiqué).

L’épicentre des luttes antivalidistes

« Lutter contre le vali­disme implique de le com­prendre comme un rap­port de pou­voir structurel. »

Ces nou­veaux mou­ve­ments placent en effet au cœur de leurs reven­di­ca­tions une reprise du contrôle de la parole sur eux-mêmes, en s’appuyant sur l’avancée des débats et légis­la­tions inter­na­tio­nales et par­ti­cu­liè­re­ment sur la Convention des Nations unies rela­tive aux droits des per­sonnes han­di­ca­pées rati­fiée par la France en 2010. Celle-ci recon­nais­sant le droit de chacun·e de vivre de façon auto­nome et avec qui il ou elle l’entend ; mais aus­si la néces­saire par­ti­ci­pa­tion durable de représentant·es des per­sonnes han­di­ca­pées aux comi­tés ges­tion­naires de toutes les struc­tures qui leur sont des­ti­nées. Ces acti­vistes militent en faveur de la dés­ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion, c’est-à-dire de la fin du pla­ce­ment des adultes et enfants han­di­ca­pés en ins­ti­tu­tions spé­cia­li­sées, qu’ils asso­cient à des lieux de ségré­ga­tion juri­dique, sociale et spa­tiale — alors même que cette Convention désigne ces pla­ce­ments comme des pri­va­tions de liber­tés contraires aux droits de l’homme1.

Les mouvements handis parmi les mouvements de lutte contre les oppressions

Plusieurs col­lec­tifs nés dans les années 2010 s’inscrivent d’ailleurs dans une pers­pec­tive inter­sec­tion­nelle, tout en ques­tion­nant les fémi­nismes contem­po­rains. Le vali­disme y est trop sou­vent igno­ré. La ques­tion de l’accessibilité de ces mou­ve­ments aux per­sonnes à mobi­li­té réduite, neu­roa­ty­piques, neu­ro­di­ver­gentes ou malades chro­niques, reste sou­vent un impen­sé des col­lec­tifs et des mani­fes­ta­tions, qui conduit à une sélec­tion de militant·es en majo­ri­té valides. Lutter contre le vali­disme implique de le com­prendre comme un rap­port de pou­voir struc­tu­rel — qui tra­verse nos socié­tés, dans l’histoire, l’idéologie, la culture, les ins­ti­tu­tions, l’économie, et qui s’inscrit dans nos corps. De plus, la ques­tion de l’invalidation fait sys­tème avec celle de la race, de la classe et du sexe. Les per­sonnes raci­sées, les per­sonnes exploi­tées dans le monde du tra­vail ou usées par l’impossibilité de trou­ver un tra­vail sont plus expo­sées à l’apparition de mala­dies chro­niques, phy­siques et psy­chiques et aux acci­dents inva­li­dants, alors même que les biais racistes et clas­sistes de notre sys­tème de san­té conduisent à sous-esti­mer l’intensité de leurs symp­tômes. Le thème de la repro­duc­tion, qui fait l’objet des para­graphes sui­vants, montre quels sont les fos­sés qui séparent les fémi­nismes contem­po­rains des pers­pec­tives handiféministes.

[Joaquim Rodrigo]

Quand les objets du care prennent la parole

Les fémi­nistes se sont beau­coup inté­res­sées au « tra­vail du soin » (care en anglais). Elles ont oublié cepen­dant de trai­ter les objets du tra­vail du soin comme sujets de la repro­duc­tion d’ils et elles-mêmes. Lorsque le tra­vail du soin se fait assis­tance (et non domes­ti­ci­té), il concerne la grande cohorte des dépendant·es — enfants les plus jeunes, per­sonnes âgées malades, handi·es de tous âges — qui ne peuvent pas faire les gestes du quo­ti­dien. Ces per­sonnes « dont on s’occupe » de manière béné­vole ou rému­né­rée ont pour­tant un droit fon­da­men­tal à l’autonomie, et devraient être sys­té­ma­ti­que­ment consi­dé­rées comme sujets par les approches fémi­nistes du soin. Car la rela­tion d’assistance est une rela­tion de pou­voir, où l’on peut exer­cer la contrainte, des vio­lences et même don­ner la mort : les enfants han­di­ca­pés sont plus sou­vent mal­trai­tés que les autres, plus sou­vent aban­don­nés après la nais­sance — allant jusqu’à la mini­mi­sa­tion du meurtre d’un enfant han­di­ca­pé par sa mère, comme l’a mon­tré l’affaire Anne Ratier2. Les mères elles aus­si peuvent être mal­trai­tantes, par­ti­cu­liè­re­ment vis-à-vis des enfants han­di­ca­pés. Ces faits montrent l’importance pour le fémi­nisme de repen­ser la ques­tion des vio­lences domes­tiques et fami­liales avec une grille de lec­ture plus com­plexe que celle du seul sexisme : adul­tisme, vali­disme, racisme (en par­ti­cu­lier envers les enfants adop­tés), clas­sisme… sont des clés de lec­ture néces­saires. Féminin ne doit pas être impli­ci­te­ment syno­nyme d’innocence. Le sexisme que les femmes mal­trai­tantes subissent ne les excuse ni n’explique leur com­por­te­ment : elles exercent bien un pou­voir situé, qui ne peut être sub­su­mé sous la seule men­tion d’un effet col­la­té­ral du sexisme.

La médecine entre soin et blessure

« Ces per­sonnes dont on s’occupe de manière béné­vole ou rému­né­rée ont pour­tant un droit fon­da­men­tal à l’autonomie. »

Grâce aux mobi­li­sa­tions fémi­nistes, de patient·es et au sou­tien de soignant·es, les « vio­lences gyné­co­lo­giques et obs­té­tri­cales » sont de mieux en mieux dévoi­lées et expli­quées. Désinformation, non-res­pect du consen­te­ment, déni de souf­france et de symp­tômes, gestes médi­caux inutiles, trai­te­ments for­cés, mais aus­si attou­che­ments et agres­sions sexuelles sont dénonces à juste titre — les tra­vaux his­to­riques et socio­lo­giques montrent com­ment la méde­cine occi­den­tale est née à l’aube de l’époque moderne et conti­nue d’exister comme un outil de contrôle de ce que doivent être le corps fémi­nin et la maternité.

Cette lutte est néces­saire, mais son arti­cu­la­tion est tron­quée ; car ces vio­lences ne sont pas si spé­ci­fiques que cela. La méde­cine est un lieu ambi­va­lent de soin et de vio­lence pour de nom­breuses autres caté­go­ries de per­sonnes : les handi·es, neurodivergent·es et malades chro­niques, gros·ses, celles qui ne sont pas répa­rables ou celles qui ne se conforment pas à la norme dya­dique (non inter­sexe), cis­genre (non trans­genre) et hété­ro­sexuelle. Pour elles aus­si, patho­lo­gi­sa­tion et déni médi­cal vont de pair. Notre sys­tème de soin est clas­siste. Tant l’histoire que les théo­ries, l’enseignement et les pra­tiques médi­cales mul­ti­plient les exemples de racisme. De nom­breux tra­vaux montrent com­ment les dys­fonc­tion­ne­ments de la méde­cine reposent sur les concep­tions nor­ma­tives étroites et sur le mépris trop fré­quent de la parole des patient·es. Ce que les mou­ve­ments fémi­nistes contem­po­rains redé­couvrent, d’autres groupes le savent dans leur chair depuis long­temps : il s’agit ici d’un pro­blème struc­tu­rel de la méde­cine occi­den­tale contem­po­raine qui concerne tous les groupes domi­nés de la socié­té : les femmes n’en sont qu’une caté­go­rie par­mi d’autres. L’exceptionnalisation gyné­co­lo­gique des vio­lences médi­cales est une invi­si­bi­li­sa­tion des autres groupes subis­sant des vio­lences médi­cales struc­tu­relles — la lutte serait plus effi­cace si elle était menée de concert, en béné­fi­ciant des expé­riences décen­nales de l’antivalidisme.

[Joaquim Rodrigo]

À la recherche de l’autonomie sexuelle

Les corps han­di­ca­pés sont désexua­li­sés : de jeunes han­di­ca­pés inter­prètent l’acceptation fré­quente par leurs familles de leur coming-out les­bien ou trans­genre sans aucune ques­tion comme un signe de la désexua­li­sa­tion de leurs corps. Les femmes han­dies sont pen­sées comme non dési­rables, leur sexua­li­té serait inexis­tante et leur repro­duc­tion impen­sable. En même temps, la fémi­ni­té han­die est féti­chi­sée par le regard (mas­cu­lin) valide. Les vio­lences de genre touchent les femmes han­di­ca­pées de façon plus fré­quente que les femmes valides, depuis le har­cè­le­ment de rue jusqu’aux agres­sions sexuelles et vio­lences domes­tiques. Il n’existe pas à notre connais­sance de don­nées spé­ci­fiques pour les per­sonnes LGBTIQA handi·es en France. Par ailleurs, les vio­lences domes­tiques sont par­ti­cu­liè­re­ment com­plexes à résoudre pour les per­sonnes à mobi­li­té réduite à cause de la rare­té des loge­ments acces­sibles (rare­té crois­sante, orga­ni­sée par la loi Elan de 2018). Le cal­cul de l’allocation adulte han­di­ca­pé, octroyée à celles et ceux dont le mar­ché du tra­vail ne veut pas, est basé sur les reve­nus des couples, pri­vant de nombreux·ses handi·es d’un reve­nu garan­tis­sant leur auto­no­mie quo­ti­dienne, y com­pris leur accès aux soins 3.

« Les femmes han­dies sont pen­sées comme non dési­rables, leur sexua­li­té serait inexis­tante et leur repro­duc­tion impensable. »

L’autonomie sexuelle est donc un enjeu han­di­fé­mi­niste majeur. Elle néces­site la pos­si­bi­li­té d’une vie sociale indé­pen­dante, au sein de laquelle flirts, ren­contres, sexua­li­té, conju­ga­li­té et/ou paren­ta­li­té peuvent prendre forme. Le choix du lieu de vie et des cohabitant·es ain­si que le recours à des assistant·es de vie sont fon­da­men­taux — le main­tien en ins­ti­tu­tion rend cette auto­no­mie sexuelle impos­sible. Le tabou de la sexua­li­té han­di­ca­pée conduit à une sur­veillance des per­sonnes en ins­ti­tu­tion aux­quelles le droit à une vie sexuelle auto­nome et consen­tie est dénié. Les femmes sont par­ti­cu­liè­re­ment sur­veillées pour évi­ter à tout prix les gros­sesses. Aussi, de nom­breuses han­di­fé­mi­nistes s’opposent à la for­ma­li­sa­tion de « l’assistance sexuelle » telle qu’elle est reven­di­quée par des hommes hété­ro­sexuels, cis et han­di­ca­pés, au nom d’un « droit à la sexua­li­té » que la socié­té (ou ses ins­ti­tu­tions) aurait pour devoir d’assurer envers des individu·es. L’enjeu n’est pas la léga­li­sa­tion ou l’interdiction du tra­vail du sexe. Il est double : d’une part l’affirmation fémi­niste qu’il n’y a pas de « droit à la sexua­li­té », même au nom du han­di­cap, d’autre part le constat que cette socié­té et ses ins­ti­tu­tions n’assurent pas de véri­table auto­no­mie des handi·es. 

Normalisation d’une « race valide »

Nos socié­tés ont une longue his­toire de sté­ri­li­sa­tions for­cées, d’avortements contraints et de retraits d’enfants aux handi·es (qui rap­pelle l’histoire des femmes noires), consi­dé­rées comme inca­pables de ce tra­vail de repro­duc­tion-là, car ayant elles-mêmes besoin d’assistance humaine — ce qui est démen­ti par les nom­breux parents han­dis ayant recours à l’assistance humaine. La ques­tion du diag­nos­tic pré­na­tal brûle de mal­en­ten­dus entre han­di­fé­mi­nistes et fémi­nistes — alors qu’elle est pour­tant cru­ciale. Est-il nor­mal que selon les diag­nos­tics posés sur un fœtus, l’accès à l’avortement soit faci­li­té et encou­ra­gé pour cer­taines gros­sesses ou bien com­pli­qué et plein d’embûches pour les autres ? Les han­di­fé­mi­nistes ne remettent pas en cause le droit à l’avortement, elles militent pour l’extension des délais (elles aus­si avortent !), tout comme elles militent pour que les familles han­dies existent et soient assis­tées à la hau­teur de leurs besoins. Elles s’opposent par contre à la récu­pé­ra­tion de cette ques­tion par les mou­ve­ments anti-choix, car leur lutte à eux n’est pas anti­va­li­diste, mais bien sexiste.

[Joaquim Rodrigo]

Nous vous attendons

En conclu­sion, on ne peut qu’espérer que le fémi­nisme qui fait le pro­jet d’une inter­sec­tion­na­li­té intègre plei­ne­ment les ques­tions posées par le vali­disme et s’attelle à dis­si­per les mal­en­ten­dus avec les mou­ve­ments han­di­fé­mi­nistes et vienne à leurs côtés. On ne peut aus­si qu’espérer que la recherche en France s’empare de la ques­tion du vali­disme et fasse une place plus impor­tante aux chercheur·ses handicapé·es. Au fil du temps, les Critical Disability Studies ont évo­lué : le modèle social s’est com­plexi­fié et diver­si­fié (voir Dan Goodley en Grande-Bretagne). Alison Kafer pro­pose par exemple un modèle rela­tion­nel dans son ouvrage Feminist, Queer, Crip (2013) tout en mon­trant com­ment les pen­sées fémi­nistes, les­biennes ou queers aux États-Unis peuvent être vali­distes. En Allemagne, un ouvrage col­lec­tif inti­tu­lé Gendering Disability fut publié en 2010, il y a déjà dix ans4.

En France, le bilan uni­ver­si­taire est maigre mais pro­met­teur : les tra­vaux très récents de Charlotte Puiseux et Noémie Aulombard-Arnaud ain­si que la créa­tion d’un tout nou­veau Réseau d’études han­dies-fémi­nistes (REHF) sont en ce sens fon­da­men­taux — il reste à voir la place que la for­te­resse aca­dé­mique fran­çaise peut faire à des chercheur·ses qui ont besoin d’accessibilité tout en por­tant des recherches cri­tiques du sta­tu quo des rap­ports de pouvoir.


Illustrations de ban­nière et de vignette : Joaquim Rodrigo


image_pdf
  1. ONU, rap­port de la rap­por­teuse spé­ciale sur les droits des per­sonnes han­di­ca­pées, A/HRC/40/54/Add.1, 8 jan­vier 2019.[]
  2. Voir la tri­bune « Nous, handi(e)s, nous vou­lons vivre ».[]
  3. Voir la tri­bune « Découpler l’allocation aux adultes han­di­ca­pés des reve­nus du conjoint », Libération, 5 février 2021.[]
  4. La tra­duc­tion via le Québec des réflexions anglo­phones est tou­jours d’actualité (voir Laurence Parent « Ableism/disablism, on dit ça com­ment en fran­çais ? » publié dans le Canadian Journal of Disability Studies en 2017.[]

share Partager