Grèce — « L’Europe agit comme si elle était en guerre contre les Grecs »

5 juillet 2015


Texte inédit pour le site de Ballast

Tandis que les por­teurs d’eau de la Troïka et les petits domes­tiques de la finance — la cama­rilla des Quatremer, des Apathie, des Leparmentier, des Minc (qui jure que le « non » trans­for­me­rait la Grèce en Libye) et autres Bernard-Henri Lévy (qui, s’il devrait se flat­ter de la com­pa­rai­son de Minc, assi­mile Tsípras à un allié du néo­na­zisme) — bavent et bavardent de leurs bureaux, nous nous sommes ren­dus en Grèce (Gwenaël Breës au sty­lo, Stéphane Burlot à la pho­to­gra­phie) : ces notes, prises ces der­niers jours, ques­tionnent auprès de la popu­la­tion le réfé­ren­dum — dont nous connaî­trons le résul­tat dans quelques heures. Moment his­to­rique ou épi­sode qui ne débou­che­ra sur aucun chan­ge­ment signi­fi­ca­tif ? Les avis recueillis sont par­ta­gés. Mais une chose est sûre, si cer­tains craignent la guerre civile et d’autres la pour­suite sans fin de l’aus­té­ri­té, beau­coup — à part Nikos Aliagas, ancien ani­ma­teur de Star Academy, éga­le­ment sur place — s’ac­cordent à pen­ser qu’il est grand temps de stop­per l’Union européenne.


burlot12 Vendredi 26 juin

Arrivée au port de Patras. Première vision esto­ma­quante d’un pays sinis­tré : très nom­breux maga­sins en faillite, mai­sons vides, routes inachevées ou non entre­te­nues, chan­tiers aban­donnés… Pas besoin de dis­cours pour com­prendre l’ampleur du désastre des « plans de relance » imposés par l’Europe.

Samedi 27 juin

La rup­ture des négocia­tions entre la Grèce et ses créanciers est offi­cielle, le gou­ver­ne­ment Tsípras annonce un référen­dum sur les der­nières pro­po­si­tions qui sont sur la table. Trois jeunes Athéniennes, de pas­sage sur l’île d’Ikaria, s’enthousiasment de ce choix : « On ne peut pas lais­ser les poli­ti­ciens décider de choses si impor­tantes pour nos vies. Il faut dire stop à cette Europe qui pro­met un ave­nir pour nos enfants… dans 1 000 ans. C’est main­te­nant qu’on vit ! On ne demande pas grand-chose, on veut juste avoir nos vies entre nos mains ». Lorsque je réponds à des habi­tants locaux que je viens de Bruxelles, les dis­cus­sions s’animent. Bruxelles, n’est-ce pas cette tour d’ivoire où des euro­crates non élus prennent des décisions qui s’appliquent à toute l’Europe ? Certains Grecs se sentent alors obligés de préciser qu’ils ne sont ni voleurs, ni fainéants. « Ceux qui ont du tra­vail ici cumulent sou­vent deux ou trois bou­lots. Et on n’a jamais vu la cou­leur de l’argent que l’Europe a « prêté » à la Grèce : il a ali­menté les banques alle­mandes et fran­çaises, et les poches de nos poli­ti­ciens. Est-ce de notre faute ? Est-ce au peuple grec seul de payer ? »

Dimanche 28 juin

Dans une taverne du port d’Evdilos, au nord de l’île, une urne en car­ton avec la men­tion « Exit Poll » [« Sondage à la sor­tie des urnes »] trône sur le bar. À côté, une col­lec­tion d’anciens billets de drachme. Le patron m’ex­plique : « C’est un jeu. On rem­plit l’urne pen­dant la semaine avec des bul­le­tins de vote qu’on dépouille­ra same­di soir et si le « non » l’emporte, on fera la fête à la veille du référen­dum ». Un client ajoute, en mon­trant un billet de 10 000 drachmes : « Avant, avec ça je pou­vais ache­ter un sand­wich, un café, une bou­teille d’eau et un fruit. Aujourd’hui, avec l’euro, ça ne vaut plus que l’équi­va­lent d’un café. »

Par Stéphane Burlot

Lundi 29 juin

« Rendez-vous dimanche pour le Grexit » : ain­si se saluent deux couples âgés à la sor­tie d’une paniyi­ri [une fête] dans le vil­lage de Platanos. Sur Ikaria, même si l’avenir semble incer­tain quelle que soit l’issue du réfé­ren­dum, le « non » aux mesures d’austérité semble l’emporter très lar­ge­ment. Il faut dire qu’Ikaria fait par­tie des zones où la popu­la­tion a la plus grande espé­rance de vie au monde : un habi­tant sur trois atteint les 90 ans, « avec un taux de can­cer 20 % plus bas et un taux de mala­dies car­diaques 50 % plus bas — et pra­ti­que­ment aucune démence ». Pas fous, les Ikariens, donc : « On a des chèvres, des poules, des légumes, de l’eau, du pois­son, on se débrouille­ra bien sans l’euro », me dit un ingé­nieur de 40 ans, expli­quant qu’ici, on n’a pas per­du le sens de la débrouille et de la soli­da­ri­té. Aucune panique per­cep­tible, même quand les banques sont fer­mées pour une semaine et que les dis­tri­bu­teurs auto­ma­tiques rationnent le cash à 60 euros par jour : les habi­tants réagissent avec flegme, patience et phi­lo­so­phie, et ne paraissent pas prêts à se lais­ser inti­mi­der par l’Union euro­péenne. « Revenir 100 ans en arrière, s’il le faut, ça ne nous fait pas peur », conclut un tenan­cier de taverne. Mais on est loin des grandes villes, où la sur­vie s’a­vère bien plus difficile…

Mardi 30 juin

Un réfé­ren­dum, oui, mais sur quoi exac­te­ment ? Jean-Claude Juncker pose les termes du débat en décla­rant qu’un « non » signi­fie­rait une sor­tie de la zone euro, tan­dis qu’Aléxis Tsípras demande aux Grecs de voter « non »… pour mieux pou­voir conti­nuer a négo­cier avec l’UE. Ici, à Ikaria, où les com­mu­nistes sont nom­breux (depuis que l’île fut un haut lieu de la dépor­ta­tion d’opposants lors de la guerre civile), on regarde les agis­se­ments du gou­ver­ne­ment Tsípras avec de plus en plus de cir­cons­pec­tion — il se dit même que le réfé­ren­dum n’aura pas lieu ou ne sera que poudre aux yeux. C’est d’ailleurs l’une des rai­sons (offi­cielles, du moins) pour les­quelles le KKE, le Parti com­mu­niste grec, appelle à s’abstenir lors du réfé­ren­dum. « Quel que soit le résul­tat, la situa­tion sera la même », estime un habi­tant du vil­lage de Christos, élec­teur habi­tuel du KKE (il me pré­cise qu’il a voté Syriza aux der­nières élections). 

« Sur la plage de Gialiskari, deux tren­te­naires dis­cutent du référen­dum. « Je ne vois pas d’issue à cette situa­tion », dit l’un. « J’ai peur que dans les villes, cela se ter­mine en guerre civile. » »

Une par­tie de la base de Syriza s’inquiète ain­si de la pro­ba­bi­li­té que Tsípras capi­tule dans les pro­chaines heures ou jours. « Ce serait non seule­ment la mort annon­cée de Syriza, mais aus­si celle d’une alter­na­tive poli­tique en Europe, comme avec Podemos en Espagne. Et ce serait une aubaine pour les néo-nazis d’Aube Dorée ». Sur la plage de Gialiskari, deux tren­te­naires dis­cutent du référen­dum. « Je ne vois pas d’issue à cette situa­tion », dit l’un. « J’ai peur que dans les villes, cela se ter­mine en guerre civile. » Son ami pour­suit : « Moi, je vis ma vie. J’ai une femme et deux enfants, je m’occupe de ma famille et je n’écoute plus les poli­ti­ciens. J’ai voté pour Syriza, mais ils ne sont pas arrivés à chan­ger la situa­tion. Et moins je regarde la télé, mieux mon esprit se porte. On a déjà subi un pre­mier plan d’austérité, or, au bout de six ans, il est évident que ça n’a pas fonc­tionné. Et main­te­nant, ils veulent nous en col­ler un second ! Ils se com­portent avec nous comme si on était des cobayes. Alors, bien sûr, je vote­rai « non » au réfé­ren­dum, mais je crois que ça ne chan­ge­ra rien ».

Mercredi 1er juillet 

Rumeurs : à l’heure ou la Grèce est qua­si­ment en défaut de paie­ment, il est de moins en moins en moins cer­tain que le réfé­ren­dum ait bien lieu dimanche et, s’il est main­te­nu, sur quoi il por­te­ra. Beaucoup de Grecs sont heu­reux que, pour une fois, la déci­sion leur revienne. S’il s’avère que ce n’est pas le cas, que le réfé­ren­dum n’était qu’un moyen de pres­sion dans des négo­cia­tions biai­sées d’avance, et que les pro­po­si­tions dénon­cées comme inac­cep­tables il y a quelques jours par Syriza sont ava­li­sées aujourd’hui par les mêmes, l’épisode lais­se­ra des traces. Une lettre de Tsípras montre qu’il est prêt à accep­ter la plu­part des mesures d’austérité en échange d’une restruc­tu­ra­tion de la dette. S’il est vrai­sem­blable que les créan­ciers vont soit refu­ser un accord pré-réfé­ren­dum, soit faire durer les négo­cia­tions jusqu’à la der­nière minute afin de pié­ger le Premier ministre grec, cer­tains consi­dèrent ici que Tsípras a déjà vir­tuel­le­ment capi­tu­lé — accen­tuant ain­si le sen­ti­ment d’impuissance des poli­tiques natio­naux face à l’Union euro­péenne. Mais cette der­nière ne va pas s’en conten­ter : ce qu’elle cherche, ce n’est pas un accord, c’est la peau du gou­ver­ne­ment Syriza et l’humiliation de la popu­la­tion grecque.

Finalement, Tsípras main­tient le référendum.

Arrivée à Athènes : le centre-ville est truf­fé de repor­ters en quête de la moindre file d’attente devant un dis­tri­bu­teur auto­ma­tique. « Vous avez peur ? », inter­rogent-ils. Et de s’en don­ner à cœur joie avec des plans ser­rés, his­toire d’accentuer l’effet « pays de l’Est d’avant la chute du Mur ».

Par Stéphane Burlot

Jeudi 2 juillet 

Les médias grecs relaient la sor­tie de Martin Schulz, qui rêve tout haut de l’éviction du gou­ver­ne­ment Tsípras dès lun­di et de l’arrivée d’un « gou­ver­ne­ment de tech­no­crates » à Athènes, « pour que nous puis­sions conti­nuer à négo­cier ». Ce serait tel­le­ment plus simple, en effet, de gérer l’Europe sans devoir se sou­cier des peuples, en pre­nant les déci­sions avec des agents acquis au néo-libé­ra­lisme. Quelle belle décla­ra­tion de la part de celui qui pré­side ce « phare de la démo­cra­tie » qu’est le Parlement euro­péen… Elle a le mérite d’éclairer la nature fon­da­men­ta­le­ment non démo­cra­tique du pro­jet euro­péen actuel, mais il n’est pas sûr qu’elle pro­voque l’effet escomp­té sur les Grecs. Dans le centre d’Athènes, dif­fi­cile de trou­ver une seule affiche en faveur du « oui ». Les murs sont cou­verts d’affiches prô­nant son contraire. La plu­part sont édi­tées par des par­tis poli­tiques. À l’exception de ce pos­ter ano­nyme repre­nant une pho­to de Wolfgang Schaüble, ministre fédé­ral des Finances alle­mand : « Ça fait 5 ans qu’il suce votre sang, main­te­nant dites non ! » Autre excep­tion : des anar­chistes ont com­men­cé à appe­ler au boy­cott du réfé­ren­dum, bien qu’il ne s’agisse pas d’un vote élec­tif, car ils pensent que, dans tous les cas, l’accord avec l’Europe sera le même. À l’inverse, des anar­cho-com­mu­nistes pré­co­nisent de voter « non ». Ce soir, après les mani­fes­ta­tions du « non » lun­di et du « oui » mar­di, c’est au tour du Parti com­mu­niste grec de mani­fes­ter sur la place Syntagma, en nombre et dans la dis­ci­pline, pour prô­ner son oppo­si­tion au réfé­ren­dum (et sur­tout à Syriza) et appe­ler à l’abstention. Contraste, quelques rues plus loin, où l’ancien Premier ministre du Pasok, Georges Papandréou, tient un mee­ting à l’américaine en faveur du « oui » devant un public clair­se­mé, mais à grand ren­fort de camé­ras — et béné­fi­ciant même d’une retrans­mis­sion en direct à la télé­vi­sion. Il y en a qui ont de la chance. Et c’est pas fini : demain, les par­ti­sans du « oui » mani­fes­te­ront en même temps que ceux de Syriza… les­quels défi­le­ront au même endroit que l’Epam, petit par­ti sou­ve­rai­niste qui se targue de ras­sem­bler des citoyens de gauche et de droite et qui veut, lui, une sor­tie de la zone euro et de l’Union euro­péenne. Un beau bor­del en pers­pec­tive. Devinette : à qui les médias pri­vés don­ne­ront-ils de l’écho ?

Vendredi 3 juillet

Il ne faut pas croire les médias qui, se réfé­rant notam­ment à l’AFP, annoncent le chiffre de 25 000 par­ti­ci­pants ven­dre­di soir, au der­nier mee­ting pour le « non » au réfé­ren­dum. En réa­li­té, la place Syntagma ne pou­vait conte­nir toute la foule qui ten­tait de s’amasser dans une cohue indes­crip­tible. Le podium où se suc­cé­daient concerts et dis­cours et la sono­ri­sa­tion se sont avé­rés trop modestes et toutes les ave­nues aux alen­tours débor­daient de monde. J’ai rare­ment vu autant de gens dans un ras­sem­ble­ment poli­tique : ils étaient au bas mot 100 000. Un public bigar­ré, dis­cu­tant poli­tique, agi­tant des ban­de­roles, dis­tri­buant des écrits de toutes sortes et réser­vant un accueil plus que cha­leu­reux à Alexis Tsípras, qui offrit un dis­cours opti­miste, appe­lant à chan­ger l’Europe, à ne pas céder à la peur, mais aus­si à évi­ter la divi­sion du pays et à res­pec­ter le résul­tat du réfé­ren­dum, quel qu’il soit.

« Beaucoup d’émotion dans le public, notam­ment lors­qu’est enton­né un chant de résis­tance contre la dic­ta­ture des colonels. » 

Il y a beau­coup d’émotion dans le public, notam­ment lors­qu’est enton­né un chant de résis­tance contre la dic­ta­ture des colo­nels. Un couple de Grecs et leur fils m’expliquent la signi­fi­ca­tion de ce chant et le paral­lèle avec la situa­tion actuelle : « Aujourd’hui, on subit la dic­ta­ture des banques, de l’Allemagne et des tech­no­crates euro­péens. On veut retrou­ver notre liber­té et notre indé­pen­dance. Un exemple : avant, il y avait cinq usines de sucre en Grèce. Elles ont toutes été fer­mées et, désor­mais, on importe le sucre. L’Europe nous inter­dit de culti­ver des pommes de terre, alors qu’on a des terres pro­pices à cette culture. On nous oblige à impor­ter citrons et oranges, alors que ces fruits poussent sur ces arbres, là, juste devant nous. L’alcool ou le gaz, idem : on ne peut pas les ache­ter direc­te­ment aux pays pro­duc­teurs, on doit les ache­ter à un tarif supé­rieur à d’autres pays de l’Union euro­péenne. Notre éco­no­mie est asphyxiée. Et tout le monde sait que les mesures pré­co­ni­sées par les créan­ciers auront des effets encore plus catas­tro­phiques. » De l’autre côté du National Garden, les par­ti­sans du « oui » étaient pro­ba­ble­ment 20 000 : un public socia­le­ment plus homo­gène, bien habillé et par­fu­mé, venu défendre ses pri­vi­lèges dans une mise-en-scène par­fai­te­ment hui­lée, avec musique amé­ri­caine, écrans géants, dra­peaux euro­péens et intro­duc­tion par l’animateur de TF1 Nikos Aliagas, qui, mal­gré son salaire men­suel de 80 000 euros, n’a pas hési­té à défendre des mesures d’austérité pour ses com­pa­triotes. À la tri­bune, les dis­cours ont invo­qué la démo­cra­tie per­due de la Grèce (ce qui est tout de même curieux dans un moment où ce sont les banques et la Troïka qui imposent leur dik­tats) et ce gou­ver­ne­ment tant conspué qui orga­nise un réfé­ren­dum pour don­ner la parole au peuple, y com­pris aux par­ti­sans du « oui ».

« Tsípras a agi avec trop de naï­ve­té dans les négo­cia­tions avec l’Europe, il a cru en leur bonne foi, mais c’est un homme sin­cère et hon­nête, il est le pre­mier à s’attaquer réel­le­ment à la situation. »

Comme on pou­vait s’y attendre, la cou­ver­ture média­tique de ces deux ras­sem­ble­ments n’a pas été pro­por­tion­nelle au nombre de par­ti­ci­pants : les télé­vi­sions pri­vées ont retrans­mis en direct celui du « oui » alors qu’elles ont à peine par­lé de l’autre. Seule la chaine publique, récem­ment rou­verte par le gou­ver­ne­ment Tsípras, a fait preuve d’un trai­te­ment équi­li­bré. Mais mal­gré la pro­pa­gande anti-Tsípras, d’une vio­lence inouïe, le Premier ministre grec garde une grande sym­pa­thie dans la popu­la­tion : « On a voté pour lui parce qu’il était nou­veau, pas cor­rom­pu, idéa­liste. Il a agi avec trop de naï­ve­té dans les négo­cia­tions avec l’Europe, il a cru en leur bonne foi, mais c’est un homme sin­cère et hon­nête, il est le pre­mier à s’attaquer réel­le­ment à la situa­tion catas­tro­phique dans laquelle on se trouve. Il a tout le monde contre lui : les médias pri­vés et l’Église qui veulent conti­nuer à ne pas payer d’impôts, l’Union euro­péenne qui veut empê­cher une alter­na­tive poli­tique… Mais il est encore en vie », s’étonne presque un Athénien de 60 ans.

Par Stéphane Burlot

Samedi 4 juillet

Après les der­niers mee­tings, voi­ci le moment de l’attente et du sus­pense. Un récent son­dage donne le « oui » gagnant de jus­tesse. Vu d’ici, une chose semble évi­dente : la par­ti­ci­pa­tion sera forte, les Grecs sont lar­ge­ment mobi­li­sés, conscients et écœu­rés du chan­tage qui s’exerce sur eux. « L’Europe agit comme si elle était en guerre contre les Grecs ; elle se fiche de la démo­cra­tie. Ce qui se trame est aus­si grave que ce qu’on a vécu pen­dant le régime des colo­nels , s’emporte le concierge de nuit de l’auberge de jeu­nesse d’Athènes, proche de la retraite, dans laquelle je séjourne. Il ajoute : « On est fati­gués des coupes dans les salaires et les retraites, du chô­mage, des pri­va­ti­sa­tions, de la pau­vre­té, d’être traî­nés dans la boue… Ils nous punissent pour l’exemple, ils sont en train de nous tuer. On est fati­gués de devoir se battre. » Le résul­tat de dimanche ne sera pas seule­ment l’expression d’une opi­nion sur une ques­tion poli­tique (plus ou moins pré­cise), il dira aus­si quelque chose de l’état du peuple grec et de sa capa­ci­té de résis­tance après des années de pri­va­tions, six mois de pro­pa­gande et de matra­quage média­tique, et une semaine de fer­me­ture des banques.

« Syriza a fait une autre erreur, celle de s’éloi­gner de sa base popu­laire dès son acces­sion au pou­voir. Le référen­dum est une manière de reve­nir vers le peuple. »

C’est aus­si l’heure de pen­ser à l’après-référendum, qui com­mence dès lun­di matin. Et per­sonne n’y voit très clair, m’ex­plique un cinéaste grec. « Avant les élec­tions de jan­vier, ces par­tis avaient tout fait pour préparer un échec de Syriza en fai­sant en sorte que Tsípras n’ait aucune marge de manœuvre et qu’il ne s’agisse, comme ils disent, que d’une paren­thèse de gauche. Tsípraest tombé dans le piège en croyant à la volon­té de négocia­tion des créanciers. Ils lui ont fait miroi­ter la pos­si­bi­li­té d’un accord en le pous­sant jusqu’au bout à faire des conces­sions, tout seul. Ceux qui prétendent que la volonté de négocia­tion est nulle du côté grec sont de grands men­teurs : il suf­fit de com­pa­rer l’accord dis­cuté la semaine der­nière avec le pro­gramme ini­tial de Syriza pour s’en rendre compte. Les créanciers se fichent de la démocra­tie ; ils ne veulent que nous main­te­nir dans un état de colo­nie endettée et, par la même occa­sion, tuer dans l’œuf toute alter­na­tive pro­gres­siste en Europe. Syriza a fait une autre erreur, celle de s’éloi­gner de sa base popu­laire dès son acces­sion au pou­voir. Le référen­dum est une manière de reve­nir vers le peuple, mais il inter­vient trop tard : le gou­ver­ne­ment a le cou­teau sous la gorge et n’a pas préparé de plan B. »

En effet, rien n’empêchera les créanciers, dès lun­di, de refu­ser d’alimenter les banques grecques en mon­naie. Quant à l’option d’une sor­tie de l’euro, elle paraît impos­sible à court terme : « Non seule­ment Syriza n’a pas préparé les esprits a cette éven­tua­lité », regrette mon inter­lo­cu­teur, « mais, de plus, au moment d’entrer dans la zone euro, la Banque cen­trale grecque a dû se défaire de ses équi­pe­ments per­met­tant d’éditer de la mon­naie ». Comme beau­coup d’autres Grecs que j’ai pu ren­con­trer, il vote­ra « non » ce dimanche — mais en gar­dant à l’esprit que, quel que soit le résul­tat, la situa­tion actuelle res­semble à une voie sans issue. « Le pire serait peut-être qu’une majo­rité pour le « non » abou­tisse fina­le­ment au même accord que celui qui était sur la table la semaine der­nière. » Quant au concierge de nuit de l’auberge de jeu­nesse, à défaut d’entrevoir la sor­tie du tun­nel, il en vient à por­ter ses der­niers espoirs en la nature humaine : « Platon a écrit que la vie est trop courte pour connaître plei­ne­ment l’amour et qu’on n’a donc pas le temps pour la haine. Regardez Wolfgang Schaüble, le ministre alle­mand : il a 73 ans. Il pour­rait au moins faire quelque chose de bon, une fois dans sa vie. Il en a l’occasion, c’est le moment ! » Le début de la suite, d’i­ci quelques heures…

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Par Stéphane Burlot


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