Georges Fontenis : pour un communisme libertaire

1 janvier 2015


Texte inédit pour Ballast

Dépasser, d’une main, l’a­nar­chisme incan­ta­toire, idéa­liste et naïf et, de l’autre, le com­mu­nisme auto­ri­taire, bureau­cra­tique et fos­soyeur d’au­to­no­mie ? Fédérer le meilleur de ces deux tra­di­tions qui, depuis la célèbre rixe qui oppo­sa Marx à Proudhon, s’af­fron­tèrent à l’en­vi — et par­fois dans le sang ? C’est ce que ten­ta Georges Fontenis, figure impor­tante, quoique fort peu connue hors des cercles mili­tants, du com­mu­nisme liber­taire fran­çais. Engagé dans la lutte anti­co­lo­nia­liste lors de la guerre d’Algérie, com­plice d’une ten­ta­tive d’at­ten­tat contre Franco, ce mili­tant inlas­sable fut aus­si un per­son­nage contro­ver­sé, tant il bous­cu­la, avec plus ou moins de suc­cès, les lignes de sa propre famille poli­tique. ☰ Par Winston


« On peut dire que des atti­tudes, des réflexions, des manières d’a­gir que nous pou­vons qua­li­fier de révol­tées, de non confor­mistes, d’a­nar­chistes au sens vague du terme, ont tou­jours exis­té. Mais la for­mu­la­tion cohé­rente d’une théo­rie com­mu­niste anar­chiste remonte à la fin du XIXe siècle, et se pour­suit chaque jour, se pré­cise, se per­fec­tionne avec l’ap­port de l’ex­pé­rience his­to­rique », écri­vit en 1953 Georges Fontenis, dans le Manifeste du com­mu­nisme liber­taire. Et ce fut là tout son enga­ge­ment, tout son com­bat. À l’anarchisme qu’il jugeait fos­si­li­sé, lit­té­raire, vague et sen­ti­men­tal, il oppo­sa une autre concep­tion, à la fois com­mu­niste et liber­taire, qui pre­nait racine au sein de la 1ère Internationale, avec les apports des pen­seurs et mili­tants Mikhaïl Bakounine et Karl Marx. Georges Fontenis, c’est un par­cours par­fois aven­tu­reux et tou­jours à la recherche de la voie qui selon lui serait la bonne, quitte à bri­ser les tabous et les dogmes entre­te­nus par quelques gar­diens auto­pro­cla­més du « temple anar­chiste » — ceux-là mêmes qui n’eurent de cesse de le salir (et conti­nuent de le faire). Mais pour­quoi ce per­son­nage a‑t-il à ce point divi­sé, bous­cu­lé et cli­vé le mou­ve­ment liber­taire français ?

De la découverte du socialisme à la Fédération anarchiste

Né dans une famille ouvrière, Fontenis passe son enfance en ban­lieue pari­sienne. À par­tir de 1934, il dévore les jour­naux syn­di­ca­listes et socia­listes révo­lu­tion­naires. C’est à l’âge de dix-sept ans que ses idées poli­tiques se pré­cisent et qu’il décide de rejoindre l’Union anar­chiste. Il y découvre les œuvres de Bakounine et de Kropotkine puis vend Le liber­taire à la criée. Sous l’Occupation, il par­vient à évi­ter le Service du tra­vail obli­ga­toire en Allemagne et, une fois ins­ti­tu­teur, rejoin­dra le syn­di­cat des ins­ti­tu­teurs de la CGT clan­des­tine. À la libé­ra­tion de Paris, il devient l’un des ani­ma­teurs (puis bien­tôt le secré­taire) de la Commission des jeunes du syn­di­cat puis sera dési­gné pour sié­ger à la Commission d’épuration de l’Éducation natio­nale, afin d’élucider les faits de col­la­bo­ra­tion dans l’enseignement (il sera en charge des cas les plus consé­quents : les rec­teurs et les ins­pec­teurs d’Académie qui ser­virent, non sans zèle, le régime de Vichy et l’occupant nazi). Après un pas­sage à la CNT, il par­ti­cipe, au début des années 1950, à la refon­da­tion de L’École éman­ci­pée — une ten­dance révo­lu­tion­naire du syn­di­ca­lisme enseignant.

« Mais pour­quoi ce per­son­nage a‑t-il à ce point divi­sé, bous­cu­lé et cli­vé le mou­ve­ment liber­taire français ? »

Après avoir pris part au congrès fon­da­teur de la Fédération anar­chiste (FA) en octobre 1945, et suite à plu­sieurs sol­li­ci­ta­tions de ses cama­rades, il inter­vient un an plus tard, au nom des Jeunesses Anarchistes (dont il est le secré­taire), à la fin du congrès de Dijon. Le dis­cours est fort. Sans gants ni détours, il dénonce les « démo­lis­seurs, les contem­pla­teurs de leur nom­bril, les “enfi­leurs de phrases” vains et néfastes » qui para­lysent le congrès. Ce jeune homme, qui sem­blait faire consen­sus au sein d’une FA divi­sée en ces temps d’a­près-guerre, n’a que vingt-six ans. Afin de bien com­prendre le mou­ve­ment anar­chiste, fort com­plexe et divers au demeu­rant, ain­si que la cri­tique viru­lente que for­mu­la Fontenis, il est fon­da­men­tal d’opérer cer­taines dis­tinc­tions. La FA est une orga­ni­sa­tion anar­chiste syn­thé­tiste. Cela signi­fie qu’elle trouve sa source idéo­lo­gique et orga­ni­sa­tion­nelle dans une tra­di­tion liber­taire his­to­rique dont l’écrit de réfé­rence reste sans doute La syn­thèse anar­chiste de Sébastien Faure. Grand mili­tant et ora­teur anar­chiste actif à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, per­son­nage res­pec­té et de renom­mée inter­na­tio­nale, Faure est recon­nu pour son sou­tien indé­fec­tible à ses cama­rades, ses talents de confé­ren­cier (il y ciblait sans ména­ge­ment l’État, le Capital et la reli­gion), ses recherches sur la péda­go­gie ou encore son enga­ge­ment drey­fu­sard, dans une France où l’antisémitisme fai­sait figure de norme (y com­pris chez cer­tains libertaires…).

Ce syn­thé­tisme avan­çait l’i­dée que les ten­dances com­mu­nistes liber­taires, anar­cho-syn­di­ca­listes, indi­vi­dua­listes, huma­nistes et paci­fistes pou­vaient, et devaient, se fédé­rer au sein d’une orga­ni­sa­tion autour d’une ambi­tion poli­tique com­mune : bâtir une socié­té liber­taire nour­rie de toutes ces sen­si­bi­li­tés plu­rielles et par­fois contra­dic­toires. Mais, en réa­li­té, l’absence de ligne claire a tou­jours empê­ché une véri­table cohé­sion. Les indi­vi­dua­listes, notam­ment, n’étaient guère enthou­siastes, c’é­tait le moins que l’on pût dire, dès qu’il s’agissait d’opérer des efforts de struc­tu­ra­tion. Les ten­dances coha­bi­taient assez mal au sein de la FA. Georges Fontenis va donc s’employer — d’une manière d’ailleurs dis­cu­table — à trans­for­mer de fond en comble la FA, durant plu­sieurs années et de manière clan­des­tine : c’est l’OPB (Organisation, Pensée, Bataille).

[Yoo Youngkuk]

L’OPB, une tentative de rénovation de l’anarchisme

L’anarchisme de Georges Fontenis s’é­lève contre l’idéalisme fumeux ; il le sou­haite ancré dans les luttes sociales. Sa convic­tion est celle des pla­te­for­mistes : l’a­nar­chisme doit être un mou­ve­ment poli­tique et non un milieu phi­lo­so­phique et cultu­rel, un mode de vie. Fontenis, séduit par le maté­ria­lisme de Karl Marx, est par­ti­san d’une autre tra­di­tion anar­chiste : celle qui en appelle, d’un même élan, au com­mu­nisme. Le terme « pla­te­for­misme » n’é­voque, fort logi­que­ment, rien au tout-venant. Que signi­fie-t-il ? Il fait réfé­rence à la pla­te­forme d’organisation des com­mu­nistes liber­taires, rédi­gée en 1926 par Piotr Archinov et quelques autres anar­chistes russes en exil — par­mi les­quels Ida Mett et Nestor Makhno. Ce texte ana­lyse l’échec des liber­taires face aux bol­che­viks lors de la Révolution de 1917–1921. Il en appelle très clai­re­ment à balayer toutes les idées abs­traites et fan­tai­sistes par­fois pré­sentes dans la tra­di­tion anar­chiste, insiste sur la pri­mau­té de la lutte des classes et du maté­ria­lisme et loue une ligne claire, défi­nie, unie (tout en reje­tant, bien sûr, le com­mu­nisme de caserne). Les syn­thé­tistes qua­li­fient volon­tiers les pla­te­for­mistes de « bol­che­vi­sés » (ou de « mar­xi­sants »), tan­dis que les syn­thé­tistes sont accu­sés, à l’in­verse, de confu­sion­nisme et de dilet­tan­tisme… Le mou­ve­ment anar­chiste fran­çais est donc scin­dé entre ces deux cou­rants prin­ci­paux. Dans une Fédération anar­chiste où cer­taines frac­tions rejettent d’emblée le syn­di­ca­lisme, la cri­tique mar­xienne de la socié­té, la lutte des classes, voire la rup­ture révo­lu­tion­naire avec le capi­ta­lisme, Georges Fontenis va réagir selon ses convic­tions et celles de ses par­ti­sans : il tente, par le biais de l’OPB, une muta­tion de cette orga­ni­sa­tion qu’il juge vieillotte, sec­taire et inca­pable d’évoluer. Ses membres sont recru­tés au fil du temps, par coop­ta­tion. En quelques années, l’OPB et ses thèses deviennent majo­ri­taires au sein de la FA. Elles finissent même par triom­pher en 1953 : l’organisation clan­des­tine s’auto-dissout et la FA se trans­forme en FCL (Fédération com­mu­niste liber­taire). Ligne poli­tique unique avec la volon­té de peser et d’of­frir une véri­table orien­ta­tion au sein du mou­ve­ment social : dis­ci­pline, maté­ria­lisme, ana­lyse mar­xienne du capi­ta­lisme, affir­ma­tion de la néces­si­té de la révo­lu­tion et d’une rup­ture radi­cale avec la socié­té bour­geoise, syn­di­ca­lisme, luttes sociales. Georges Fontenis, et ceux qui ont œuvré à ses cotés (Louis Estève, Roger Caron, Serge Ninn…) ont réus­si leur coup.

D’autres anar­chistes, réunis notam­ment autour de Maurice Joyeux (alors une grande figure du mou­ve­ment), n’ont pas digé­ré ces méthodes : ils vont créer une nou­velle FA. C’est, en France, une page du mou­ve­ment anar­chiste qui pas­sionne encore ici ou là, même si les prin­ci­paux pro­ta­go­nistes de l’époque dis­pa­raissent au fil du temps. Nous n’en­tre­rons pas dans ces que­relles anciennes. À l’é­vi­dence, les méthodes de l’OPB — de ce que l’on en sait — ne furent, eu égard à leur manque de trans­pa­rence, pas tou­jours des plus relui­santes… Bien que cri­tique quant à ses excès, Georges Fontenis ne renie­ra rien : tout cela fut néces­saire tant les désac­cords, qui plom­baient la dyna­mique du mou­ve­ment, s’a­vé­raient irré­duc­tibles. Pour ter­mi­ner, sou­li­gnons que, de 1951 à 1953, les posi­tions défen­dues en congrès par l’OPB seront approu­vées par la majo­ri­té de la FA. Sans aucun tru­cage. Mohamed Saïl, volon­taire durant la guerre d’Espagne et membre de l’UA puis de la FA (il n’appartenait cepen­dant pas à l’OPB), écri­ra, dans une lettre adres­sée à Fontenis en jan­vier 1952 : « Mon vieux Fontenis, vous êtes jeune pour la plu­part des cama­rades dits majo­ri­taires et c’est pour­quoi vous igno­rez que vous êtes, vous, dans la véri­table ligne tra­di­tion­nelle de l’anarchisme1. »

Une organisation communiste libertaire

« L’anarchisme doit être un mou­ve­ment poli­tique et non un milieu phi­lo­so­phique et cultu­rel, un mode de vie. »

La même année, Georges Fontenis publie un livre : le Manifeste du com­mu­nisme liber­taire. On y trouve ce que Daniel Guérin — issu, pour sa part, du trots­kysme — théo­ri­se­ra quelques années plus tard, avec, notam­ment, la publi­ca­tion de Jeunesse du socia­lisme liber­taire ou d’À la recherche d’un com­mu­nisme liber­taire. Daniel Guérin et Georges Fontenis mili­te­ront d’ailleurs sou­vent ensemble et le tra­vail théo­rique et intel­lec­tuel du pre­mier influen­ce­ra gran­de­ment le cou­rant com­mu­niste liber­taire. À la lec­ture du Manifeste, on com­prend sans peine pour­quoi ses détrac­teurs purent qua­li­fier Fontenis de « Lénine du mou­ve­ment anar­chiste ». Certaines for­mules firent sur­sau­ter plus d’un lec­teur anar­chiste : « par­ti », « dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat », « ligne poli­tique », « dis­ci­pline », « avant-garde »… Si le long déve­lop­pe­ment sur l’avant-garde se dis­tingue de la concep­tion léni­niste (« Il nous faut déve­lop­per,  écrit Fontenis, expli­quer com­ment la mino­ri­té agis­sante, l’a­vant-garde révo­lu­tion­naire, est néces­saire sans pour cela deve­nir un état-major, une dic­ta­ture sur les masses. En d’autres termes, il nous faut mon­trer que la concep­tion anar­chiste de la mino­ri­té agis­sante n’a rien d’a­ris­to­cra­tique, d’o­li­gar­chique, de hié­rar­chique. »), le voca­bu­laire a par­fois, et non sans rai­son, de quoi heurter.

Et quid de la fameuse et tant redou­tée « dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat » ? « Peut-elle signi­fier l’exer­cice du pou­voir poli­tique par la classe ouvrière vic­to­rieuse ? inter­roge Fontenis. Non car l’exer­cice du poli­tique au sens clas­sique de « pou­voir poli­tique » ne peut se faire qu’à tra­vers un groupe limi­té, exer­çant un mono­pole, une supré­ma­tie, se sépa­rant ain­si de la classe, n’en fai­sant plus par­tie, et l’op­pri­mant. Et c’est ain­si qu’en vou­lant se ser­vir d’un appa­reil d’État, on réduit la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat à la dic­ta­ture du par­ti sur les masses. Mais si on entend par dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat un exer­cice col­lec­tif et direct du « pou­voir poli­tique » par la classe, on signi­fie par là que le « pou­voir poli­tique » dis­pa­raît puis­qu’il a pour carac­tères dis­tinc­tifs : la supré­ma­tie, l’ex­clu­si­vi­té, le mono­pole. Ce n’est plus l’exer­cice du pou­voir poli­tique ou sa conquête, c’est sa liqui­da­tion ! » Fontenis aspire à pro­vo­quer, jus­qu’à la der­nière limite, les anar­chistes les plus ortho­doxes. Guy Bourgeois, ancien mili­tant de la FCL, fera savoir dans une pré­face qu’il rédi­ge­ra à la réédi­tion du Manifeste, en 1985 : « Le Manifeste uti­lise le voca­bu­laire pros­crit en cours chez les mar­xistes : par­ti, ligne poli­tique, dis­ci­pline. On se sert du terme « dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat » pour faire une tête de para­graphe, même si on en nie ensuite le prin­cipe dans le texte. On ne craint pas d’affirmer que les autres ten­dances n’ont qu’un lien vague avec l’anarchisme dont notre cou­rant consti­tue le seul repré­sen­tant. […] Pourtant, le Manifeste du com­mu­niste liber­taire a été néces­saire. Il a mar­qué pour la pre­mière fois au sein du mou­ve­ment liber­taire de l’après-guerre une cou­pure nette avec les ten­dances huma­nistes de conci­lia­tion. »

[Yoo Youngkuk]

Le Manifeste du com­mu­nisme liber­taire a bien sûr vieilli : les posi­tions, obéis­sant à une ligne stric­te­ment pla­te­for­miste et énon­cées de façon suc­cinctes, peuvent pêcher par « ouvrié­risme » et négligent les ques­tions fémi­nistes et éco­lo­gistes. La FCL, en toute logique, sera por­tée par les mêmes forces et les mêmes fai­blesses (et excès) que le Manifeste. En 1954, le groupe Kronstadt de la FA (puis de la ten­dance clan­des­tine que fut l’OPB) est exclu de la FCL. Il publie­ra un Mémorandum jugé acca­blant pour cette der­nière — il appar­tient à cha­cun de le lire et de se posi­tion­ner des­sus (Georges Fontenis tien­dra d’ailleurs à l’in­té­grer en annexe de ses mémoires). Cela n’empêchera guère la FCL de pour­suivre son com­bat sur bien des fronts ! Le prin­ci­pal sera, par la force des évé­ne­ments, la guerre d’Algérie.

Lutte anti-coloniale et lutte des classes

La toute nou­velle FCL n’a pas pour ambi­tion de pas­ser son temps à débattre autour de vieux livres pous­sié­reux. Son cre­do : le dyna­misme, l’action, les luttes ! En 1948, Fontenis avait déjà par­ti­ci­pé à une ten­ta­tive d’attentat contre le géné­ral Franco, avec des anar­chistes espa­gnols en exil de la CNT-FAI, même si son rôle se limi­ta à faire office de prête-nom afin d’acheter l’avion de tou­risme qui sera trans­for­mé en bom­bar­dier. Mais un évé­ne­ment his­to­rique majeur va sur­ve­nir en 1954 : l’insurrection de la Toussaint. Une vague d’attentats — dont cer­tains furent meur­triers — secoue l’Algérie. Au len­de­main de la défaite des forces fran­çaises en Indochine, les envies de liber­té et d’autodétermination bouillonnent sur la terre nord-afri­caine colo­ni­sée depuis 1830.

« Au len­de­main de la défaite des forces fran­çaises en Indochine, les envies de liber­té et d’autodétermination bouillonnent sur la terre nord-africaine. »

La FA ne pren­dra pas posi­tion — au pré­texte qu’il s’agirait seule­ment de « natio­na­listes algé­riens » oppo­sés à des « natio­na­listes fran­çais » — et l’extrême gauche va éga­le­ment lar­ge­ment ter­gi­ver­ser. Le Parti com­mu­niste fran­çais condam­ne­ra les atten­tats du Front de libé­ra­tion natio­nale algé­rien en 1954 et sa direc­tion ne s’opposera pas au « Front répu­bli­cain » : elle pous­se­ra même l’ignominie jusqu’à voter, en mars 1956, les pleins pou­voirs au gou­ver­ne­ment Mollet, légi­ti­mant ain­si la répres­sion en Algérie ! Pendant ce temps, la FCL appor­te­ra d’emblée son « sou­tien cri­tique » à la cause indé­pen­dan­tiste2. Il faut dire que les posi­tions de la FCL sont très nettes concer­nant le colo­nia­lisme : « Les sec­tions de l’Internationale appuie­ront les luttes de peuples colo­niaux pour l’indépendance parce que ces luttes contri­buent à affai­blir l’impérialisme, le mettent en crise et font avan­cer la pers­pec­tive révo­lu­tion­naire dans les métro­poles et dans le monde entier. L’appui don­né à ces luttes ne com­porte pas, en cas de vic­toire des mou­ve­ments pour l’indépendance des pays colo­niaux, l’appui aux gou­ver­ne­ments créés par le capi­ta­lisme indi­gène, des­ti­né du reste à ren­trer dans l’orbite de l’une ou l’autre cen­trale impé­ria­liste, mais cet appui com­porte la soli­da­ri­té avec le pro­lé­ta­riat colo­nial dans la lutte qu’il ne man­que­ra pas de déve­lop­per contre l’exploitation et contre l’impérialisme. »

Si le sou­tien de la FCL se veut cri­tique, c’est jus­te­ment parce qu’elle crai­gnait (l’Histoire se char­ge­ra de lui don­ner rai­son) un simple « rem­pla­ce­ment » d’oppression : qu’une bour­geoi­sie algé­rienne suc­cède à l’impérialisme fran­çais, sans œuvrer à une véri­table trans­for­ma­tion socio-éco­no­mique. La FCL ten­te­ra d’alimenter la réflexion sur ces sujets, y com­pris au sein de la résis­tance algé­rienne. Lié à la Fédération, un mou­ve­ment nom­mé MLNA (Mouvement liber­taire nord-afri­cain) agi­ra sur place, notam­ment grâce à Léandre Valéro. En butte à une répres­sion féroce, l’or­ga­ni­sa­tion se déli­te­ra cou­rant 1956. Les com­mu­nistes liber­taires fran­çais s’en­ga­gèrent clan­des­ti­ne­ment dans la consti­tu­tion de réseaux de « por­teurs de valises » (arme­ment, fonds finan­ciers, maté­riels divers…) afin d’appuyer les maqui­sards. Parallèlement, il s’agissait de répandre cer­taines idées dans l’opinion. Les cam­pagnes d’affichage de la célèbre « Vive l’Algérie libre ! », comme les numé­ros du Libertaire (le jour­nal de l’organisation), s’é­chinent à défendre la cause algé­rienne. Mais tout cela à des consé­quences. Après un col­lage mas­sif, il y aura une per­qui­si­tion quai de Valmy, à leur local. Les mili­tants ne roulent pas sur l’or et les numé­ros du Libertaire ne cessent d’être sai­sis sur ordre du ministre de l’Intérieur de l’époque, un cer­tain François Mitterrand. À cela, il faut ajou­ter l’ar­res­ta­tion du mili­tant Pierre Morain (le pre­mier Français à être inter­pel­lé pour son sou­tien à l’in­dé­pen­dance algé­rienne), qui va pur­ger un an de pri­son pour « recons­ti­tu­tion de ligue dis­soute ». Dans cette période très ten­due où le pou­voir refu­sait de par­ler de « guerre », les pro­pos tenus par Le Libertaire tran­chaient : « Exigeons le retrait du contin­gent et des troupes ! », « Les tra­vailleurs Algériens veulent en finir avec 125 ans d’exploitation » !

[Yoo Youngkuk]

Lorsqu’un numé­ro est sai­si, on tente de le res­sor­tir avec des modi­fi­ca­tions de forme en espé­rant que la cen­sure ne frap­pe­ra pas dere­chef. En 1956, Georges Fontenis et plu­sieurs com­pa­gnons se pré­sentent aux légis­la­tives. Les moti­va­tions sont diverses : l’organisation stag­nait au sens où elle ne gros­sis­sait plus, la guerre d’Algérie bat­tait son plein et pos­sé­der un élu per­met­trait de gagner quelque écho. Fontenis et ses cama­rades ne sont pas abs­ten­tion­nistes par prin­cipe, comme la plu­part des anar­chistes, mais se veulent prag­ma­tiques — ils n’oublient pas que l’anarcho-syndicalisme espa­gnol s’est accru après la vic­toire du Front popu­laire aux élec­tions ; ils n’ou­blient pas que Bakounine avait sou­te­nu, en 1870, les can­di­da­tures ita­liennes de Gambuzzi et Fanelli. Georges Fontenis n’en avoue­ra pas moins, plus tard, à quel point ils mirent, en par­ti­ci­pant au pro­ces­sus élec­to­ral et à la mas­ca­rade par­le­men­taire, « les pieds dans le crot­tin ». Ce fut une « erreur consi­dé­rable ». La répres­sion, le manque d’argent, les erreurs stra­té­giques qui causent des ten­sions légi­times chez des liber­taires, conduisent à l’u­sure. La lutte, dans les formes pré­sentes, devient dif­fi­cile à conti­nuer. La Fédération prend fin et plu­sieurs de ses membres décident de pas­ser à la clandestinité.

En quête d’un communisme libertaire

Entre l’ar­rêt de la FCL et le sur­gis­se­ment de Mai 68, Fontenis vivra glo­ba­le­ment ce qu’il nom­me­ra lui-même des années grises : « Il se pas­sa d’ailleurs fort peu de temps avant que la gen­dar­me­rie (puisque nous étions désor­mais pour­sui­vis par le pou­voir mili­taire) ne vienne me cher­cher à mon domi­cile. Je vivais à l’autre bout de Paris, dans un « stu­dio » sans chauf­fage appar­te­nant à l’amie d’un des nôtres non pour­sui­vi. Inutile de sou­li­gner que l’hiver 1956–1957 ayant été spé­cia­le­ment rigou­reux, je gar­de­rai pour tou­jours la pho­bie des nuits d’insomnie gla­cées, en dépit des amon­cel­le­ments de cou­ver­tures. » (Changer le monde… Histoire du mou­ve­ment com­mu­niste liber­taire)

« La répres­sion, le manque d’argent, les erreurs stra­té­giques qui causent des ten­sions légi­times chez des liber­taires, conduisent à l’u­sure. La lutte, dans les formes pré­sentes, devient dif­fi­cile à continuer. »

Condamné une dizaine de fois pour des articles du Libertaire (deux ans de pri­son et un mil­lion d’anciens francs d’amende), il ne res­te­ra cepen­dant que peu de temps en pri­son — suite à la prise de pou­voir de de Gaulle en 1959, l’amnistie est décré­tée. Mais il fau­dra régler les amendes et les frais de jus­tice (40 000 nou­veaux francs pour lui seul, somme à laquelle il faut ajou­ter les condam­na­tions des cama­rades s’élevant à 24 000 nou­veaux francs). Fontenis avait réus­si à réin­té­grer, non sans mal, l’Éducation natio­nale en 1958. Même la direc­tion de son syn­di­cat fut réti­cente à défendre sa réin­té­gra­tion, consi­dé­rant que Fontenis n’avait pas à sou­te­nir « les Arabes », eux aus­si « natio­na­listes » et ayant « sou­mis les Berbères fixés avant eux en Afrique du Nord ». Pour Fontenis, cela rap­pelle de tristes sou­ve­nirs et de vains débats, le spectre des dis­sen­sions pas­sées au sein de la FA : « Comme quoi le dis­cours appa­rem­ment puriste sert d’argument pour jus­ti­fier la déser­tion du com­bat réel, aus­si bien chez la plu­part des socia­listes (ils sont, avec Lacoste au gou­ver­ne­ment géné­ral de l’Algérie, soli­daires de la répres­sion) que chez cer­tains anar­chistes. » Mais Fontenis peut tou­jours comp­ter sur la géné­reuse soli­da­ri­té d’un cama­rade qu’il a connu du temps de la FA d’avant 1953, et qui fut secré­taire de rédac­tion du Libertaire : Georges Brassens. « Il vient sou­vent sur le coup de midi m’attendre à la sor­tie de l’école du 4, rue Fessart où je suis ins­ti­tu­teur. J’habite en face, au numé­ro 7. Nous cas­sons la croûte ensemble, puis Georges Brassens chante et joue sur le pia­no que nous pos­sé­dons et qui semble le fas­ci­ner », racon­te­ra Fontenis dans ses mémoires. Inconnu lors­qu’il se rap­proche du mou­ve­ment liber­taire à l’é­poque, Brassens s’est impli­qué au sein du mou­ve­ment, de son jour­nal, et il aide­ra finan­ciè­re­ment le cou­rant liber­taire lorsqu’il com­men­ce­ra à ren­con­trer le suc­cès et à gagner de l’argent. Tout autant la FCL que la nou­velle FA à la fin des années 1950, d’ailleurs. Les deux Georges, Brassens et Fontenis, res­te­ront liés par une ami­tié solide.

Même si Fontenis s’investit au sein de La Voie Communiste (un regrou­pe­ment d’extrême gauche « œcu­mé­nique ») et qu’il mène de dis­crètes acti­vi­tés anti­co­lo­nia­listes et anti­fran­quistes, tout en conti­nuant de tis­ser des liens avec divers militant·€es, cette décen­nie 1958–1968 res­semble à une véri­table tra­ver­sée du désert. Le cou­rant poli­tique qui lui est cher, le com­mu­nisme liber­taire, se trouve pri­vé d’une orga­ni­sa­tion struc­tu­rée et consé­quente. Mais l’Histoire n’a pas dit son der­nier mot ; elle per­met­tra à Fontenis de retrou­ver un rôle véri­table dans la recons­truc­tion d’une orga­ni­sa­tion : en 1968, à Tours, il repère des che­mi­nots qui arborent un dra­peau rouge et noir (que le ser­vice d’ordre du PCF tente d’éliminer, selon ses dires). Après dis­cus­sions, c’est avec eux, et des étu­diants, que va se fon­der à Tours le CAR (Comité d’action révo­lu­tion­naire) — qui ne man­que­ra pas d’in­quié­ter la pré­fec­ture et le ministre de l’Intérieur. Le CAR est pré­sent dans les facs, dans les usines ain­si que dans plu­sieurs entre­prises (SNCF, Indreco, SKF…), mais il s’essoufflera à mesure que les évé­ne­ments de 1968 retom­be­ront. Lors de l’agitation, Fontenis constate l’impuissance et l’i­nor­ga­ni­sa­tion du mou­ve­ment liber­taire ; il écri­ra d’ailleurs que c’est « l’absence d’une réelle avant garde réflé­chie et orga­ni­sée, face à la puis­sance encore hégé­mo­nique du PC qui, en der­nière ana­lyse, fut cause de l’arrêt, puis du recul, enfin de la défaite poli­tique ».

[Yoo Youngkuk]

Il s’en­gage au sein du Mouvement com­mu­niste liber­taire puis, en 1979, rejoint l’Union des tra­vailleurs com­mu­nistes liber­taires (UTCL). Neuf ans plus tard, Daniel Guérin décède. Georges Fontenis est quant à lui deve­nu un vieil homme, mais il reste fidèle à ses enga­ge­ments de tou­jours. Il conti­nue d’œu­vrer au sein de la vie asso­cia­tive et poli­tique locale, à Tours. Athée convain­cu, mili­tant au sein de La Libre Pensée, il fera d’ailleurs une der­nière sor­tie remar­quée, gri­mé en faux pape, lors de la venue de Jean-Paul II en 1996… Il conti­nue de mili­ter à l’UTCL. Patrice Spadoni, le cofon­da­teur de l’UTCL, dira de sa pre­mière ren­contre avec Fontenis : « Le voi­ci donc par­mi nous au congrès, les che­veux courts, l’air un peu sévère, vêtu d’un imper­méable strict, alors que nous étions tous plus ou moins che­ve­lus, avec des looks bigar­rés de gau­chos et de babas cools. Georges Fontenis était de beau­coup notre aîné — plus de trente ans le sépa­raient de la plu­part d’entre nous. Et il nous impres­sion­nait. »

Plus tard, le même Spadoni ajou­te­ra, après avoir lon­gue­ment mili­té aux côtés du per­son­nage : « Ce qui revient en pre­mier en mémoire en pen­sant à ces trois décen­nies de com­bats com­muns, c’est son sou­rire caus­tique mais bien­veillant. Son intel­li­gence construc­tive. Sa patience, quand nous étions moins réa­listes que lui. La constance de son enga­ge­ment, sa pré­sence solide à nos côtés… » Georges Fontenis adhère à Alternative Libertaire lorsque, en 1991, cette orga­ni­sa­tion naît : il s’agit d’un auto-dépas­se­ment de l’UTCL et d’une fusion avec un groupe de jeunes liber­taires. Georges Fontenis res­te­ra membre d’AL jusqu’à sa mort, en 2010, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Toujours cohé­rent et fidèle à sa convic­tion pro­fonde : qu’une orga­ni­sa­tion spé­ci­fi­que­ment com­mu­niste liber­taire doit exis­ter, peser, influer. AL est à la fois héri­tière indi­recte de la FCL, et héri­tière directe de l’UTCL, issu de l’ORA.

« Le Prince des Ténèbres »

« Il nous faut mon­trer que le socia­lisme, ce n’est ni le libé­ra­lisme hon­teux des sociaux-démo­crates ni l’é­pou­van­table men­songe issu, à tra­vers Staline et les siens, du pré­ten­du mar­xisme-léni­nisme. »

Georges Fontenis traî­na toute son exis­tence une répu­ta­tion sul­fu­reuse. En intro­duc­tion de ses mémoires, il écri­vit ain­si : « Il ne m’a pas tou­jours été facile de gar­der le sang-froid face aux ragots, aux calom­nies, aux élu­cu­bra­tions de ceux aux­quels les années qui passent n’ont rien appor­té, pas même un peu de rai­son. Considéré comme celui par qui tout le mal est arri­vé, je suis res­té pour eux « le Prince des Ténèbres » qui a rui­né le mou­ve­ment anar­chiste. Et ils renou­vellent, pério­di­que­ment, tels des inqui­si­teurs, les pra­tiques d’exorcisme. » Maurice Joyeux, de la FA, alla jusqu’à publier une bro­chure, L’Hydre de Lerne, afin d’ex­pli­quer en quoi des « mar­xi­sants » s’ap­pli­quèrent à piller, déna­tu­rer et fina­le­ment détruire l’anarchisme, et com­ment, telle la créa­ture mytho­lo­gique dont les têtes repoussent après être cou­pées, ils venaient et reve­naient inlas­sa­ble­ment. Mais tout ne fut pas aus­si ridi­cule. Certaines cri­tiques de la FA sont com­pré­hen­sibles. La peur d’un excès d’organisation, d’une bureau­cra­ti­sa­tion, de dérives auto­ri­taires… Fontenis parut flir­ter avec la limite et com­mit des erreurs qui consti­tuaient autant de bâtons pour se faire battre. Elles ont été évo­quées : des manières peu démo­cra­tiques pour trans­for­mer la FA, une aven­ture élec­to­rale, une rigueur orga­ni­sa­tion­nelle jugée auto­ri­taire (aggra­vée par les pro­vo­ca­tions lexi­cales du Manifeste)… Et n’oublions pas une autre errance, plus tar­dive, au sein de la franc-maçon­ne­rie — si l’in­té­res­sé ne le regret­ta pas, il fit savoir que cela ne lui appor­ta rien pour autant… Et l’on ne peut repro­cher aux par­ti­sans de la syn­thèse anar­chiste d’en vou­loir à l’OPB puis­qu’elle a trans­for­mé — mais, de fait, détruit — leur orga­ni­sa­tion. Les com­plots para­noïaques comme les sur­noms démo­niaques et autres opus­cules pam­phlé­taires qui ont plu sur Fontenis semblent dif­fi­ciles à jus­ti­fier aujourd’hui et prêtent volon­tiers à sou­rire… Car la FA ne fut pas exempte d’ex­cès : d’au­cuns, par­mi ses par­ti­sans, ne vou­lant abso­lu­ment pas que l’anarchisme fût un mou­ve­ment poli­tique sérieux, orga­ni­sé, cré­dible et consé­quent dans les luttes…

Dans l’ombre de Daniel Guérin

Georges Fontenis n’eut jamais la renom­mée d’un Guérin — ou d’un Bensaïd, chez les mar­xistes. Mais, par son action, il se retrou­va confron­té à des situa­tions qui néces­si­taient de faire des choix pour le moins concrets. Il s’y heur­ta de plein fouet, n’hé­si­tant pas à prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés, pré­fé­rant agir quitte à se trom­per plu­tôt que de céder à l’immobilisme. Sa dia­bo­li­sa­tion est d’au­tant plus évi­dente lorsque l’on sait que Daniel Guérin connut lui aus­si ses périodes de tâton­ne­ments, de retours en arrière et ses erreurs de par­cours : atta­che­ment obs­ti­né à Ben Bella et Bourguiba, sou­tien à Poher en 1969, à l’oc­ca­sion de l’é­lec­tion pré­si­den­tielle (il vote­ra éga­le­ment pour Mitterrand en 1981), illu­sions sur la démarche authen­ti­que­ment auto­ges­tion­naire algé­rienne jusque dans les années 1970…

[Yoo Youngkuk]

Seules les per­sonnes qui n’a­gissent pas ni ne pensent risquent de ne jamais se trom­per. Ramène-t-on constam­ment Daniel Guérin à ses man­que­ments, ses défi­cits et ses lacunes ? Nierait-on son apport fon­da­men­tal au cou­rant com­mu­niste liber­taire, et même bien au-delà ? Sûrement pas ! Fontenis a su affron­ter, avec d’autres, des ques­tions qui irritent et tra­versent encore le mou­ve­ment anar­chiste et l’ex­trême gauche en France et dans le monde : les luttes d’indépendances natio­nales, les élec­tions « bour­geoises », la néces­si­té d’une orga­ni­sa­tion avec une ligne poli­tique unique, pour ne pas par­ler de la néces­si­té de s’organiser tout court, l’implication dans les syn­di­cats ou les asso­cia­tions de luttes, la notion et l’u­ti­li­té d’une avant-garde, etc. À la lumière de l’Histoire, de la réflexion, enri­chie par les débats et les expé­riences, ces ques­tions se résolvent, des réponses s’es­quissent, d’autres sont en sus­pens… Comme Fontenis, nous béné­fi­cions de notre pas­sé, et ten­tons de des­si­ner l’avenir en essayant, par nous-mêmes, cahin-caha, de trou­ver « une voie ». Sans sacri­fier l’action et l’indispensable lutte qui se déroule ici et main­te­nant. Cette lutte qui par­ti­cipe à construire une socié­té nou­velle pour demain. Nous ne l’i­gno­rons pas : ne rien faire reste sou­vent la pire des choses. Alors, Georges Fontenis, agent mar­xiste sans foi ni loi venu pié­ti­ner et salir l’a­nar­chisme ? Ou per­son­nage cou­ra­geux, mais exces­sif, ayant eu le mérite de sor­tir l’a­nar­chisme d’une cer­taine phi­lo­so­phie abs­traite, idéa­liste et naïve, en lui insuf­flant une ligne claire, les pieds dans le réel ? Les réponses ne par­viennent tou­jours pas à s’ac­cor­der — la nôtre se devine ici sans peine. Ce sera donc à cha­cun de se faire son opi­nion : les bro­chures de Joyeux, le Manifeste du com­mu­nisme liber­taire, les mémoires de Fontenis, le Memorandum du groupe Kronstadt ain­si que divers témoi­gnages sont lar­ge­ment acces­sibles de nos jours, sur papier ou sur Internet.

Laissons à Fontenis le mot de la fin, qui clôt aus­si ses mémoires : « Il faut espé­rer et oser. Le cou­rant com­mu­niste liber­taire ne peut sans doute à lui seul ouvrir les voies nou­velles mais il peut, en ache­vant de se construire, être un des fer­ments du vaste mou­ve­ment auto­ges­tion­naire qui ne peut man­quer de se déve­lop­per, dans la pers­pec­tive d’une pen­sée révo­lu­tion­naire auto­nome et d’une poli­tique libé­ra­trice. Aujourd’hui, après une période de marasme, et même d’a­ban­don de tout espoir pour cer­tains, il nous faut mon­trer que le socia­lisme, ce n’est ni le libé­ra­lisme hon­teux des sociaux-démo­crates ni l’é­pou­van­table men­songe issu, à tra­vers Staline et les siens, du pré­ten­du mar­xisme-léni­nisme — autre mys­ti­fi­ca­tion —, ce men­songe dis­si­mu­lant sous l’é­ti­quette socia­liste un capi­ta­lisme bureau­cra­tique d’État. »


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  1. Les Anarchistes. Dictionnaire bio­gra­phique du mou­ve­ment liber­taire fran­co­phone, Les édi­tions de l’Atelier, 2014.[]
  2. Le PCI (Parti com­mu­niste inter­na­tio­na­liste) appor­te­ra éga­le­ment son sou­tien.[]

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